LES LIGNES PRUSSIENNES
DE MONTMORENCY A MAISONS-LAFFITTE.
Nous tenons à tout faire passer sous les yeux de nos lecteurs, et le panorama que présente un de nos grands dessins montre d’un coup d’œil l’en
semble des positions occupées par les Prussiens, sur tout le versant nord de Paris qui va de Montmorency à Maisons-Laffftte.
Qui n’a entendu parler des travaux de la butte Pinson, des batteries du moulin d’Orgement, des fortifications d Argenteuil? Les Prussiens, travail
leurs infatigables, ont en effet accompli autour de Paris des travaux énormes. Ils ont mis en pratique l’aphorisme du général Totleben, un con
naisseur, qui a dit que dans un siège il fallait surtout savoir remuer de la terre.
Sur tous les points importants occupés par lui, l’ennemi a donc fait de prodigieux efforts; mais il nous faut jusqu’à présent constater que tous ces
travaux, comme ceux que nous avons exécutés nous-mêmes, paraissent avoir été faits plutôt pour la défensive que pour l’offensive.
Bloquer Paris, voilà, depuis deux mois, le mot d’ordre des Prussiens.
Au-dessus de Sèvres et au-dessous de Meudon, vous pouvez voir, dans notre gravure, l’aspect de l’importante batterie de Brimborion, qui est appe
lée, avec la redoute de Montretout, à jouer un rôle décisif dans l’attaque de nos positions, depuis le Point-du Jour jusqu’à la porte Maillot.
Cette attaque serait, dit-on, redoutable et pourrait présenter plusieurs périls. Soit ; nous allons au-devant des craintes des trembleurs et nous disons que si l’attaque était pour nous redoutable,
la marche de l’ennemi sur le Point-du-Jour serait encore pour lui plus terrible, car il s’y trouverait écrasé sous le triple feu du Mont-Valérien, du fort d’Issy et de nos fortifications.
L’ennemi le comprend sans doute et se tient coi.
Léon Creil, LES CHATIMENTS
(PAR VICTOR HUGO.)
Voici un livre qui sera le livre de l’époque. Quel souffle, quelle poésie ! quelle puissance d’in
vectives et quelle splendeur d’images! Jamais la muse de l’indignation n’avait encore produit de tels vers.
Ce n’est pas seulement au point de vue littéraire que l’on a bien fait de publier une édition française de ce recueil, dont la Belgique avait eu la primeur; il est bon, en ce moment où les tron
çons de l’Empire remuent encore, de mettre le pied dessus, et d’achever de faire crouler sous le
mépris public les prétentions d’un parti qui a été la honte et la ruine de la France. Le livre des Châtiments, qui ne farde pas la vérité, est admira blement propre à cette besogne utile et nationale.
C’est à partir du 2 décembre 1851 que Victor Hugo prend en main le fouet vengeur de l’anti
que Némésis, et c’est pendant les années 1852 et 1853 qu’il en frappe à coups redoublés et san
et les satellites empressés de se rallier au soleil levant; on ne peut se faire une idée de la fer
veur et de-la fermeté de cette exécution. En vain, la nature, la grande mer, les étoiles des cieux, les oiseaux des bois, sollicitent le poète et semblent vouloir le ramener par instants à des émo
tions plus douces. Il ne s’arrête pas dans son œuvre terrible; il fustige impitoyablement les coupables, il n’écoute que le cri de la justice, et ses imprécations, et ses prophéties, pour ainsi dire bibliques, ne cessent de s’accumuler.
Nous disons ses prophéties, car il y a du pro-, phète chez le poète: il prévoit la prochaine expia.tion. Peut-être a-t-elle été plus sombre même qu’il ne se l’imaginait (le désastre de Sedan n’ayant rien
au-dessous lui), mais il a marqué en traits de feu et en vingt endroits la Un du régime impérial, c est-à-dire un abîme de déshonneur.
