A Paris, l’ensemble de la situation nous a présenté, pendant tout le mois d’octobre, à peu près le même caractère et la même physionomie. Les opérations du siège n’ont encore eu pour but que la défensive, et le désir de voir prendre l offensive attire depuis quelques jours plus d’une critique au gouvernement de la défense nationale. Nous comprenons ces impatiences de l’opinion. Mais il serait injuste de méconnaître l’importance des travaux accomplis depuis la marche des Prussiens sur Paris, et si l’offensive que nous nous dispo
sons à prendre a le même succès que la défensive, il ne nous restera qu’à décréter que le Gouvernement de riiôtel-de-Villeabien mérité delà patrie.
Le succès de cette campagne offensive dépend, ainsique l’a formellement déclaré le général Trochu, de la quantité et de la qualité de notre artil
lerie. Aussi la question de la fonte de nouveaux canons est-elle aujourd’hui l’unique question à l’ordre du jour, et les tiraillements auxquels nous assistons ne prouvent que trop les difficultés d’une heureuse solution. En présence des ordres et des résolutions qui se suivent et qui parfois se contre
disent, on est malheureusement conduit tout cl’a- bord à se demander quel est le pouvoir qui pré
side à cette réorganisation de notre artillerie. Est-ce le conseil de l’Hôtei-de*Ville? Est-ce le co
mité de défense? Est-ce-le ministère des travaux publics? L’unité de direction ne serait pas inutile au succès dé cette opération importante.
, Quant au travail de la fonte elle-même, il nous semble qu’on a beaucoup discuté jusqu’à présent * sur ce point, sans se rendre bien compte des conditions dans lesquelles on sé trouve ét des résul
tats que l’on veut obtenir. Nous publierons sur cette question si importante un article spécial, qui contribuera, nous l’espérons, à faire la lumière au milieu des contradictions qui se produisent.
Dans les départements, nous avons à constater des faits qui prouvent l’intention bien arrêtée des Prussiens de se porter au devant de l’armée de la Loire. Orléans, après un premier avantage des nôtres, a été occupée par l’ennemi. La petite ville de Châteandun s’est héroïquement défendue, pendant neuf heures, contre un corps de 5,000 Prussiens, qui ont occupé la ville après l’avoir incen
diée. La délégation de Tours a voté une somme de 100,000 fr. pour- venir en aide à la population de Châteaudun, et a décrété que la ville avait bien mérité de la patrie.
Cette hère défense d’une petite ville nous prouve sans aucun doute que les départements ont au
jourd’hui, vis-à-vis de l’ennemi, la même attitude que Paris. Mais cette résolution paraît avoir été tardive, si nous en jugeons par les lenteurs qui ont signalé l’organisation de l’armée de la Loire. M. Gambetta a fait un voyage à Besançon, en vue probablement d’activer l’entrée en campagne des deux armées de Belfort et de la Loire, et nous touchons à l’heure des opérations décisives.
Le commandement de l’armée de la Loire a été donné au général Bourbaki. Des informations sé
rieuses nous ont également appris qu’un corps de 30,000 hommes s’était formé sous le commande
ment de M. Estancelin, et que ce corps pourrait bien combiner ses opérations avec d’autres forces des départements du Nord, pour tenter de déli
vrer l’armée du maréchal Bazaine, pendant que l’armée de la Loire opérera contre l’armée assié
geante de Paris. La sortie du maréchal Bazaine avec une partie de son armée serait, en effet,
d une importance de premier ordre. L’armée de Metz comprend les 2e, 3«, 4e et 6e corps, et l’exgarde impériale. La moitié de cette précieuse ré
serve donnerait à nos nouveaux corps une solidité menaçante pour nos envahisseurs.
M. Thiers est de retour en France. Nous mentionnons le fait, sans nous demander quel a pu être le résultat des pérégrinations diplomatiques de l’éminent homme d’État. L’Europe a trop bien montré qu’elle laissait carte blanche à M. de Bis
mark, pour que nous interrogions encore le langage de ses gouvernements.
