ON pourrait écrire sur la tombe de Vallès : « Ci-gît un homme qui ne fut jamais luimême. »
C’est l’excuse de toute sa vie. Jamais cet
affamé de liberté ne fut libre d’être ce qu’il était. Il a, toute sa vie, joué un rôle, tenu un personnage, c’est-à-dire forcé son caractère, contraint sa nature, vécu d’une vie artificielle.
De plus — et c’est encore une circonstance atténuante — ce violent fut avant tout une victime. Il n’était peut-être pas né mauvais ; mais l’enfance lui fut dure et la souffrance ne lui donna pas la bonté. Puis l’orgueil survenant acheva de dévoyer sa vie.
Ce contrasse et cet antagonisme entre son caractère et sa situation commencèrent dès sa naissance. Né foncièrement parisien de parents foncièrement auvergnats, il apprit la révolte par l’excès de la discipline universitaire. La misère ne lui enseigna que l’envie et le succès la jalousie. Par or
gueil, il se fit de ses souffrances un piédestal, de sa misère passée une position sociale. Il posa pour le déclassé, pour le réfractaire, pour l’insurgé.
Pourtant, cet implacable ennemi de l’Université, du baccalauréat, de la littérature, ne fut qu’un universitaire, un lauréat, un littérateur. Ce farouche ne demandait qu’à s’ap
privoiser, et le jour où le Figaro lui donna, — pour un mois — trente mille francs de traitement, ce champion de la misère se hâta, selon ses propres paroles, « d’arranger sa vie sur le pied de trente mille francs de rentes «.
Plein de lui-même, d’ailleurs, c’est sur lui-même qu’il vivait. Son œuvre, c’est lui : Jacques Vingiras, YEnjant, le Bachelier, le Réfractaire, l’insurgé, c’est lui, toujours lui, rien que lui.
Et encore non ; ce n’est pas lui tel qu’il était ; il s’est représenté tel qu il était forcé d’être. La première œuvre qu’il avait écrite, puissante parce qu’elle était l’expression des rancunes de toute sa vie, l’avait incarné dans un per
sonnage farouche. Le succès de cette œuvre le condamna pour toujours à garder cette physionomie. Prisonnier de sa victoire, « traînant » comme il l’a dit lui-même, « le boulet du rentier succès » il entra tout d’une pièce dans la peau du rôle qu’il avait créé. C’est volontairement qu’il se fit antipathique, rébarbatif, violent, amer, mauvais.
La politique acheva ce que l’orgueil avait commencé. Ce lettré, ce délicat qui ciselait la phrase avec amour, devint un révolutionnaire féroce dont le rêve passablement aristo
cratique était de vivre grandement en propriétaire rentier. Au fond, ce « candidat de la misère », ce membre de la Commune, cet implacable, ce subversif était encore une fois l’esclave de son rôle, le martyr de sa prose. Peut-être,
à la longue, l’exil et la persécution finirent-ils par lui faire une certaine conviction. Pour vous faire une conviction rien ne vaut les coups qu’on reçoit. Mais cet anarchiste n’en demeure pas moins un aristocrate, amoureux de bien vivre, point dédaigneux de l’aisance, plein d’indulgence pour la propriété quand c’était la sienne et caressant le rêve de finir en gentleman farmer sur de la terre à lui.
Et, comme il est toujours vrai que le style c’est l’homme, le style de Jules Vallès présente exactement le même caractère que l’écrivain.
Sous des brutalités voulues, avec des-duretés savamment calculées, une élégance délicate, un goût fin de lettré gour
met se laissent deviner. Même, par moment, quand l’acteur oublie son rôle et que l’impression vraie du sentiment in
time peut se faire jour, ce talent souple et raffiné donne une note franchement émue qui n’est pas sans charme. Mais ce n’est qu’un éclair et tout aussitôt reparaît, sentant l’ef
fort, tendue à se rompre, la « corde d’airain » dont il avait fait sa spécialité.
Parmi les « gentilshommes » qui vivent de l’anarchie, Jules Vallès était non pas l’un des plus distingués, mais l’un des mieux réussis. Ecrivain en vogue, il gagnait gros et, n’ayant pas dédaigné d’entreprendre des opérations de finance, il avait fini par avoir des rentes. La des
tinée qui lui fut toujours cruelle n’a pas voulu qu’il en pût jouir. Il est mort sans avoir eu le temps de quitter sa peau « d’homme fauve » et de dépouiller l’anarchiste.
Au total, un homme à plaindre, c’est-à-dire un homme à qui l’on peut tout pardonner.
LE CANAL DE PANAMA
Notre avant-dernier numéro contenait quatre gravures se rapportant aux travaux du Canal de Panama.Nous en donnons aujourd’hui quatre autres relatives au même sujet et nous commençons en même temps la publication d’une étude d’ensemble sur le Canal.