Nous ne relèverons pas ici les noms que le poète a flétris, et parmi lesquels, l’Église, trop associéeà l’Empire, peut compter les siens, depuis l’évêque ébloui jusqu’au sacristain effronté; qu’on aille les chercher dans ces archives des vengeances politi
ques, où la rime jette sur eux des lueurs étranges et capricieuses. Il ne faut pas s’y tromper : Victor Hugo a beaucoup d’esprit. On a voulu le faire passer, au temps des querelles du romantisme,
pour un homme qui n’avait que du génie; on a eu grandement tort. Il a infiniment d’esprit. C’est une qualité aussi dominante chez lui que,l’ima
gination. Personne, en France, n’a manié l’ironie avec une pareille sûreté d’expressions.
Nous engageons nos lecteurs à se fortifier l’âme par la lecture des Châtiments. C’est une mitrail
leuse à longue portée, mise au service de la République, et qui va atteindre jusque dans ses retran
chements l’hôte de Wilhelmshœhe, le protégé du roi Guillaume et de M. de Bismark, non moins que les agents bonapartistes de Londres ou de Bruxel
les. Remerciements au libraire Hetzel, le premier éditeur de l’édition belge, qui vient de publier cette édition française, destinée à devenir populaire, et dont le prix n’est que de deux francs.
H. L.
Tout comme sur un brick à l’ancre dans la rade. Aussi j’ai trouvé là plus d’un bon camarade
Parti depuis longtemps entre le ciel et l’eau ;
Car Saint-Servan n’est pas bien loin de Saint-Malo. Et nous avons vidé quelquefois un plein verre. Mon bataillon était de la dernière affaire,
Même à preuve nue Nick, le cadet du sonneur,
Comme on dit à ris, est mort au champ d’honneur. Il avait un éclat de bombe dans la cuisse.
Il saignait, il criait. Je ne crois pas qu’on puisse Voir cela sans horreur, et chacun étouffait;
Mais nos vieux officiers prétendent qu’on s’y fait. On nous a portés tous à l’ordre de l’armée.
Moi, j’ai tiré des coups de feu dans la fumée
Et j’ai marché toujours en avant, sans rien voir. Enfin, on a sonné la retraite, et, le soir,
Un vieux, au képi d’or, qui tordait sa barbiche, Et qui de compliments paraît être assez chiche,
Nous a dit : « Nom de nom! mes enfants, c’est très-bien! Et quoiqu’il blasphémât, c est vrai, comme un païen, Et qu’il lançât sur nous un regard diabolique,
Nous avons tous crié : ci Vive la République ! »
— Ce mot-là, c’est toujours du français, n’est-ce pas? Quelques-uns d’entre nous se plaignent bien tout bas Et sont, avec raison, mécontents qu’on ricane De notre vieil abbé qui trousse sa soutane,
Marche à côté de nous droit au-devant du feu Et parle à 110s blessés du pays et de Dieu;
Mais aux mauvais railleurs nous faisons la promesse De bien montrer comment on meurt, après la messe. — Nous avons traversé Paris. Il m’a fait peur.
Sombre et lisant tout haut les journaux dans les rues. Hait jours les habitants logèrent les recrues.
Nous étions, Pierre et moi, chez des bourgeois cossus. Où nous fûmes assez honnêtement reçus.
Pourtant j’étais d’abord chez eux mal à mon aise Et je restais assis sur le bord de ma chaise,
Confus de l’embarras où nous les avions mis.
Mais leurs petits enfants devinrent nos amis ;
Ils riaient avec nous, jouaient avec nos armes
Et couvraient, les démons ! de leurs joyeux vacarmes Le bruit que nous faisions avec nos gros souliers. Bref, nous sommes partis bien réconciliés,
Et, les jours de congé, nous leur faisons visite. — Allons! il faut finir cette lettre au plus vite, Car le clairon au loin jette ses sons cuivrés. Je ne sais pas encore si vous la recevrez,
Mais je suis bien content d’avoir suivi l’école. Grâce au savoir qu’on raille au pays agricole, Me voilà caporal avec un beau galon.
Et puis je vous écris ces mots par le ballon.
