santés. Les insci’iptions étaient nombreuses. On a vu des compagnies entières s’enrôler en masse.
A chaque arrivée des volontaires, les tambours
de la garde nationale, voilés de deuil, exécutaient un roulement que chacun a pu trouver d’un effet funèbre exagéré. C’était la seule chose à supprimer dans cette installation improvisée, qui d’ail
leurs fait honneur au zèle patriotique du docteur Bertillon, maire du 5°arrondissement. Quand nos pères appelaient les conscrits volontaires sous les drapeaux de la République, c’était aux accents de la Marseillaise, et tous les cœurs, entraînés dans un élan irrésistible, juraient de se dévouer à la dé
fense de la patrie. M. Bonvalet, maire du 3e arron
dissement qui adonné, comme M. Bertillon, une
grande solennité à l’inscription des volontaires du 3e arrondissement, saluait par la Marseillaise les engagements des gardes nationaux et les citoyens mêlaient leurs voix patriotiques aux notes vibrantes de l’orchestre.
L’engagement des volontaires marque pour le siège de Paris le commencement de l’offensive de l’armée de Paris. Puisse l’offensive être aussi heureuse que la défensive !
Henri Vigne.
Encore de gros nuages!... Le refus de l’armistice, les lenteurs de notre armement; l’esprit de clocher des départements, la cruauté du roi Guil
laume!... Ah! nous connaîtrons tout ce qu’il y a de duplicité dans les ténébreux calculs de la politique prussienne.
Aux remparts et dans les forts, Paris a regardé la conduite tenue par le roi de Prusse comme un véritable guet-apens.
— Pasde ravitaillement ! s’écriait un des amiraux qui commandentauxfortiflcations. M. de Bismark veut faire du vaisseau de Paris le radeau de la Méduse !... Plus un mot, et branle-bas de combat!
Partout, on peut dire que l’insolente réponse du ministre prussien a été accueillie avec une ex
plosion de colère et d’indignation. Espérons qu’il en sera de même dans les départements.
Les proconsuls au petit pied qui tiennent sous leur main Lyon, Marseille, Toulouse et Bordeaux, les meneurs qui s’en vont aux quatre points car
dinaux soutenir les rancunes que le gouvernement du 2 décembre entretenait entre Paris et la province, ne s’aperçoivent donc pas qu’ils renouvel
lent la faute de l’homme de Sedan dans cette dernière campagne. En divisant l’armée sur la fron
tière, on l’a perdue; en divisant la France, on la tue !
Révolutionnaires qui n’avez sans cesse à la bou
che que les souvenirs de 1793, ne voyez-vous pas * que vous ne tenez qu’à la lettre, sans rien comprendre à l’esprit de l’ère nouvelle. Sous le coup de l’invasion, Marseille, alors, nous envoyait la Marseillaise, Bordeaux ses orateurs, l’Est ses ba
taillons de la Moselle, les départements, à peine constitués, leurs volontaires, et la République lan
çait ainsi ces glorieuses quatorze armées qui ont été le fondement de notre régénération.
Sans union, pas de lutte possible.


Nos avant-postes.


