Notre dessin reproduit le charmant décor du premier acte, le cabaret de la Pomme-de-Pin ; il est de M. Lavastre. C’est une salle d’au
berge avec sa cheminée monumentale, et les pots de grès qui la garnissent. Des rideaux de cotonnade couvrent les vitrages en losanges serrés dans leurs cadres de plomb, un escalier se dégage sur la droite. Des buveurs occupent les tables pendant que le guêt conduit au gibet, par ordre du roi, le capitaine Fracasse qui servait dans l’illustre troupe de Mondor. Là s’en
gage le drame de Tabarin que notre compte-rendu a raconté. Là Tabarin a battu Francisquine qui, pour se venger de l affront, écoute les doux propos de Gautier. Taba
rin veut, en vain, se réconcilier, le coup est porté et Francisquine s’en souviendra. Le second dessin représente la place Dauphine avec la statue du roi Henri et les deux maisons qui lui font face, avec le quai des vieilles maisons de Paris, maisons en bois et en encorbellement qui s’élèvent le long de la Seine et que la Tour-Saint-Jacques domine. C’est la parade sur le Pont-Neuf, devant la baraque de Ta
barin. Pendant que le pauvre homme joue sa farce, caché dans un tonneau, le nouveau capitaine Fracasse enlève sa femme et le comédien désolé, la mort dans l’âme, les yeux pleins de larmes fait appel à la pitié des assistants qui rient de tout leur cœur de la nouvelle farce de Tabarin. Ce décor, si juste de ton, si pittoresque est de MM. Rubé, Chaperon et Jambon.
l’affaire ballerich
Presque au moment où se déroulait devant le jury de la Seine le drame Hugues-Morin, un drame de même nature se passait rue de Richelieu, drame sanglant comme le premier, inspiré comme lui par un sentiment de vengeance di
recte, avec cette aggravation que ceux qui souffletaient ainsi la loi étaient précisément chargés de son application régulière. Nous voulons parler de l’invasion des bureaux du Cri du peuple par MM. Ballerich frères, l’un, commis
saire dé police à Saint-Ouen, l’autre officier de paix au 9° arrondissement de Paris.
Rappelons les motifs de l’agression. On^sait que la mère de MM. Ballerich a été dernièrement assassinée. Ce crime avait violemment surexcité les deux frères qui avaient ob
tenu l’autorisation d’en rechercher eux-mêmes les auteurs, dont trois furent arrêtés grâce à eux. Leur chagrin était profond et ardent leur désir de vengeance. Sur ces entre
faites, un article parut, le 6 janvier, dans le Cri du peuple, faisant allusion à ces tristes événements. « Dernièrement, était-il dit dans cet article, les difficultés budgétaires exi
gèrent une mesure radicale : il fallait absolument occuper l’opinion. Camescasse, nouveau Brutus, n’hésita pas à sa
crifier la mère d’un de ses meilleurs acolytes, et, appelant Gamahut dans son cabinet, il lui dit :
— Va, étrangle cette femme, fais-lui son porte-monnaie. La sécurité de Ferry l’exige.
Le fils, prévenu avec tous les ménagements d’usage, a aussitôt compris toute l’étendue du devoir professionnel; il a courbé la tête en réclamant seulement un avancement rapide, à titre de compensation. Du reste, Gamahut a fidè
lement exécuté la commande. Bien entendu, cela n’est qu’une hypothèse; mais quelle vraisemblance ! »
On comprend, malgré cette dernière phrase, quelle dût être l’indignation des frères .Ballerich à la lecture d’un sem
blable article. Transportés de fureur, ils se rendirent dans les bureaux du journal pour demander satisfaction au
rédacteur en chef, M. Jules Vallès. Arrivés au numéro 106 de la rue de Richelieu, ils s’informent chez le concierge et s’élancent dans l’escalier.
