JE voudrais donner au moins un souvenir à un brave homme qui fut un comédien amusant et très fin et que ses camarades ont conduit au cimetière, la semaine der
nière. C’est Lhéritier que je veux dire. Il était vieux mais il n’était pas oublié. Tous ceux qui ont vu la Cagnotte se rappellent cette physionomie étonnée et narquoise, ce rire niais et spirituel à la fois, ce menton gras enfoui dans une cravate monumentale comme celle d’un incroyable. Lhéritier, qui a donné cinquante ans de sa vie au théâtre du Palais-Royal, restait, depuis des années, aux Batignolles, dans une petite maisonnette, au fond d’un jardin. Il ne sortait plus depuis bien des mois et recevait là quelques visites d’amis fidèles.
Que de souvenirs ce bon vieillard aimable avait amassés !
Vous rappelez-vous, dans le RoiCandaule, combien il était amusant lorsqu’il jouait le rôle d’un monsieur qui demande son pardessus à l’ouvreuse et à qui on remet un paletot avec la décoration de la Légion d’hon
neur? Lhéritier avait une façon exquise de regarder cette boutonnière décorée et, par sa pantomime, d’exprimer tour à tour combien ce bout de ruban lui semblait à sa place là et combien aussi le gouvernement avait eu tort de ne pas le lui décerner.
Et dans le Réveillon, comme il était charmant en vieux juge revenant, malade, d’un souper, et se faisant du thé pour dissiper son indisposition ! Primitivement, cette scène muette, demeurée célèbre dans les souvenirs des habitués du Palais-Royal, était un mono
logue qui, pendant les répétitions, parut long aux auteurs.
— Si nous le coupions? fit Meilhac. — Coupons-le, dit Halévy.
— Et si vous me le laissiez remplacer par une pantomime? proposa Lhéritier.
On y consentit et ce monologue, supprimé en tant que texte et conservé à l’état de scène muette, fut un des succès de cet amusant Réveillon.
Il avait beaucoup d’esprit, le bon Lhéritier. On lui parlait d’un comédien panier percé et cousu de dettes qui allait prochainement débuter sur un théâtre du boulevard.
— X... doit venir à Paris!
— Ah fit Lhéritier. S’d ne devait que cela!
C’est lui qui disait d’une comédienne un peu colère :
— C’est la crème des femmes... mais elle tourne souvent!
Il s’amusait aussi à renouveler, par une forme amusante, des plaisanteries un peu vieillies; par exemple :
— Oh! que je voudrais savoir le latin! Je n’y comprendrais rien, c’est vrai, puisque je ne le sais pas... Mais je le saurais!
Avec cela, très honnête homme et scrupuleux d’honneur jusqu’à la naïveté. C’est lui qui nous disait :
« Quand un métier est très lucratif, il ne doit pas être assez honnête. »
Il rimait aussi des chansons, tournait le couplet, comme on dit, et, après avoir, avec beaucoup d’es
prit, croqué au crayon tous les camarades du Palais- Royal (car Lhéritier peignait fort joliment des charges à l’aquarelle) il y ajoutait des quatrains de sa façon.
Sur Grassot, son vieux oamarade :
Grassot! Pourquoi ce nom a-t-il été le vôtre? Par antiphrase apparemment ; Car on savait pertinemment
Que vous n’étiez ni l’un ni l’autre!
Sur Siraudin, le vaudevilliste :
De ce gai confiseur, pourquoi donc les bonbons
Nous semblent-ils si piquants et si bons? Me demandait, l’autre jour, un gandin.
« — C’est qu’il y met du sirop, daim\ »
Je ne donne pas ces plaisanteries pour des chefsd œuvre dignes de l’Anthologie mais, au dessert, dans un dîner de camarades — et dites surtout par Lhéritier — elles faisaient beaucoup rire. L’excellent comé
dien décochait de ses quatrains à son directeur luimême, M. Plunkett qui, dit-on, voudrait prendre
masque ! Notez que ce sont toujours les causes les plus futiles qui amènent les rencontres les plus tragiques.
