Catastrophe sans précédent dans ce pays. Le terrible phénomène a sévi avec une intensité rare, et sa fureur n’est point encore calmée.
Chose bizarre, il s’est fait sentir partout le même jour.au même moment, neuf heures du soir, et delà même manière, d’abord par des mouve
ments de trépidation, puis par des oscillations, finalement par un mouvement de rotation plus ou moins fort.
On se figure sans peine la terreur dont ont dû être saisies les populations de la région, au moment des premières oscillations. Ce fut un effarement général, bien légitime assurément. Les habitants, en majorité, étaient déjà rentrés chez eux ; les rues en partie désertes, surtout dans les petites localités. Tout-à-coup, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, elles se trouvèrent remplies de gens effarés, fuyant dans toutes les directions. Ce qui s’était passé, on le sait. Notre correspondant nous communique l’impression d’un habitant de Loja et de sa famille, au moment de la première secousse, et c’est d’après les indi
cations fournies par cet habitant qu’a été fait le croquis dont nous donnons un dessin à notre première page. La famille était à table etsoupait au moment où se manifesta le phénomène. Toute la maison trembla, les meubles cra
quèrent et oscillèrent. Mouvement d’anxiété. On se regarde, on ne sait encore ce que c’est.
La maison, un peu vieille, fléchissait-elle? Allait-elle s’é­ crouler ? Mouvement rapide comme la pensée. A la seconde oscillation, plus de doute possible. C’était bien la terre qui tremblait. Sur la table, qui se déplace, le plafond crevassé laisse tomber une pluie de platras. Quelques sièges sont renversés, des assiettes roulent à terre et se brisent. On se lève; les femmes saisissent les petits enfants, les aînés suivent leurs parents ; l’un d’eux, une petite fille, trébuche et tombe. Son père qui, le dernier, quitte la table, l’enlève et l’emporte avec lui dans la rue. On s’appelle, on se ras
semble, on est sauvé. Toute la famille vit aujourd’hui dans une hutte dans le campement établi sur la Promenade publique, comme nous le disons plus loin.
Peu sensible à Madrid, Jaen, Linarès, Cordoue, Ciudad- Real, le phénomène a été un peu plus violent à Séville, à Xérès, à Cadix, à Utrera et dans la région occupée par les provinces de Grenade et de Malaga. Dans cette ré
gion, les morts et les blessés sont nombreux et c’est à des millions de piastres que se monte le chiffre des dégâts. C’est la province de Grenade qui a éprouvé les plus fortes secousses le 25 décembre. Après cette date, elle a encore essuyé des oscillations à peu près journalières qui ont entretenu les alarmes des populations à tel point que, même dans les endroits qui ont le moins souffert, la majorité des habitants, qui ont déserté leurs maisons, continuent à dormir sous n’importe quel abri plutôt que de passer les nuits sous leurs propres toits. Deux de nos dessins, faits d’après nature, montrent ce que sont ces campements. L’un d’eux est établi dans la promenade publique, el Pasen publico, de Loja. Cette ville, qui ren
ferme dix-sept mille habitants, est située dans l’étroite vallée du Génil, à quarante-cinq kilomètres de Grenade.
Le campement est composé de tentes de cotonnine, de huttes et de baraques, protégeant mal leurs habitants contre les intempéries de la saison, contre la pluie et la neige qui par surcroit de malheur s’est mise à tomber. Au centre se dresse la statue du maréchal Narvaez. A gauche on a élevé un modeste autel où se dit la messe. De l’autre côté est un pavillon où les employés du télégraphe se tiennent en permanence.
Le second campement est dans la capitale même de la capitainerie générale, à Grenade, sur la promenade d El Triunfo. Il se compose de tentes, de huttes et de baraques, comme celui de Loja. Seulement les baraques sont un peu plus confortables. Ajoutons qu’ici et là, dans tous les cam
pements, et ils sont nombreux, on allume de grands feux pour se chauffer toute la nuit. Ces bivouacs en plein air avec le froid n’en sont pas moins assez souvent gais et animés, car la verve et la gaieté naturelles des Andalous finissent par prendre le dessus. La ville de Loja n’a d’ail
leurs pas été fort éprouvée, et celle de Grenade l’a été à peine. Il n’en est pas de même pour les autres localités des environs et, entre autres, pour Albunuelas et Alhama, dont nous donnons des dessins.