On vient d’ailleurs de publier une autre circulaire de M. de Bismark, et ce nouveau document, qui porte la date du 16 septembre et qui est par conséquent, antérieur à l’entrevue de Ferrières,
nous prouve que le ministre du roi Guillaume ne redoute absolument rien de l’intervention de l’Europe. « (l’est une cruauté de la part des neu
tres vis-à-vis de la nation française, dit M. de Bismark, s’ils Dermettent que le gouvernement parisien nourrisse plus longtemps dans le peuple des espérances d’intervention irréalisables, et prolonge ainsi la lutte. »
L’ironie est sanglante, mais elle porte à faux, car M. de Bismark, qui espérait traiter avec le vaincu de Sedan, sait bien que la France ne compte que sur elle-même.
Au&. Marc.
Nous empruntons à l’Opinion nationale l’extrait suivant de son récit du combat de Rueil :
« Quel est, en somme, le résultat de l’engagement de vendredi? Peut-être serait-on tenté de dire : A quoi bon aller nous casser le cou dans ces ravins boisés, entrecoupés et retranchés? Pourquoi faire tuer ou blesser quatre ou cinq cents hommes, pour ne pas être plus avancé avant que devant, et pour revenir, le soir, dans nos canton
nements, en laissant aux Prussiens ie champ de bataille et leurs positions premières ?
« Et de fait, hier, je voyais les sentinelles prussiennes se promenant de long en large sur la grande route, à 500 mètres en avant de Rueil. Les paysans qui revenaient des champs avec un mai
gre sac de récoltes sur le dos, rampaient dans le fossé de la route, ne s’arrêtant pour souffler que derrière les gros arbres ; car la sentinelle tire sur quiconque dépasse Rueil. Il est impossible de s’imaginer la rage qui vous mord le cœur au spectacle de cette silhouette en manteau noir, le fusil en arrêt, qui barre la route, et de ces mal
heureux qui, courbant la tête, tremblant sous la menace muette de l’étranger, emportent furtive
ment et comme des voleurs, les fruits de leur héritage et de la terre française.
« Toutefois, pour en revenir au raisonnement que j’exposais plus haut, je ne le crois point juste. Voici pourquoi : d’abord, il est d’une extrê
me importance pour le gouverneur de la place de savoir au juste quelles sont les dispositions stratégiques de l’ennemi, sur quels points et en quel nombre ses forces sont rangées.
« Pour cela, les rapports des espions ne suffisent pas. Il faut des reconnaissances plus ou moins avancées et nombreuses, qui appellent sur un point toutes les troupes ennemies de l’environ : c’est une sorte de revue que le général fran
çais passe des Prussiens, malgré eux. Ainsi il calcule en combien de temps et en quelle force l’adversaire peut se porter sur tel endroit. De ces indices, il conclut au plan de l’investissement, aux projets de l’ennemi, et sur ces inductions il calcule, il combine lui-même ses propres desseins.
« En second lieu, l’élément moral joue dans la guerre un rôle prépondérant : c’est l’idée qui ga
gne ou qui perd les batailles. Or, il est certain que nous avons un intérêt de premier ordre à convaincre les Prussiens que, malgré leurs victoires, ils ne nous terrifient point.
« Ges sorties, comme celles d’avant-hier, sont les préliminaires nécessaires et excellents d’opérations plus considérables et plus décisives.
« A ne considérer que nos propres troupes, il a été nécessaire de les soumettre à un apprentissage d’autant plus rude qu’il est moins long; il a fallu multiplier efforts et épreuves, en raison inverse du temps. Pour que le conscrit devienne soldat, il y a plusieurs degrés d’initiation.
