en était arrivé à n’être plus représenté que par la Ville éternelle, et les barbares ont pu à la longue l’anéantir. Mais dans le duel de l’Orient et de l’Occident, le panslavisme trouvera devant lui trois grandes races : les Anglo-saxons, les Ger
mains et les Latins, et chacune de ces races est incontestablement supérieure, toute seule, aux masses encore incultes du panslavisme. Nous croyons donc que l’Europe peut s’habituer à re
garder en face l’épouvantail qu’on dresse devant elle, et à dédaigner ces hordes qu’on disait invin


cibles et qui, après avoir passé le Pruth en 1854,


ne pouvaient vaincre les Turcs réduits à leurs seules forces !
III
On voit que l’Europe ne manquera pas de sauveurs. D’un côté, nous avons la Prusse, qui nous crie, d’après une vieille légende, en armant jusqu’aux dents toute l’Allemagne : « La patrie allemande au-dessus de tout! » et qui tente aujour
d’hui, par une guerre horrible, de réaliser le rêve de la toute-puissance germanique, que M. de Môltke formulait ainsi, dans la séance du Reischtag du 20 juin 1868 :
« Quel est l’homme de bon sens qui ne souhaiterait pas que les dépenses énormes que l’on con
sacre, dans toute l’Europe, aux choses . de la guerre pussent être appliquées à des œuvres de paix? Mais cela n’arrivera jamais par la voie des négociations internationales. La réalisation de cette politique n’est possible que par la guerre,
qui n’est que la continuation de la politique par d autres moyens.
«Eh bien! je crois que si cette œuvre bienfaisante doit jamais s’accomplir, c’est de l’Allema
gne que partira cette initiative. Mais cette œuvre ne s’accomplira que lorsque l’Allemagne, sera assez forte, c’est-à-dire lorsqu’elle sera unie. »
Rêve insensé ! Comme si l’Europe n’avait pas vingt fois fait la funeste expérience de ces mo
narchies toutes-puissantes, que l’on croit tutélaires et qui ne se composent que de sacrifices incalcu
lables ! Comme si l’Europe n’avait pas déjà passé sous les fourches caudines- des empires de Char
lemagne, de Philippe II, de Charles-Quint, de Louis XIV et de Napoléon Ier !
Henri Gozic.
(La fin prochainement.)
NOTRE ARTILLERIE
Des canons, encore des canons, et toujours des canons! Telle est la formule qui a servi de titre à une grande affiche placardée, il y a quelques se
maines déjà, sur les murs de Paris, et qui res
tera comme l’idée dominante devant résumer nos moyens de résistance dans la guerre que nous poursuivons.
C’est ce qu’a fait ressortir un rapport du général Trochu. Cette nécessité fut si bien comprise
de tous, qu’au moment même où paraissait ce rapport, une souscription publique, spontanément ouverte et bientôt couverte de milliers de signa
tures, venait concourir aux mesures prises par le Gouvernement pour nous doter du matériel qui nous manquait.
Au moment où cette question, grave entre toutes, préoccupe encore les esprits, il ne nous paraît pas inopportun de publier ici quelques notions de nature à donner une idée exacte du pro
blème à peu près résolu et qui, croyons-nous, sont loin d’être suffisamment connues.
La supériorité de l’artillerie prussienne sur la nôtre, — et cette supériorité ne s’est malheureuse
ment affirmée que d’une manière trop désastreuse depuis le commencement de la guerre actuelle, — cette supériorité, disons-nous, tient surtout à deux causes : elle se charge par la culasse, et elle possède, à égalité de calibre et de charge, une portée et une précision de tir infiniment plus grandes.
Nous soulignons à dessein cette dernière propo
sition : elle contient, bien plus encore que la précédente, le secret de nos revers.
Pour quiconque se rappelle le rôle décisif que joua notre artillerie dans la campagne d’Italie , il y a là de quoi étonner. Comment un gouverne
ment qui avait été le premier à faire sur le champ de bataille l’application des canons rayés, qui avait dû à cette expérience, toute nouvelle alors, la majeure partie des succès de cette campagne, comment ce même gouvernement s’est-il à. ce point laissé distancer, que cette même artillerie,
victorieuse en 1859, ait pu devenir impuissante en 1870?
C’est ce que nous n’entreprendrons pas d’expliquer ici : toujours est-il que la campagne d’Italie vint inaugurer, dans l’histoire de la balistique , une ère nouvelle; de toutes parts, les per
fectionnements surgirent en foule. On ne se contenta pas de l’augmentation déportée produite par les rayures, on reprit un à un tous les élé
ments de la question : nombre et dessin des rayures, forme à donner aux projectiles, utilisa
tion plus complète de la force de projection delà poudre; tout cela fut l’objet d’études approfondies; l apparition des navires cuirassés et la transformation dont elle fut le signal dans l’artillerie de ma
rine, donnèrent à ces études une importance plus grande encore; enfin, l’application industrielle de procédés nouveaux pour la manipulation de l’a­
cier, acheva de rendre la révolution complète, en fournissant pour la fabrication des canons un
métal plus résistant, plus léger, plus économique que le bronze ou le fer dont on avait lait usage jusqu’alors.
Cependant, cette révolution, dont elle avait donné le signal, la France semblait y rester indif
férente, ou du moins elle n’en suivait que lentement les progrès; et tandis que l’Angleterre, l’Améri
que et la Prusse possédaient depuis longtemps des canons d’acier se chargeant par la culasse, le gouvernement impérial en était resté, pour l’ar
tillerie de campagne, au canon de bronze de 1859, se chargeant par la bouche!
