— Est-ce pour aujourd’hui? Est-ce pour demain?
Inutile de vous dire ici qu’il s’agit du grand coup que le général Trochu doit frapper. L’opinion est impatiente et Paris a la fièvre.
A l’heure qu’il est, soldats, canons, munitions, tout est prêt, et l’on n’attend plus que h’ujgnal.
Le général Trochu le donnera à son heure. Mais nous devons avoir confiance et lion espoir. Indépendamment de la garde nationale séden
taire, la défense possède aujourd’hui une armée de deux cent cinquante mille hommes.
A l’un des secteurs, un de nos premiers généraux disait, ces jours derniers : — « L’armée de la Loire a tiré sur nous une traite -que nous acquitterons. »
Subsistances.
Vaches grasses et vaches maigres !
Nous entendons, en effet, deux cloches et deux sons.
D’un côté, c’est la voix bénie des optimistes qui vous disent, en mettant les points sur les i : — Nous avons encore pour trois mois de vivres.
D’un autre côté, c’est la plainte aigrelette des pessimistes, qui vous disent en vous donnant le cours du marché des chats, des rats et des chiens : — Demain, ne serons-nous pas anthropophages?
Et les deux voix ont raison. Nous avons abondance de farineux, de vin, de café, de sucre. Mais ce sont les accessoires et les suppléments qui commencent à faire défaut.
Pour un grand nombre de produits, nous en sommes à la drolatique histoire du père et du üls se dupant alternativement l’un l’autre.
— Va, petit, disait le père : prends ce pot et va m’acheter de la bière.
— Et l’argent? répondait l’enfant.
— Oh! tu n’auras pas d’argent. Acheter delà bière avec de l’argent, la belle affaire ! Le difficile, c’est d’avoir de la bière sans argent.
L’enfant sort et revient avec le pot qu’il place sur la table. Le père se dispose à boire :
— Mais le pot est vide! s’écrie le père.
— Bah! dit l’enfant, boire avec un pot plein de bière, la belle affaire ! Le difficile est de boire avec un pot vide.
Sur beaucoup de points, voilà où nous en sommes. Bourses et pots vides !
Les théàtres.
L’Opéra, la Gomédie-Erançaise, la Porte-Saint- Martin, et quelques autres théâtres ont continué à nous donner quelques.spectacles de circonstance; et comme une pensée pieuse se mêle presque tou
jours au motif de ces réunions artistiques, on ne peut qu’applaudir à cette généreuse initiative.
Pourquoi d’ailleurs repousserait-on, comme inopportune et discordante, cette réouverture de nos théâtres? Pendant le siège de Dantzig, en 1813, siège qui dura un an et fut des plus cruels, le comte Rapp, qui commandait la place, voulant éviter la démoralisation qui peut résulter de l’ennui, ordonna que le théâtre jouât tous les soirs.
Seulement, il le Ht blinder.
De temps en temps, pendant la représentation, un planton venait prévenir les officiers qui étaient de sortie.
L’officier quittait sa stalle en disant à son voisin :
— Tu me raconteras demain la fin de la pièce. Je voudrais bien savoir si le vicomte épouse Célestine.
Et, pour avoir ri pendant une heure, il ne se battait pas pins mal.... An contraire!
Toujours Bazaine.
Le procès est toujours pendant, et comme il ne peut manquer d’être prochainement débattu en pleine lumière, attendons le jugement qui sera celui de l’histoire.
Toutefois, clans ce honteux naufrage du second empire, il est une appréciation sévère, que le mal
heur de \a patrie nous permet d’émettre déjà sur les hauts personnages qui s’agitaient dans l’orbite (le la politique impériale. Tous, sans exception.
ne savaient que se courber platement devant le quos ego du maître.
A ce point de vue le second empire a montré encore plus d’abaissement que le premier. Napo
léon Ier, l’homme ouragan, trouve encore parfois devant lui des caractères et des cœurs virils. Pour le prouver, un souvenir d’histoire.
C’était au camp de Boulogne, en 1804. L’empereur ordonne, un matin, à Savary, d’aller prévenir l’amiral Bruix de prendre les dispositions né
cessaires pour qu’il puisse passer, à midi, la revue de la flotte en pleine mer.
Savary va trouver l’amiral dans sa baraque et lui transmet les ordres de l’empereur. Mais l’amiral,répond avec un imperturbable sang-froid que,
vu l’état du ciel, il ne peut exécuter un pareil ordre.
En entendant la réponse de Savary, Napoléon éclata. Ne pas lui obéir sur le champ ! — Ah ! l’ami
ral Bruix prétend discuter mes ordres ! Nous allons voir !
