THEATRE DE L ODÉON : La Maison des deux Barbeaux) comédie en trois actes, par MM. André Tlieuriet et Lyon.
— Vaudeville : Clara Soleil, comédie en trois actes, par MM.Gondinetet Sivrac. — Renaissance : La Parisienne comédie en trois actes, par M. Henri Becque
Ce n’est pas aux lecteurs de Y Illustration qu il faut dire quel est le talent de M. André Theuriet. Ce journal a la bonne fortune de compter parmi ses collaborateurs ce poète, ce roman
cier d’un talent si délicat, d’une touche si fine, d’un style si éloquent et si pénétrant à la fois. Bien de ses romans, bon nombre de ses nouvelles, avec leurs tableaux doux, reposés, avec leurs péripéties émou
vantes, méritaient de venir au théâtre, et le volume devait, un jour ou l’autre, passer à l’état de pièce. Le théâtre de l’Odéon nous a donné la Maison des deux Barbeaux, une comédie charmante, qui sera un grand succès.
Le rideau se lève sur un de ces intérieurs aimés de récrivain. Une salle avec sa vieille table à manger, son buffet, ses fauteuils et, suspendu au mur, le portrait de la tante Lénette. C’est là que M. Delphin Nivard introduit chez les frères Lafrogne le jeune Duprat, un nouveau locataire, un magistrat attaché au parquet de Villotte. Puis nous faisons connaissance avec Mme Coulaines et sa fille Laurence, avec le bon et honnête Hyacinthe Lafrogne et Germain, un
brusque, mais un brave homme. Gens de province, ceuxlà, de la vieille roche du Barrois, chez lesquels se sont ré
fugiées Mme et Mlle Coulaines, deux Parisiennes, deux parentes pauvres auxquelles la Maison des deux Barbeaux
est ouverte. La mère est quelque peu dangereuse avec ses incartades et ses indiscrétions ; quant à Mlle Laurence, sa cousine, Germain Lafrogne en est épris ; il aurait ignoré cet amour, si Delphin Nivard ne l’avait pas chargé de deman
der pour lui à Mme Coulaines, la main de sa fille. Il faut une femme dans une maison, et Germain s aperçoit que de
puis la mort de la tante Lénette, la maison est bien vide. Il fait à ce propos de sages réflexions à son frère. Lequel
des deux épousera Laurence? On tire au sort au milieu de la plus vive anxiété. Germain, le hasard l’a voulu, sera l’heureux époux de Laurence si, toutefois, la jeune fille y consent.
Tout l’acte est là, dans cet amour, dans les craintes, dans les jalousies, dans les délicatesses du cœur, plein de ten
dresses, de discrétion et de charme. Il suffirait à lui seul
à faire vivre cette Maison des deux Barbeaux qui, à partir de ce moment, il faut bien le dire, a un peu manqué à ses promesses du début. M. Theuriet pouvait-il continuer sur ce ton de la comédie? J’en doute. Il faut de la variété au théâtre. Quelquefois il en coûte de sacrifier à cette loi d’un
art si difficile. Voici donc Laurence mariée à son riche cousin Lafrogne. Les heures de pauvreté sont vivement oubliées: Mlle Coulaines s’est jetée dans le luxe. Pour lui plaire, Germain a transformé son logis et sa personne.
Ce provincial s’est fait Parisien : il aspire aux élégances mondaines sans aspirer pour cela à la conquête de sa femme qui se laisse faire la cour par le jeune Duprat. Les mys
tères amoureux ne durent pas longtemps en province : il y a toujours quelques âmes charitables qui avertissent le mari par lettres anonymes.
Germain, éclairé de la sorte, interrompt un tète-à-tète et sans se soucier des explications de sa femme, M. Lafrogne chasse de chez lui le jeune magistrat et reste seul avec Laurenïe subissant avec elle le supplice du repentir, du silence et du pardon.
Ainsi finit la pièce ; dans l’eau bourbeuse et méphitique des ménages dans lesquels est entré le soupçon ; c’est grand dommage, en vérité, la comédie était si pure à sa source ! Oh l’avait si chaleureusement applaudi, et de si bon cœur, cet excellent premier acte qui nous assurait une œuvre parfaite de tout point et qui, malgré les défaillances des actes suivants, maintiendra la comédie sur l’affiche.
La Maison des deux Barbeaux est jouée remarquablement bien par M. Chelles qui fait le personnage de Germain Lafrogne. MM. Cornaglia et Barrai ont été très applaudis et le public a fait fête à Mme Crosnier et à Mlle Baréty.