« Or, à bien considérer le champ d’évolution qu’occupe actuellement le corps Ducrot, il est évident que la sortie, pour être utile et servir de re
connaissance, ne pouvait s’effectuer que par Rueil. Nous ne pouvions pas passer1 la Seine, pour nous noyer bénévolement sous le feu de l’ennemi. Il nous fallait opérer sous la protection du Mont- Valérien (qui a fait avant-hier beaucoup de mal à l’ennemi), e’ust-à-dire sur la ligne qui s’étend de Buzenval àBougival. Cette ligne sei ait sans doute un détestable champ de bataille; mais, dans les
limites d’une sortie et d’une reconnaissance, elle s’imposait à nous par la double nécessité des positions de l’ennemi et des nôtres propres. Le général Ducrot n’avait, en partant, aucun projet d’é
tablissement ou d’occupation; car les troupes n’avaient que leurs armes ; ni sacs ni objets de campement.
« Comparez la mésaventure du 19 septembre, à Châtilion, avec l’engagement du 21 octobre, à Rueil; quelle hausse dans l’état moral et dans l’esprit de discipline des mêmes troupes !
« L’épreuve a été rude, très-rude. Monter à l’assaut des hauteurs couronnées de bois n’est pas un jeu facile. Cependant nos colonnes ont marché sans broncher. Souvent elles étaient criblées de balles par un ennemi invisible, tapi dans les bois, huché sur les arbres. C’était, selon l’expression
pittoresque d’un soldat, comme des pois que l’on jette à la main. Il n’y a pas eu un seul cas de débandade.
« L’accident arrivé à une batterie de 4 ne prouve rien, sinon qu’elle n’était pas soutenue par une force suffisante. Elle est allée se planter sur la lisière même du bois occupé par l’ennemi; il le fallait bien pour tirer avec effet et le débusquer.
D’ailleurs, ces approches rapides, hardies, sont dans le rôle des batteries de 4,, légères de transport et d’évolution.
« Mais ces deux canons ont coûté cher aux Prussiens; ce n’est que la petite monnaie de la pièce dont notre artillerie établie sur les deux côtés de Rueil et celle du Mont-Valérien les ont gratifiés.
« En passant à Rueil, les troupes marchaient gaiement : — Nous allons à la fête de Bougival,
disaient quelques-uns, se rappelant la renommée joyeuse du pauvre village. Les compagies mar
quaient le pas en chantant. Le retour ôtait natu
rellement plus grave ; car dans les rangs il y avait des absents. Mais, à la tenue des hommes, on voyait que chacun avait fait son devoir et revenait satisfait et confiant.
« Quand la journée n’eût servi qu a constater une telle rénovation depuis Châtilion, le résultat serait déjà superbe. Le général Trochu sait main
tenant qu’il peut compter et faire fond .sur le 14e corps; il a ses coudées franches pour élargir ie cercle de ses combinaisons.
« De plus, chaque combat révèle, dans les rangs de la ligne et de la mobile, un certain nombre de soldats capables d’entrer dans les cadres de sousofflciers, et dans les sous-offlciers un certain nom
bre d’excellents officiers. A cet égard, nos pertes sont infiniment regrettables; mais elles peuvent et doivent se combler vite et facilemen t. La levée en masse, dans les circonstances actuelles, a ren
forcé notre armée d’une foule de jeunes gens ins
truits, à l’intelligence exercée et prompte : c’est une magnifique pépinière d’officiers et même de généraux. Notre principal but est de constituer une grande armée; ne soyez pas inquiet des ca
dres; ils se formeront d’eux-mêmes, jeunes, actifs,
énergiques, si vous récompensez, c’est-à-dire si vous stimulez par un juste et libéral avancement tous les mérites d’intelligence, de valeur et de discipline. Ainsi le combat de Rueil a eu l’avan
tage, non-seulement de former des soldats, mais encore de former des chefs.
« Pendant l’action, les blessés affluaient en assez grand nombre à Rueil : ils étaient recueillis dans l’hôpital improvisé dans la mairie même par la municipalité. Il n’y avait que douze lits; mais les habitants avaient en hâte apporté matelas et linge.