Maintenant, au revoir, chers parents, je l’espère. Si je ne reviens pas, ô ma mère et mon père, Songez que votre fils est mort en défenseur
De notre pauvre France; et toi, mignonne sœur, Quand tu rencontreras Yvonne à la fontaine
Dis-lui bien que je l’aime et qu’elle soit certaine Que dans ce grand Paris, effrayant et moqueur, Je suis toujours le sien et lui garde mon cœur. Baise ses cheveux blonds, fais-lui la confidence
Que j’ai peur du grand gars qui lui parle à la danse, Dis-lui qu’elle soit calme et garde le logis
Et que je ne veux pas trouver ses yeux rougis.
— Adieu. Voici pour vous ma tendresse suprême
Et je signe, en pleurant, « Votre enfant qui vous aime. »
François Coppée.
Paris, octobre 1870.
Paris attend.
Il attend qu’une nouvelle dépêche vienne lui donner, au milieu des bruits contradictoires qui circulent, le récit vrai des événements qui ont suivi la victoire d’Orléans.
Il attend que nos armées du Nord, de l’Est et du Midi lui envoient également un bulletin de victoire.
Il attend, enfin, pour Paris le signal de l’offensive, depuis si longtemps annoncée.
Est-ce parce que la canonnade des forts devient plus vive, plus générale ! Est-ce que le défilé des compagnies de guerre, en tenue de campagne,
rappelle l’imminence d’une bataille? Est-ce parce que la chronique des remparts et des avantpostes est plus belliqueuse que jamais? Je ne sais,
mais depuis huit jours ou s’aborde le matin et on se quitte le soir en disant :
Une matinée littéraire et dramatique a été donnée récemment par la Comédie-Française. — C’est dans cette représentation qu’a été lue la pièce de vers que nous reproduisons ici. Jamais,
croyons-nous, l’auteur de le Passant, M. François Coppée, n’avait été mieux inspiré que dans cette épître familière.
LETTRE D’UN MOBILE BRETON
Maman, et toi, vieux père, et toi, ma sœur mignonne, Ce soir, en attendant que le couvre-fèu sonne,
Je mets la plume en main pour vous dire comment Je pense tous les jours à vous très-tendrement, Très-tristement aussi, malgré toute espérance;
Car, bien qu’ayant juré de mourir pour la France, Et certain que je suis d’accomplir mon devoir, Je ne puis pas songer au pays sans revoir
La maison, le buffet et ses vaisselles peintes, La table, le poiré qui mousse dans les pintes,.
La soupière de choux qui fume et qui sent bon Entre les vastes plats de noix et de jambon,
Lar sœur et la maman priant, les deux mains jointes, Avec leurs bonnets blancs et leurs fichus à pointes, Et papa qui, pensant que je manque au souper, Fait sa croix sur le pain avant de le couper.
Laissons cela. D’ailleurs, je reviendrai peut-être.
— Donc, nous sommes campés sous le fort de Bicètre Avec monsieur le Comte et tous ceux de chez nous. Je vous écris ceci mon sac sur les genoux,
Sous la tente, et le vent fait trembler ma chandelle. Bicètre est une sombre et forte citadelle,
Où des Bretons marins, de rudes compagnons,
Dorment dans le caban, auprès de leurs canons,
familles, et bien des messages ont déjà été reçus de tous les départements.
Mais le service essentiel rendu par les ballons est de tenir la province au courant de ce que fait Paris, et sur ce point on peut dire qu’ils ont em
pêché les journaux de Versailles, publiés par M. de Bismark, d’empoisonner les départements de mensonges.
LES AFFUTS.
C’est surtout à propos des canons qu’il faut dire que l’accessoire est aussi indispensable que le prin
cipal. Voyez défilerunebatterie d’artillerie, etvoyez ce qu’exige de matériel le service d’un canon !
Mais tout est mené de front. Pendant que nos fondeurs fabriquent les engins de guerre, d’im
menses chantiers mettent la dernière main à leurs affûts. Nous avons visité celui du chemin de fer de Lyon, transformé, depuis le siège, en un véritable arsenal.
A l’heure où paraîtront ces lignes, les premières commandes faites par l’État seront exécutées, et la défense possédera tout l équipement de quarante batteries nouvelles d’artillerie. Et nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que Paris ne s’en tiendra pas là.
DE MONTMORENCY A MAISONS-LAFFITTE.