Et le voilà qui sort, frémissant, pâle de colère, pour écraser l amiral.
Il le rencontre, venant à lui, sur la plage. Les yeux de l’empereur lancent des éclairs.
— Monsieur l’amiral, lui dit-il d’une voix brève et altérée, pourquoi n’exécutez-vous pas mes ordres ?
— Sire, répond Bruix d’un ton respectueux, c’est parce qu’une horrible tempête se prépare. Votre Majesté peut le voir comme moi. Je ne puis exposer inutilement la flotte et les matelots.
— Vous n’avez pas à discuter mes ordres, mais à les exécuter.
— Sire, dans dix minutes peut-être, la mer ne sera pas tenable, et je ne veux pas avoir à me reprocher....
— Encore une fois, obéissez ! — Sire, je n’obéirai pas.
- Monsieur!... bégaya Napoléon, les lèvres tremblantes, vous êtes un insolent!...
L’empereur qui tient une cravache s’avance vers l’amiral.
— Sire, dit Bruix toujours calme, prenez garde. Votre Majesté ne veut ni me déshonorer, ni se déshonorer elle-même!...
Chacun comprit que l’amiral était perdu.
— Partez à l’instant même, Monsieur. A Paris vous connaîtrez la décision que je vais prendre à votre égard; et vous, contre-amiral Magon, exécutez mes ordres.
Une heure après, la flotte était battue par une tempête épouvantable. Un grand nombre de
marins et de soldats périssaient. Il ne manquait plus au despote qu’à prendre les verges de Xerxès et à fouetter la mer.
Plus tard, à Sainte-Hélène, le grand vaincu disait : — « Pauvre Bruix ! Oui, celui-là a dû me maudire. Si tous ceux qui m’ont entouré avaient
eu le même courage, je ne serais peut-être pas ici aujourd’hui. La providence l’a bien vengé! »
Oui, sans doute, nous sommes toujours vengés; mais elles nous coûtent cher, ces leçons !
Henri Gozic.
‹‹Vous me dites dans votre dernière lettre que vous avez lieu de penser que M. de D....se laisse
quelque peu emporter par sa haine contre la Prusse.... Non, non, ne croyez pas cela. M. de D.... -est un homme de soixante-six ans; il a un jugement trop sûr, une trop grande expérience des hommes et des choses pour se laisser aveu
gler par la passion; mais il a des oreilles pour entendre, des yeux pour voir, et tout le bon sens nécessaire pour tirer de justes conclusions de tout ce qu’il voit et entend. De plus, il a assez de ca
ractère pour ne pas se laisser aveugler par la peur, cette détestable conseillère, qui a fait et fera faire encore tant de sottises! Tout ce que je vois et entends moi-même corrobore trop bien les ap
préciations de M. de D— pour qu’il me reste un doute sur l’exactitude de ses renseignements et la justesse de ses vues.
« Je viens de voir, il y a quelques instants, Mme la comtesse de Pourtalès, qui arrive de Berlin. Jusqu’à ce jour je l’avais toujours trouvée d’un optimisme qui m’irritait. Prussienne par son mari, elle était en admiration perpétuelle devant tous les actes de M. de Bismark, du roi Guillaume et de tous ses Prussiens; elle prétendait que rien ne pouvait motiver une guerre entre la France et la Prusse, que nous étions faits, pour nous enten
dre et nous aimer. Bref, son langage était une variante poétique des discours Rouher et des cir
culaires La Valette., Or, voilà que cette adorable comtesse me déclare qu’elle revient de Berlin la mort dans l’âme, que la guerre est inévitable, qu’elle ne peut manquer d’éclater au premier
jour, que les Prussiens sont si bien préparés, si habilement dirigés, qu’ils sont assurés du succès. »
« Eh quoi! lui ai-je dit, vous embouchez la « trompette de Bellone, juste au moment où de
« tous côtés l’on ne parle que des intentions paci« flques de nos bons voisins, de la salutaire ter« reur que nous leur inspirons, du désir de Bis« mark d’éviter tout prétexte de conflits, lorsque « nous renvoyons tous nos soldats dans leurs « foyers, et qu’il est même question d’une réduc« tion des cadres, à tel point que je m’apprête à « aller au premier jmir planter mes choux en « Nivernais. »
— « Oh! général, s’est-elle écriée, c’est ce qu’il « y a d’afîreux. Ges gens-là nous trompent indi« gnement et comptent bien nous surprend ce « désarmés... Oh! le mot d’ordre est donné: en « public, on parle de paix, du désir de vivre en « bonnes relations avec nous; mais lorsque, dans « l’intimité, l’on cause avec tous ces gens de l’en« tourage. du roi, ils prennent un air narquois,
« vous disant : Est-ce que vous croyez à tout cela? « Ne voyez-vous pas que les événements marchent « à grands pas, que rien désormais ne saurait « conjurer le dénoûment?... Ils se moquent in« dignement de notre gouvernement, de notre « armée, de notre garde mobile, de nos ministres,
« de l’empereur, de l’impératrice, prétendant « qu’avant peu la France sera une seconde Espa« gne! Enfin, croiriez-vous que le ministre de la « maison du roi, M. de Schleinitz, a osé me dire « qu’avant dix-huit mois notre Alsace serait à la « Prusse? Et si vous saviez quels énormes prépa« ratifs se font de tous côtés, avec quelle ardeur « ils travaillent pour transformer et fusionner les « armées des États récemment annexés, quelle « confiance dans tous les rangs de la société et de a l’armée!...
