Consolons-nous en nous disant, avec un de nos vieux chroniqueurs, que « Paris a toujours eu sa chimère, tant et si bien que si on lui sert le soleil, il ne manquera pas de demander la lune. »
Consolons-nous surtout en voyant que toutes ces manifestations ne représentent qu’une mino
rité infime. Le mont Aventin n’était pas Rome, Belleville n’est pas Paris, et le roi de Prusse pourra répéter, aujourd’hui, ce que disait son prédécesseur en 1794 : « Tous nos efforts échoue
ront contre la République, puisque le noyau de la guerre civile n’existe plus. »
Au beau milieu de la manifestation, le général Tamisier, à cheval, s’adressant aux groupes, s’é criait : « Ecoutez la voix qui vous dicte votre devoir. » C’était le canon du Mont-Valérien.
Plus loin, dans la rue de Rivoli, une voiture de blessés vint à passer sous une pluie torrentielle :
— Tenez, dit un capitaine, voilà des Français qui vous montrent le chemin à suivre.
La foule se découvrit, émue, et les communaux, — c’est le nom qu’on leur donnait, — baissèrent la tête devant ces fronts enveloppés de linges ensanglantés.
C’est que la guerre continue, en effet, à prendre chaque jour son horrible pâture. Les ambulances prussiennes et les nôtres ne sont, hélas! que trop occupées. L’affaire de Glievilly a eu les propor
tions d’un grand combat, et l’on porte à 2,500 le nombre do nos hommes mis hors de combat.
Le général Guilhem, tombé dans les lignes prussiennes, a été de la part de l’ennemi l’objet des démonstrations les plus respectueu
ses. L’armée prussienne s’honore en rendant hommage au courage de ses ennemis. Le général
Douay, mort à la bataille de Wissembourg, avait été également conduit au cimetière avec tous les honneurs militaires.
Comme le cercueil du général Douay, celui du général Guilhem lut par les Prussiens recouvert de rameaux verts et de fleurs. Il devait être inhumé le lendemain avec la pompe accoutumée,
quand une ambulance de la Société internationale vint réclamer le corps au nom de la famille et de l’armée française.
L’état-major prussien s’empressa de faire la remise du cercueil, et l’un des officiers qui présidaient à cette triste cérémonie dit à l’un des as
sistants : — Vous voyez, monsieur, que nous ne sommes pas des barbares.
Ne mêlons pas une discussion irritante à l’accomplissement d’un pieux devoir. Il n’en coûte à personne chez nous de reconnaître les qualités
du peuple prussien, et ces qualités n’ont pas un mince mérite, puisqu’elles ont conduit ce peuple,
disloqué et anéanti à Iéna, à l’omnipotence qu’il exerce en Allemagne.
Ces qualités n’ont précisément pour inspiration unique que la glorification du régime militaire,
et cette idée fixe est poussée si loin, qu’elle arrive parfois en Prusse aux mesures les plus comiquement burlesques. Exemple.
Quand la ville de Berlin, qui a la prétention de représenter l’Allemagne, voulut ériger deux sta
tues aux deux grands esprits de la littérature germanique, Goethe et Schiller, M. de Hulsen,
intendant général des théâtres royaux, ancien commandant au régiment Alexandre, fit une visite au statuaire qui devait exécuter les deux ouvrages.
L’intendant demanda à l’artiste quelle devait être la hauteur des deux statues.
— Douze pieds, répondit l’artiste.
— Douze pieds ! s’écria M. de Hulsen. Y songez-vous? Mais les statues des généraux prussiens placés devant l’Opéra n’ont que neuf pieds !
— Eh bien? demanda l’artiste.
— Eh bien ! je n’entends pas que les statues de Goethe et de Schiller soient plus hautes que celles des généraux prussiens.
Et les deux statues de Goethe et de Schiller furent abaissées de trois pieds. Voilà l’esprit prussien. Dieu nous en garde !
Les ballons.
Toujours sceptique, le Journal des Débats appelle ironiquement le gouvernement de la défense nationale le gouvernement du ballon !
La situation est si plaisante ! ,
En attendant que le Journal des Débats nous donne un moyen plus simple de traverser les lignes prussiennes, le gouvernement et la poste ne sont pas fâchés d’avoir à leur disposition des ballons.
Il en est parti trois samedi. Les deux premiers ballons sont partis à onze heures, l’un jaune et l’autre blanc, TArmand-Barbes et le George- Sand.
