DEpuis longtemps le monde militaire et l’opinion publique désignaient le général Lewal comme étant, parmi nos officiers-généraux,le plus apte,
— en ces temps troublés par la politique — à prendre en main le portefeuille de la guerre.
Pour tous les officiers qui ont servi sous ses ordres, pour tous ceux qui ont lu ses ouvrages, pour ceux qui l’ont approché, le général Lewal représente le summum de la science militaire, de l’intelligence, des idées de progrès unies au souci des intérêts les plus chers de notre armée.
On peut dire que sa notoriété, considérable en France, l’est presque autant à l’étranger. Le général Lewal est un enfant de Paris. Il est né le 13 décembre 1823. Son grandpère était conseiller à la Cour des Comptes.
Après avoir fait d’excellentes études au collège de Versailles, il entra à Saint-Cyr en avril 1841 et fut reçu le premier à l’Ecole d’état-major où il conserva durant tous les cours la tête de sa promotion.
Dès ses débuts, il se révélait, on le voit, comme un officier de grand avenir.
Promu capitaine le 12 décembre 1848, il part pour l’Algérie, devient premier adjoint à la direction des affaires indigènes de la province d’Alger et dirige le bureau arabe de Blidah.
Pendant l’expédition de la Grande-Kabylie, une balle l’atteint à la jambe, comme il allait, sous le feu des Arabes, enlever le corps d’un sous-officier mortellement blessé.
Pour cette belle action, il reçoit la croix de chevalier de la Légion d’honneur.
Ses talents militaires, ses services signalés le font nommer bientôt au commandement du cercle de Dellys où, sous son heureuse impulsion s’organise une ville à l’européenne avec rues, jardins, canaux, casino, mosquée, bains, fontaines et cultures.
En 1859, il prit part à la campagne d’Italie en qualité de capitaine et de chef d’escadron. Il en rapporta des
études, des travaux remarquables qui parurent dans la Revue contemporaine sous les titres de : Mantoue et Virgile, le Lac de Corne, Pline le jeune, Annibal et Magenta, Catulle à Sermione.
« Magenta et le Tessin, dit M. de Calonne, lui rappellent « An .ibal en même temps qu’ils le portent à rapprocher la « campagne de 1859 delà descente des Carthaginois en « Italie. Ici, l’écrivain militaire reparaît, mais sans la séche« resse qui rend si pénibles à lire les dissertations straté« giques. Partout, à travers les rigoureux calculs de « l’officier d’état-major, apparaissent tantôt de riants « paysages, tantôt de grandioses montagnes, déchirées par « de profonds précipices. Ici, c’est un beau site qui « captive le regard là, c’est la grande vallée du Pô qui
« déroule ses vastes tapis de verdure d’où jaillissent des « villes opulentes. Partout l’écrivain marche appuyé sur « des textes, soutenu par des calculs, éclairé par des dé« ductions, charmant la route par le pittoresque, tenant « l’esprit éveillé par des traits de caractère. C’est de l’his« toire, mais de l’histoire qui fait comprendre les passions « humaines, dévoile les secrets du génie et s’enrichit des « trésors de la nature. »
En 1862, nous trouvons le commandant Lewal au Mexique, attaché à l’état-major général du corps expédition
naire, où, après Puebla, il est nommé lieutenant-colonel et officier de la Légion d’honneur; puis à Rome, remplissant les mêmes fonctions.
Le maréchal Niel, à son arrivée au ministère de la guerre, le chargea d’organiser le service du grand état-major général tel qu’il existait et qu’il existe encore en Allemagne.
Au moment de la déclaration de guerre à la Prusse, il fut attaché à l’état-major de l’armée du Rhin. Il s’efforça de lutter contre les influences politiques dissolvantes qui régnaient alors à Metz et il ne tint pas à lui que les affaires ne prissent une autre tournure.
De retour de captivité, le colonel Lewal trouva la récompense de ses services pendant la néfaste campagne de 1870: on lui donna la croix de commandeur.
Il continua ses travaux, fit des conférences et se consacra tout entier à l’étude de notre réorganisation militaire.
Le 21 avril 1874, il passait général de brigade. Cette nomination fut accueillie dans l’armée avec la plus grande faveur.
Trois ans après, il était appelé à présider l’Ecole de guerre; son action y fut considérable. Il changea com
plètement le système, le mode d’instruction, les cours mêmes de l’ancienne Ecole d’état-major, proscrivant toutes
les théories purement spéculatives et assignant une part très large aux études sur le terrain.
Au mois de février 1880, il gagnait sa troisième étoile et allait prendre à Montauban le commandement de la 33e di
vision d’infanterie, et plus tard celui du 17e corps d’armée, dont le siège est à Toulouse.
Le général Lewal est, nous l’avons dit, un de nos officiers-généraux les plus estimés à l’étranger : ses ouvrages font autorité dans les états-majors.
