de façon a rejoindre par Cœuilly et Chennevières le corps Susbielle, composé des mobiles de la Vendée et de l’Ain et du 42e de ligne, et maître à cette heure de cette forte position de Montmesly qui coupait à l’armée prussienne la route de Versailles.
Mais, vers midi, des masses prussiennes, arrivant avec des hurralis, agitant, à la façon de nos turcos, leurs fusils au-dessus de leurs têtes, dans une sorte de fantasia sauvage, contraignaient les mobiles delaVendéeet le 42e,placés au devant d’eux,
à se replier sur Créteil et sous le feu de la redoute de Gravelle. Les mobiles perdaient là leurs com
mandants et leurs chefs, et le général Ladreit de la Gharrière tombait, à trente mètres des Prus
siens, en criant : En avant! Ce n’était là qu’un épisode de la bataille qui durait, au centre, devant Cœuilly, et, sur la gauche, devant Villiers, depuis plusieurs heures. Les artilleurs de la division Susbielle reprenaient position dans la plaine, les mobiles se reformaient à la lisière du bois de Vincennes, tandis que sur les coteaux de la Marne la fusillade et la canonnade, effroyablement nour
ries, continuaient leur œuvre. Je suivais, d’un cœur anxieux, les mouvements de nos troupes,
qu’on apercevait, postées, massées derrière les maisons, derrière les haies, le chassepot armé,
tandis que nos canons, gagnant du terrain après chaque décharge, les artilleurs, poussant les pièces, balayaient devant eux l’ennemi. Des fumées blanches, rayées d’éclairs de flamme, sor
taient de ces taillis roux, bois charmants aux jours printaniers, bois verdoyants aux heures d’école buissonnière, et où maintenant, furieuse, s’agitait la rouge tuerie.
Les obus, au-dessus des arbres, formaient comme des ballons d’étoupe grise qui,, tout à coup, éclatant, semaient et crachaient du fer.
Pied à pied, on emportait, on enlevait ces coteaux couverts de vignes aux pampres raccornis, et où pendaient encore quelques grappes à demi-gelées que cueillaient nos soldats tout en combattant. On arrachait lambeau par lambeau à l’ennemi cette terre française rougie de sang. On gagnait du terrain de minute en minute, lorsque vers quatre heures et demie, lorsque nos bataillons arrivèrent sous les murs crénelés du parc de Vil
liers (parc qui appartient, je crois, au chanteur Roger et dont les Prussiens ont fait une redoute), lorsque les mobiles et la troupe attaquèrent en
face la première maison blanche de Cœuilly, à droite de la route, sur la hauteur, et se portèrent à l’entrée de Chennevières, une fusillade telle
ment furieuse, écrasante, improbable, éclata sur ces crêtes comme : une traînée de poudre qui s’enflamme, un feu tellement meurtrier nous accueil
lit, qu’il fallut laisser aux Prussiens l’asile fortifié qu’ils venaient de prendre contre nos baïonnettes et nos boulets. D’ailleurs, la nuit venait, cette nuit rapide des jours de novembre. Le soleil se couchait, et sanglant, derrière Châtillon, rougis
sant de ses derniers reflets les coteaux pleins de morts, incendiant de ses rayons les vitres brisées des logis et enveloppant comme d’une caresse mélancolique la Marne où passaient, arborant le drapeau blanc à croix écarlate, les bateaux-mouches chargés de blessés.
. On passa la nuit à Brie et à Champigny, dans les maisons dont l’ennemi avait fait son logis. En se retirant de Champigny, les Saxons, qui l’occu
paient, et qui jusqu’alors avaient respecté les meubles et les tableaux, s’étaient mis à tout bri
ser. J’ai vu les miroirs de Venise, la bibliothèque d’un vieux savant, en miettes, en lambeaux. Dans le froid glacial, sous cette lune pâle et frileuse,
nos troupes, blotties le long des maisons, campées dans la plaine, se réchauffant au feu des arbres coupés, blotties dans les gourbis, sous des abris de branches sèches, attendaient le lendemain, tandis que sur la terre dure ceux des blessés qu’on ne relevait point se tordaient, la gelée mordant leurs plaies vives.