« Oh! en vérité, général, je reviens navrée,
« pleine de trouble et de crainte. Oui, j’en suis « certaine maintenant, rien, non, rien ne peut « conjurer la guerre, et quelle guerre! »
Mme de Pourtalès sera probablement à Gompiègne dans quelques jours, et par conséquent vous pourrez avoir le plaisir d’entendre ses doléances et ses récits effrayants.
Pour faire pendant au propos de M. de Schleinitz relatif à l’Alsace, je citerai un mot de M. le général de Moltke sur le même sujet. Ce grand général causait avec un Badois qui occupe une assez haute position dans son pays; ce personnage
(Suite)
LETTRE DU GÉNÉRAL DUCROT AU GÉNÉRAL
Cette lettre du général Ducrot a été trouvée dans les papiers du général Frossard. Elle dit net
tement, cruellement, vivement, au gouverneur du prince impérial la vérité entière. Les conseil
lers de Napoléon ne pouvaient pas dire qu’ils n’étaient point renseignés. .
Strasbourg, 28 octobre 1868.
« Mon cher général,
« Je vous envoie le résumé de mes longues et intéressantes conversations avecM. deD.... Je me suis attaché à rendre scrupuleusement ses pensées et ses appréciations, sans commentaires ni amplifications.
Inutile de vous dire ici qu’il s’agit du grand coup que le général Trochu doit frapper. L’opinion est impatiente et Paris a la fièvre.
A l’heure qu’il est, soldats, canons, munitions, tout est prêt, et l’on n’attend plus que h’ujgnal.
Le général Trochu le donnera à son heure. Mais nous devons avoir confiance et lion espoir. Indépendamment de la garde nationale séden
taire, la défense possède aujourd’hui une armée de deux cent cinquante mille hommes.
A l’un des secteurs, un de nos premiers généraux disait, ces jours derniers : — « L’armée de la Loire a tiré sur nous une traite -que nous acquitterons. »
Subsistances.
Vaches grasses et vaches maigres !
Nous entendons, en effet, deux cloches et deux sons.
D’un côté, c’est la voix bénie des optimistes qui vous disent, en mettant les points sur les i : — Nous avons encore pour trois mois de vivres.
D’un autre côté, c’est la plainte aigrelette des pessimistes, qui vous disent en vous donnant le cours du marché des chats, des rats et des chiens : — Demain, ne serons-nous pas anthropophages?
Et les deux voix ont raison. Nous avons abondance de farineux, de vin, de café, de sucre. Mais ce sont les accessoires et les suppléments qui commencent à faire défaut.
Pour un grand nombre de produits, nous en sommes à la drolatique histoire du père et du üls se dupant alternativement l’un l’autre.
— Va, petit, disait le père : prends ce pot et va m’acheter de la bière.
— Et l’argent? répondait l’enfant.
— Oh! tu n’auras pas d’argent. Acheter delà bière avec de l’argent, la belle affaire ! Le difficile, c’est d’avoir de la bière sans argent.
L’enfant sort et revient avec le pot qu’il place sur la table. Le père se dispose à boire :
— Mais le pot est vide! s’écrie le père.
— Bah! dit l’enfant, boire avec un pot plein de bière, la belle affaire ! Le difficile est de boire avec un pot vide.
Sur beaucoup de points, voilà où nous en sommes. Bourses et pots vides !
Les théàtres.
L’Opéra, la Gomédie-Erançaise, la Porte-Saint- Martin, et quelques autres théâtres ont continué à nous donner quelques.spectacles de circonstance; et comme une pensée pieuse se mêle presque tou
jours au motif de ces réunions artistiques, on ne peut qu’applaudir à cette généreuse initiative.