Les sœurs des écoles se sont aussitôt mises à la besogne; elles ont vaillamment travaillé, tout comme des sœurs de charité. A les voir, douces et infatigables, vaquer à tous les soins, sans se laisser rebuter par l’aspect parfois hideux des
sons à prendre a le même succès que la défensive, il ne nous restera qu’à décréter que le Gouvernement de riiôtel-de-Villeabien mérité delà patrie.
Le succès de cette campagne offensive dépend, ainsique l’a formellement déclaré le général Trochu, de la quantité et de la qualité de notre artil
lerie. Aussi la question de la fonte de nouveaux canons est-elle aujourd’hui l’unique question à l’ordre du jour, et les tiraillements auxquels nous assistons ne prouvent que trop les difficultés d’une heureuse solution. En présence des ordres et des résolutions qui se suivent et qui parfois se contre
disent, on est malheureusement conduit tout cl’a- bord à se demander quel est le pouvoir qui pré
side à cette réorganisation de notre artillerie. Est-ce le conseil de l’Hôtei-de*Ville? Est-ce le co
mité de défense? Est-ce-le ministère des travaux publics? L’unité de direction ne serait pas inutile au succès dé cette opération importante.
, Quant au travail de la fonte elle-même, il nous semble qu’on a beaucoup discuté jusqu’à présent * sur ce point, sans se rendre bien compte des conditions dans lesquelles on sé trouve ét des résul
tats que l’on veut obtenir. Nous publierons sur cette question si importante un article spécial, qui contribuera, nous l’espérons, à faire la lumière au milieu des contradictions qui se produisent.
Dans les départements, nous avons à constater des faits qui prouvent l’intention bien arrêtée des Prussiens de se porter au devant de l’armée de la Loire. Orléans, après un premier avantage des nôtres, a été occupée par l’ennemi. La petite ville de Châteandun s’est héroïquement défendue, pendant neuf heures, contre un corps de 5,000 Prussiens, qui ont occupé la ville après l’avoir incen
diée. La délégation de Tours a voté une somme de 100,000 fr. pour- venir en aide à la population de Châteaudun, et a décrété que la ville avait bien mérité de la patrie.
Cette hère défense d’une petite ville nous prouve sans aucun doute que les départements ont au
jourd’hui, vis-à-vis de l’ennemi, la même attitude que Paris. Mais cette résolution paraît avoir été tardive, si nous en jugeons par les lenteurs qui ont signalé l’organisation de l’armée de la Loire. M. Gambetta a fait un voyage à Besançon, en vue probablement d’activer l’entrée en campagne des deux armées de Belfort et de la Loire, et nous touchons à l’heure des opérations décisives.
Le commandement de l’armée de la Loire a été donné au général Bourbaki. Des informations sé
rieuses nous ont également appris qu’un corps de 30,000 hommes s’était formé sous le commande
ment de M. Estancelin, et que ce corps pourrait bien combiner ses opérations avec d’autres forces des départements du Nord, pour tenter de déli
vrer l’armée du maréchal Bazaine, pendant que l’armée de la Loire opérera contre l’armée assié
geante de Paris. La sortie du maréchal Bazaine avec une partie de son armée serait, en effet,
d une importance de premier ordre. L’armée de Metz comprend les 2e, 3«, 4e et 6e corps, et l’exgarde impériale. La moitié de cette précieuse ré
serve donnerait à nos nouveaux corps une solidité menaçante pour nos envahisseurs.
M. Thiers est de retour en France. Nous mentionnons le fait, sans nous demander quel a pu être le résultat des pérégrinations diplomatiques de l’éminent homme d’État. L’Europe a trop bien montré qu’elle laissait carte blanche à M. de Bis
mark, pour que nous interrogions encore le langage de ses gouvernements.