Le combat devait, après l’espèce de trêve du 1er décembre, recommencer le 2. Tandis qu’on rele
vait et enterrait les morts, nos troupes se fortiliant dans Champigny, creusant des fossés en avant
du village, semblaient s’attendre à une attaque de l’ennemi qu’on devinait caché dans les bois roux de Villiers et de Cœuilly. Rien ne sortait
pourtant de ces bois et nous pûmes, à deux cents mètres de l’ennemi, parcourir, interroger le pla
teau couvert de débris, de papiers déchirés, de képis, de casques et de fusils brisés, où s’était terminée la bataille, sans être inquiété par la me


nace d’un seul coup de feu. Les Prussiens nous


voyaient cependant, à n’en point douter. Ils voyaient ces fosses creusées, ces cadavres enfouis,
petits fantassins français à l’air intelligent et grêle, lourds Allemands bottés, couverts de ca
potes énormes et noires. Ils nous voyaient ouvrir les sacs, déplier les lettres, demander à ces morts le secret des vivants. Ils voyaient cela et attendaient.
Ils attendirent jusqu’au lendemain, et le 2 décembre, à l’aube, avec des forces énormes, ils at
taquèrent, descendant des hauteurs comme une avalanche, ce village de Champigny, d’où les mo
biles de la Côte-d’Or, surpris, se retirèrent vers la plaine. Une autre colonne prussienne, sortant des bois de Villiers, essayait, au même moment, de repousser nos troupes sur Brie et de les rejeter
dans la Marne. De ce côté, l’ennemi nous avait repris déjà une redoute chèrement disputée et achetée la veille à prix de sang. Nos troupes, de
vant cette trombe humaine, pliaient. Le régiment
du génie auxiliaire de la garde nationale, croisant aussitôt la baïonnette, força, en quelque sorte,
par son attitude décidée, la mobile à se reformer devant lui. D’ailleurs, le général Ducrot, dont les chevaux demeuraient bridés et sellés depuis la veille, accourait au galop. Trochu arrivait, l’artillerie du plateau d’Avron tonnait, formida
ble, écrasant l’ennemi. On avait devant soi, disait le général Trochu lui-même après l’action, cent mille hommes, accourus de Versailles, portés en masse sur ces coteaux, cent mille Prussiens, Ba
varois et Saxons, que nos canons, encore une fois, et l’irrésistible élan de nos jeunes troupes forcè
rent à reculer. Echelonnés le long de la Marne, campés, les fusils en faisceaux, le pain de muni
tion planté dans la baïonnette, l’aspect solide et résolu, des bataillons de gardes nationaux, frémissants d’impatience, écoutaient le canon et de
mandaient à marcher. On pouvait compter sur leur courage. Les mobiles et la troupe suffirent.
A quatre heures, l ennemi était repoussé, et battu, forcé à se retrancher de nouveau. On met
tait à profit l’expérience, on crénelait aussitôt Champigny; les prisonniers saxons disaient que 150,000 Prussiens se massaient, à cette heure dans les bois de Cœuilly. Sur le champ de bataille, in
trépides, marchant au danger avec l’austérité grave du soldat discipliné, les Frères de la doc
trine chrétienne en robes noires, relevaient les blessés et enterraient les cadavres. Le général Trochu, l’air heureux du résultat de la journée;
J de cette lutte héroïquement soutenue, passait à cheval, suivi de son état-major, salué par les troupes, dans la plaine qui fait face à Joinville, Ducrot, atteint au cou par un éclat d’obus, con
tusionné mais non blessé, prenait un peu de repos, le brave et fier soldat, dans son logis de Poulangis, près du pont de Joinville. « Encore un « combat, disaient les soldats, encore une bataille
« où les Prussiens ont reculé. » Et de rire. Et de saluer ces frères qu’ils avaient rencontrés sous les mêmes balles, ces frères ramenant sur des bran
cards, du champ de bataille, les soldats qui avaient trouvé la mort devant l’ennemi.
Les Prussiens, étonnés de cette résistance et de cette force inconnues, regardaient sans doute du fond de leurs bois les rouges lueurs des feux de
nos bivouacs éparpillés sur les collines et dans les plaines, et ils se disaient -. Qu’est-ce donc que ce Paris où l’oh nous disait qu’il suffisait, de frapper pour entrer, enseignes déployées?
