ET le flot montait toujours!...
C’est le flot des discours que je veux dire; et vraiment il y a de quoi prendre peur d’être submergés.
De tout temps ce fut l’écueil du régime parlementaire. Le bavardage côtoya toujours l’élo
quence et les Taitempions furent de tout temps plus communs que les Mirabeaux. Mais, depuis deux ou trois ans, cette abondance de faconde est devenue intolérable. Sur la moindre question chacun veut faire sa harangue et il n’est si petit sujet qui ne soit fécond en gros discours.
C’est la réclame électorale qui nous vaut ce débordement de verbosité. Aujourd’hui, les électeurs mé
prisent un député qui ne parle pas. C’est là ce qui donne la parole même aux muets. Ceux-là réci entou lisent et sont encore plus insupportables que les autres car, ayant leur siège tout fait et, d’ailleurs, était incapables d’y rien changer, force leur est d’aller jusqu’au bout.
Et lorsqu’à cette rage de discours vient s’ajouter la passion et l’intérêt, vous comprenez combien doivent être tenaces les marchands d’exordes et de péroraisons. Or c’est aujourd’hui le cas. La loi sur le régime doua
nier des céréales met en jeu ce double mobile de l’intérêt électoral.
Aussi comme on se dispute! et avec quelle ténacité les orateurs se cramponnent à la tribune. Libre-échangistes, comme M. Frédéric Passy, protectionn.stes avoués, comme M. Develle, protectionnistes déguisés comme M. de Lanjuinais, libre-échangistes transi
geants comme les membres du gouvernement — sauf M. Méline — tous s’en sont donné à cœur-joie. La discussion a pris neuf séances, je crois. Et, sur l’article premier voilà quatre jours que cela dure. Les cham
pions de la protection à outrance, les amateurs de bonne réclame électorale ont commencé à demander qu’on portât à 5 francs le droit de 2 fr.50 proposé par le gouvernement. Il paraît que dans l’Oise, l’Aisne, l’Aveyron, etc., c’est une recommandation excellente auprès des électeurs ruraux que d avoir demandé cinq francs de droit de douane sur les blés. Les fermiers s’imaginent que cela leur fera vendre leur blé 5 francs plus cher. Mais gare aux pFoçhaines élections si le prix des blés ne monte pas.
Puis, le chiffre de 5 fr. repoussé, M. des Rotours a demandé 4.50, puis un autre 4 fr. et ainsi de suite; ç’a été une adjudication par enchère descendante. Après, c’est le maïs, c’est l’avoine, c’est le blé dur. Ah ! çà n’est pas encore fini !
Pendant ce temps, la politique proprement dite chôme, ou à peu près. Bon gré, malgré, le gouverne
ment a dû renoncer à son désir de taire les élections en mai. La majorité veut aller jusqu’au bout de son rouleau. E cela se comprend; l’échéance électorale est un vilain quart d’heure. Cela m’a toujours rappelé ces contes de fées dans lesquels un bon génie ou un en
chanteur formidable sont assujettis à prendre pendant toute une journée la forme d’une biche ou d’un lézard,
ou de tout autre pauvre bête faible et désarmée. Gare les catastrophes, alors ! Ainsi ces pauvres députés, souverains et pas commodes pendant quatre ans, re
deviennent tout à coup, pendant une vingtaine de jours, inoffensifs, désarmés et soumis aux vicissitudes d’une popularité précaire. Et, cette fois, combien en
est-il qui, redevenus chenilles, ne renaîtront pas à l’état de papillon !
D’autre part, voilà la campagne du Tonkin à peu près finie, du moins pour jusqu’à l’automne. Voici, en effet, les chaleurs qui vont commencer. Et, d’ailleurs,
où irait-on? Tout au plus jusqu’à Lao-Kai. Mais ce n’est pas là ce qu’on peut appeler une campagne. La flotte, peut-être, aura davantage à laire. Mais quand elle aura définitivement achevé de détruire le peu de marine qui reste aux Chinois ; quand elle aura bloqué le golfe de Petchili, la guerre en sera-t-elle mieux finie et la paix plus prochaine ? C’est à savoir. En tout cas, c’est, jusqu’à l’automne, une question éteinte.
On va donc pouvoir se disputer à l’aise sur les choses sérieuses ; je veux dire sur celles qui peuvent être d’intérêt électoral. Et vous pouvez compter que la dis
cussion sur le scrutin de liste — sur la liste électorale, pour mieux dire — qui va commencer bientôt, n’est pas près de finir.
Quant au budget, on le fera si on a le temps. Ça n’est pas intéressant, le budget. Du moins ça ne l’est
plus aujourd’hui. Jadis, quant il y avait de l’argent de reste, quand il y avait des pensions et des traitements à augmenter, des subventions à voter, des chemins vicinaux et des chemins de fer à doter, des dégrèvements à faire, oh! alors, oui, le budget avait de l’intérêt et même du charme. Mais aujourd’hui, ce bud
get morose, où il n’y a plus la moindre subvention à distribuer, plus la moindre réclame à tondre ; ce bud
get de mauvaise humeur où l’on est, à chaque pas, obligé de faire une confession désagréable, d’avouer un deficit, de faire prévoir une augmentation d’impôts, ce budget-là n’a rien d’engageant et ne présente plus qu’un intérêt absolument négatif pour des députés qui voient venir la période électorale.