On vient d’ailleurs de publier une autre circulaire de M. de Bismark, et ce nouveau document, qui porte la date du 16 septembre et qui est par conséquent, antérieur à l’entrevue de Ferrières,
nous prouve que le ministre du roi Guillaume ne redoute absolument rien de l’intervention de l’Europe. « (l’est une cruauté de la part des neu
tres vis-à-vis de la nation française, dit M. de Bismark, s’ils Dermettent que le gouvernement parisien nourrisse plus longtemps dans le peuple des espérances d’intervention irréalisables, et prolonge ainsi la lutte. »
L’ironie est sanglante, mais elle porte à faux, car M. de Bismark, qui espérait traiter avec le vaincu de Sedan, sait bien que la France ne compte que sur elle-même.
Au&. Marc.
COMBAT DE RUEIL
Nous empruntons à l’Opinion nationale l’extrait suivant de son récit du combat de Rueil :
« Quel est, en somme, le résultat de l’engagement de vendredi? Peut-être serait-on tenté de dire : A quoi bon aller nous casser le cou dans ces ravins boisés, entrecoupés et retranchés? Pourquoi faire tuer ou blesser quatre ou cinq cents hommes, pour ne pas être plus avancé avant que devant, et pour revenir, le soir, dans nos canton
nements, en laissant aux Prussiens ie champ de bataille et leurs positions premières ?
« Et de fait, hier, je voyais les sentinelles prussiennes se promenant de long en large sur la grande route, à 500 mètres en avant de Rueil. Les paysans qui revenaient des champs avec un mai
gre sac de récoltes sur le dos, rampaient dans le fossé de la route, ne s’arrêtant pour souffler que derrière les gros arbres ; car la sentinelle tire sur quiconque dépasse Rueil. Il est impossible de s’imaginer la rage qui vous mord le cœur au spectacle de cette silhouette en manteau noir, le fusil en arrêt, qui barre la route, et de ces mal
heureux qui, courbant la tête, tremblant sous la menace muette de l’étranger, emportent furtive
ment et comme des voleurs, les fruits de leur héritage et de la terre française.
« Toutefois, pour en revenir au raisonnement que j’exposais plus haut, je ne le crois point juste. Voici pourquoi : d’abord, il est d’une extrê
me importance pour le gouverneur de la place de savoir au juste quelles sont les dispositions stratégiques de l’ennemi, sur quels points et en quel nombre ses forces sont rangées.
« Pour cela, les rapports des espions ne suffisent pas. Il faut des reconnaissances plus ou moins avancées et nombreuses, qui appellent sur un point toutes les troupes ennemies de l’environ : c’est une sorte de revue que le général fran
çais passe des Prussiens, malgré eux. Ainsi il calcule en combien de temps et en quelle force l’adversaire peut se porter sur tel endroit. De ces indices, il conclut au plan de l’investissement, aux projets de l’ennemi, et sur ces inductions il calcule, il combine lui-même ses propres desseins.
« En second lieu, l’élément moral joue dans la guerre un rôle prépondérant : c’est l’idée qui ga
gne ou qui perd les batailles. Or, il est certain que nous avons un intérêt de premier ordre à convaincre les Prussiens que, malgré leurs victoires, ils ne nous terrifient point.
« Ges sorties, comme celles d’avant-hier, sont les préliminaires nécessaires et excellents d’opérations plus considérables et plus décisives.
« A ne considérer que nos propres troupes, il a été nécessaire de les soumettre à un apprentissage d’autant plus rude qu’il est moins long; il a fallu multiplier efforts et épreuves, en raison inverse du temps. Pour que le conscrit devienne soldat, il y a plusieurs degrés d’initiation.