Nous tenons à tout faire passer sous les yeux de nos lecteurs, et le panorama que présente un de nos grands dessins montre d’un coup d’œil l’en
semble des positions occupées par les Prussiens, sur tout le versant nord de Paris qui va de Montmorency à Maisons-Laffftte.
Qui n’a entendu parler des travaux de la butte Pinson, des batteries du moulin d’Orgement, des fortifications d Argenteuil? Les Prussiens, travail
leurs infatigables, ont en effet accompli autour de Paris des travaux énormes. Ils ont mis en pratique l’aphorisme du général Totleben, un con
naisseur, qui a dit que dans un siège il fallait surtout savoir remuer de la terre.
Sur tous les points importants occupés par lui, l’ennemi a donc fait de prodigieux efforts; mais il nous faut jusqu’à présent constater que tous ces
travaux, comme ceux que nous avons exécutés nous-mêmes, paraissent avoir été faits plutôt pour la défensive que pour l’offensive.
Bloquer Paris, voilà, depuis deux mois, le mot d’ordre des Prussiens.
BRIMBORION.
Au-dessus de Sèvres et au-dessous de Meudon, vous pouvez voir, dans notre gravure, l’aspect de l’importante batterie de Brimborion, qui est appe
lée, avec la redoute de Montretout, à jouer un rôle décisif dans l’attaque de nos positions, depuis le Point-du Jour jusqu’à la porte Maillot.
Cette attaque serait, dit-on, redoutable et pourrait présenter plusieurs périls. Soit ; nous allons au-devant des craintes des trembleurs et nous disons que si l’attaque était pour nous redoutable,
la marche de l’ennemi sur le Point-du-Jour serait encore pour lui plus terrible, car il s’y trouverait écrasé sous le triple feu du Mont-Valérien, du fort d’Issy et de nos fortifications.
L’ennemi le comprend sans doute et se tient coi.
Léon Creil, LES CHATIMENTS
(PAR VICTOR HUGO.)
Voici un livre qui sera le livre de l’époque. Quel souffle, quelle poésie ! quelle puissance d’in
vectives et quelle splendeur d’images! Jamais la muse de l’indignation n’avait encore produit de tels vers.
Ce n’est pas seulement au point de vue littéraire que l’on a bien fait de publier une édition française de ce recueil, dont la Belgique avait eu la primeur; il est bon, en ce moment où les tron
çons de l’Empire remuent encore, de mettre le pied dessus, et d’achever de faire crouler sous le
mépris public les prétentions d’un parti qui a été la honte et la ruine de la France. Le livre des Châtiments, qui ne farde pas la vérité, est admira blement propre à cette besogne utile et nationale.
C’est à partir du 2 décembre 1851 que Victor Hugo prend en main le fouet vengeur de l’anti
que Némésis, et c’est pendant les années 1852 et 1853 qu’il en frappe à coups redoublés et san
glants le Président parjure et bientôt Empereur,
et les satellites empressés de se rallier au soleil levant; on ne peut se faire une idée de la fer
veur et de-la fermeté de cette exécution. En vain, la nature, la grande mer, les étoiles des cieux, les oiseaux des bois, sollicitent le poète et semblent vouloir le ramener par instants à des émo
tions plus douces. Il ne s’arrête pas dans son œuvre terrible; il fustige impitoyablement les coupables, il n’écoute que le cri de la justice, et ses imprécations, et ses prophéties, pour ainsi dire bibliques, ne cessent de s’accumuler.
Nous disons ses prophéties, car il y a du pro-, phète chez le poète: il prévoit la prochaine expia.tion. Peut-être a-t-elle été plus sombre même qu’il ne se l’imaginait (le désastre de Sedan n’ayant rien
au-dessous lui), mais il a marqué en traits de feu et en vingt endroits la Un du régime impérial, c est-à-dire un abîme de déshonneur.