Le Vaudeville vient d’obtenir un succès des plus vifs avec Clara Soleil de MM. Gondinet et Pierre Sivrac. On
me dit que sous ce pseudonyme de Pierre Sivrac, se cache Mme Barrière, dont nous avons plus d’une fois salué les œuvres au théâtre. Je n’y contredis pas; mais comme j’ai
retrouvé tout l’esprit, tout l’entrain de M. Gondinet dans cette amusante comédie, il m’est permis de croire que ce galant homme et collaborateur qui ne s’épargne guère, y a mis beaucoup du sien. La pièce est donc charmante, en
traînante, écrite avec un brio, une verve, et dans un mouvement si rapide qu’on dirait une improvisation. Avec sa grande habileté, sa grande habitude du théâtre, M. Gon
dinet en est arrivé à prendre une situation, à la réserver pour le second acte et à jouer autour sans trop savoir comment les choses iront; le tout au petit bonheur de l’es
prit. Et l’esprit est si gai, si franc, de si bonne humeur et de si bonne composition, qu’il vient à l’ordre de l’auteur. Je l’ai bien vu quelquefois récalcitrant : on lui en demandait trop ;
on ne comptait absolument que sur lui; il se refusait alors à ce service forcé. Notez que M. Gondinet lui impose des
corvées. Cette fois, il a obéi de lui-même. Aussi la soirée a-t-elle été des plus brillantes et des plus heureuses. J’ose
à peine me lancer dans le récit de ces quiproquos, qui se croisent, qui s’enchevêtrent, qui se multiplient avec une merveilleuse adresse. C’est une joie de voir à la scène ces chocs, ces surprises de personnages, toute cette prestidigitation du théâtre dans laquelle M. Gondinet est passé maître.
Je suis sur que je vais gâter la chose en vous la racontant. Sachez pourtant que deux pensionnaires, Eveline et Léonie, sont devenues l’une Mme Bavolet et l’autre Mme Duplantin. M. Bavolet est un sentimental à la fleur de l’âge, M. Du
plantin, resté enfant jusqu’à quarante-cinq ans, époque de son mariage, est encore sous la puissance de papa. Donc deux merles blancs accouplés à deux merlettes de même
couleur. Les ménages vivent en paix. Mais voici venir Mlle Clara Soleil, une étoile des cafés-concerts parisiens,
en déplacement dans le Midi, qu’habitent les Bavolet et les Duplantin. La prude Mme Bavolet a soulevé la société d’Avignon contre cette chanteuse qui promène par les villes ses chansons inconvenantes. La vengeance de Clara Soleil ne se fait pas attendre. Clara enlève M. Bavolet qui l’em
mène à Nice en la faisant passer pour sa femme . Qui diable la reconnaîtrait? Tout le monde salue Mme Bavolet au bras de son époux. Pendant cette course, Eveline, la vraie Mme Bavolet, fait aussi son petit voyage en compagnie de M. Duplantin et de son amie. Eveline rencontre Clara Soleil dans le salon de l’i.ôtel. On fait connaissance, on cause ; c’est charmant. Clara fait une boisson pour son mari ma
lade ; elle en donne la recette à Eveline. Là-dessus entre M. Bavolet; vous voyez la surprise. Puis un messager accourt apportant des billets de concert pour M. et Mme Ba
volet. Clara Soleil tend la main — Donnez ! — Vous êtes madame Bavolet?— Oui,madame, répond impudemment la chanteuse interrogée par Eveline. Et vous, madame, qui êtes-vous? — Moi, madame? Je suis Clara Soleil!
Tout le second acte est une véritable comédie. La pièce a son point d’appui principal sur la scène que je viens de citer et qui force la vraie Mme Bavolet à devenir chanteuse de concerts. Mais que de scènes de second plan amusantes, que de détails charmants et que d’esprit dans les tableaux rapides et changeants, avec les rencontres à Nice, avec l’histoire des deux baisers sous un tunnel trop court ; avec le colonel Primaillac, Saint-Lubin et Duplan
tin qui donne vingt francs à sa femme pour lui ouvrir la loge de la Diva, après laquelle court cet imbécile de notaire en rupture d’étude.
La pièce est jouée comme elle est écrite lestement, vivement, par MM. Dieudonné, Michel, Francès et Corbin. M. Jolly est bien amusant dans le rôle de Duplantin et M. Dupuis, avec sa verve, sa bonne humeur, son naturel exquis, fait du colonel Primaillac un véritable personnage pris dans la vie. C’est Mlle Legault qui joue Mme Bavolet ; elle est bien jolie et le public l’a fort applaudie; Mlle Réjane, est absolument charmante dans Clara Soleil qu’elle joue avec beaucoup d’esprit et dégoût, et Mlle Sizos,a été très applaudie dans le personnage de Léonie Duplantin. Voilà donc le vaudeville en plein succès.
Le théâtre de la Renaissance joue La Parisienne de M. Henri Becque. La première scène de cette comédie est une véritable trouvaille : elle suffirait à elle seule à donner l’étiage du talent d’un auteur dramatique; rien déplus ingénieux, de plus original et de mieux observé. Deux person
nages, un homme et une femme, font irruption sur la scène.
