marches forcées sous les pluies affreuses qui ont suivi l’évacuatiop d’Orléans avaient mise en fort mauvais état.
« Ce travail demande encore quatre à cinq jours pour être complet.
c Les positions occupées par Bourbaki couvrent à la fois Nevers et Bourges.
« L’autre partie de l’armée de la Loire, après l’évacuation d Orléans, s’est repliée sur Beaugency et Marchenoir, positions dans lesquelles elle a soutenu tous les efforts de Frédéric-Charles, grâce à l’indomptable énergie du général Ghanzy, qui paraît être le véritable homme de guerre révélé par les derniers événements.
Cette armée, composée des 16e, 17e et 21e corps et appuyée, selon les prescriptions du général ïrochu, de toutes les forces de l’Ouest, a exécuté une admirable retraite et causé ayx Prussiens les partes les plus considérables. Ghanzy s’est dérobé à un grand mouvement tournant de Frédéric- Charles sur la rive gauche de la Loire. Frédéric- Charles a vainement essayé de passer la Loire à
Blois et à Amhoise et menace Tours. Chanzy est aujourdhui en parfaite sécurité dans le Perche, prêt à prendre l’offensive sur... lorsqu’il aura fait reposer ses troupes, qui n’ont cessé de se battre admirablement contre des forces supérieures, depuis le 30 novembre jusqu’au 12 décembre.
« Vous voyez que l’armée de la Loire est loin d’être anéantie, selon les mensonges prussiens. Elle est séparée en deux armées d’égale force prêtesà opérer -. l’une...; l’autre,pour marcher sur...
« Faidherbe, dans le Nord, aurait repris La Fère avec beaucoup de munitions, artillerie, approvi
sionnements. Mais nous sommes fort inquiets de votre sort. Voilà plus de huit jours que nous n’a­
vons aucune nouvelle de vous, ni par vous, ni par les Prussiens, ni par l’étranger. Le câble avec l’Angleterre est interrompu. Que se passe-t-il? Tirez-nous de nos angoisses, en profitant, pour envoyer un ballon, du vent sud-ouest qui le portera en Belgique.
« Le mouvement de retraite des Prussiens s’est accentué. Ils paraissent las de la guerre. Si nous pouvons durer, et nous le pouvons si nous le vou
lons. énergiquement, nous triompherons d’eux. Ils ont déjà éprouvé des pertes énormes, suivant des rapports certains qui m’ont été faits; ils se ravi
taillent difficilement. Mais il faut se résigner aux suprêmes sacrifices, ne pas so lamenter, et lutter jusqu’à la mort.
A l’intérieur, l’ordre le plus admirable règne partout.
« Le Gouvernement de la défense nationale est partout respecté et obéi. « Gambetta. »
Bordeaux, 10 décembre 1870.
« L’amirai Bourgois, commandant aux Açores, annonce, par Lisbonne, que l’amiral Dupré, sur la frégate française Vénus, a coulé, dans les mers de la Chine, la frégate prussienne Hertha, après un combat acharné. »
Le partage de nos forces de la Loire en deux grands corps d’armée, l’un commandé par Bour
baki, l’autre commandé par Chanzy, est à coup sûr très-regrettable; mais cette division est loin d’équivaloir à une déroute. Ajoutons même que les deux armées ainsi partagées vont recevoir des renforts considérables. L’armée de Bourbaki va
se renforcer de l’armée d’Auvergne, et le général Chanzy, après avoir déjoué les projets du prince
Frédéric-Charles, va trouver un nouveau corps tout formé dans les départements qu’il occupe, sans compter le corps du général Briant et l’armée du général Faidherbe.
Mais ce qu’il importe surtout de mettre en relief, c’est que pour toutes nos armées en activité,
le ministère de la guerre ne cesse de faire sans relâche de nouvelles levées. C’est ainsi qu’on or
ganise à Toulouse une nouvelle armée de 60,000 hommes. Répondre au nombre par le nombre, aux masses prussiennes par des masses françaises, tel est le but, et si nous le poursuivons jusqu’au bout, nous pouvons envisager avec confiance la fin des hostilités. Aug. Marc.
LA QUESTION D’ORIENT