La Réforme de l’armée, parue en 1871, et les Etudes de guerre ont mis le sceau à sa réputation.
C’est un homme froid, travailleur acharné, exigeant peutêtre des jeunes troupes plus qu’elles ne peuvent donner, mais ne se ménageant pas à lui-même les fatigues excessives qu’il impose aux autres.
Le nouveau ministre de la guerre n’est pas seulement un brillant général, un écrivain de talent, un Français passionné pour le bien de son pays, c’est encore un homme de cœur, dont la vie privée a été aussi digne que sa carrière bien remplie.
H. Roger de Beauvoir.
L’EXPÉDITION FRANÇAISE a MADAGASCAR
La ville de Majunga, dont nous nous sommes emparés l’année dernière, est située sur la côte occidentale del’île de Madagascar. C’est le point de départ d’une voie qui remonte la vallée de l’Ikoupa et aboutit à Tananarive, la capitale des Hovas.
Nous donnons trois vues de Majunga dans ce numéro : une des entrées de la ville, la vue du quartier marchand et le cimetière indien, plus une vue de la rade. Notre vue de l’entrée de Majunga est celle du quartier Sakalave; elle représente la rue de l’Agence française. Les cases, grandes, propres et spacieuses, sont couvertes en feuilles de palmieréventail.
Le bâtiment qui apparaît à gauche est occupé par un poste de marins. Ce point est remarquable par l absence de toute verdure. Seuls, deux palmiers y projettent leur om
bre sur le sol brûlé. Le cimetière indien est entouré d’un mur crénelé, récemment construit par les Français. C’est une ligne de palanques en palétuviers, renforcée de petits postes en forme de blockhaus. Le bâtiment ruiné, placé à gauche, est une ancienne mosquée ; au premier plan, on voit la piscine sacrée. Les tombes sont rangées sur plusieurs lignes très serrées. Chacune porte une plaque de marbre avec inscription.
En tête est une sorte de petite niche où sont réunis certains objets destinés à rendre hommage au défunt, ou ayant servi à son usage : fourneaux et coupes en terre cuite, lampe en forme de cuiller, etc. Le dessin de la rade est pris de l’extrémité du quartier marchand, c’est-à- dire du quartier indien, dont les constructions avec leurs terrasses, leurs arcades en fer à cheval et leurs murs blanchis à la chaux, rappellent le style arabe. La rade est peuplée de pirogues à balancier et de cotres qui font le commerce entre Majunga et les îles de la côte nord-ouest.
Nos deux autres dessins représentent divers princes et princesses malgaches qui, s’étant mis sous notre protection,
reçoivent une indemnité du gouvernement français. Ils sont représentés sur le pont de la Creuse où ils étaient venus visiter l’amiral. Ce sont Binao, reine des Sakalaves et une de ses sœurs, le roi Mousa et Tsialano, roi de l’Ankara, successeur de Tsimiharo, qui nous a jadis abandonné tout l’Ankara, en échange d’une pension.
UN CONVOI d’or EN SIBERIE
C’est par les criminels dangereux enfermés dans les bagnes et astreints aux travaux forcés dans les mines, qu’est récolté l’or que contient le sol de la Sibérie. Car, pour les autres condamnés qui ont, eux aussi, quitté à Moscou, la prison de passage ou de dépôt pour ce terrible lieu d’exil, d’où l’on ne revient pas, ils sont généralement libres et exercent, pour vivre, le métier qui leur convient le mieux.
Les forçats au contraire sont étroitement détenus, et peu de visiteurs sont admis à pénétrer dans l’intérieur des prisons où ils expient leurs crimes. Le plus célèbre de ces bagnes, dit M. Victor Tissot, est celui de Kara. Ce bagne est situé à une quarantaine de lieues en aval de Stretinsk,
sur la Chilka. Il a la forme d’un grand carré et est entouré d’une enceinte de palissades hautes de vingt pieds, faites d’arbres équarris et appointis du bout. De nombreux sol
dats le gardent. Les forçats en partent, l’été, à quatre heures du matin, pour la mine et, sous la surveillance de
soldats, de kosaks et de gardes-chiourme, travaillent jusqu’à six heures du soir. Une heure de repos pour le déjeuner coupe en deux cette dure journée de labeur.
Les forçats recueillent le sable, la terre et les pierres dans des brouettes qu’ils amènent, par un plan incliné, à l’un des moulins disposés pour laver l’or. Des inspecteurs, ayant à
la main un sac en cuir, surveillent l’opération du lavage et recueillent les pépites ou les morceaux d’or qui apparaissent.
