Gcs mots prononcés, l’énergique patriote dépose une poignée d’or sur le bureau, et il descend de la tribune au milieu des applaudissements enthousiastes de l’assemblée.
Que pense M. de Bismark de cette populace?
De grandes administrations, des sociétés commerciales, industrielles, financières, ont voulu avoir leur canon avec une inscription commémo
rative. C’est ainsi que nous aurons le Chdteaudun, les Ternes, le Strasbourg, le Phalsbourg, etc., etc.
M. Pasdeloup a eu même l’heureuse idée de consacrer le produit de son troisième concert po
pulaire à la fonte d’une pièce qui s’appellera le canon Beethoven.
En lançant cette flèche au roi Guillaume, M. Pasdeloup pourrait dire comme l’arclier grec : « A l’œil droit de Philippe ! »
Le souvenir du grand maître n’est-il pas, en effet, bien choisi pour rappeler aux Allemands que l’idée républicaine compte aussi, de l’autre côté du Rhin, de glorieux représentants?
Le nom de l’auteur de la Symphonie héroïque ne jurera nullement sur un canon destiné à la dé
fense de la République française contre les armées du roi Guillaume de Prusse. Beethoven était franchement républicain. Nous en pourrions donner cent preuves écrites, tant de la main de Beethoven lui-même, que de la main de ceux de ses intimes dont les correspondances accompagnent les biographies du maître allemand.
Ajoutons qu’à la suite du 18 brumaire, Beethoven transforma le caractère primitif de sa fameuse Symphonie héroïque (composée en l’honneur du premier consul) en remplaçant l adagio classique de cette symphonie par une marche funèbre qui, dans l’esprit de l’auteur, était le deuil de la République française trahie par Napoléon.
Grâce à l’originale et patriotique idée de M. Pasdeloup, la troisième République française aura donc un canon qui portera le nom du plus grand musicien et du plus grand républicain de l Allemagne.
A bientôt l’effroyable musique de ce grand orchestre !
Encore les avant-postes.
Effroyable, en effet ! car dans les douloureux pèlerinages que nous nous imposons pour rendre compte des ravages du siège, nous ne voyons que trop l’épouvantable ruine que sème après elle la guerre.
Nous disions, la semaine dernière, que les petites villes des environs de Paris n’étaient plus pour la capitale assiégée qu’une couronne d’épines. Que dirons-nous des champs et des cultures?
On sait que les délicieuses campagnes de Paris ont chacune une culture spéciale. Le périmètre de Paris n’est qu’un jardin immense. Suresne sa ses vignes, Argenteuil, ses asperges, Montmoren
cy, ses cerises, Montreuil, ses pêches, Clamarl,
ses petits pois, et Fontenay, Bagneux leurs champs de roses.
Eh! mon Dieu, oui, dans cette région de Ba
gneux, Fontenay, Châtillon, la plus terriblementlabourée par la guerre depuis le commencement du siège, dans ces champs naguère parfumés, on cultive les fleurs comme ailleurs on cultive les choux et les navets; il y a des champs de violet
tes, des champs de rosiers; et les rosiers, envahis
sant jusque dans les villages, grimpent sur la façade des maisons. Il n’est guère de masure dans Fontenay-aux-Roses qui ne soit animée par ce verdoiement, qui répand sur les passants, avec les parfums, les feuilles de toutes ies espèces de roses connues.
Pendant notre visite on nous racontait qu’à la dernière bataille de Châtillon on avait adouci l’agonie de l’un de nos matelots mourant en lui faisant respirer le parfum d’une rose!
Et c’est là que les soldats teutons exécutent leurs promenades nocturnes de liibous; c’est là, der
rière les haies odorantes de rosiers, que pétille la fusillade; c’est là que les obus de nos forts vien


nent éclater au milieu des sillons de violettes,


c’est là enfin, au milieu de ces parfums, que le piétinement des régiments noirs de la Prusse
bouleverse et détruit pour bien longtemps la plus charmante culture do Paris.
Maisons, jardins, habitants, la guerre n’épargne rien.
Aspects de Paris.
Deux mois de siège!
Ces quatre mots suffisent, n’est-ce pas? pour nous faire comprendre que Paris doit être méconnaissable.
La défense ferme les portes de la ville à cinq heures.


Le Parisien ferme la sienne à sept heures.


Et à huit heures, on pourrait jeter le vieux cri de l’ancien Paris : « Il est minuit, tout est tranquille; Parisiens, dormez! »
Quand nous disons que tout est tranquille, nous parlons évidemment de l’intérieur; car à l’extérieur, le dialogue des deux lignes ennemies de
vient au contraire de plus en plus animé, et à l’heure où j’écris j’entends les forts de Montrouge et du Mont-Valérien qui donnent à ce dialogue leurs points et virgules formidables.
Si vous vous hasardez dans ies rues, vous ne faites guère d’autre rencontre que celle des patrouilles, dont, vous entendez le pas cadencé sur la chaussée, et celle des sentinelles qui leur envoient leur retentissant qui vive?
Comme signes particuliers de la semaine, je trouve sur mon carnet les notes suivantes.
Nouvelle réduction de l’éclairage. Paris n’y voit plus que d’un œil.
Fermeture d’un grand nombre de marchands de comestibles et de restaurants.
Réquisitions nouvelles faisant des rafles sur nos réserves alimentaires.
Stationnement plus nombreux aux fourneaux économiques et aux cantines nationales.
Mendicité croissante.
En un mot, du siège nous ne connaissions que les roses et nous commençons à sentir ses épines.
Les salles de bal.
Et les plaisirs de Paris?direz-vous. Hélas! Plus de plaisirs : plus d’autres délassements que les
soirées dramatiques qui nous ont été données depuis quinze jours.
Rien ne peut mieux donner une idée de la métamorphose de Paris que le tableau des transfor
mations qu’ont subies nos salles de concert et de bal.
Au Jardin-Mabille, il y a un corps d’éclaireurs parisiens que l’on organise.
Au Jardin-Bullier campent les tirailleurs de Neuilly, commandés par M. de Jouvencel.
Au Jardin de l’Etoile (ancien bal Dourlans), on ne trouve plus qu’un champ de manœuvres pour le 38e bataillon de la garde nationale.
Parcourons rapidement les autres établissements.
A Valentino, club de la Délivrance. A l’Alcazar, club de la Résistance.