Pourquoi d’ailleurs repousserait-on, comme inopportune et discordante, cette réouverture de nos théâtres? Pendant le siège de Dantzig, en 1813, siège qui dura un an et fut des plus cruels, le comte Rapp, qui commandait la place, voulant éviter la démoralisation qui peut résulter de l’ennui, ordonna que le théâtre jouât tous les soirs.
Seulement, il le Ht blinder.
De temps en temps, pendant la représentation, un planton venait prévenir les officiers qui étaient de sortie.
L’officier quittait sa stalle en disant à son voisin :
— Tu me raconteras demain la fin de la pièce. Je voudrais bien savoir si le vicomte épouse Célestine.
Et, pour avoir ri pendant une heure, il ne se battait pas pins mal.... An contraire!
Toujours Bazaine.
Le procès est toujours pendant, et comme il ne peut manquer d’être prochainement débattu en pleine lumière, attendons le jugement qui sera celui de l’histoire.
Toutefois, clans ce honteux naufrage du second empire, il est une appréciation sévère, que le mal
heur de \a patrie nous permet d’émettre déjà sur les hauts personnages qui s’agitaient dans l’orbite (le la politique impériale. Tous, sans exception.
ne savaient que se courber platement devant le quos ego du maître.
A ce point de vue le second empire a montré encore plus d’abaissement que le premier. Napo
léon Ier, l’homme ouragan, trouve encore parfois devant lui des caractères et des cœurs virils. Pour le prouver, un souvenir d’histoire.
C’était au camp de Boulogne, en 1804. L’empereur ordonne, un matin, à Savary, d’aller prévenir l’amiral Bruix de prendre les dispositions né
cessaires pour qu’il puisse passer, à midi, la revue de la flotte en pleine mer.
Savary va trouver l’amiral dans sa baraque et lui transmet les ordres de l’empereur. Mais l’amiral,répond avec un imperturbable sang-froid que,
vu l’état du ciel, il ne peut exécuter un pareil ordre.
En entendant la réponse de Savary, Napoléon éclata. Ne pas lui obéir sur le champ ! — Ah ! l’ami
ral Bruix prétend discuter mes ordres ! Nous allons voir !
Et le voilà qui sort, frémissant, pâle de colère, pour écraser l amiral.
Il le rencontre, venant à lui, sur la plage. Les yeux de l’empereur lancent des éclairs.
— Monsieur l’amiral, lui dit-il d’une voix brève et altérée, pourquoi n’exécutez-vous pas mes ordres ?
— Sire, répond Bruix d’un ton respectueux, c’est parce qu’une horrible tempête se prépare. Votre Majesté peut le voir comme moi. Je ne puis exposer inutilement la flotte et les matelots.
— Vous n’avez pas à discuter mes ordres, mais à les exécuter.
— Sire, dans dix minutes peut-être, la mer ne sera pas tenable, et je ne veux pas avoir à me reprocher....
— Encore une fois, obéissez ! — Sire, je n’obéirai pas.
- Monsieur!... bégaya Napoléon, les lèvres tremblantes, vous êtes un insolent!...
L’empereur qui tient une cravache s’avance vers l’amiral.
— Sire, dit Bruix toujours calme, prenez garde. Votre Majesté ne veut ni me déshonorer, ni se déshonorer elle-même!...
Chacun comprit que l’amiral était perdu.
— Partez à l’instant même, Monsieur. A Paris vous connaîtrez la décision que je vais prendre à votre égard; et vous, contre-amiral Magon, exécutez mes ordres.
Une heure après, la flotte était battue par une tempête épouvantable. Un grand nombre de
marins et de soldats périssaient. Il ne manquait plus au despote qu’à prendre les verges de Xerxès et à fouetter la mer.
Plus tard, à Sainte-Hélène, le grand vaincu disait : — « Pauvre Bruix ! Oui, celui-là a dû me maudire. Si tous ceux qui m’ont entouré avaient
eu le même courage, je ne serais peut-être pas ici aujourd’hui. La providence l’a bien vengé! »
Oui, sans doute, nous sommes toujours vengés; mais elles nous coûtent cher, ces leçons !
Henri Gozic.