D’ailleurs comment aborderait-on le budget de 1886 alors que celui de 1885 n’est pas encore voté? Qui plus est, le budget en retard nous promet encore le spectacle d’un confl.t entre le Sénat et la Chambre. Voila le Sénat, en effet, qui se met à rétablir les cré
dits que la Chambre a supprimés au büdget des cultes.
Et notez que c’est la question constitutionnelle qui se soulève conjointement avec la question cléricale. Le Sénat, encore une lois, nie la prérogative budgétaire de la Chambre ou, tout au moins, prétend la partager en prenant, lui aussi, l’initiative de la dépense. Voilà le profit de la révision. Maintenant qu’il n’a plus rien à craindre, le Sénat peut se montrer agressif et intransigeant.
A cela près, la semaine est on ne peut plus calme. L’inauguration de la statue de Ledru-Rollin — à la
quelle quatre ministres ont assisté officiellement, mais silencieusement — s’est passée on ne peut mieux. A la réunion, où les ouvriers anglais sont venus frater
niser avec les ouvriers de France, on a crié quelque peu ; mais les anarchistes sont décidément en humeur de tranquillité depuis les coups de poings de l’enter
rement de Vallès. C’est en Angleterre que l’anarchie, où plutôt le fénianisme, travaille. L’ère de la dyna
mite semble s’être inaugurée à Londres. Si bien que le Parlement ferme ses portes et se garde, comme s’il devait sauter à chaque instant. La Conspiration des poudres a toujours hanté l’esprit des Anglais.
Sénat. — Séance du 19 février. — Allocution du président, envoyant aux soldats et marins français qui luttent dans l’Extrème-Orient les félicitations du Sénat — Adoption de la loi sur les marchés à terme, et prise en considé
ration d’une proposition de loi de M. Marcel Barthe sur les moyens de prévenir les conflits budgétaires entre les deux Chambres.
Séance du 20 : Dans les bureaux : Scrutin pour la nomination des membres de la commission chargée de procéder à une enquête sur les élections du Finistère. 125 mem
bres seulement prennent part au vote. Le quorum Il’étant pas atteint, un nouveau tour de scrutin aura lieu. — En séance publique. M. Audren d: Kerdrel, ayant inutilement demandé au président des groupes de gauche de faire ad
joindre aux enquêteurs un ou deux membres pris dans la droite, porte sa demande à la tribune. Le Sénat décide que le second tour de scrutin portera sur la nomination de trois commissaires et adopte une proposition ayant pour objet l’élection de deux nouveaux commissaires, ce qui permet
tra à la gauche de faire droit à la demande de la droite. — Commencement de la discussion générale du budget.
Séance du 21. Dans les bureaux : sont élus commissaires enquêteurs pour les élections du Finistère : MM. Honnoré, Le Bastard et Mathey — En séance : fin de la discussion générale du budget. Le. chapitres du ministère des finances sont adoptés.
Séance du 23 : Suite de la discussion du budget de 1885. Adoption des chapitres relatifs au ministère de la justice. Quant aux cultes, les crédits relatifs au traitement de l’ar
chevêque de Paris et des évêques algériens, au traitement des chanoines et au chapitre de St-Denis, sont rétablis.
Séance du 24 : Suite de la précédente discussion et validatio 1 de l’élection de MM. Lecointe et d’Osmoy, dans l’Eure.
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Chambre des députés. — Séance du 19 février. Félicitations du président à nos soldats et à nos marins de Chine et du Tonkin. — Suite de la discu sion de la loi sur le re
lèvement des droits de douane, à l’importation des céréales. M. Raoul Duval donne lecture d’un rapport favorable en principe au contre-projet de M. Germain, dont nous avons parlé dans notre précédent bulletin. Par suite, le projet pri
mitif se trouve singulièrement modifié. Mais la Chambre n’en est pas encore à prendre une décision. Elle a d’abord à statuer sur de nombreux amendements, et en premier lieu sur celui de M. Garrault, protectionniste, qui veut que le droit sur les blés soit élevé à cinq francs, et le droit sur les farines de sept francs cinquante à neuf francs. L’amen
dement est combattu par M. Méline. — Finalement, sur la proposition de M. Spuller, la Chambre décide que la dis
cussion sur la proposition relative au rétablissement du scrutin de liste sera inscrite à l’ordre du jour, après les lois sur les céréales et sur les bestiaux.
Séance du 21 : Adoption d’un crédit supplémentaire de trois millions pour subvention à la marine marchande. — Reprise de la discussion de la loi sur le relèvement des droits de douane. L’amendement Garrault est rejeté, ainsi que ceux de MM. des Rotours et Demarçay, proposant un droit de 4, 20 et de 4 francs.