Dnnsl Armand-Barbès avaient pris place MM. Gambetta et Spuller, son secrétaire, avec l’aéronaule M. Trichet. Le George-Sand emportait deux Amé
ricains, MM. May et Roynold, ainsi qu’un jeune sous-préfet de la Haute-Vienne, sous la direction de M. Revilliod, aéronaute.
A peine les deux ballons avaient-ils quitté terre aux cris de : Vive la République ! Vive la France ! poussés par une foule considérable, qu’on crut voir les aérostats redescendre vers le sol. Soit que le-ur marche ascendante ait en effet rétrogradé, soit qu’il y ait eu là quelque illusion d’opti
que, la foule émue se précipita vers Montmartre :
il paraît que M. Nadar lui-même partagea un instant l’angoisse commune. Mais on vit alors les ballons remonter vers le ciel de manière à ôter toute inquiétude sur une chute dans les lignes
prussiennes. Le vent soufflait du S.-E. et poussait notre ministre d l’intérieur vers Amiens ou Dieppe.
Le retour des pi geons messagers nous a appris que le ministre de l’intérieur avait pris terre aux environs d’Amiens, après un accident qui avait failli le faire tomber au milieu d’un poste ennemi
M. Gambetta est maintenant à Tours. Sa parole éloquente, enflammée représente bien une force, mais cette force ne suffit pas. A la parole, il faut joindre l’action, et l’armée de secours a besoin d’un général.
Pourquoi n’avoir pas envoyé avec M. Gambetta le général Ducrot, dont l’énergie égale lç talent, et qui possède la confiance de l’armée ?
Aspects de Paris.
Après le soleil et les longs jours, la pluie et les longues nuits. La guerre, déjà si dure, va deve
nir encore plus cruelle. Nos campements souffriront; mais nos soldats s’en consolent en disant que le mauvais temps est encore plus terrible pour l’ennemi.
Les promeneurs et les curieux, — il y en a toujours, — sortent pour visiter les ravages causés par le siège. Pauvres villas parisiennes ! Que vont-elles devenir? Les voilà déjà qui ressemblent aux cibles des polygones. Voyez cette vallée de la
Bièvre que nous représentons. Cette rivière, comme la Moselle, a déjà vu son eau teinte du sang des deux armées, et les cottages de ses rives ne reçoivent plus d’autres visites que celles des bombes et des boulets.
Allez aux fortifications. C’est toujours le rendez-vous général. En les revoyant, chaque di
manche, les promeneurs ne manquent jamais de s’extasier sur les travaux accomplis. Le jour où le général Trochu fut nommé gouverneur de Pa
ris, il n’y avait que six cents pièces en place. Il y en a aujourd’hui dix-huit cents et l’on travaille toujours.
Tous les accidents de terrains, tous les monticules sont assaillis par des curieux armés de lorgnettes. C’est à qui découvrira les lignes prus
siennes. Mais on n’aperçoit guère que le feu de nos forts, qui se passent tour à tour la parole. Nos Parisiennes se montrent très-friandes de ce spec
tacle. Attention ! Un flocon de fumée blanche, un silence de quelques secondes, puis le formidable
grondement des canons et des o busiers qui envoient à l’ennemi des arguments du poids de deux cents livres.
Aujourd’hui, l’usine de M. de Plazanet, à Gre
nelle, a servi de promenade à un grand nombre d’habitants. L’explosion de cette fabrication de pro
duits chimiques a rappelé l’explosion de l’usine de la place de la Sorbonne. C’est un sinistre épouvantable ! Treize morts et quinze blessés. Espérons que les recommandations faites par l’auto
rité et les précautions prises par les chefs d’éta
blissements industriels nous mettront à l’abri de pareils désastres.
Plus nous allons, et plus aussi nos provisions diminuent. Aussi la question des subsistances est-elle à l’ordre du jour clans tous les ménages.
C’est toujours la viande qui soulève les réclamations les plus vives. Au cheval, le consomma
teur vient d’ajouter l’âne ; mais le Parisien est plus gourmet que gourmand, et l’âne est encore moins goûté que le cheval.
Je ne parle pas du chat, qui a toujours fourni un large supplément aux gibelottes des barrières.
Quelques prix. Le beurre se vend 8 fr. la livre, et que! beurre ! Le boisseau de pommes de terre 2 fr. 50 c. On a vendu 3 fr. des chats, aux cantines des forts.
Un peu de patience. Un vieux grenadier chevronné, en voyant l interminable queue d’une boucherie municipale, disait : « Tas de pékins ! Ça peut avoir du pain à quatre sous la livre et ça se plaint. »
Le vieux grenadier avait raison.