Pourquoi l’union ne se ferait-elle pas? Gomment ne pas l’invoquer, et sur les ruines qui s’entassent autour de nous? Quel spectacle! Paris, avant la guerre, portait une ceinture enguirlandée de pe
tites cités toutes pimpantes, de châteaux opulents et de villas charmantes. Aujourd’hui, cette bril
lante couronne, déchirée, déchiquetée, trouée, n’est plus pour la capitale qu’une couronne d’é­ pines !
Impossible de visiter un de nos avant-postes sans trouver l’horrible empreinte de la guerre. Prenez le bateau-mouche et remontez jusqu’à Charenton, et c’est à peine si vous reconnaîtrez le délicieux paysage que présente la rencontre de
la Seine et de la Marne. Adieu les platanes de la rive droite de la Marne! Adieu les magnifiques peupliers, vieux de cinquante ans, qui, en deux larges rideaux parallèles, encadraient le promon
toire qui sépare encore un moment le fleuve de la rivière! Plus rien, que le va et vient des défenseurs de la place. — Descendez la Seine, et le ba
teau, en vous transportant au Point-du-Jour, vous
montrera des horizons encore plus dévastés. Meudon, la lanterne de Diogène, Montretout, Saint- Cloud, n’offrent plus que l image des ruines accumulées par l’incendie, les bombes et les boulets !
Et, de tous les côtés, même spectacle, mêmes impressions, même saisissement, en parcourant les rues silencieuses et désertes de toutes ces pe
tites cités suburbaines, en traversant les plus
beaux quartiers de ces villes abandonnées,— Boulogne, Saint-Cloud, Suresnes, Nanterre, As
nières, etc., — en interrogeant vainement toutes ces maisonnettes vides des rentiers de Paris, le visiteur se rappelle involontairement les voies pompéiennes. Tout est debout, tout est vivant, et tout a l’aspect de la mort!
Un sifflement aigu, qui ressemble au bruit du fer rouge plongé dans l’eau, vous rappelle brus
quement à la réalité. C’est un obus lancé par un des forts, et que Paris envoie aux lignes prus
siennes, comme pour leur dire : Viens donc me prendre !
Ah! les lieutenants do M. de Bismark peuvent se vanter d’avoir semé dans ce pays des haines inextinguibles. Dans un des avant-postes, on ra
contait la. triste odyssée de deux officiers de la garde nationale d’une petite ville qui, pour épar