Le garçon de bureau, prévenu à l’aide du tuyau acoustique par les typographes, leur jeta au nez la seconde porte de l’antichambre qui ferme à secret et possède un judas permettant de reconnaître les visiteurs. Les frères Ballcrich, qui ont appartenu au corps des cuirassiers, sont deux hommes vigoureux, d’une carrure exceptionnelle. Personne ne répondant à leurs appels, l’un deux, d’un coup d’épaule, fit voler en éclats le panneau supérieur et repoussa violem
ment le garçon de bureau qui venait à lui. Les assaillants se précipitèrent alors dans les bureaux de rédaction. L’officier de paix, d’après la version de M. Duc, un des rédac
teurs connu sous le pseudonyme de Quercy, était armé de son épée nue et d’un revolver; M. Norbert Ballerich, l’of
ficier de paix, affirme, au contraire, qu’il n’avait aucune arme en main et se borna t à demander M. Vallès. Quant à son frère Charles, le commissaire de police, il brandissait son revolver.
11 n’y avait en ce moment dans les salles du journal que deux personnes: M. Massard, secrétaire de la rédac
tion, et M. Duc. M. Massard, effrayé par la violence et les menaces des deux frères, s’était, retiré dans une pièce du fond, en fermant la porte derrière lui. M. Duc accourut, attiré par le bruit. Juste à ce moment, M. Charles Balle
rich, véritablement fou d’exaspération se mit à tirer des coups de revolver. Toutes les balles allèrent se loger dans le plafond. Que s’est-il passé à ce moment? Il sera très
difficile de l’établir, car il n’y avait aucun témoin, en dehors des trois intéressés. D’après le récit de la plupart des journaux, M. Charles Ballerich aurait tiré, ses coups de revolver sur le rédacteur du Cri du Peuple, tandis que son
frère l’assaillait à coups d’épée. M. Duc, blessé d’un coup d’épée au côté, aurait riposté en tirant six balles, dont trois atteignirent l’officier de paix, qui couvrait son frère de son corps. Mais il faut remarquer que ce récit a été communiqué à tous les reporters par les collaborateurs de M. Duc.
L’interrogatoire des deux frères Ballerich ferait croire, au contraire, que M. Duc, qui ne les connaissait pas, a visé celui qui portait l’uniforme d’officier de paix, bien qu’il ne fût pas menacé par celui-ci. C’est alors que M. Norbert Ballerich, blessé de trois balles, aurait tiré son épée, et en aurait frappé M. Duc.
Tels sont les deux versions que nous donnons telles quelles. Ce qu’il y a de sûr, c’est que lorsque le metteuren pages et les typographes montèrent au bruit et maîtrisèrent les deux frères, M. Norbert Ballerich, qui n’avait pas tiré un seul coup de son revolver, chancela entre leurs mains et laissa tomber son épée complètement tordue. Il avait reçu trois balles : une dans le bras gauche, une à la cuisse, la troisième un peu au-dessus du cœur. Il perdait beaucoup de sang. Les gardiens de fa paix, venus du poste le plus voisin, l’emportèrent sans connaissance, et emmenèrent le com
missaire de police, fou de rage et de douleur, et que quatre agents vigoureux avaient peine à maîtriser.
Une heure après, le commissaire de police du quartier arrivait sur les lieux, se faisait remettre les pièces à con
viction et ouvrait une enquête sommaire. Puis l’instruction était remise entre les mains du parquet, qui procédait aux enquêtes et interrogatoires.
UN CONVOI d’or EN SIBERIE
Cet artic e a déjà paru dans notre dernier numéro. Notre texte étant cliché, nous n avons pu le supprimer en même
temps que la gravure à laquelle il se rapporte, pour faire j place aux dessins du procès de Mme Hugues. Comme nous donnons aujourl nui la gravure, nous reproduisons l article.
C’est par les criminels dangereux enfermés dans les bagnes et astreints aux travaux forcés dans les mines, qu’est récolté l’or que contient le sol de la Sibérie.
Les forçats sont très étroitement détenus, et peu de visiteurs sont admis à pénétrer dans l’intérieur des pri
sons où ils expient leurs crimes. Le plus célèbre de ces bagnes, dit M. Victor Tissot, est celui de Kara. Ce bagne est situé à une quarantaine de lieues en aval de Stretinsk, sur la Chilka. Il a la forme d’un grand carré et est entouré d’une enceinte de palissades hautes de vingt pieds, faites d’arbres équarris et appointis du bout. De nombreux sol
dats le gardent. Les forçats en partent, l’été, à quatre heures du matin, pour la mine et, sous la surveillance de soldats, de kosaks et de gardes-chiourme, travaillent jusqu’à six heures du soir. Une heure de repos pour le déjeuner coupe en deux cette dure journée de labeur.