L’inspecteur en chef centralise toute la récolte dans un sac plus grand et l’envoie sous bonne escorte au bagne où elle est enfermée dans un petit pavillon cuirassé que l’on nomme au bagne la « chambre d’or ». Ce pavillon est d’une soli
dité à toute épreuve et renferme une immense caisse en fer, contenant elle-même deux grands coffres également en fer,
où l’or, après avoir été pesé, est versé dans des sacs de cuir qui, tous les trois mois, sont dirigés sur Saint-Pétersbourg.
C’est un convoi de cette nature, par un temps d’hiver, que représente notre grande gravure. Les caisses où se trouve l’or sont placées sur un ou plusieurs traîneaux, sui
vant leur nombre. Trois chevaux sont attelés à chaque traîneau dont le premier est surmonté d’un drapeau. Une nombreuse escorte de kosaks précède, flanque et suit le convoi qui s’achemine le plus vite qu’il peut vers Saint- Pétersbourg, à travers tous les obstacles que présente une route à peine tracée, de deux à trois mille kilomètres, ensevelie sous la neige, qui souvent s’y soulève et y tourbillonne en tempêtes terribles.
EXPLORATION EN INDO-CHINE
Les trois gravures extraites du Voyage d’exploration en Indo-Chine des commandants Doudart de Lagrée et Francis Garnier donnent une idée de l’intérêt ethnographique et historique que présente ce voyage, considéré par les écri
vains spéciaux comme l’un des plus importants du siècle, et que l’édition donnée par M. Léon Garnier, le frère d’un
des deux explorateurs, vient de mettre à la portée du grand public. La première représente un vieux Chinois dont la Commission française fit la rencontre dans la ville de Bassac, centre de population assez considérable, situé sur la rive droite du Cambodge ou Mékong, au pied du plus important massif montagneux du Laos méridional. La Commis
sion séjourna longtemps, en 1866, dans cette station, l’une des plus pittoresques de la vallée et l’une des mieux placées au point de vue politique et commercial . Aussi n’est-il pas rare de trouver là des trafiquants venus de loin par la route
du fleuve et qui séjournent ou même s’établissent dans cette délicieuse contrée. Le costume de ces immigrants indique la douceur du climat ; le haut-de-chausse que porte notre vieux Céleste, est un vêtement de luxe, et le morceau d’étoffe jeté sur son épaule et qu’on ne prendra pas pour un pourpoint, est destiné à lui servir de coussin pour supporter les fardeaux. Sa physionomie a quelque chose d’ori
ginal et de retors; sa connaissance du pays fit de lui un intermédiaire très utile entre les explorateurs et les indigènes.
Notre seconde gravure représente deux types des tribus sauvages du plateau mouvementé d’Attopeu, auxquelles les
Laotiens donnent le nom générique de Khas et que les Annamites nomment Mois. Les hommes de ces tribus sont généralement grands et bien faits; ils ont le nez plus droit et le front plus développé que les Laotiens et portent les cheveux longs. Des bracelets de fils de laiton, des colliers de verroterie, des cylindres de bois passés dans le lobe des oreilles, sont les traits saillants de leur parure. Ils sont agiles, actifs, industrieux ; leurs cultures attestent des soins intelligents et un grand nombre des produits de leur travail offrent un aspect particulier de délicatesse et d’élé
gance. Francis Garnier considère les tribus des Moïs comme se rattachant toutes à un tronc commun et croit que le plus grand nombre d’entre elles ne sont que les débris des anciens régnicoles du Tsiampsa.
Notre troisième gravure est toute une scène. Sur les frontières indécises de la Chine, de l’Annam et de la Birmanie, la commission française eut à traverser une suite de petits royaumes rivaux les uns les autres et supportant avec im
patience le joug administratif, compliqué et pesant, des puissances voisines. Le roi de l’un de ces royaumes, celui du Muong-You, accueillit avec une faveur marquée la commission française. Il disait hautement que là où se trouvent les Européens, en Extrême-Orient, la guerre et les troubles cessent, le commerce et la population augmentent. Cet intelligent jeune homme voulut faire une réception solennelle au commandant de Lagrée et à ses compa
gnons. Notre gravure représente l’audience particulière qu’il leur accorda ensuite et pendant laquelle des ques
tions intéressantes furent traitées. On juge de la majesté de ces principicules : leurs serviteurs ne paraissent devant eux qu’en rampant, en marchant à quatre pattes, et c’est dans cette allure peu commoae qu’ils viennent présente, le thé aux Européens confortablement assis sur des tapis
devant le souverain. Par des portières discrètement soûle vées, les femmes de ce petit sultan regardent d’un œi curieux les étrangers admis à jouir de son auguste pré
sence. La race Thaï à laquelle appartient le peuple du Muong-You, est douée d’une curiosité intellectuelle et d’une délicatesse naturelle de goût qui lui permettraient de prendre bien vite, sous d’autres maîtres que les Birmans, une place honorable parmi les peuples civilisés.
G. V.
NOS GRAVURES
LE GÉNÉRAL LEWAL