III


Nous l’avons dit. Les deux menaces gui peuvent ébranler, non-seulement l’équilibre, mais encore l indépendance de l’Europe, sont aujourd’hui devant nous.
D’un côté, c’est la Prusse proclamant arrogamment que la force prime le droit, et se vantant, par la sujétion de la France, d’arriver à l’anéan
tissement de la race latine, pour s’écrier ensuite : l’Europe, c’est moi !
D’un autre côté, d’après la foi politique dé la Russie et le testament fatidique de Pierre le Grand, le salut de l’Europe devra s’accomplir par le débordement de la race slave et la marche des Russes sur Constantinople. Autre pronostic, qui viendra s’évanouir, comme le premier, contre le torrent des idées de l’Occident !
Car, c’est là l’inévitable conséquence de toute expansion qui n’a, dans l’histoire des peuples,
pour moteur et pour but, que la force. Dans le passé, nous voyons invariablement que le travail latent de l’idée a toujours fait justice de toutes les institutions oppressives. La pensée humaine, plus forte que le joug des dynasties et des dominations barbares, brise invinciblement les entraves, comme le grain de blé les glaces de l’hiver.
C’est donc en vain que la Prusse et la Russie tentent, de nos jours, de renouveler ce jeu des invasions barbares, qui est resté longtemps l’é­
pouvantail de la politique moderne. A l’étape de civilisation où nous sommes, il n’v a de vrai et de durable que ces deux forces, agrandies par la Révolution française : le droit et la science !


IV


Mais il est, au sujet de la question d’Orient, une critique que l’on a l’habitude d’élever contre la politique française dans cette question et dont il importe de faire justice. La Turquie est presque généralement considérée par nous comme une puissance qui s’en va, et les journaux russes ont coutume de nous dire: « Pourquoi défendre avec tant d’acharnement un peuple que vous considérez vous-même comme perdu? Pourquoi com
battre un peuple que vous regardez comme en possession d’une valeur réelle et d’un avenir certain ?
— Vous combattez donc, nous dit-on, Yhomme malade de Constantinople?
— Eh! mon Dieu non! On ne combat jamais les malades, surtout quand ils sont à l’agonie. Mais s’il est clair pour tout le monde que la Turquie s’en va et qu’elle n’est plus qu’un camp en Europe, nous ne pouvons fermer les yeux à la lu
mière, et nous sommes bien forcés de convenir que, dans un avenir plus ou moins rapproché, la croix succédera au croissant à Constantinople.
— Et, d’un autre côté, vous repoussez le panslavisme ?
— De toutes nos forces ! Le régime qui commence à la Pologne pour finir à la Sibérie est le déshonneur du siècle et la honte de l’humanité.
— Mais comment ne voyez-vous pas qu’en rejetant le croissant en Asie, vous ne faites que pré
parer les voies au panslavisme et ouvrir les portes de Sainte-Sophie a l’église orthodoxe.
— Permettez. Vous raisonnez comme si le testament de Pierre le Grand devait recevoir une consécration inévitable. Sachez que de tous les testaments, ceux des souverains sont ceux que rinstoire a le plus souvent cassés. On sait que ce testament est le credo de tout Slave. On sait qu’une tradition populaire rapporte que dans les écuries du Kremlin, à Moscou, on entretient les huit che
vaux blancs, tout harnachés, tout caparaçonnés,
tout préparés pour la voiture qui doit porter le czar à Constantinople. Mais l’Europe est là pour arrêter sur la route le successeur de Pierre le Grand. Aucune nécessité ne condamne tous les peuples slaves à subir le régime de la Pologne. Une race n’est pas forcément appelée à s’englober toute entière dans une seule et vaste unité. Il suffit d’avoir lu deux pages d’histoire pour voir
que le monde marche autrement. Est-ce que toute la race anglo-saxonne, qui a produit ces deux grands faisceaux, l’Angleterre et l’Amérique du Nord, ne se divise pas en nations distinctes, indé
pendantes-? Est-ce que la race latine, si fortement pénétrée de l’idée d’unité, ne nous présente pas
différents groupes de nationalités absolument libres entre elles ? Est-ce que Constantinople ne peut pas appartenir aux populations chrétiennes,
qui la posséderont légitimement et qui pourront se constituer d’une manière indépendante, sous la garantie des puissances?
Cette solution est d’autant plus juste que les peuples chrétiens de la Turquie d’Europe ont une
vigueur et une vitalité des plus accentuées. C’est une racé vaillante, solide, douée de qualités vi
riles, et qui a gardé, sous l’oppression turque, son caractère et ses mâles vertus.
Ces contrées de la Serbie, du Monténégro, de la Bulgarie, de la Bosnie et de l’IIerzégovine son t presque inconnues en France. Nous conseillons â ceux qui veulent se rendre compte des événemen ts que l’on prévoit, de lire les récits des voyageurs
qui ont parcouru ces pays ; ils y trouveront des pages qui leur rappelleront la Grèce antique.
Ainsi, nécessité de résister à la Russie comme à la Prusse, maintien de la Turquie, tant qu’elle pourra être maintenue, défense des populations chrétiennes de l’empire, appelées à lui succéder; voilà les trois termes du problème politique compris dans la question d’Orient.
Tels sont les préliminaires do la question, et nous devions les rappeler ici, â l’heure où le chancelier de l’empire de Russie déclare, dans un Mé
morandum, que le gouvernement de Saint-Pétersbourg n’observera pius le traité qu’il a signé.
V