Albunuelas est un très ancien bourg placé à l’extrémité sud-est de la Sierra de la Armijara,à vingt-cinq kilomètres de Grenade, sur le Rio Santo. Il comprend, ou plutôt com
prenait, trois quartiers : le quartier Haut, celui de l’Eglise et celui de Bajo. Le quartier de l’Eglise a été complètement détruit; notre gravure en montre les ruines; il n’y reste pas une maison debout. La vieille église elle-même, qui appartenait à un couvent fondé en 1742 par l’archevêque de Grenade, don Francisco de Perea y Porras, n’existe plus.
En résumé, on compte à Albunuelas 362 maisons détruites, 146 lézardées, 102 morts et 500 blessés.
Le désastre est encore plus grand à Alhama, ville plus étendue, il est vrai, et bien plus peuplée que le bourg dont nous venons de parler. Sur près de 1.800 maisons, cette vieille cité de 10.000 âmes, en a perdu près de 1.500. Deux de nos dessins montrent l’aspect actuel des rues Ber
meja et Fuerte à leur intersection, et celui de la rue Alta de Mesones. Amoncellement de décombres, maisons éventrées, toits effondrés, tel est le triste spectacle. Le couvent des sœurs de Santa Clara, observant la règle de Saint-François, fortement endommagé lui-même par les secousses du trem
blement de terre, menace ruine, et les religieuses ont été
obligées de l’évacuer. Le second dessin que nous consacrons à Alhama représente leur campement provisoire. Il est établi dans le jardin d’une maison appelée El Castillo, et appartenant à Don José Toledo y Munoz, de Grenade. Conduites par leur abbesse, âgée de 79 ans, les religieuses se sont réfugiées dans ce jardin, où elles ont établi la hutte et la tente qui leur servent actuellement d’asile.
DENISE
Notre dessin représente la dernière scène du troisième acte de Denise, l’éclatant succès de la Comédie-Française. Brissot a entendu l’aveu que sa fille a fait de sa faute. Il se précipite sur Fernand de Thauzette,le séducteur de Denise, et est sur le point de l’étrangler. Il ne lui rend la liberté que sur la promesse que Mme de Thauzette viendra avant une heure lui demander pour son fils la main de Denise. Si non, il le tuera. (Voir notre article théâtres).
M. EDMOND ABOUT
M. Edmond About était né en 1828, à Dieuze (Meurthe). Il entra, en 1848, à l’Ecole normale et fut envoyé en 1851 à l’Ecole d’Athènes; il publia, à son retour, la Grèce con
temporaine, vive satire, dans laquelle il déploya une verve extraordinaire aux dépens du peuple grec. Il obtint, en outre, un brillant succès avec son premier roman, Tolla, publié dans la Revue des Deux-Mondes. Une comédie en trois actes, Guillery, représentée quelque temps après au
Théâtre-Français, n’obtint aucun succès. Gaëtana, qui vint un peu plus tard à l’Odéon, donna lieu à des scènes de désordre telles qu’elles ne sont pas encore oubliées.
Dès l Exposition dr 1855, le célèbre écrivain avait touché à la critique des beaux-arts. Il y revint en 1858, dans des articles réunis sous le titre : Nos artistes au Salon.
Un voyage en Italie et un séjour à Rome l’amenèrent à aborder un nouveau genre, le pamphlet politique; la Ques
tion romaine fut publiée à Bruxelles en 1859 et eut un retentissement énorme. Il écrivit des chroniques hebdoma
daires pour l’Opinion nationale sous le titre de Lettres d’un
bon jeune homme à sa cousine Madeleine, qui lui valurent de nombreux ennemis.
Jusqu’à la guerre de 1870, la production d’Edmond About fut incessante dans tous les genres. Voici les titres de ses principaux ouvrages : 1860, la Nouvelle carte d’Europe et la Prusse en 1860, brochure politique ; Rome con
temporaine, récit de son voyage en Italie; le Capitaine Bitterlin, comédie en un acte, au Gymnase; 1861, Lettres à M. Keller, brochure ; Ces Coquins d’agents de change,
brochure ; l’Homme à l oreille cassée, roman fantaisiste ; le Théâtre impossible, un Mariage de Paris, comédie en trois actes, en collaboration avec M. Em. de Najac ; 1862, le Neg d’un notaire et le Cas de M. Guérin, deux romans de
fantaisie physiologique dans le genre de l’Homme à l’oreille cassée. Une vente au profit des pauvres, comédie en un acte destinée à accompagner Gaëtana. 1863, Dernières lettres d’un bon jeune homme à sa cousine Madeleine, Madelon, roman; 1864, le Progrès, la Vieide Roche, le Mar
quis de Lanrosc, le Mari imprévu; 1865, un volume de Causeries; 1866, un autre volume de Causeries, le Turco; 1867, l’infâme; 1868, Histoire ancienne, comédie donnée aux Français, les Mariages de province, l’A B C du tra
vailleur, manuel populaire d’économie politique ; 1869, l’Education du prince, proverbe, au théâtre de l’Union artistique, le Fellah, souvenirs d’Egypte.