D’ailleurs, il ne faut pas s’exagérer les plaintes de la population. Les ménages gémissent tant soit peu ; mais descendez sur la place publique, allez aux remparts, et vous demeurerez convaincu
que les citoyens acceptent gaiement la vie des camps.
Un de ces jours derniers, un cantinier avait servi à un garde national un beefsteak et le courageux citoyen essayait vainement de faire pénétrer son couteau dans cotte viande plus que coriace. Après l’avoir attaquée longtemps sans aucun succès, le garde national se décide à appeler.
— Cantinier?
— V’ià! v’ià! monsieur.
— Cantinier, ce n’est pas un beefsteak que vous avez fait cuire.
— Mais, pardonnez-moi, monsieur.
— Non, cantinier, c’est un cuir que vous avez fait beefsteak.
Le garde national était vengé.
Les jeunes.
Voici venir les jeunes, qui demandent à prendre part à l’œuvre de la défense. L’exemple du jeune Gabriel Vinay a produit son effet. Après avoir parcouru quinze jours nos boulevards, en chantant avec frénésie :
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus,
ils ont fini par se faire une voie, et par trouver une occupation On les a placés comme aides dans le service des pompes, des dépêches et des muni
tions. Les jeux du bouchon et de saute-mouton leur donneront bien certainement plus d’une dis
traction; mais que le clairon sonne, et vous les verrez accourir en chantant leur refrain favori :
Nous entrerons dans la carrière...
Les amazones.
Ce n’est pas tout. Après les jeunes, voici l’arrière-garde, les Amazones ! Ici je m’arrête eni
barassé. Je sais tout ce qu’on peut dire en faveur de ce bataillon, dont le commandant, M. Félix Belly, doit répéter cent fois par jour :
Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mère !
Je sais aussi tout ce qu’on a dit en l’honneur de Jeanne Darc, qu’on ne manque jamais de rappe
ler en parlant des nouvelles guerrières qu’on appelle sous les drapeaux. Je sais que la vierge de Domrémy nous montre à la fois la poésie des légendes, la gravité de l’histoire, le double en
thousiasme de la patrie et de la foi, le feu des batailles, le prestige des victoires, et l’indicible martyre d’une sainte immolée par les prêtres !
Mais, en vérité, je me demande si Paris, défendu par quatre cent mille hommes, ne peut pas se passer d’un dernier bataillon de douze
Consolons-nous surtout en voyant que toutes ces manifestations ne représentent qu’une mino
rité infime. Le mont Aventin n’était pas Rome, Belleville n’est pas Paris, et le roi de Prusse pourra répéter, aujourd’hui, ce que disait son prédécesseur en 1794 : « Tous nos efforts échoue
ront contre la République, puisque le noyau de la guerre civile n’existe plus. »
Au beau milieu de la manifestation, le général Tamisier, à cheval, s’adressant aux groupes, s’é criait : « Ecoutez la voix qui vous dicte votre devoir. » C’était le canon du Mont-Valérien.
Plus loin, dans la rue de Rivoli, une voiture de blessés vint à passer sous une pluie torrentielle :
— Tenez, dit un capitaine, voilà des Français qui vous montrent le chemin à suivre.
La foule se découvrit, émue, et les communaux, — c’est le nom qu’on leur donnait, — baissèrent la tête devant ces fronts enveloppés de linges ensanglantés.
Le général Guilhem.
C’est que la guerre continue, en effet, à prendre chaque jour son horrible pâture. Les ambulances prussiennes et les nôtres ne sont, hélas! que trop occupées. L’affaire de Glievilly a eu les propor
tions d’un grand combat, et l’on porte à 2,500 le nombre do nos hommes mis hors de combat.
Le général Guilhem, tombé dans les lignes prussiennes, a été de la part de l’ennemi l’objet des démonstrations les plus respectueu
ses. L’armée prussienne s’honore en rendant hommage au courage de ses ennemis. Le général
Douay, mort à la bataille de Wissembourg, avait été également conduit au cimetière avec tous les honneurs militaires.
Comme le cercueil du général Douay, celui du général Guilhem lut par les Prussiens recouvert de rameaux verts et de fleurs. Il devait être inhumé le lendemain avec la pompe accoutumée,
quand une ambulance de la Société internationale vint réclamer le corps au nom de la famille et de l’armée française.
L’état-major prussien s’empressa de faire la remise du cercueil, et l’un des officiers qui présidaient à cette triste cérémonie dit à l’un des as
sistants : — Vous voyez, monsieur, que nous ne sommes pas des barbares.