Or, voici quelques données qui permettent de juger d’un seul coup d’œil de la déplorable infé
riorité de cet armement. — Hâtons-nous de le dire, le témoignage que nous invoquons ne sau
rait être suspect de partialité à notre détriment. Il
émane de la commission permanente d’expériences instituée par ordre de l’empereur pour soumettre à des essais comparatifs les différents systèmes de canons auxquels nous avons fait allusion plus haut.
— Les chiffres que nous allons citer sont extraits d’un rapport daté de l’année dernière, et adressé par cette commission à l’empereur, à la suite d’une série d’expériences faites à Versailles et au camp de Châlons sur le canon d’acier anglais de 3 et le canon de campagne français de 4.
En ce qui concerne la portée, ces expériences ont donné les résultats suivants :
L’angle de tir étant de 5 degrés, la pièce anglaise (bien que d’un calibre inférieur d’un quart à celui de la pièce française) porte à 290 mètres de plus.
A 10 degrés, les portées respectives sont de 2,350 mètres pour le canon de bronze, et de 3,120 mètres pour le canon d’acier. A 20 degrés, elles sont de 3,480 mètres contre 5,000 mètres; enfin, à 30 degrés, de 4,100 mètres contre 6,100 !
Passons maintenant à un autre point de vue. On sait que plus la courbe, décrite par un projectile,
de son point de départ à son point d’arrivée, se rapproche de l’horizontale, plus il y a de chances d’atteindre le but; en d’autres termes, que plus la trajectoire est tendue, plus le tir gagne en préci
sion. Eh bien, sous ce rapport encore, l’infériorité du canon de bronze est écrasante. Pour aller tom
ber à 3,000 mètres, le boulet lancé par ce canon s’élève à 253 mètres en l’air; dans les mêmes con
ditions de portée, celui du canon d’acier n’atteint que 137 mètres d’élévation au sommet de sa course.
Enfin le rapport officiel que nous avons sous les yeux mentionne une troisième série de résul
tats : ceux qui ont trait à la conservation de la vitesse. A leur sortie de la bouche, les boulets lan
cés par les deux pièces sont assurés d’une vitesse à peu près égale, soit environ 350 mètres par se
conde. Aune distance de 3,000 mètres, cette vitesse n’est plus que de 166 mètres pour le projectile du canon de bronze, tandis qu’elle est encore de 252 mètres pour celui du canon d’acier. La force de pénétration d’un projectile dépendant évidem
ment de la vitesse qu’il possède en arrivant au but, il est aisé de juger de l’infériorité que pré
sente encore le canon de bronze sous ce dernier rapport.
Ces chiffres n’ont pas besoin de commentaires; la condamnation de notre système d’artillerie se chargeant par la bouche ressort, évidente, de chacun d’eux ; l’attention du gouvernement de
vait donc tout d’abord se porter sur les mesures à prendre pour faire cesser un tel état de choses.
Transformer radicalement notre armement, improviser du jour au lendemain, avec les seules ressources de l’industrie parisienne, la fabrication
de canons d’acier, il n’y fallait pas songer. Mais ce qui était possible, c’était d’obtenir des canons de bronze, sinon théoriquement irréprôchables, du moins parfaitement suffisants, au point de vue essentiel de la portée et de la rapidité du charge
ment : pour cela, les éléments ne manquaient pas :
infiniment plus simple et mieux définie que la manipulation de l’acier, la fonte des canons de bronze était une opération facile à réaliser dans les grands établissements delà capitale; d’autre part, il était possible de transformer le matériel déjà existant, de manière à le mettre à même de remplir toutes les conditions voulues. C’est à ce double parti qu’on s’est arrêté ; et, hâtons-nous de le dire, les résultats obtenus jusqu’à présent ont dépassé toutes les espérances. Déjà, dans une pre
mière visite aux ateliers de M. Cail, nous avons assisté â la fonte dee pièces nouvelles; le dessin que nous publions aujourd’hui représente une vue générale des ateliers deM. Flaud, qui concou
rent, avec plusieurs autres établissementsprivés,
au travail que doivent subir les pièces à leur sortie du moule, ainsi qu’à la transformation des canons anciens et à la fabrication des mitrailleuses La description de ces diverses opérations, fera l’objet d’un prochain article.
J. Bielle.
LES MORTS FRANÇAIS
Après les journées du 30 novembre, du 1er et du 2 décembre 1870
A M. MARC, DIRECTEUR DE l’Illustration.
« Mon cher ami,
« Vous m’avez demandé de raconter à vos lecteurs les trois journées que je viens de passer aux avant-postes prussiens, et je vous ai promis quelques notes sur ma triste mission.
« Voici mes feuillets, n’y changez rien.
« Si décousues que soient ces lignes, moins éloquentes assurément que votre beau dessin, elles auront du moins le mérite de tout récit sincère, écrit sur place et reproduit sans retouches.
« Cordialement à vous,
« De la Grangerie. »
Mardi matin.
Nous partons de Paris aux premières lueurs matinales, le convoi marche en bel ordre. Par moments nous tournons !a tête, et la vue de ces
lourds fourgons remplis de pioches, précédés par les fossoyeurs, suivis par les frères en robes noires qui ralentissent le pas aux montées, nous rem
plit de tristesse : c’est la livrée du deuil et le cortège de la mort. Nous avançons au milieu des ruines; la nature est morne, la brume épaisse nous enveloppe. Après les arbres coupés, les maisons en loques ; çà et là, des sentinelles immobiles; la Marne coule sans bruit sous les ponts de