Maisons d’ouvriers à la Cu ebra. — Le col de la Culebra est à la cote de toi m. 66 et se trouve situé à environ 15 kilomètres de la ville de Panama. C’est le point où le canal,
dans la partie montagneuse de l’isthme, doit franchir la ligne de partage des eaux.
Les maisons d’ouvriers sont construites en bois, avec de larges vérandas où l’on peut respirer en plein air, tout en étant à l’abri du soleil ou de la pluie, les deux éléments redoutables des pays tropicaux.
On avait aussi construit des ranchos, c’est-à-dire des huttes couvertes de branches de palmiers et fermées seule
ment par des clôtures en bambous; mais ces habitations trop primitives n’ont été acceptées que par les indigènes.
Les baraquements actuels sont beaucoup plus confortables. Ils ont surtout l’avantage d’être bien clos pendant la nuit et d’être à l’abri de l’humidité du sol, grâce à leur élévation sur pilotis.
Chaque maison peut loger environ 12 ouvriers.
Section d’Emperador. — Emperador est une section des travaux du Canal, dans la région de la Grande-Tranchée; elle tire son nom du village auprès duquel a été installé le campement des agents et des ouvriers.
Les travaux y sont conduits depuis le début par le même ingénieur: leur marche a été très régulière, et l’on voit la tranchée s’élargir et s’allonger progressivement. L’excava
tion est déjà arrivée à une assez grande profondeur. La largeur n’atteint pas moins de 150 mètres en moyenne. Ceci tient à ce qu’en ce point l’altitude dépasse déjà 60 mètres et qu’à cette cote les talus de la tranchée doivent avoir un évasement considérable.
Le Chagres à Gorgona. — Le Kio-Chagres est la rivière qui coule sur le versant de l Atlantique et dont le tracé du canal emprunte la vallée sur une longueur de 44 kilomètres.
Les rives de ce fleuve sont très pittoresques. Il coule en serpentant au milieu de forêts impénétrables; pendant la saison sèche, il laisse au milieu de son ht de nombreux bancs de sable sur lesquels les caïmans viennent dormir au soleil.
Le Canal coupera fréquemment le lit naturel du Chagres; il doit passer justement au point représenté par notre gravure.
Vue d’ensemble d’Obispo. — L’Obispo est un petit affluent du Rio-Chagres, qui a donné son nom à l’une des sections de travaux du Canal.
Notre gravure représente l’ensemble des chantiers ; ceux-ci se développent le long du chemin de fer de Colon à Panama que l’on aperçoit sur la gauche.
Actuellement, une boucle du Rio-Obispo passe au milieu des chantiers, en enveloppant en quelque sorte la cour
be que décrit le chemin de fer. Pour se débarrasser des eaux, on creuse dans la montagne un tunnel destiné à dériver le cours de la rivière.
Le terrain de cette partie de l’isthme est très accidenté; aussi le travail a consisté, dès le début, à créer un grand nombre de points d’attaque isolés sur chacune des buttes que rencontre le tracé du canal.
LE GRAND-PÈRE
La mère tarde à rentrer, et l’enfant crie, agitant ses petits bras; pauvre grand-père, à qui on a laissé la garde du logis, et qui ne sait à quel saint se vouer! Vainement il a bercé le marmot dans tous les sens, celui-ci ne veut plus dormir, il a faim, c’est sa soupe qu’il réclame. Et,
tout en continuant à remuer le berceau d’une main, le vieillard s’est approché de la cheminée et prépare la bouillie.
Le tableau de M. Gy sis, est bien simple : pas d’émotion cherchée au loin, pas d’accessoires qui attirent le regard,
rien qu’une scène d’intérieur, prise sur le fait, et que nous avons essayé de rendre, à l’aide de nos nouveaux procédés de chromotypographie, dans son aspect de sobriété discrète et voulue.
mauvais génies, diables et démons, sorciers et sorcières, aux revenants et aux trésors enfouis, à Yâge d’or et colos
sal, géants, chasses, légendes narquoises et autres; aux traditions superstitieuses, présages, recettes magiques, etc. Ajoutons que le texte est orné de nombreux dessins, dus au crayon de notre collaborateur, M. Eugène Burnand, dont nos lecteurs ont été à même d’apprécier ici tout le talent. Nous reproduisons quelques unes de ces gravures, dont il nous reste à dire un mot.
Voici d’abord un chalet dans la montagne, très finement dessiné. Puis ce sont les démons des Diablerets, une mon
tagne où les démons aiment surtout à tenir leurs assises,
s y livrant à d’infernales rondes, dont le vacarme descend dans les vallées avec le bruit du tonnerre et la lumière des éclairs, ou bien luttant d’adresse entre eux en lançant d’é­
normes pierres contre un rocher en forme de tour nommé autrefois, à cause de ce jeu, la Quille du diable, et qu’on appelle aujourd’hui la Tour de Saint-Martin. Vient ensuite la caraule infernale, danse de sorciers et de sor
cières, de diables et de monstres fantastiques, pendant une de ces réunions nocturnes de la sorcellerie, connues sous le nom de sabbats.