A partir de 1870, M. Edmond About donna tout son temps au journalisme. Depuis lors, il n’a publié que deux vo
lumes, l’Alsace, paru en 1872, et le Roman d’un brave homme, en 1882.
En 1872, il prit la direction du XIXe Siècle. Il s’était rallié à la République et avait lui-même qualifié son jour
nal : organe républicain conservateur. Il ht une campagne fort remarquée contre le 24 et le 16 mai.
Il s’était présenté une première fois à l’Académie française, il y a quelques années et avait alors échoué. On sait que la docte assemblée l’avait accueilli l’année der
nière, mais il n’avait pas encore été reçu lorsqu’il est mort d’une maladie, le diabète, dont il souffrait depuis quelque temps déjà.
LE COLONEL ROUDAIRE
François-Elie Roudaire, bien connu par son projet de créer une mer intérieure dans les chotts qui se trouvent au sud de la Tunisie et de l’Algérie, est né à Guéret en 1836. Fils d’un géomètre du cadastre, il fut le second, seul gar
çon, de trois enfants. Sa sœur aînée mourut jeune. Il avait conservé d’elle le plus cher souvenir et n’en parlait jamais sans émotion. Sa plus jeune sœur, mariée à un médecin de Jarnage (Creuse), vit encore. Elie Roudaire fit de très bril
lantes études au collège de Guéret où il remporta toujours les premiers prix, et qu’il quitta en rhétorique. Il passa son baccalauréat après s’y être préparé seul. Son père le mit alors chez un avoué à Guéret. Cette existence ne pouvait lui plaire. Son goût pour les mathématiques se développant, il vint à Paris, à l’institution Barbet, et se prépara à St-Cyr où il fut reçu à l’âge dix-sept ans.
La promotion de Roudaire ne fit qu’un an d’école, à cause de la guerre de Crimée dont elle prit d’ailleurs le nom. Elève de l’Ecole d’Etat-major, il s’y distingua par ses rares aptitudes pour la topographie supérieure et la géodé
sie. Aussi, dès sa sortie, fut-il détaché en Algérie aux tra~ vaux de premier ordre de la carte régulière du pays, basée sur des opérations astronomiques. Sa nomination de capi
taine en 1860 ne l’arracha pas à ses travaux géodésiques qui l’amenèrent successivement dans les trois provinces d’Oran, d’Alger et de Constantine. En 1865, après deux campagnes dans le sud, il fut frappé de la dépression cons
tante des chotts du Sahara de Constantine. De cette époque date la première idée de la mer intérieure. Blessé à Wœrth, il fit le siège de Paris et revint en Algérie aussitôt après la guerre. En 1873, encouragé par quelques amis, le capitaine Roudaire mit en ordre ses notes relatives à son projet. La
Revue des Deux-Mondes les publia sous ce titre : une Mer intérieure en Algérie, qui fit grand bruit.
Depuis cette époque quatre explorations des chotts ont eu lieu (en 1874, en 1876, en 1880, en 1883); les trois premières subventionnées par des sociétés savantes ou par l’Etat; la quatrième a été faite avec des ressources particu
lières. La commission nommée en 1881 par M. Jules Ferry a déclaré le projet exécutable mais trop coûteux pour les bénéfices immédiats. Un groupe d’amis, à la tête desquels se trouve M. de Lesseps, a formé alors un fonds de cinq cent mille francs, afin de poursuivre l’idée de Roudaire. Bientôt, aux frais de la Société qui ne demande à l’Etat au
cune subvention, va s’élever le port de Gabès, amorce du futur canal de la Mer Intérieure.