Un mot maintenant sur la circulaire du prince Gortschakoff.


Le cabinet de Saint-Pétersbourg affirme que le traité du 30 mars 1856 n’est qu’une « fiction qui n’a point supporté l’épreuve du temps, » et il pro
pose de le remplacer par d’autres arrangements s’appuyant sur une base plus solide « que celle qui comporte un état de choses qu’aucune grande puissance ne peut accepter comme la condition normale de son existence. »
La Russie remet donc sur le tapis toute la question d’Orient, par la déclaration officiellement for
mulée devant l’Europe de se soustraire à certaines stipulations du traité de Paris. En effet, comme le
constate lord Granville dans sa réponse, eu date du 10 novembre, à la circulaire russe : « la pré
tention au droit de renoncer â quelques-unes des clauses implique la prétention au droit de renoncer à toutes les autres. »
Ainsi, la Russie dénonce à la fois les stipulations qui lui ferment les détroits et celles qui lui défendent de posséder dans la mer Noire une ma
rine de guerre dépassant les limites fixées par l’article 2 de ladite convention à six bâtiments à vapeur de cinquante mètres de longueur à la flot
taison, d’un tonnage de huit cents tonneaux au maximum, et à quatre bâtiments légers à vapeur ou à voile, d’un tonnage qui ne dépassera pas deux cents tonneaux chacun.
La Russie saute donc à pieds joints par-dessus cet obstacle. Elle dit purement et simple
ment : Je ne respecterai plus cette clause-là, ni d’autres que je considère comme humiliantes et inconciliables avec ma politique traditionnelle.
Je ne vous demande pas si cela vous convient ou non ; j’agis ainsi parce que c’est mon intérêt et parce que le droit international n’est qu’un vain mot, à cette heure où prévaut en Europe le prin
cipe proclamé à Berlin : la force prime le droit. L’Europe depuis bien longtemps n’avait pas assisté à un tel abus des formules léonines. Il n’y a pas de traités, il n’y a plus de droit public européen ; il n’y a plus que ce dualisme prusso-russe, mani festement lié par un traité secret, et résolu à ré
genter l’Europe suivant son bon plaisir. Nous allons voir si l’Angleterre, l’Autriche, la Turquie et l’Italie courberont la tête sous cet insolent défit
Henri Cozic.