— Ouvrez ce secrétaire et donnez-moi cette lettre — dit le monsieur, avec autorité. A quoi la dame répond, que c’est
une exigence intolérable, une tyrannie à laquelle elle ne se soumettra jamais. La querelle de ménage s’envenime. L’homme commande, la femme se révolte. Monsieur se
soumet enfin et implore son pardon, madame le lui accorde. « Si vous saviez comme je vous aime ! s’écrie alors le mon
sieur, combien je crains de vous perdre! Ah! si vous me trompiez jamais! » Silence! dit la femme, voilà mon mari! Et l’accent est si vrai, si convaincu dans cette lutte du
couple conjugal que le public avait pris le monsieur et la dame pour les deux époux.
Vous le voyez, nous voici de nouveau dans la comédie du plus heureux des trois, mais cette fois, sans l esprit, sans la fantaisie, mais avec une telle intensité de vérité que la pièce en est attristée, comme par une peinture trop réaliste de la vie. Je ne dirai pas que c’est une photogra
phie de l’adultère, le mot serait injuste. L’esprit de M. Becque n’a pas cette exactitude plate, banale qui rend
les détails jusque dans leurs infiniment petits et dans leur puérilité ; il s’élève au contraire, il a les intuitions de la nature; il observe d’abord, il a ensuite des créations. Je le dis hautement : il y a là un maître dans certaines portions de l’œuvre et les plus forts s’estimeraient heureux de pareilles rencontres, soyons plus vrai, de semblables découvertes. Je pourrais citer des indications de scènes, des phrases, des mots qui sont de ces véritables bonheurs qui n’arrivent qu aux gens de talent de premier ordre. Lafont est l’amant
de Mme Clotilde Dumesnil. Savez-vous ce qu’il lui demande?Dene plus voir Mme X. J’oubliele nom.—C’est ma
meilleure amie.—H n’est pas bon qu’une femme comine vous soit en relation avec une femme comme elle. — Pourquoi? — Vous le savez bien. — Dites toujours. - Parce que, Mme X, a un amant! C’est parfait.
Clotilde s’explique avec son ami Lafont : L’intérieur de Clotilde, de M. Dumesnil et de Lafont pourrait être si tranquille; il n’est pas toujours heureux. — Voulez-vous en sa
voir la cause? dit Clotilde. Vous n’aimez pas mon mari et l’un et l’autre vous me rendez malheureuse! A quoi Lafont répond : Vous n’avez eu que deux amis dans la vie, votre mari et moi! Et plus loin. Elle : Nous autres femmes du monde, nous ne nous offrons que des amours désintéressés. Lui : C’est ce que je demande. Elle : Vous, oui... mais... Lui. C’est ce que nous demandons tous. Il me faudrait citer en
core. La pièce est remplie de ces traits de caractère et de ces mots sans précaution, sans ménagements littéraires, mas d’une sagacité qui pénètre profondément dans la nature humaine.
Par malheur, elle s’enferme volontairement et de parti pris dans une situation qui se renouvelle d’acte en acte. Cette étude du ménage à trois est une recommenceuse. C’est bien une comédie, si vous voulez, puisque l’observa
tion en est la force et la dominante, mais une comédie qui
ne marche pas, une comédie assise. Telle qu’elle est, elle fait le plus grand honneur à M. Henri Becque ; elle affirme
de plus en plus un talent très original, très indépendant, des plus estimés et des plus estimables, et qui aura, nous n’en doutons pas, des jours de complète fortune.
Mme Antonine joue en véritable comédienne le rôle de Clotilde ; elle a de l’esprit, de l’élégance, beaucoup de tact. Son succès a été des plus grands. M. Vois et M. Bartel font de leur mieux dans les rôles de l amant et du mari. En résumé, soirée des plus intéressantes et des plus curieuses.
M. Savigny.
NOTES ET IMPRESSIONS A tout pays conquis il faut une révolte.
Napoléon Ier.
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La politique est une science expérimentale, rien de plus, rien de moins. Elle est plus qu’un art, mais elle n’est pas une théorie pure. Il ne faut à aucun prix de surnaturel dans la politique, pas plus dans l’intérêt de la république que dans celui d’une dynastie.
E. Caro.
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Unearmée a besoin de se battre, comme les locomotives ont besoin de rouler, sous peine de devenir du vieux fer.
(Journal du comte d’Hérisson). Prévost-Paradol.
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L’honnêteté ne gâte rien, pas même le patriotisme.
Le comte d’Hérisson.
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Dans les pays libres, les gouvernements aspirent à être plutôt populaires que justes.
Bulwer Lytton. *
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Le mal qu’on souffrait patiemment comme inévitable semble insupportable dès que l’on conçoit l’idée de s’y soustraire.
De Tocqueville.
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Le célibataire riche qui dine en ville tous .les jours est ce qu’on appelle un homme répandu ; le même, pauvre, est un pique-assiette.
Charles Narrey.
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Le mariage? L’enfer du Dante avec un frontispice de Daumier!
E. et J. de Concourt.
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Le malheur des bons cœurs est de croire qu’on rachète par quelques effusions de tendresse toutes les fautes d’une mauvaise tête.
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Le hasard est tour à tour le plus sombre des dramaturges et le plus ingénieux des romanciers.
G.-M. Valtour.
LES THÉATRES