Roudaire, passé commandant en 1877 après dix-sept ans de grade de capitaine (!) a été nommé lieutenant-colonel en 1883. Il avait consacré sa vie à son œuvre et ses
voyages successifs, sans parler des contrariétés de toute espèce, ont usé sa santé. Il est mort d’une maladie de poi
trine arrivée à sa dernière période. Le colonel Roudaire était un homme de foi, un esprit élevé, un grand caractère, et un excellent ami. Il sera unanimement regretté de tous ceux qui l’ont connu. Mais son œuvre Il’est pas morte avec lui.
Napoléon Ney.
j.-m.-a. IDRAC
Encore un jeune et un vaillant, que la mort vient de prendre ! Hier c’était Bastien-Lepage ; aujourd’hui c’est Idrac, ce brave et beau garçon que nous aimions tous, et qui paraissait s’avancer si fort et si heureux dans la vie ! Pour lui, du moins, pas de longues souffrances, pas de lente agonie ; c’est en pleine santé qu’il a été terrassé ; deux
semaines de lutte et tout était fini ! Il venait d’avoir trentecinq ans !
Il était élève de cette féconde école de Toulouse, où le génie de la statuaire semble se développer comme un don spécial au terroir ; il y avait marché rapidement sur les traces des Falguière et des Mercié, qu’il était bien vite venu retrouver à Paris, pour y remporter, à leur exemple, et tout jeune encore, le grand prix de Rome.
C’était en 1873 : dès 1877, il est classé par son envoi de dernière année, l’Amour piqué, une chose fine et exquise, qui lui valut une troisième médaille. En 1879, il est mis hors concours, avec la médaille de première classe pour son Mercure inventant le caducée, qui est aujourd’hui au Mu
sée du Luxembojrg; enfin, en 1882, il a été décoré pour la Salammbô, un chef-d’œuvre de perfection souple et enveloppée. Depuis deux ans, il n’avait plus paru aux expo
sitions ; il se préparait à y rentrer par un coup d’éclat, avec ce superbe Etienne Marcel, qu’il nous souvient d’avoir sa
lué avec enthousiasme, lors du concours ouvert par la Ville de Paris ; il s’y était consacré tout entier, depuis le jour où il en avait gagné la commande sur d’illustres rivaux.
Et la mort est venue arrêter l’artiste en pleine jeunesse, en plein achèvement de son œuvre, au moment où il y mettait la dernière main, où il se préparait à jouir de son succès; elle l’enlève à ceux qui l’aimaient et à ceux qui l’ad
miraient sans le connaître, laissant une jeune veuve et des parents désolés. Quel contraste de penser qu’il n’y a pas un an qu’il entrait dans la famille Ballu, famille d’artistes, elle aussi, par le père et par les fils, et que dans cette église de la Trinité où tout le monde, il y a dix mois, ne parlait que de bonheur et d’espérance, nous nous retrouvions hier réunis à nouveau derrière un cercueil!
Jules Comte.
CÉTACÉ ÉCHOUÉ A LUC-SUR-MER
Le 14 janvier, un énorme cétacé s’est échoué sur la grève, non loin du Casino de Luc. Ce n’est ni une baleine tranche, ni un cachalot; c’est un rorqual de la plus grande espèce, le Rorqual Boops (balaenoptera Boops), qui peut atteindre jusqu’à 33 mètres, au dire de Brehm. Celui qui vient de s’échouer à Luc mesure 19 mètres de la tête à l’extrémité de la nageoire caudale, qui est horizontale et
large de 4 mètres; les nageoires pectorales ont 2 mètres de long. Le plus grand diamètre de l’animal est de 3 m. 50
à 4 mètres; la tête est fortement endommagée; le dos est noir; le ventre, d’un blanc de porcelaine, présente les sil
lons caractéristiques très bien reproduits dans notre gravure. C’est un mâle. L’animal est couché sur le dos, entouré à marée basse de près de 80 centimètres de sable qui 11e réussissent pas à diminuer son aspect gigantesque. Quand la mer bat son plein, le rorqual, secoué par les énormes vagues qui brisent sur le rivage, a parfois les apparences de la vie.
Le 16 janvier des échelles ont été appliquées contre ce géant des mers, et, sous la direction de la Faculté de Caen, le dépeçage a commencé.
Plus de quatre mille personnes le 15, plus de cinq mille le 16, se sont rendues à Luc pour contempler ce monstrueux habitant des mers polaires, qui a été sans doute ballotté plusieurs semaines au gré des vents et des courants avant de s’échouer à Luc.
NOS GRAVURES
LES TREMBLEMENTS DE TERRE EN ESPAGNE