C’est une singulière chose que le duel. Quand il finit par une égratignure, il frise le ridicule. Quand il se termine par une agonie, il devient odieux. Il oscille entre le déjeuner où l’on plume le canard et l’enterre
ment où les parents et les amis du mort se disent : « Quelle terrible et niaise fin ! »
Et, au lendemain de la tragédie de Dunkerque, les consultations ont agité la question de savoir si M. Dekeirel, le vainqueur du champ clos, avait loyalement agi. Adhuc sub judice lis est. Nous ne nous pro
noncerons pas à cet égard, ne connaissant pas assez bien les faits pour cela. Le mieux est d’attendre.
Ce qui est certain c’est que le duel, pour ne pas être un pur assassinat, a besoin d’être égalisé le plus possible. Il y a des grecs dans le duel comme au jeu. On se rappelle la rencontre de M. Feuilherade avec M. Ollivier, à propos d’une danseuse, je crois. M. 01- livier, qui passait avec raison pour lriand de la lame, s’était rendu sur le terrain avec une cotte de mailles sous son gilet de flanelle. Etrange façon de rappeler les beaux temps de la chevalerie. Le blindage ne lui servit pas, du reste, à grand’chose. L’épée de M. Feuilherade pénétra tout juste dans la chair au défaut de la cuirasse et le duelliste biseauté fut tué net.
— Il fut un tricheur du duel, écrivait, l’autre jour, l’écrivain qui signe Farfadet.
Décidément, le duel est chose atroce. A quoi bon des lois si le point d’honneur vous force à vous mettre en dehors des lois ? Un malotru m’insulte ou insulte une femme près de moi. Et je suis tenu de risquer ma vie contre la sienne, dont je ne connais pas les mystères et les dessous ! C’est ridicule. Une bonne cor
rection, du bout d’une badine ou d’un article du code suffirait.
Mais, en France, ce que nous redoutons surtout, c’est d’avoir l’air de reculer. Nous avons peur de paraître avoir peur. De là les rencontres acceptées.
Dimanche dernier, je passais par la rue de la Condamine, aux Batignolles. Deux déménageurs se bat
taient. Querelle de charretiers, non plus à propos d’une femme, mais d’un cheval. Les deux grands gars se roulaient sur le pavé, dans le ruisseau, et se rouaient de coups. Un sergent de ville apparut. Les deux adversaires se séparèrent un moment.
— Eh bien ! dit l’agent en frisant sa moustache, parlons-en! En voilà une pantomime! On vuus prendrait pour des guignols comiques!
Brave sergent! Il avait trouvé le mot : le duel est une pantomime où les guignols sont trop souvent tragiques.
Vous rappelez-vous ce personnage de Labiche dans la Poudre aux yeux qui, pour faire du chic — le peuple dit : « pour faire de la poussière » — loue une loge aux Italiens et se plaint qu’on lui fasse toujours entendre Rigoletto?
Rigol tto! Eternellement Rigoletto! Rigoletto sans cesse! Rigoletto for ever!— C’était Geoffroy qui jouait ce personnage.
On ne se lasse pas, il est vrai, d’entendre Rigoletto. Les jeunes musiciens s’en plaindront. Ils diront avec raison que le plus petit grain de mil d’une production nouvelle ferait bien mieux leur affaire. Mais Verdi s’installe à l’Opéra et Sigurd (era encore antichambre.
Il fourbit-pourtant ses cuirasses et ses casques, Sigurd,
et nous applaudirons avant quelques mois l’œuvre de Reyer.
C’est de l’étranger que nous sont venues et la renommée de Sigurd et la réputation de Carmen. Le
Un monsieur sortait, l’autre soir, de la représentation d’une pièce où un mari apprend tout à coup la trahison de sa femme.
— Je voudrais, disait-il, plus de courroux au prince lorsqu’il apprend que sa femme l’a trompé !
— Mais, lui répond un ami, rappelez-vous bien, lorsque vous l’avez appris, vous, vous êtes allé paisiblement faire un tour à Luchon, tout simplement.
— Oh ! moi ! c’est différent, moi ! Quand on me l’a dit, il y avait au moins six mois que je le savais !
Perdican.
NOTES ET IMPRESSIONS
Le cœur de l’homme ressemble à l’habit du pauvre, c’est à l’endroit où il est raccommodé qu’il est le plus fort.