Ne mêlons pas une discussion irritante à l’accomplissement d’un pieux devoir. Il n’en coûte à personne chez nous de reconnaître les qualités
du peuple prussien, et ces qualités n’ont pas un mince mérite, puisqu’elles ont conduit ce peuple,
disloqué et anéanti à Iéna, à l’omnipotence qu’il exerce en Allemagne.
Ces qualités n’ont précisément pour inspiration unique que la glorification du régime militaire,
et cette idée fixe est poussée si loin, qu’elle arrive parfois en Prusse aux mesures les plus comiquement burlesques. Exemple.
Quand la ville de Berlin, qui a la prétention de représenter l’Allemagne, voulut ériger deux sta
tues aux deux grands esprits de la littérature germanique, Goethe et Schiller, M. de Hulsen,
intendant général des théâtres royaux, ancien commandant au régiment Alexandre, fit une visite au statuaire qui devait exécuter les deux ouvrages.
L’intendant demanda à l’artiste quelle devait être la hauteur des deux statues.
— Douze pieds, répondit l’artiste.
— Douze pieds ! s’écria M. de Hulsen. Y songez-vous? Mais les statues des généraux prussiens placés devant l’Opéra n’ont que neuf pieds !
— Eh bien? demanda l’artiste.
— Eh bien ! je n’entends pas que les statues de Goethe et de Schiller soient plus hautes que celles des généraux prussiens.
Et les deux statues de Goethe et de Schiller furent abaissées de trois pieds. Voilà l’esprit prussien. Dieu nous en garde !
Les ballons.
Toujours sceptique, le Journal des Débats appelle ironiquement le gouvernement de la défense nationale le gouvernement du ballon !
La situation est si plaisante ! ,
En attendant que le Journal des Débats nous donne un moyen plus simple de traverser les lignes prussiennes, le gouvernement et la poste ne sont pas fâchés d’avoir à leur disposition des ballons.
Il en est parti trois samedi. Les deux premiers ballons sont partis à onze heures, l’un jaune et l’autre blanc, TArmand-Barbes et le George- Sand.
Dnnsl Armand-Barbès avaient pris place MM. Gambetta et Spuller, son secrétaire, avec l’aéronaule M. Trichet. Le George-Sand emportait deux Amé
ricains, MM. May et Roynold, ainsi qu’un jeune sous-préfet de la Haute-Vienne, sous la direction de M. Revilliod, aéronaute.
A peine les deux ballons avaient-ils quitté terre aux cris de : Vive la République ! Vive la France ! poussés par une foule considérable, qu’on crut voir les aérostats redescendre vers le sol. Soit que le-ur marche ascendante ait en effet rétrogradé, soit qu’il y ait eu là quelque illusion d’opti
que, la foule émue se précipita vers Montmartre :
il paraît que M. Nadar lui-même partagea un instant l’angoisse commune. Mais on vit alors les ballons remonter vers le ciel de manière à ôter toute inquiétude sur une chute dans les lignes
prussiennes. Le vent soufflait du S.-E. et poussait notre ministre d l’intérieur vers Amiens ou Dieppe.
Le retour des pi geons messagers nous a appris que le ministre de l’intérieur avait pris terre aux environs d’Amiens, après un accident qui avait failli le faire tomber au milieu d’un poste ennemi
M. Gambetta est maintenant à Tours. Sa parole éloquente, enflammée représente bien une force, mais cette force ne suffit pas. A la parole, il faut joindre l’action, et l’armée de secours a besoin d’un général.
Pourquoi n’avoir pas envoyé avec M. Gambetta le général Ducrot, dont l’énergie égale lç talent, et qui possède la confiance de l’armée ?
Aspects de Paris.
Après le soleil et les longs jours, la pluie et les longues nuits. La guerre, déjà si dure, va deve
nir encore plus cruelle. Nos campements souffriront; mais nos soldats s’en consolent en disant que le mauvais temps est encore plus terrible pour l’ennemi.
Les promeneurs et les curieux, — il y en a toujours, — sortent pour visiter les ravages causés par le siège. Pauvres villas parisiennes ! Que vont-elles devenir? Les voilà déjà qui ressemblent aux cibles des polygones. Voyez cette vallée de la
Bièvre que nous représentons. Cette rivière, comme la Moselle, a déjà vu son eau teinte du sang des deux armées, et les cottages de ses rives ne reçoivent plus d’autres visites que celles des bombes et des boulets.
