Pantin.
Nous traversons toute la grande me de Pantin. Nous visitons les rues à droite et à gauche. Nous allons partout. Pas une âme ! A peine un ou deux marchands de vin pour les passants. L’église? Fermée ! La mairie ? Fermée ! Pourquoi donc avoir laissé le drapeau se morfondre au-dessus de la porte ? Une ville qui émigre, comme une armée en retraite, doit emporter sa bannière. Les
maisons abandonnées, désertes, ont par ci, par là des inscriptions ironiques. Ici, Parlez au concierge; là, Bouillon à toute heure; plus loin, Lait chaud matin et soir. Le souvenir de la vie sur des maisons qui sont des sépulcres. Sepulcra regionum !
Or, pour se rendre compte du prodigieux travail qui s’est accompli pour verser dans Paris toute la population exposée, il faut se dire que la capitale comprend dans le rayon de ses deux sous-préfectures, Sceaux et Saint-Denis, cinquante villes comme Pantin et deux cents localités moins importantes. Et toute cette œuvre gigantesque, — démolition de la zone militaire, emménage
ments dans Paris, — a dû se faire en quelques jours, au milieu des opérations plus pressantes encore de la défense. Pans s’est surpassé.
Poussons plus avant. Nous voici sur la ligne des forts, Romainville et Aubervilliers. Ces deux forts ont, à notre arrivée, un dialogue de quelques minutes pour démolir certaines maisons servant d’a­
bri à des patrouilles prussiennes qui descendent de la forêt de Boncly. Quel vacarme! Là, tout près, c’est un bataillon de la garde nationale qui s’exerce et fait des feux de peloton ; au dessus, ce sont les pièces de marine des forts qui lancent leurs quos ego vainqueurs. Au pied des forts, la canonnade rend les vibrations de l’air vraiment saisissantes.
La poudre parle, mais le travail est mort. Pendant ce tintamarre, nous examinons tristement la voie du chemin de fer de Mulhouse. Là, tout in
dique la solitude et l’abandon. La rouille a déjà recouvert les rails, la voie a la rugosité des ter
rains qu’on ne foule plus, et l’herbe se montre prête à envahir le bord du chemin.
Bobigny.
Descendons vers Bobigny. Ici, nouveau changement et nouvelle physionomie des choses. Après le vide de la zone militaire, après la solitude de Pantin, voici là ligne de bataille. L’église de Bo
bigny est détruite. Il n’en reste que quatre murs. Beaucoup de maisons sont effondrées et brûlées,
et les campements des mobiles s’y montrent avec le décousu pittoresque des bivouacs improvisés.
Dans une écurie, deux moblots installent leur équipement au râtelier des chevaux.
— Ces pauvres chevaux! dit l’un d’eux, nous les mangeons et nous prenons leurs places.
Plus loin, des Bretons du Finistère font leur popote.
— Mad er zouben? (La soupe est-elle bonne ?) leur «lis-je.
— Ya fad! (Oui, ma foi!) répondent-ils en riant, et tout étonnés de voir un monsieur de Paris parler la langue armoricaine.
A la dernière maison, nous voulons continuer notre route, mais une sentinelle nous barre le chemin. On ne va pas plus loin.
— Où sont-ils?
— Tenez; ils sont là, à cinq minutes, le long du chemin de fer, et ne cherchez pas à avancer par des détours, car ils ont beau dire qu’ils ne tirent pas sur les bourgeois, Us ont encore tiré aujour
d’hui sur les fourrageurs et l’on vient d’enlever trois blessés.
C’était vrai. Je vis emporter sur un brancard un pauvre vieux, d’une pâleur livide, qui avait reçu une balle à la cuisse, et deux jeunes gens, griève
ment blessés, qui prirent place clans une voiture d’ambulance.
Les compagnies de pourvoyeurs qui vont fourrager sous la protection d’escouades armées ne sont donc pas à l’abri du péril. Ces récoltes agacent les Prussiens et les font sortir de leurs bois.
— Nous ne tirons que sur les combattants, disent-ils.
Mais il est si facile de voir où l’on veut des combattants ! Le curé regardant la lune, voit un clocher là où l’amoureux voit une beauté.
La semaine.
Et la semaine ? direz vous Eh mon Dieu ! les jours se suivent et se ressemblent. Mais il semble pourtant que la monotonie des gardes montées et descendues pèse à la ville de l’esprit et des arts. Les théâtres entrebâillent leurs portes, et voici le Théâtre-Français et le Cirque qui font écho à l’é­ loquente réunion de la Porte-Saint-Martin.
Le Cirque nous a fait entendre la musique de Beethoven et de Haydn, et l’abbé Duquesnay,
parlant en faveur des Fourneaux économiques, a donné la réplique au pasteur Goquerel faisant sa brillante conférence intitulée : De la poudre et du pain.
Toute cette éloquence arrive aux âmes comme une généreuse semence, et les dévouements sur
gissent de toutes parts autour de nous. Un porteur de dépêches, ne sachant pas nager, avait été obligé de se réfugier dans une île de la Seine. Le caporal Lecomte, du régiment de zouaves de marche, se jette à la nage pour aller au secours du messager; il le place à cheval sur un tonneau, et parvient,
sous les balles prussiennes, à le conduire à l’autre rive. Ce n’est là qu’un trait. Mais le siège nous en a fourni déjà mille que nous raconterons un jour.
Henri Cozic.
MEMORANDUM
Nous résumons ici, par ordre de date, des principaux événements qui se sont accomplis depuis le 8 juillet jusqu’à la tin du mois d’octobre. Ce tableau permettra à nos lecteurs d’embrasser d’un seul coup d’œil la série des crises que nous avons tra
versées depuis bientôt quatre mois. L’histoire de France ne possède pas une page plus émouvante!
JUILLET.
5. — Nouvelle de la candidature du prince de Hohenzollern au trône d’Espagne.
6. — Déclaration de M. de Gramont à la tribune du Corps législatif.
11. — Retrait de la candidature du prince de Hohenzollern.
13. — Demande de garanties pour l’avenir, de la part du gouvernement français. Refus de la Prusse.
15. — Vote du Corps législatif engageant la guerre.
16. — Manifestation en faveur de la paix.
20. — Communication de M. de Gramont au Corps législatif, annonçant que la guerre a été déclarée à la Prusse.
21. — Loi portant l’émission des bons du trésor à 440 millions et créant un emprunt de 500 millions.
22. — Discours du roi de Prusse à la chambre de la Confédération de l’Allemagne du Nord.
23. — Déclaration de neutralité par les puissances européennes.
D°. — Clôture de la session des chambres. 26. — Départ de la Hotte.
27. — Décret conférant à l’impératrice le titre et les fonctions de Régente.
D°. — Mise en état de siège des départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.
D°. — Appel des 90,000 hommes formant le contingent de la classe de 1869.
28. — Proclamation de l’empereur au peuple français.
D°. — Départ de l’empereur et du prince impérial.