J. Erdelyi. *
* *
Les journaux quotidiens, même les plus médiocres, ne sauraient laisser indifférents les psychologues.
Albert Dumont.
*
* *
Il y a en France quatre-vingt mille lois, c’est-à-dire quatre-vingt mille prétextes à l’arbitraire.
J. Péladan.
* *
Laisser croire qu’on a des idées rapporte souvent plus que d’en avoir. André Lemoyne.
*
* *
Les historiens qui blâment Julien l’Apostat trouveront toute naturelle la conscience méridionale de Henri IV.
André Lemoyne *
* *
La grève, c’est la barricade des fainéants. Félix Pyat.
*
* *
Beaucoup de religions sont mortes, mais, par bonheur, les superstitions leur ont survécu.
Théodore de Banville.
*
* *
Le silence convient aux sublimes revers.
Leconte de Lisle.
*
* *
De la roche à la plante et de la plante à l’homme, rien n’est stationnaire dans la nature : on ne se conserve qu’en grandissant.
*
* *
Malgré les belles perspectives des vieillesses robustes, les jeunes gens ne mettent pas plus volontiers leurs plaisirs que leur argent à la caisse des retraites.
G.-M- Valtour.
COURRIER DE PARIS
bientôt la direction du théâtre des Nations pour y jouer du drame :
La pâte est assez ferme et toujours excellente,
Alors même qu’elle fermente !
Goùtez-v donc et je vous le dis net : Vous aimerez notre plum Kett!
Il y a eu, cette semaine, une affaire d’honneur tournée au tragique — une rencontre à propos d’une femme — et, au cimetière de Levallois-Perret une sorte de duel aussi entre les tenants du drapeau-rouge et les amis de la Ligue des Patriotes. On inaugurait le monument d’un sergent tué au Tonkin. L’étendard international était assez déplacé-près de la tombe d’un soldat mort pour la patrie. M. Déroulède a protesté. On s’est colleté et le poète-soldat a écrit au Matin une lettre où il dit à ceux qu’il nomme les sans-patrie :
— Au revoir !
Voilà, du moins, une rencontre pour une idée et M. Déroulède ne reculera pas devant ses adversaires internationaux. Mais un duel pour une querelle de bal
pauvre Bizet n’a pas joui de son triomphe. Lorsqu’on représenta Carmen pour la première fois ce fut une sorte de succès d’estime. Le public de l’Opéra-Comique hésita devant ce drame. Puis, Carmen, acclamée un peu partout, revint en France, applaudie par l’étranger et on a vu la fortune -de cet opéra-TL-faut peut-être mourir pour être bien jugé. C’est un moyen. Mais il est dur.
Gustave Doré l’a employé. On a passé devant lui en le prenant pour un croquiste, un faciliste, un impro
visateur heureux. C’était un maître. On le voit bien à regarder la réunion de ses dessins, exposés dans
l’hôtel du Cercle de la Librairie. Doré , qui porta toute sa vie, comme un boulet, la réputation d’être, pour me servir du langage des ateliers, un chançard, fut, au contraire, un être tourmenté du besoin du mieux, hanté de visions grandioses. Le résultat ne répondait pas toujours à ses efforts, j’entends en peinture. Il ne se désespérait point et recommençait.
Il y avait, dans cet artiste, de quoi faire plusieurs réputations d’hommes. Au lieu de l’en applaudir, on le lui reprochait. A tes dessins, dessinateur ! Ne prends pas le pinceau, laisse là l’ébauchoir, renverse les godets de tes aquarelles ! Et comme on enviait ce brave garçon qui, lui, n’enviait que l’idéal!
Gustave Doré était mourant. On lui apporte une lettre portant sur l’enveloppe : Personnelle et très pressée. Il fait signe à un de ses proches de la décacheter.