Les forçats recueillent le sable, la terre et les pierres dans des brouettes qu’ils amènent, par un plan incliné, à l’un des moulins disposés pour laver l’or. Des inspecteurs, ayant à la main un sac en cuir, surveillent l’opération du lavage et recueillent les pépites ou les morceaux d’or qui apparaissent.
L’inspecteur en chef centralise toute la récolte dans un sac plus grand et l’envoie sous bonne escorte au bagne où elle est enfermée dans un petit pavillon cuirassé que l’on nomme au bagne la « chambre d’or ». Ce pavillon est d’une soli
dité à toute épreuve et renferme une immense caisse en fer, contenant elle-même deux grands coffres également en fer,
où l’or, après avoir été pesé, est versé dans des sacs de cuir qui, tous les trois mois, sont dirigés sur Saint-Pétersbourg.
C’est un convoi de cette nature, par un temps d’hiver, que représente notre grande gravure. Les caisses où se
trouve l’or sont placées sur un ou plusieurs traîneaux, suivaut leur nombre. Trois chevaux sont attelés à chaque
traîneau dont le premier est surmonté d’un drapeau. Une
nombreuse escorte de kosaks précède, flanque et suit le convoi qui s’achemine le plus vite qu’il peut vers Saint- Pétersbourg, à travers tous les obstacles que présente une route à peine tracée, de deux à trois mille kilomètres, en
sevelie sous la neige, qui souvent s’y soulève et y tourbillonne en tempêtes terribles.
M. ALBERT GOUPIL
Dernièrement est mort M. Albert Goupil, le fils et l’associé du grand marchand de tableaux bien connu, le beaufrère de M. Gérôme, membre de l’Institut et de M. Cléry,
avocat. M. Albert Goupil était un des adeptes les plus fervents et les plus éclairés de la curiosité, et sa collection d’objets d’art était, on le sait, renommée entre toutes.
Tous ceux qui ont visité son grand atelier de la rue Chaptal en sont sortis émerveillés. Il faudrait égrener le chape
let de tous les adjectifs dont abusait Mme de Sévigné pour exprimer justement l’admiration dont on était saisi en pé
nétrant dans la salle orientale, si belle avec sa large baie laissant largement pénétrer une lumière que tamisent les dé
coupures d’un moucharabieh emprunté à la façade d’une maison arabe, avec sa fontaine de marbre, reproduction
d’un des bénitiers de l’église St-Marc à Venise, ses divans, ses tapis d’orient, son plafond à compartiments, d’où des
cendent des lampes en cuivre, de ces formes bizarres qu’ont inventées les Orientaux.
Dans cette salle se trouvent, tendus sur le mur, cinq tapis
de Perse d’un travail incomparable. Puis ce sont, dans les parties laissées libres par les tapis, de très anciens pan
neaux arabes, en mosaïque d’os et de bois sculpté, des
pièces d armures, des cottes de maille, des casques. Voici,
sur des bancs qui occupent le tour de la salle, des plateaux, des vasques, des flambeaux, des bassins, des aiguières en cuivre jaune damasquiné d’argent, travail arabe du faire le plus précieux.
La salle Renaissance est non moins merveilleuse que celle dont nous venons de parler. Une cheminée monumen
tale provenant du château de Montai en occupe en partie le fond. Tout autour, au-dessous du plafond, règne une large frise en velours vert et rouge à grands ramages. En face de la cheminée s’élève une tribune en bois sculpté, avec loggia au milieu. Des colonnes de marbre et de; chimères supportent cette tribune.
De distance en distance, des meub es de la Renaissance très remarquables; au milieu, des tables, des sièges à X,des fauteuils en bois sculpté ; dans une vitrine, des costumes,
une des curiosités de la collection ; sur un panneau, en face du jour, deux tapisseries du xv° siècle, de tous points admirables, l’une représentant la Salutation angélique,l’autre l’Adoralion des Mages.
Ces deux tapisseries vont prendre maintenant le chemin de la Manufacture des Gobelins, à qui M. Goupil lésa léguées. Le Musée du Louvre a aussi sa part dans ses libé
ralités. C’est à lui qu’a été donné le beau buste de Donatello, un Saint-Jean-Baptiste plein de caractère, que les amateurs ont admiré en 1878 au Trocadéro.