Allez aux fortifications. C’est toujours le rendez-vous général. En les revoyant, chaque di
manche, les promeneurs ne manquent jamais de s’extasier sur les travaux accomplis. Le jour où le général Trochu fut nommé gouverneur de Pa
ris, il n’y avait que six cents pièces en place. Il y en a aujourd’hui dix-huit cents et l’on travaille toujours.
Tous les accidents de terrains, tous les monticules sont assaillis par des curieux armés de lorgnettes. C’est à qui découvrira les lignes prus
siennes. Mais on n’aperçoit guère que le feu de nos forts, qui se passent tour à tour la parole. Nos Parisiennes se montrent très-friandes de ce spec
tacle. Attention ! Un flocon de fumée blanche, un silence de quelques secondes, puis le formidable
grondement des canons et des o busiers qui envoient à l’ennemi des arguments du poids de deux cents livres.
Aujourd’hui, l’usine de M. de Plazanet, à Gre
nelle, a servi de promenade à un grand nombre d’habitants. L’explosion de cette fabrication de pro
duits chimiques a rappelé l’explosion de l’usine de la place de la Sorbonne. C’est un sinistre épouvantable ! Treize morts et quinze blessés. Espérons que les recommandations faites par l’auto
rité et les précautions prises par les chefs d’éta
blissements industriels nous mettront à l’abri de pareils désastres.
Plus nous allons, et plus aussi nos provisions diminuent. Aussi la question des subsistances est-elle à l’ordre du jour clans tous les ménages.
C’est toujours la viande qui soulève les réclamations les plus vives. Au cheval, le consomma
teur vient d’ajouter l’âne ; mais le Parisien est plus gourmet que gourmand, et l’âne est encore moins goûté que le cheval.
Je ne parle pas du chat, qui a toujours fourni un large supplément aux gibelottes des barrières.
Quelques prix. Le beurre se vend 8 fr. la livre, et que! beurre ! Le boisseau de pommes de terre 2 fr. 50 c. On a vendu 3 fr. des chats, aux cantines des forts.
Un peu de patience. Un vieux grenadier chevronné, en voyant l interminable queue d’une boucherie municipale, disait : « Tas de pékins ! Ça peut avoir du pain à quatre sous la livre et ça se plaint. »
Le vieux grenadier avait raison.
D’ailleurs, il ne faut pas s’exagérer les plaintes de la population. Les ménages gémissent tant soit peu ; mais descendez sur la place publique, allez aux remparts, et vous demeurerez convaincu
que les citoyens acceptent gaiement la vie des camps.
Un de ces jours derniers, un cantinier avait servi à un garde national un beefsteak et le courageux citoyen essayait vainement de faire pénétrer son couteau dans cotte viande plus que coriace. Après l’avoir attaquée longtemps sans aucun succès, le garde national se décide à appeler.
— Cantinier?
— V’ià! v’ià! monsieur.
— Cantinier, ce n’est pas un beefsteak que vous avez fait cuire.
— Mais, pardonnez-moi, monsieur.
— Non, cantinier, c’est un cuir que vous avez fait beefsteak.
Le garde national était vengé.
Les jeunes.
Voici venir les jeunes, qui demandent à prendre part à l’œuvre de la défense. L’exemple du jeune Gabriel Vinay a produit son effet. Après avoir parcouru quinze jours nos boulevards, en chantant avec frénésie :
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus,
ils ont fini par se faire une voie, et par trouver une occupation On les a placés comme aides dans le service des pompes, des dépêches et des muni
tions. Les jeux du bouchon et de saute-mouton leur donneront bien certainement plus d’une dis
traction; mais que le clairon sonne, et vous les verrez accourir en chantant leur refrain favori :
Nous entrerons dans la carrière...
Les amazones.
Ce n’est pas tout. Après les jeunes, voici l’arrière-garde, les Amazones ! Ici je m’arrête eni
barassé. Je sais tout ce qu’on peut dire en faveur de ce bataillon, dont le commandant, M. Félix Belly, doit répéter cent fois par jour :
Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mère !
Je sais aussi tout ce qu’on a dit en l’honneur de Jeanne Darc, qu’on ne manque jamais de rappe
ler en parlant des nouvelles guerrières qu’on appelle sous les drapeaux. Je sais que la vierge de Domrémy nous montre à la fois la poésie des légendes, la gravité de l’histoire, le double en
thousiasme de la patrie et de la foi, le feu des batailles, le prestige des victoires, et l’indicible martyre d’une sainte immolée par les prêtres !
Mais, en vérité, je me demande si Paris, défendu par quatre cent mille hommes, ne peut pas se passer d’un dernier bataillon de douze