Aux Porcherons, club des Etats-Unis d’Europe.


Au Pré-auXïGlercs, réunion publique tous les soirs.
A l’Élysée-Montmartre, club de 1870.
Au Concert-Parisien (rue du Faubourg-Saint- Denis), club des Parisiens.
A la Gaîté (boulevard Rochechouart), club de la Vengeance.
A la Reine-Blanche, club Montmartre.
Au Concert du Gaulois (boulevard de Strasbourg), clud des Montagnards.
Au Concert de l’Alhambra (rue du Faubourgdu-Temple), club de i’Alhambra.
Au Salon do Paris (rue Folie-Méricourt), réunion tous les soirs.
A la salle des Mille-et-un-Jeux, rue de Lyon (ancien Grand-Théâtre-Parisien), club du faubourg Antoine (le saint est supprimé).
Au Casino-Cadet, club du Comité de la défense.
Vous le voyez, Paris ne connaît plus que deux armes, le fusil et la parole!
Les clubs.
Nous pouvons dire des clubs ce qu’Ésope disait de la langue, c’est la meilleure et la pire des choses. C’est la meilleure, quand le club arrive, comme il l’a fait, par exemple, pour l’Angleterre, à faire triompher la liberté du commerce, l’émancipation catholique, et la réforme qui vient d’ouvrir aux classes populaires les portes du Parle
ment. C’est la pire des choses, quand a»u lieu de servir un grand intérêt national, le club n’est plus que la menue monnaie des petites ambitions, des petites vanités, des petites rancunes, des petites vengeances, des petites personnalités désireuses de nous représenter, tous les soirs, la fable de la grenouille et du bœuf.
N’allez pas croire au moins que cette première observation soit faite pour condamner chez nous le droit de réunion. Dans le dénombrement des clubs que nous venons de faire, il n’est pas une assemblée où les vérités n’aient pas été jetées par poignées. L’éloquence y voit surgir des orateurs de premier ordre. La défense de Paris y a trouvé mille idées ingénieuses, mille propositions patriotiques. La révolution du 4 septembre y a fait ac
courir les héritiers de ces travailleurs de 1848 qui avaient « trois mois de misère au service de la Ré
publique. » Aux accents de ces voix françaises, les cœurs se sont unis, les âmes se sont enflammées. Les hommes ressemblent à ces grains de blé qui, séparés, s’étiolent et qui, entassés, s’échauffent et se communiquent une chaleur brûlante.
Donc le droit de réunion est bienfaisant et salutaire. Mais il ne faut pas que cet instrument civi
lisateur se brise encore une fois entre nos mains, et pour qu’il profite au pays et à la République, il importe d inscrire à l’entrée de chacun de nos clubs deux règles, dont personne ne contestera la justesse.
Pas de grimaçante copie ! Les siècles ne se ressemblent jamais. Notre époque n’est pas un calque de celle de 93. Chaque génération a son œuvre à ac
complir, et quand nous voyons nos patriotes se déguiser en révolutionnaires jacobins et en clubistes des sections de la Commune, nous nous rappelons involontairement le sourire qui ac
cueillit en 1848 les représentants qui crurent bien faire en montant à la crête de la Montagne avec un gilet à la Robespierre.
Pas de violence inutile! C’est peut-être là lé péché capital de nos orateurs patriotes. On craint toujours de ne pas montrer assez de force, et l’on touche du premier coup aux points extrêmes. Le jeu de la politique n’est pourtant pas sembable au
jeu de la tête du Turc, où l’on n’arrive premier qu’en obtenant le mille. Bien voir, dire juste et montrer le vrai sont les termes qui, seuls, ont de la valeur dans le domaine des idées. Les orateurs qui mettent tout leur savoir à semer un peu de picrate dans leurs discours ressemblent à ces sol
dats qui bourrent leur fusil jusqu à l’ouverture et qui n’arrivent qu’à faire éclater l’arme entre leurs mains.
A bon entendeur, salut.
Dernières nouvelles.
Nous avons, depuis quelques jours, toute une ribambelle d’informations sur Metz, sur Bazaine,
sur nos armées, sur les Prussiens, sur l’homme de Sedan et sa famille. Mais toutes ces nouveües sont encore un peu confuses. Attendons que la lumière se fasse.
La question Bazaine est peut-être celle que l’on discute le plus; mais cette question est pour nous de celles qu’on ne doit jamais trancher qu’après avoir eu sous les yeux toutes les pièces du procès. Pas de condamnation sans jugement.
Plus que jamais, on croit à de graves événements. M. Dorian disait, ces jours derniers, à un jeune ingénieur que Henri Rochefort lui avait adressé, en prenant congé de lui :
« Dites bien à Rochefort que non-seulement la défense n’a pas dit son dernier mot, comme il le croit, mais qu’elle n’a même pas dit son premier. »
Henri Cozic.