gner à leur localité, après un premier impôt, la


série des réquisitions écrasantes que les Prussiens ordonnent partout, se rendirent, au quartier-gé
néral prussien. A peine arrivés, ils furent jetés en prison. Après plusieurs interrogatoires, ils com
parurent devant un général qui, après les avoir entendus, voulut bien leur faire grâce de la vie, eu disant :
— Vous voyez que chez nous tout est pesé dans les balances de la Justice !
— Les balances de la Justice? répliqua l’un des deux officiers. Jusqu’à présent, nous n’en voyons que le fléau.
Aspects de Paris.
Paris est triste,
On pourrait écrire ainsi l’histoire de la première période du siège. — Première quinzaine : Paris fait ses préparatifs de combat, mais sans cesser de vaquer à ses occupations ordinaires. Pas de changement notable. — Deuxième quinzaine: Pa
ris fait de plus en plus face aux remparts : la vie
des affaires disparaît pour faire place à la vie des bivouacs. Changement radical. Paris ne connaît plus que le képi. — Troisième quinzaine-. Plus rien que le siège ! Paris à l’intérieur ressemble à une ville de province de second ordre. A huit heures du soir, ville déserte. Tout se porte aux fortifica
tions, et le refus de l’armistice va nous ouvrir la seconde période du siège, celle de l’oflènsive et de la crise suprême.
La rue de Paris, qui a sa physionomie si originale, si multiple, si personnelle, la rue de Paris n’entend plus que des bruits de tambours et de clairons, des cris de journaux, et les rares boni
ments des marchands en plein vent reflètent euxmêmes cette vie nouvelle :
— Demandez, messieurs, mesdames, voici le moyen d’apprendre, en une soirée, l’exercice aux enfants. Voici la mitrailleuse à jet continu, voici le canon se chargeant par la culasse; voici tout ce qui concerne l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie et autres chinoiseries du siège!
En voici un que je vous recommande.
— Demandez, messieurs, mesdames, le moyen de rendre Paris imprenable, le moyen de faire sa bombe soi-même. C’est la bombe à la main, c’est la bombe populaire, c’est la bombe des familles, la. facilité pour tout un chacun de mettre cinquante Prussiens hors de combat!.. Un sou!
Ce gomment de carrefour dit, comme Polichinelle, la vérité en riant : tuer les Prussiens, pour lie pas être tué par eux, voilà l’alternative !
Les subsistances.
La guerre monte; mais la ration baisse.
Le deuxième rationnement de viande touche à sa fin, et nous passerons ensuite aux salaisons et aux conserves.
Les faits en disent plus que tous les commentaires.
Les vaches sont réquisitionnées. L’abattage des chevaux est réglementé. On abat les animaux du Jardin des Plantes. La viande de mulet est assi
milée pour la taxe à la viande de cheval. Le siège nous fait toucher à nos réserves.
Quelques prix. Un jambon se v«nd 200 fr. ; une oie, 60 fr.; un lapin, 25 fr.; la douzaine d’œufs,
6 fr.; le boisseau de pommes deterre, 6 fr.; la botte de carottes, 3 fr.
Enfin, nouveauté pantagruélique, un marchand, boulevard Rocliechouart, amis en étalage des chats et des chiens! — Le cours moyen du chat est de 4 à 6 fr. Tableau !
Les Châtiments à la Porte Saint-Martin.
Les théâtres contmuentà nous donner quelques belles représentations, et le public leur donne raison, en faisant salle comble. — Le Théâtre-Français, l’Opéra, le Cirque voient accourir ces Athé
niens de Paris, qui unissent au culte de la patrie le culte souverain de l’art.
La patrie, l’art, ces deux passions ne sont-elles pas les deux flammes qui embraient d’un feu ven
geur le livre flamboyant qui a pour titre les Châtiments, et que Victor Hugo lança de Guernesey, comme le Manè, Thècel, Phares de l’empire?
Ce livre éclata, comme un tonnerre, sur le coup d’État vainqueur, et chacune de ses poésies, comme une foudre toujours renaissante, n’a cessé de rappeler au régime tombé de Sedan le néant et l’inanité de la force.
A l’apparition du poème l’effet fut immense, et, nouvel exemple de l’inutilité de la compression, le livre, partout pourchassé, se retrouvait partout, dans toutes les mains.
En 1852, M. Jules Janin recevait, un matin, la visite d’un académicien dans son chalet de Passy.
L’éminent critique des Débats lisait un tout petit livre microscopique.
— Que faites-vous donc là? dit le visiteur.
— Je relis Dante, répondit Jules Janin, et il tendit les Châtiments à son visiteur.
Il faut, en effet, remonter à Dante pour retrouver une poésie qui entoure d’une pareille auréole l’i­ mage transfigurée de la patrie. Exagération ! di
saient les timides. Il a été donné au poète de prouver que son regard prophétique, dévorant l’espace, ne nous montrait que la vérité. Les anciens appelaient les poètes vales.
La lecture des Châtiments, à la Porto-Sain t-Martin, a produit un effet prodigieux. Une brillante
et chaleureuse allocution de notre collaborateur et ami Jules Claretie a précédé, comme une l an
fare, le défilé de ces grands poèmes qui s’appel
lent : Les Volontaires, les Abeilles, les Transportés, Stella, l Expiation, etc... Quelle fougue! quelle ma
gie ! L’épée de l’ange exterminateur n’avait pas plus d’éclairs !
Et qu’on ne dise pas que l’inspiration du poète n’a su que jeter l’anathème. Le livre se termine par une poésie intitulée l Avenir, qui lait resplendir, comme un soleil au-dessus des nuées, l’embrassement des peuples réconciliés.
Quand toucherons-nous à cette terre promise?


Dernières nouvelles.


On dit... — ces deux mots ont joué un grand rôle à Paris, depuis le commencement du siège.
On dit et on affirme qu’après l’organisation des compagnies de guerre de la garde nationale, le général Trocliu montrera autant d’énergie qu’il a montré jusqu’à présent de réserve.
Il est encoie temps de bien faire.
Henri Cozic.