« Or, à bien considérer le champ d’évolution qu’occupe actuellement le corps Ducrot, il est évident que la sortie, pour être utile et servir de re
connaissance, ne pouvait s’effectuer que par Rueil. Nous ne pouvions pas passer1 la Seine, pour nous noyer bénévolement sous le feu de l’ennemi. Il nous fallait opérer sous la protection du Mont- Valérien (qui a fait avant-hier beaucoup de mal à l’ennemi), e’ust-à-dire sur la ligne qui s’étend de Buzenval àBougival. Cette ligne sei ait sans doute un détestable champ de bataille; mais, dans les
limites d’une sortie et d’une reconnaissance, elle s’imposait à nous par la double nécessité des positions de l’ennemi et des nôtres propres. Le général Ducrot n’avait, en partant, aucun projet d’é
tablissement ou d’occupation; car les troupes n’avaient que leurs armes ; ni sacs ni objets de campement.
« Comparez la mésaventure du 19 septembre, à Châtilion, avec l’engagement du 21 octobre, à Rueil; quelle hausse dans l’état moral et dans l’esprit de discipline des mêmes troupes !
« L’épreuve a été rude, très-rude. Monter à l’assaut des hauteurs couronnées de bois n’est pas un jeu facile. Cependant nos colonnes ont marché sans broncher. Souvent elles étaient criblées de balles par un ennemi invisible, tapi dans les bois, huché sur les arbres. C’était, selon l’expression
pittoresque d’un soldat, comme des pois que l’on jette à la main. Il n’y a pas eu un seul cas de débandade.
« L’accident arrivé à une batterie de 4 ne prouve rien, sinon qu’elle n’était pas soutenue par une force suffisante. Elle est allée se planter sur la lisière même du bois occupé par l’ennemi; il le fallait bien pour tirer avec effet et le débusquer.
D’ailleurs, ces approches rapides, hardies, sont dans le rôle des batteries de 4,, légères de transport et d’évolution.
« Mais ces deux canons ont coûté cher aux Prussiens; ce n’est que la petite monnaie de la pièce dont notre artillerie établie sur les deux côtés de Rueil et celle du Mont-Valérien les ont gratifiés.
« En passant à Rueil, les troupes marchaient gaiement : — Nous allons à la fête de Bougival,
disaient quelques-uns, se rappelant la renommée joyeuse du pauvre village. Les compagies mar
quaient le pas en chantant. Le retour ôtait natu
rellement plus grave ; car dans les rangs il y avait des absents. Mais, à la tenue des hommes, on voyait que chacun avait fait son devoir et revenait satisfait et confiant.
« Quand la journée n’eût servi qu a constater une telle rénovation depuis Châtilion, le résultat serait déjà superbe. Le général Trochu sait main
tenant qu’il peut compter et faire fond .sur le 14e corps; il a ses coudées franches pour élargir ie cercle de ses combinaisons.
« De plus, chaque combat révèle, dans les rangs de la ligne et de la mobile, un certain nombre de soldats capables d’entrer dans les cadres de sousofflciers, et dans les sous-offlciers un certain nom
bre d’excellents officiers. A cet égard, nos pertes sont infiniment regrettables; mais elles peuvent et doivent se combler vite et facilemen t. La levée en masse, dans les circonstances actuelles, a ren
forcé notre armée d’une foule de jeunes gens ins
truits, à l’intelligence exercée et prompte : c’est une magnifique pépinière d’officiers et même de généraux. Notre principal but est de constituer une grande armée; ne soyez pas inquiet des ca
dres; ils se formeront d’eux-mêmes, jeunes, actifs,
énergiques, si vous récompensez, c’est-à-dire si vous stimulez par un juste et libéral avancement tous les mérites d’intelligence, de valeur et de discipline. Ainsi le combat de Rueil a eu l’avan
tage, non-seulement de former des soldats, mais encore de former des chefs.
« Pendant l’action, les blessés affluaient en assez grand nombre à Rueil : ils étaient recueillis dans l’hôpital improvisé dans la mairie même par la municipalité. Il n’y avait que douze lits; mais les habitants avaient en hâte apporté matelas et linge.
Les sœurs des écoles se sont aussitôt mises à la besogne; elles ont vaillamment travaillé, tout comme des sœurs de charité. A les voir, douces et infatigables, vaquer à tous les soins, sans se laisser rebuter par l’aspect parfois hideux des