M DE LA ROUNAT
M. de la Rounat s’appelait de son vrai nom Rouvenat. Il fit ses classes à Charlemagne, et se tourna vers la litté
rature. En 1848, entraîné dans le mouvement politique, il fut secrétaire de la commission dû travail instituée au Luxembourg sous la présidence de Louis Blanc.
Redevenu homme de lettres, il écrivit plusieurs romans et donna au théâtre un assez grand nombre d’ouvrages.
M. Charles de La Rounat fut à deux reprises différentes directeur de l’Odéon : la première fois, de 1856 à 1867, il
monta le Marquis de Villemer, la Contagion, le Testament de César Girodot et le Macbeth de M. Jules Lacroix, qu’on vient de reprendre.
Après avoir donné sa démission, au bout de dix années, il redevint journaliste et rédigea le feuilleton dramatique du XIXe Siècle. Il fut ensuite nommé commissaire du gouver
nement près les théâtres subventionnés. C’est alors qu’il brigua la direction de l’Opéra, et qu’à la suite de la nomination de M. Vaucorbeil comme successeur de M. Haianzier il redevint, pour la seconde fois, directeur de l’Odéon, en remplacement de M. Duquesnel.
M. de la Rounat était officier de la Légion d’honneur.
DON JOSÉ GUELL Y RENTE
Don José Güelt y Rente, mort récemment à Madrid, était sénateur de Cuba. C’est lui qui a fondé l’Université de la
Havane. Il était fort estimé en Espagne comme écrivain et comme poète; et, bien qu’il ait siégé dans les rangs de l’opposition au Sénat, il faisait partie de la famille royale. Il était, en effet, oncle par alliance du roi Alphonse XII, ayant épousé l’infante Joséphine-Ferdinande-Louise de Gua
deloupe, de qui il a eu deux fils, le marquis de Valcarlos et le marquis de Güell, ancien ami d’O’Donnell.
Don José Güell y Rente avait soixante-dix ans. Il était commandeur de la Légion d honneur.
LES AFFAIRES DE CHINE
L’ïle de Formose. — La baie d’Alung.
L’île de Formose s’étend, comme on le sait, le long de la côte orientale de la Chine, sur une longueur d’environ cent lieues. Elle est coupée en deux par une chaîne de montagnes de nature volcanique, possède de bons ports, de vas
tes forêts, des gîtes houillers et métalliques d’une grande richesse.
La baie d Alung s’ouvre au fond du golfe du Tonkin, dans une situation des plus favorables à un établissement maritime. Profonde et bien abritée, cette baie peut rece
voir les plus grands navires. Alors que l’établissement à Haï-Phong d’un grand port est considéré comme une en
treprise des plus coûteuses et ne remplissant pas le but cherché, la construction de ce même port au fond de la baie d’Alung est regardée comme la préparation d’une concurrence redoutable à Hong-Kong. Si le port projeté est à Haï-Phong, c’est la colonie anglaise qui profitera de notre possession du Tonkin. Si ce port est à Alung, la fortune de Hong-Kong pourrait bien être compromise.
LE RACCOMMODEUR DE COUCOUS
Encore une petite industrie qui disparait. Bientôt il n y aura plus de raccommodeurs de coucous. Ces modestes tra
vailleurs n’ont jamais d’ailleurs été bien nombreux. C’étaient pour la plupart de pauvres gens sans autre profession, qui, ayant appris à monter et démonter les coucous, couraient les villages et réparaient et graissaient les rouages des horloges. On rencontrait aussi, et on voit encore, mais rarement, les anciens n’existent plus, de véritables horlogers, fruits secs ou bohèmes du métier, qui, préférant la vie errante et indépendante à la vie d’atelier, voyagent, portant sur l’épaule deux coucous, l’un par derrière, l’autre par devant et sont munis d’un timbre qu’ils font sonner en marchant pour annoncer leur passage. Ils ont aussi sur le dos, pendue à une courroie, une petite boîte assez longue pour contenir les balanciers et l’outillage nécessaire à l’exercice de leur métier.
Aujourd’hui, comme il ne reste plus que les très vieilles maisons qui possèdent ce genre d’horloge, il n’y a presque plus de raccommodeurs de coucous que remplace presque partout la pendule en zinc doré.
NOS GRAVURES
TABARIN