Le lendemain, ces deux batailles gagnées, l’armée, que l ennemi espérait écraser sous l’épou
vante du nombre, allait, par une marche rapide, chercher ailleurs, sur un autre point de l’en
ceinte, chercher d’autres combats, d’autres dangers et d’autres victoires, Jules Claretie.
LES CHAMPS DE BATAILLE SOUS PARIS
NOS GRAVURES.
Après la défensive, l’offensive. Nous avons présenté le vaste panorama de la défense, et, à l’heure décisive, nous ne pouvions manquer, à ce rendezvous du champ de bataille, que Paris assiégé attendait avec tant d’impatience. Cette impatience,
il faut bien le dire, est sans doute justifiée par un fégitime désir de délivrance ; mais elle était aussi inspirée par une ferme confiance dans le courage et la solidité de notre jeune armée. Les événements ont heureusement répondu aux espérances de la population.
Nous allons résumer ici, non-seulement nos propres souvenirs, recueillis cle visu sur le champ
de bataille, mais encore les renseignements qui nous ont été donnés par ceux de nos collabora
teurs qui ont pu, comme nous, assister au combat du 29, du 30 et du 2 décembre. Nous n’ajoutons plus ici qu’un mot, c’est que chacune de nos gra
vures représente une scène, un point de vue, un trait que nous avons eu sous les yeux et que nous avons pu reproduire dans un croquis tracé sur le lieu même de l’action.
VUE DU PONT DE JOINVILLE.
Le pont de Joinville représente, du côté de la bataille, le point extrême des avant-postes prus
siens. C’est dans ces parages que la compagnie des tirailleurs parisiens, commandés par le capi
taine Lavigne, a poussé contre les postes prussiens
tant de reconnaissances utiles à la défense ; c’est aussi de ce côté que le sergent Hoff, dont nous résumons plus loin les exploits, a conduit ses ex
péditions nocturnes, qui ont coûté vingt-sept hommes à l’ennemi. Mais quand notre armée a passé la Marne, le 30 novembre, pour livrer sa première bataille, les Saxons et les Wurtembergeois qui nous investissent de ce côté de Paris, étaient déjà refoulés depuis longtemps, et le pont de Joinville n’a offert à nos troupes aucune résistance.
LE PASSAGE DE LA MARNE.
Lepassage d’une rivière, sous le feu de l’ennemi, est une opération toujours difficile. Il y a tant d’obstacles à vaincre ! Cette opération importante, .confiée au général Ducrot, a échoué, le premier jour, par suite d’un accident imprévu; mais elle s’est accomplie le jour suivant, avec un plein succès; ce passage, qui s’est effectué le matin du 30 novembre, a permis au général Ducrot de
lancer contre l’ennemi les corps qu’il comman- dait et qui formaient le centre de l’armée d’atta
que. Le général Trochu, tout en conservant le commandement en chef, conduisait l’aile gauche sur le plateau d’Avron, et.le général Vinoy com
mandait l’aile droite. Les trois généraux avaient, la veille au soir, tenu un dernier conseil de guerre et pris leurs dernières dispositions.
LES COMBATS PRINCIPAUX.
La lutte a été vive sur tous les points du champ de bataille; mais elle a eu pourtant, à certaines heures et devant certaines positions, un caractère d’acharnement tout particulier. La prise de Petit- Bry, l’enlèvement de la dernière position occupée par l’ennemi sur le plateau de Villiers, la reprise du plateau de Champigny ont été les péripéties les plus sanglantes de ces deux journées terribles. Nous n’insistons pas sur le récit de ces épisodes, qui ne sont que des actes divers du grand drame que raconte plus haut notre collaborateur Jules Claretie; mais nos gravures permettront à nos lecteurs de se représenter le vigoureux effort qu’a dû faire notre jeune armée de conscrits pour dis
puter et enlever à 120,000 hommes de vieilles troupes des retranchements et des barricades aussi formidablement fortifiés.
UN ÉPISODE DE LA BATAILLE.
Nous pourrions en dessiner mille; nous choisissons celui qui représente un groupe de Wurtemberg’eqjs réfugiés dans une maison de Chain pi