Nous ne relèverons pas ici les noms que le poète a flétris, et parmi lesquels, l’Église, trop associéeà l’Empire, peut compter les siens, depuis l’évêque ébloui jusqu’au sacristain effronté; qu’on aille les chercher dans ces archives des vengeances politi
ques, où la rime jette sur eux des lueurs étranges et capricieuses. Il ne faut pas s’y tromper : Victor Hugo a beaucoup d’esprit. On a voulu le faire passer, au temps des querelles du romantisme,
pour un homme qui n’avait que du génie; on a eu grandement tort. Il a infiniment d’esprit. C’est une qualité aussi dominante chez lui que,l’ima
gination. Personne, en France, n’a manié l’ironie avec une pareille sûreté d’expressions.
Nous engageons nos lecteurs à se fortifier l’âme par la lecture des Châtiments. C’est une mitrail
leuse à longue portée, mise au service de la République, et qui va atteindre jusque dans ses retran
chements l’hôte de Wilhelmshœhe, le protégé du roi Guillaume et de M. de Bismark, non moins que les agents bonapartistes de Londres ou de Bruxel
les. Remerciements au libraire Hetzel, le premier éditeur de l’édition belge, qui vient de publier cette édition française, destinée à devenir populaire, et dont le prix n’est que de deux francs.
H. L.
Tout comme sur un brick à l’ancre dans la rade. Aussi j’ai trouvé là plus d’un bon camarade
Parti depuis longtemps entre le ciel et l’eau ;
Car Saint-Servan n’est pas bien loin de Saint-Malo. Et nous avons vidé quelquefois un plein verre. Mon bataillon était de la dernière affaire,
Même à preuve nue Nick, le cadet du sonneur,
Comme on dit à ris, est mort au champ d’honneur. Il avait un éclat de bombe dans la cuisse.
Il saignait, il criait. Je ne crois pas qu’on puisse Voir cela sans horreur, et chacun étouffait;
Mais nos vieux officiers prétendent qu’on s’y fait. On nous a portés tous à l’ordre de l’armée.
Moi, j’ai tiré des coups de feu dans la fumée
Et j’ai marché toujours en avant, sans rien voir. Enfin, on a sonné la retraite, et, le soir,
Un vieux, au képi d’or, qui tordait sa barbiche, Et qui de compliments paraît être assez chiche,
Nous a dit : « Nom de nom! mes enfants, c’est très-bien! Et quoiqu’il blasphémât, c est vrai, comme un païen, Et qu’il lançât sur nous un regard diabolique,
Nous avons tous crié : ci Vive la République ! »
— Ce mot-là, c’est toujours du français, n’est-ce pas? Quelques-uns d’entre nous se plaignent bien tout bas Et sont, avec raison, mécontents qu’on ricane De notre vieil abbé qui trousse sa soutane,
Marche à côté de nous droit au-devant du feu Et parle à 110s blessés du pays et de Dieu;
Mais aux mauvais railleurs nous faisons la promesse De bien montrer comment on meurt, après la messe. — Nous avons traversé Paris. Il m’a fait peur.
Puis nous l’avons trouvé dans la grande stupeur,
Sombre et lisant tout haut les journaux dans les rues. Hait jours les habitants logèrent les recrues.
Nous étions, Pierre et moi, chez des bourgeois cossus. Où nous fûmes assez honnêtement reçus.
Pourtant j’étais d’abord chez eux mal à mon aise Et je restais assis sur le bord de ma chaise,
Confus de l’embarras où nous les avions mis.
Mais leurs petits enfants devinrent nos amis ;
Ils riaient avec nous, jouaient avec nos armes
Et couvraient, les démons ! de leurs joyeux vacarmes Le bruit que nous faisions avec nos gros souliers. Bref, nous sommes partis bien réconciliés,
Et, les jours de congé, nous leur faisons visite. — Allons! il faut finir cette lettre au plus vite, Car le clairon au loin jette ses sons cuivrés. Je ne sais pas encore si vous la recevrez,
Mais je suis bien content d’avoir suivi l’école. Grâce au savoir qu’on raille au pays agricole, Me voilà caporal avec un beau galon.
Et puis je vous écris ces mots par le ballon.