La lettre contenait un bout de journal soigneusement découpé dans un article où l’on donnait la liste des prédictions pour l’année 1883. Et une de ces pré
dictions disait : « M. Gustave Doré continuera à faire de la peinture exécrable et de la sculpture impossible. »
Le mourant ne dit rien ; mais ses doigts laissèrent tomber le morceau de journal et deux grosses larmes glissèrent le long de ses joues. C’est la dernière chose imprimée sur laquelle les yeux — pleins de visions grandioses — de Doré se soient fixés.
nière. C’est Lhéritier que je veux dire. Il était vieux mais il n’était pas oublié. Tous ceux qui ont vu la Cagnotte se rappellent cette physionomie étonnée et narquoise, ce rire niais et spirituel à la fois, ce menton gras enfoui dans une cravate monumentale comme celle d’un incroyable. Lhéritier, qui a donné cinquante ans de sa vie au théâtre du Palais-Royal, restait, depuis des années, aux Batignolles, dans une petite maisonnette, au fond d’un jardin. Il ne sortait plus depuis bien des mois et recevait là quelques visites d’amis fidèles.
Que de souvenirs ce bon vieillard aimable avait amassés !
Vous rappelez-vous, dans le RoiCandaule, combien il était amusant lorsqu’il jouait le rôle d’un monsieur qui demande son pardessus à l’ouvreuse et à qui on remet un paletot avec la décoration de la Légion d’hon
neur? Lhéritier avait une façon exquise de regarder cette boutonnière décorée et, par sa pantomime, d’exprimer tour à tour combien ce bout de ruban lui semblait à sa place là et combien aussi le gouvernement avait eu tort de ne pas le lui décerner.
Et dans le Réveillon, comme il était charmant en vieux juge revenant, malade, d’un souper, et se faisant du thé pour dissiper son indisposition ! Primitivement, cette scène muette, demeurée célèbre dans les souvenirs des habitués du Palais-Royal, était un mono
logue qui, pendant les répétitions, parut long aux auteurs.
— Si nous le coupions? fit Meilhac. — Coupons-le, dit Halévy.
— Et si vous me le laissiez remplacer par une pantomime? proposa Lhéritier.
On y consentit et ce monologue, supprimé en tant que texte et conservé à l’état de scène muette, fut un des succès de cet amusant Réveillon.
Il avait beaucoup d’esprit, le bon Lhéritier. On lui parlait d’un comédien panier percé et cousu de dettes qui allait prochainement débuter sur un théâtre du boulevard.
— X... doit venir à Paris!
— Ah fit Lhéritier. S’d ne devait que cela!
C’est lui qui disait d’une comédienne un peu colère :
— C’est la crème des femmes... mais elle tourne souvent!
Il s’amusait aussi à renouveler, par une forme amusante, des plaisanteries un peu vieillies; par exemple :
— Oh! que je voudrais savoir le latin! Je n’y comprendrais rien, c’est vrai, puisque je ne le sais pas... Mais je le saurais!
Avec cela, très honnête homme et scrupuleux d’honneur jusqu’à la naïveté. C’est lui qui nous disait :
« Quand un métier est très lucratif, il ne doit pas être assez honnête. »
Il rimait aussi des chansons, tournait le couplet, comme on dit, et, après avoir, avec beaucoup d’es
prit, croqué au crayon tous les camarades du Palais- Royal (car Lhéritier peignait fort joliment des charges à l’aquarelle) il y ajoutait des quatrains de sa façon.
Sur Grassot, son vieux oamarade :
Grassot! Pourquoi ce nom a-t-il été le vôtre? Par antiphrase apparemment ; Car on savait pertinemment
Que vous n’étiez ni l’un ni l’autre!
Sur Siraudin, le vaudevilliste :
De ce gai confiseur, pourquoi donc les bonbons
Nous semblent-ils si piquants et si bons? Me demandait, l’autre jour, un gandin.
« — C’est qu’il y met du sirop, daim\ »
Je ne donne pas ces plaisanteries pour des chefsd œuvre dignes de l’Anthologie mais, au dessert, dans un dîner de camarades — et dites surtout par Lhéritier — elles faisaient beaucoup rire. L’excellent comé
dien décochait de ses quatrains à son directeur luimême, M. Plunkett qui, dit-on, voudrait prendre
masque ! Notez que ce sont toujours les causes les plus futiles qui amènent les rencontres les plus tragiques.