* *
Décrets. — Les commandants de corps d’armée. — Est nommé au commandement du 2e corps, vacant par l’expi
ration des pouvo.rs du général de Galliflèt, le général Japy, récemment nommé au 17e corps, où il est remplacé par le général Hanrion.
* *
Tonkin. — Après la prise de la place de Lang-Son, dans laquelle reste le général de Négrier, le général Brière de l’Isle est rentré à Hanoï, en passant par Bac-lé.
Les affaires de Chine. — Une opération dirigée par l’amiral Courbet contre les croiseurs chi ois, a été cou
ronnée de succès. Deux navires, la frégate Yuquenn, de 26 canons et 600 hommes d’équipage et la corvette Teh ng- King, de 7 canons et portant 150 hommes ont été coulés par les deux canots porte-torpilles du Bayard. Les trois autres cro seurs, protégés par la brume, ont réussi à s’échapper et se sont réfugiés à Chinhaë.
Une dépêche de M. Patenôtre, notre ministre en Chine, adressée au ministre des affaires étrangères, annonce qu’il a amené son pavillon. Le chef du cabinet lui a laissé le soin d’apprécier s’il devait rester à Shangaï ou s’embarquer sur l’un des bâtiments des puissances neutres qui se trouvent dans ce port.
* *
Grande-Bretagne. — Reprise, le 20 février, de la session du Parlement. La motion de blâme ou de censure qui devait être déposée contre le gouvernement est remise. On attendra pour la produire le dépôt des documents promi- par le cabinet. Cette motion est développée par sir Stafford à la séance du 24 février de la Chamhre des Communes.
A diverses questions relatives à la coopération italienne dans la mer Rouge et à l’occupation de Massouah, lord Fitz-Maurice a répondu que la Porte proteste, ce qu on savait, mais il s’est tu sur les origines de l’expédition ita
lienne et entre autres choses sur ceci : à savoir s’il est vrai que l’Italie n’a été envoyée par l’Angleterre sur les côtés de la mer Rouge que pour empêcher la France de s’y installer.
Soudan. — Le général Buller, investi du commandement de la colonne Stewart, lève le camp de Goubatle 14 janvier pour ne pas être enveloppé par les troupes du
Mahdi et se replie sur Abu-Kléa, où il est harcelé par l’ennemi et où il attend un convoi de chameaux pour continuer sa retraite sur Gakdul.
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Grèce. — A la suite du vote par la Chambre des députés d’une motion par laquelle elle déclare refuser désormais sa confiance au ministère, le cabinet Trieoupis donne sa démission, et M. Delyar.nis est chargé du soin de former un nouveau ministère, posant pour condition la dissolution de la Chambre. Le roi s’y refusant, M. Delyannis décline la tâche de former le cabinet, et M. Trieoupis, après avoir longuement conféré avec Georges Ie1 , retire sa démission. La Chambre émet, le 23 février, un vote de confiance en sa faveur, ce qui n’empêche pas M. Trieoupis de do ner lecture d’une ordonnance royale dissolvant le Parlement. Les élec
tions sont fixées au 19 avril, et la nouvelle Chambre se réunira le 21 mai,
Nécrologie. — Le colonel Sautereau. A sa sortie de Saint-Cyr, il servit en A rique, prit part à la campagne d’Italie et fut grièvement blessé à Magenta. Colonel en 1870 et mis à la tète d’une brigade, il se distingua particulière
ment à Josnes, où, voyant plier ses troupes, il saisit son
drapeau et ramena ses soldats au feu; il eut le pied traversé d’une balle Ce fait lui valut le grade de commandeur de la Légion d honneur. Admis à la retraite en 1881, il fut nommé conservateur du château de Pau.
Le marquis de Piré de Rosnyvinen. Il fut député d’Illeet-Vilaine de 1856 à 1870. Il s’était signalé au Corps lé
gislatif par ses boutades et ses incessantes interruptions.
Quoiqu’il eût signé en 1869 l’interpellation des 116, il fit une vive opposition au cabinet Emile Ollivier.Né en 1809.
Le comte de Schleinitz, ministre de la maison de l’empereur d’Allemagne, ancien ambassadeur et ancien ministre des affaires étrangères. Il eut pour la première fois ce portefeuille en 1849, Ie &al da un an et fut de nouveau mi
nistre en 1878. Il resta au ministère pendant trois ans et se signala par sa protestation contre la politique du roi Vic
tor-Emmanuel (.8 octobre 1860). Relevé de ses : fonctions sur sa demande, il fut nommé ministre de la maison de l’empereur en 1860.
M. Balcarce, ministre plénipotentiaire de la République Argentine auprès du gouvernement français. M Balcarce
représentait la Confédération argentine à Paris depuis 1857.
M. Gaston Vassy, journaliste. Il se nommait Pérodeau. Il a successivement collaboré au Figaro, à YEvénement, au Git Blas et à la Liberté.
HISTOIRE DE LA SEMAINE