Maintenant, au revoir, chers parents, je l’espère. Si je ne reviens pas, ô ma mère et mon père, Songez que votre fils est mort en défenseur
De notre pauvre France; et toi, mignonne sœur, Quand tu rencontreras Yvonne à la fontaine
Dis-lui bien que je l’aime et qu’elle soit certaine Que dans ce grand Paris, effrayant et moqueur, Je suis toujours le sien et lui garde mon cœur. Baise ses cheveux blonds, fais-lui la confidence
Que j’ai peur du grand gars qui lui parle à la danse, Dis-lui qu’elle soit calme et garde le logis
Et que je ne veux pas trouver ses yeux rougis.
— Adieu. Voici pour vous ma tendresse suprême
Et je signe, en pleurant, « Votre enfant qui vous aime. »
François Coppée.
Paris, octobre 1870.
Paris attend.
Il attend qu’une nouvelle dépêche vienne lui donner, au milieu des bruits contradictoires qui circulent, le récit vrai des événements qui ont suivi la victoire d’Orléans.
Il attend que nos armées du Nord, de l’Est et du Midi lui envoient également un bulletin de victoire.
Il attend, enfin, pour Paris le signal de l’offensive, depuis si longtemps annoncée.
Est-ce parce que la canonnade des forts devient plus vive, plus générale ! Est-ce que le défilé des compagnies de guerre, en tenue de campagne,
rappelle l’imminence d’une bataille? Est-ce parce que la chronique des remparts et des avantpostes est plus belliqueuse que jamais? Je ne sais,
mais depuis huit jours ou s’aborde le matin et on se quitte le soir en disant :
Une matinée littéraire et dramatique a été donnée récemment par la Comédie-Française. — C’est dans cette représentation qu’a été lue la pièce de vers que nous reproduisons ici. Jamais,
croyons-nous, l’auteur de le Passant, M. François Coppée, n’avait été mieux inspiré que dans cette épître familière.
LETTRE D’UN MOBILE BRETON
Maman, et toi, vieux père, et toi, ma sœur mignonne, Ce soir, en attendant que le couvre-fèu sonne,
Je mets la plume en main pour vous dire comment Je pense tous les jours à vous très-tendrement, Très-tristement aussi, malgré toute espérance;
Car, bien qu’ayant juré de mourir pour la France, Et certain que je suis d’accomplir mon devoir, Je ne puis pas songer au pays sans revoir
La maison, le buffet et ses vaisselles peintes, La table, le poiré qui mousse dans les pintes,.
La soupière de choux qui fume et qui sent bon Entre les vastes plats de noix et de jambon,
Lar sœur et la maman priant, les deux mains jointes, Avec leurs bonnets blancs et leurs fichus à pointes, Et papa qui, pensant que je manque au souper, Fait sa croix sur le pain avant de le couper.
Laissons cela. D’ailleurs, je reviendrai peut-être.
— Donc, nous sommes campés sous le fort de Bicètre Avec monsieur le Comte et tous ceux de chez nous. Je vous écris ceci mon sac sur les genoux,
Sous la tente, et le vent fait trembler ma chandelle. Bicètre est une sombre et forte citadelle,
Où des Bretons marins, de rudes compagnons,
Dorment dans le caban, auprès de leurs canons,
familles, et bien des messages ont déjà été reçus de tous les départements.
Mais le service essentiel rendu par les ballons est de tenir la province au courant de ce que fait Paris, et sur ce point on peut dire qu’ils ont em
pêché les journaux de Versailles, publiés par M. de Bismark, d’empoisonner les départements de mensonges.
LES AFFUTS.
C’est surtout à propos des canons qu’il faut dire que l’accessoire est aussi indispensable que le prin
cipal. Voyez défilerunebatterie d’artillerie, etvoyez ce qu’exige de matériel le service d’un canon !
Mais tout est mené de front. Pendant que nos fondeurs fabriquent les engins de guerre, d’im
menses chantiers mettent la dernière main à leurs affûts. Nous avons visité celui du chemin de fer de Lyon, transformé, depuis le siège, en un véritable arsenal.
A l’heure où paraîtront ces lignes, les premières commandes faites par l’État seront exécutées, et la défense possédera tout l équipement de quarante batteries nouvelles d’artillerie. Et nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que Paris ne s’en tiendra pas là.