C’est une singulière chose que le duel. Quand il finit par une égratignure, il frise le ridicule. Quand il se termine par une agonie, il devient odieux. Il oscille entre le déjeuner où l’on plume le canard et l’enterre
ment où les parents et les amis du mort se disent : « Quelle terrible et niaise fin ! »
Et, au lendemain de la tragédie de Dunkerque, les consultations ont agité la question de savoir si M. Dekeirel, le vainqueur du champ clos, avait loyalement agi. Adhuc sub judice lis est. Nous ne nous pro
noncerons pas à cet égard, ne connaissant pas assez bien les faits pour cela. Le mieux est d’attendre.
Ce qui est certain c’est que le duel, pour ne pas être un pur assassinat, a besoin d’être égalisé le plus possible. Il y a des grecs dans le duel comme au jeu. On se rappelle la rencontre de M. Feuilherade avec M. Ollivier, à propos d’une danseuse, je crois. M. 01- livier, qui passait avec raison pour lriand de la lame, s’était rendu sur le terrain avec une cotte de mailles sous son gilet de flanelle. Etrange façon de rappeler les beaux temps de la chevalerie. Le blindage ne lui servit pas, du reste, à grand’chose. L’épée de M. Feuilherade pénétra tout juste dans la chair au défaut de la cuirasse et le duelliste biseauté fut tué net.
— Il fut un tricheur du duel, écrivait, l’autre jour, l’écrivain qui signe Farfadet.
Décidément, le duel est chose atroce. A quoi bon des lois si le point d’honneur vous force à vous mettre en dehors des lois ? Un malotru m’insulte ou insulte une femme près de moi. Et je suis tenu de risquer ma vie contre la sienne, dont je ne connais pas les mystères et les dessous ! C’est ridicule. Une bonne cor
rection, du bout d’une badine ou d’un article du code suffirait.
Mais, en France, ce que nous redoutons surtout, c’est d’avoir l’air de reculer. Nous avons peur de paraître avoir peur. De là les rencontres acceptées.
Dimanche dernier, je passais par la rue de la Condamine, aux Batignolles. Deux déménageurs se bat
taient. Querelle de charretiers, non plus à propos d’une femme, mais d’un cheval. Les deux grands gars se roulaient sur le pavé, dans le ruisseau, et se rouaient de coups. Un sergent de ville apparut. Les deux adversaires se séparèrent un moment.
— Eh bien ! dit l’agent en frisant sa moustache, parlons-en! En voilà une pantomime! On vuus prendrait pour des guignols comiques!
Brave sergent! Il avait trouvé le mot : le duel est une pantomime où les guignols sont trop souvent tragiques.
Vous rappelez-vous ce personnage de Labiche dans la Poudre aux yeux qui, pour faire du chic — le peuple dit : « pour faire de la poussière » — loue une loge aux Italiens et se plaint qu’on lui fasse toujours entendre Rigoletto?
Rigol tto! Eternellement Rigoletto! Rigoletto sans cesse! Rigoletto for ever!— C’était Geoffroy qui jouait ce personnage.
On ne se lasse pas, il est vrai, d’entendre Rigoletto. Les jeunes musiciens s’en plaindront. Ils diront avec raison que le plus petit grain de mil d’une production nouvelle ferait bien mieux leur affaire. Mais Verdi s’installe à l’Opéra et Sigurd (era encore antichambre.
Il fourbit-pourtant ses cuirasses et ses casques, Sigurd,
et nous applaudirons avant quelques mois l’œuvre de Reyer.
C’est de l’étranger que nous sont venues et la renommée de Sigurd et la réputation de Carmen. Le
Un monsieur sortait, l’autre soir, de la représentation d’une pièce où un mari apprend tout à coup la trahison de sa femme.
— Je voudrais, disait-il, plus de courroux au prince lorsqu’il apprend que sa femme l’a trompé !
— Mais, lui répond un ami, rappelez-vous bien, lorsque vous l’avez appris, vous, vous êtes allé paisiblement faire un tour à Luchon, tout simplement.
— Oh ! moi ! c’est différent, moi ! Quand on me l’a dit, il y avait au moins six mois que je le savais !
Perdican.
NOTES ET IMPRESSIONS
Le cœur de l’homme ressemble à l’habit du pauvre, c’est à l’endroit où il est raccommodé qu’il est le plus fort.
J. Erdelyi. *
* *
Les journaux quotidiens, même les plus médiocres, ne sauraient laisser indifférents les psychologues.