‹‹Vous me dites dans votre dernière lettre que vous avez lieu de penser que M. de D....se laisse
quelque peu emporter par sa haine contre la Prusse.... Non, non, ne croyez pas cela. M. de D.... -est un homme de soixante-six ans; il a un jugement trop sûr, une trop grande expérience des hommes et des choses pour se laisser aveu
gler par la passion; mais il a des oreilles pour entendre, des yeux pour voir, et tout le bon sens nécessaire pour tirer de justes conclusions de tout ce qu’il voit et entend. De plus, il a assez de ca
ractère pour ne pas se laisser aveugler par la peur, cette détestable conseillère, qui a fait et fera faire encore tant de sottises! Tout ce que je vois et entends moi-même corrobore trop bien les ap
préciations de M. de D— pour qu’il me reste un doute sur l’exactitude de ses renseignements et la justesse de ses vues.
« Je viens de voir, il y a quelques instants, Mme la comtesse de Pourtalès, qui arrive de Berlin. Jusqu’à ce jour je l’avais toujours trouvée d’un optimisme qui m’irritait. Prussienne par son mari, elle était en admiration perpétuelle devant tous les actes de M. de Bismark, du roi Guillaume et de tous ses Prussiens; elle prétendait que rien ne pouvait motiver une guerre entre la France et la Prusse, que nous étions faits, pour nous enten
dre et nous aimer. Bref, son langage était une variante poétique des discours Rouher et des cir
culaires La Valette., Or, voilà que cette adorable comtesse me déclare qu’elle revient de Berlin la mort dans l’âme, que la guerre est inévitable, qu’elle ne peut manquer d’éclater au premier
jour, que les Prussiens sont si bien préparés, si habilement dirigés, qu’ils sont assurés du succès. »
« Eh quoi! lui ai-je dit, vous embouchez la « trompette de Bellone, juste au moment où de
« tous côtés l’on ne parle que des intentions paci« flques de nos bons voisins, de la salutaire ter« reur que nous leur inspirons, du désir de Bis« mark d’éviter tout prétexte de conflits, lorsque « nous renvoyons tous nos soldats dans leurs « foyers, et qu’il est même question d’une réduc« tion des cadres, à tel point que je m’apprête à « aller au premier jmir planter mes choux en « Nivernais. »
— « Oh! général, s’est-elle écriée, c’est ce qu’il « y a d’afîreux. Ges gens-là nous trompent indi« gnement et comptent bien nous surprend ce « désarmés... Oh! le mot d’ordre est donné: en « public, on parle de paix, du désir de vivre en « bonnes relations avec nous; mais lorsque, dans « l’intimité, l’on cause avec tous ces gens de l’en« tourage. du roi, ils prennent un air narquois,
« vous disant : Est-ce que vous croyez à tout cela? « Ne voyez-vous pas que les événements marchent « à grands pas, que rien désormais ne saurait « conjurer le dénoûment?... Ils se moquent in« dignement de notre gouvernement, de notre « armée, de notre garde mobile, de nos ministres,
« de l’empereur, de l’impératrice, prétendant « qu’avant peu la France sera une seconde Espa« gne! Enfin, croiriez-vous que le ministre de la « maison du roi, M. de Schleinitz, a osé me dire « qu’avant dix-huit mois notre Alsace serait à la « Prusse? Et si vous saviez quels énormes prépa« ratifs se font de tous côtés, avec quelle ardeur « ils travaillent pour transformer et fusionner les « armées des États récemment annexés, quelle « confiance dans tous les rangs de la société et de a l’armée!...
« Oh! en vérité, général, je reviens navrée,
« pleine de trouble et de crainte. Oui, j’en suis « certaine maintenant, rien, non, rien ne peut « conjurer la guerre, et quelle guerre! »
Mme de Pourtalès sera probablement à Gompiègne dans quelques jours, et par conséquent vous pourrez avoir le plaisir d’entendre ses doléances et ses récits effrayants.
Pour faire pendant au propos de M. de Schleinitz relatif à l’Alsace, je citerai un mot de M. le général de Moltke sur le même sujet. Ce grand général causait avec un Badois qui occupe une assez haute position dans son pays; ce personnage
LES PAPIERS DES TUILERIES
(Suite)
LETTRE DU GÉNÉRAL DUCROT AU GÉNÉRAL
FROSSARD.
Cette lettre du général Ducrot a été trouvée dans les papiers du général Frossard. Elle dit net
tement, cruellement, vivement, au gouverneur du prince impérial la vérité entière. Les conseil
lers de Napoléon ne pouvaient pas dire qu’ils n’étaient point renseignés. .
Strasbourg, 28 octobre 1868.
« Mon cher général,
« Je vous envoie le résumé de mes longues et intéressantes conversations avecM. deD.... Je me suis attaché à rendre scrupuleusement ses pensées et ses appréciations, sans commentaires ni amplifications.