Je le fais exproprier, lui et sa noble famille, de son noble château...


DESSIN D’ÉMILE BAYARD




LA GRANDE MARNIÈRE


Fleury avait dit vrai. Ils comprenaient tous. Et les visages enflammés, les yeux bril
lants, exprimaient bien la convoitise éveil
lée. Tous ils étaient prêts pour la curée. Car c’était de la Grande Marnière, tou
jours, qu’il s’agissait. La source de richesse devait jaillir de la colline, et chacun des associés à l’œuvre de ruine y puiserait largement. Le syndicat préparé depuis des années fouillerait les entrailles du domaine et en arra
cherait le précieux calcaire que l’incurie du marquis y laissait improductif.
Le silence se fit : Carvajan répondait. Il était debout, grave, et de ses lèvres les paroles tombaient froides et mesurées. Il se défendait modestement de l’honneur qu’on voulait lui faire, en attribuant à sa faible initia


PAR GEORGES OHNET




(Suite.)


tive les avantages précieux que l’avenir promettait. Il avait eu d’utiles collaborateurs... Et, du regard, en parlant ainsi, il caressait Dumontier et flattait Tondeur... D’ailleurs, il était satisfait d’avoir obtenu l’ap
probation générale ; car le but qu’il avait eu devant les yeux, c’était uniquement l’intérêt de ceux qui se trouvaient autour de lui...
Il mit la main sur son cœur, avec une onction d’a­ pôtre prêt à s’immoler pour l’humanité. Transportés, ses convives applaudirent de plus belle.
Pascal avait assisté à cette scène avec une stupeur pleine de doute. Il se demanda s’il rêvait, ou si jusqu’alors, de fausses apparences ne l’avaient pas abusé.
Mais la figure de singe de Fleury, contractée par
un sourire silencieux, frappa son regard. Il se rappela les confidences que le greffier lui avait faites. Tout ce qu’il venait de voir était donc une odieuse comédie; tout ce qu’il avait entendu était un éhonté mensonge.
Le dégoût lui souleva le cœur. Il se souvint de la vie libre, large et franche qu’il menait quelques se
maines auparavant. Les vastes plaines de l’Amérique s’ouvrirent de nouveau devant lui, comme pour l’ap
peler dans leurs solitudes verdoyantes et calmes. Une sensation de repos frais et sain l’enveloppa de ses dou
ceurs caressantes. Il lui sembla que le vent parfumé des savanes passait sur son front et calmait les orages de sa pensée. Pourquoi était-il revenu? Que faisait-il dans cette fange ? Il retrouva en lui-même sa force des