Ces sorciers et ces sorcières, disent les légendes, ne rêvaient que le mal et ne songeaient qu’à le faire. Ils appe
laient sur les gens et sur le pays toutes sortes de malheurs.
Aussi gare à quiconque passait pour sorcier ! Il était sûr de son affaire. Roué ou brûlé vif, la cour de justice ne sortait pas de là. Par faveur spéciale, elle faisait couper la tête aux coupables, s’ils avaient manifesté du repentir; mais c’était tout. Que de malheureux furent ainsi victimes de l’ignorance des temps !
La légende des fées n’a rien de commun avec celle des sorciers. Ceux-ci ne voulaient que le mal, le bien était le but de celles-là.
Les fées vaudoises habitaient les sites silencieux et écartés. C’étaient les génies doux et pacifiques de la montagne, dont elles étaient les gardiennes charmantes. Elles proté
geaient les pâturages, elles intervenaient dans les misères comme dans les joies des bergers et présidaient à tous les événements importants de leur vie. Rien d’aimable comme la figure de la fée fileuse de Chesières, filant chaque soir pour une jeune fille, qui n’en pouvait venir à bout, et dont les parents ne badinaient pas, une quenouille entière de rite. Elle lui prenait sa quenouille et, en un tour de main,
elle la fixait à la corne d une des vaches qui paissait dans le pâturage ; puis, légèrement et nonchalamment assise sur le dos de la brave bête, elle se mettait à filer au clair de
lune, au profit de sa protégée. Restons sur ce gracieux tableau, et, croyez-nous, achetez et lisez les Légendes des Alpes vaudoises de M. Alfred Ceresole, vous y trouverez grand amusement et grand profit.
NOTES ET IMPRESSIONS
Les empires ne se conservent que comme ils s’acquièrent, par la vigueur, par la vigilance et par le travail.
Louis XIV.
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La foi que Dieu m’a donnée est une fontaine de soutien pour le présent et l’avenir, et elle me sert aussi à noyer le souvenir du passé. C. G. Gordon.
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Je n’ai rien à gagner en gloire ou en richesse. Peu-importe ce que diront de moi les hommes. Je fais ce que je crois être agréable à mon Dien ; et quant aux hommes, je 11e leur demande rien. C. G. Gordon.
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Il n’y a guère de maximes de morale dont on ne iït un aphorisme de médecine, et réciproquement peu d’aphorismes de médecine dont on ne fît un maxime de morale.
Diderot.
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Il est rare que la laideur se reconnaisse et casse le miroir.
Xavier de Maistre.
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Pour réussir dans le monde, il ne suffit pas d’avoir le diable au corps : il faut y joindre l’esprit d’à-propos.
V Cherbuliez.
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Les sourds n’ont pas de physionomie, parce que la physionomie est le premier mot d’une réponse.
F. Sauvage.
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L’expérience apprend à se défier de tout et de soi plus que du reste. Comtesse Dash.
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Entre ses maux et ses biens, une société garde un certain équilibre que souvent les réformes les mieux intentionnées compromettent.
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Les convictions philosophiques sont, comme tant d’autres biens, plus faciles à acquérir qu’à conserver.
G.-M. Valtour.
NOS GRAVURES JULES VALLÈS
LE CONCOURS GÉNÉRAL AGRICOLE Le groupe de M. Louis Lefèvre.
Ce groupe est placé au centre de la nef du Palais de l’Industrie, à l’endroit même où se trouvait l’année der
nière une grande volière servant à l’exposition des prix d’honneur de la volaille. Il représente deux tueurs, dont l’un vient d’attacher un bœuf à un anneau fixé en terre, tandis que l’autre se prépare à frapper l’animal.
Des massifs de plantes vertes l’entourent et derrière, à droite et à gauche sont placées deux volières. Ce beau groupe en plâtre est de M. Louis Lefèvre. Il est destiné au marché delà Villette.
LÉGENDES DES ALPES VAUDOISES
Cet article a déjà paru dans notre numéro du 17 janvier. Notre texte étant tiré d’avance, nous n’avons pu le suppri
mer en même temps que les gravures auxquelles il se rappor e, pour faire place au dessin de l’affaire Ballerich. Comme nous donnons aujourd’hui ces gravures, nous reproduisons l’article.
Ce volume est un recueil très attachant des légendes patiemment recueillies par l’auteur, M. Alfred Ceresole, dans les Alpes vaudoises, — principalement dans les dis
tricts de Vevey, d’Aigle et du Pays d’Enhaut, légendes qui se racontent encore le soir devant l’âtre, durant les longues heures des veillées d’hiver.
L’ouvrage comporte, outre une charmante introduction,
divers chapitres consacrés aux servants, aux /tes, aux