Albert Dumont.
*
* *
Il y a en France quatre-vingt mille lois, c’est-à-dire quatre-vingt mille prétextes à l’arbitraire.
J. Péladan.
* *
Laisser croire qu’on a des idées rapporte souvent plus que d’en avoir. André Lemoyne.
*
* *
Les historiens qui blâment Julien l’Apostat trouveront toute naturelle la conscience méridionale de Henri IV.
André Lemoyne *
* *
La grève, c’est la barricade des fainéants. Félix Pyat.
*
* *
Beaucoup de religions sont mortes, mais, par bonheur, les superstitions leur ont survécu.
Théodore de Banville.
*
* *
Le silence convient aux sublimes revers.
Leconte de Lisle.
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* *
De la roche à la plante et de la plante à l’homme, rien n’est stationnaire dans la nature : on ne se conserve qu’en grandissant.
*
* *
Malgré les belles perspectives des vieillesses robustes, les jeunes gens ne mettent pas plus volontiers leurs plaisirs que leur argent à la caisse des retraites.
G.-M- Valtour.
COURRIER DE PARIS
bientôt la direction du théâtre des Nations pour y jouer du drame :
La pâte est assez ferme et toujours excellente,
Alors même qu’elle fermente !
Goùtez-v donc et je vous le dis net : Vous aimerez notre plum Kett!
Il y a eu, cette semaine, une affaire d’honneur tournée au tragique — une rencontre à propos d’une femme — et, au cimetière de Levallois-Perret une sorte de duel aussi entre les tenants du drapeau-rouge et les amis de la Ligue des Patriotes. On inaugurait le monument d’un sergent tué au Tonkin. L’étendard international était assez déplacé-près de la tombe d’un soldat mort pour la patrie. M. Déroulède a protesté. On s’est colleté et le poète-soldat a écrit au Matin une lettre où il dit à ceux qu’il nomme les sans-patrie :
— Au revoir !
Voilà, du moins, une rencontre pour une idée et M. Déroulède ne reculera pas devant ses adversaires internationaux. Mais un duel pour une querelle de bal
pauvre Bizet n’a pas joui de son triomphe. Lorsqu’on représenta Carmen pour la première fois ce fut une sorte de succès d’estime. Le public de l’Opéra-Comique hésita devant ce drame. Puis, Carmen, acclamée un peu partout, revint en France, applaudie par l’étranger et on a vu la fortune -de cet opéra-TL-faut peut-être mourir pour être bien jugé. C’est un moyen. Mais il est dur.
Gustave Doré l’a employé. On a passé devant lui en le prenant pour un croquiste, un faciliste, un impro
visateur heureux. C’était un maître. On le voit bien à regarder la réunion de ses dessins, exposés dans
l’hôtel du Cercle de la Librairie. Doré , qui porta toute sa vie, comme un boulet, la réputation d’être, pour me servir du langage des ateliers, un chançard, fut, au contraire, un être tourmenté du besoin du mieux, hanté de visions grandioses. Le résultat ne répondait pas toujours à ses efforts, j’entends en peinture. Il ne se désespérait point et recommençait.
Il y avait, dans cet artiste, de quoi faire plusieurs réputations d’hommes. Au lieu de l’en applaudir, on le lui reprochait. A tes dessins, dessinateur ! Ne prends pas le pinceau, laisse là l’ébauchoir, renverse les godets de tes aquarelles ! Et comme on enviait ce brave garçon qui, lui, n’enviait que l’idéal!
Gustave Doré était mourant. On lui apporte une lettre portant sur l’enveloppe : Personnelle et très pressée. Il fait signe à un de ses proches de la décacheter.
La lettre contenait un bout de journal soigneusement découpé dans un article où l’on donnait la liste des prédictions pour l’année 1883. Et une de ces pré
dictions disait : « M. Gustave Doré continuera à faire de la peinture exécrable et de la sculpture impossible. »
Le mourant ne dit rien ; mais ses doigts laissèrent tomber le morceau de journal et deux grosses larmes glissèrent le long de ses joues. C’est la dernière chose imprimée sur laquelle les yeux — pleins de visions grandioses — de Doré se soient fixés.