29. — Proclamation de l’empereur à l’armée.


30. — Retour du corps expéditionnaire de Rome.


AOUT.


1er,—Arrivée du roi de Prusse à Mayence.


2. — Commencement des hostilités. Combat de Sarrebruck.


5. — Combat de Wissembourg. Mort du général Abel Douay.
6 — Bataille de Reichshoffen. Combat de Forbach.
7. — Commencement de l’invasion. Proclamation des ministres. Proclamation de l’impératrice.
Convocation des chambres. Agitation à Paris. Le département de la Seine est mis en état de siège.
Décret appelant à faire partie de la garde nationale les hommes de trente à quarante ans.
8. Rapporta l’impératrice sur la défense et l’armement de Paris.
9. Ouverture des chambres. Chute du ministère Ollivier. Le ministère Palikao.
Agitation menaçante à Paris. Manifestation demandant des armes devant le ministère, au Corps législatif et devant les Tuileries.
10. La chambre vote des remerciements à l’armée et déclare qu’elle a bien mérité de la patrie.
Lois militaires relatives : 1° Au crédit de 25 millions consacrés au soulagement des familles des soldats, des gardes mobiles et des citoyens morts
pour la patrie : 2° à l’appel de la classe 1870; 3° à l’appel des jeunes gens de 25 à 35 ans.
11. — Déclaration à la chambre, par le comte de Palikao,que le maréchal Bazaine commande en chef.
Réorganisation do la garde nationale. Emprunt d’un milliard.
Cours forcé des billets de banque.
12. — Démission du maréchal Le Bœuf et du général Lebrun.
Investissement de Strasbourg.
13. — Invasion de la Lorraine. Les Prussiens à Nancy.
14. — Départ de l’empereur de Metz pour Verdun.


Émeute de La Villette.


Formation de deux nouveaux corps confiés aux généraux Trochu et Vmoy.
Envoi de renforts à l’armée de Mac-Mahon.
Loi incorporant dans la garde nationale sédentaire toute la population valide.
Loi qui appelle dans la mobile tous les hommes valides de 25 à 25 ans.
Loi qui appelle tous les anciens militaires des classes de 1858 à 1863.
Combat de Lortgeville.
15. — Levée de corps francs à Paris et dans les départements.
16. — Investissement de Phalsbourg. Bataille de Doncourt.
Les pompiers des départements à Paris.
17. — Nomination du général Trochu comme gouverneur de Paris.
Notification du blocus du littoral de la Prusse et des États allemands dans la mer du Nord!
Mise en état de siège de nos ports militaires. 18. — Bataille de Gravelotte.
Arrivée des Prussiens à Bar-le-Duc et à Saint- Dizier.
Départ du prince Napoléon pour Florence.
Proclamations du général Trochu aux Parisiens, à la garde nationale et à l’armée.
20. — Le général Palikao annonce à la tribune du Corps législatif la victoire de Jaumont.
21. — Nomination d’un Comité de défense de Paris.


22. — Investissement de Toul.


Nomination de deux préfets prussiens pour la Lorraine et l’Alsace.
23. — Souscription publique de l’emprunt national. L’émission est de 750 millions et le premier jour donne un total de 620 millions.
Les Prussiens dans la Haute-Marne et à Châlons.
Marche de l’armée de Mac-Mahon vers le Nord pour s’unir à l’armée de Bazaine.
L’empereur accompagne l’armée de Mac-Mahon.
24. — Rejet par le Corps Législatif de deux propositions de MM. Jules Favre et jKératry relatives à l’adjonction de quelques représentants au Comité de défense de Paris.
26. — M. Chevreau, ministre de l’intérieur, annonce la marche des Prussiens sur Paris.
Expulsion de Paris des gens sans profession et


sans moyens d’existence.