JANE HADING
Le grand et éclatant succès remporté par Mme Jane Hading dans le rôle complexe et original de Marsa, met décidément en pre
mière ligne la charmante artiste qui, avant de se montrer à Paris dans le Prince Zilah, avait littéralement conquis les suffrages du public anglais dans le Maître de forges et dans Frou-Frou. La qualité la plus rare chez une comédienne, Jane Hading la possède au plus haut degré, c’est le charme, ce je ne sais quoi de subtil, de séduisant et de supérieur, qui est plus puissant encore que la beauté. Elle n’est rien, cette beauté, sans la grâce, et Jane Hading possède l’une et l’autre.
Elle plaît doublement et par le rayonnement de son attrait d’honnête femme et par la poésie de sa diction. La voix est d’une pureté cristalline et d’une mélodie toute musicale. Dans sa personne et dans son talent, Jane Hading est, par
dessus tout, sympathique, et ce mot, dont on a parfois abusé pour en faire comme un éloge ironique à certains écrivains qu’on étoufferait volontiers sous des fleurs, on peut l’ap
pliquer à la charmante femme qui a incarné, pendant plus de trois cents représentations, la séduisante Claire de Beaulieu du roman de M. Ohnet, et qui a montré, dans le Prince Zilah, un talent transformé, puissant et .énergique.
On a comparé à Aimée Desclée Mme Jane Hading qui, en réalité, ne ressemble qu’à elle-même. Si elle avait quelque chose de commun. avec la pauvre et adorable morte, c’est qu’elle peut, comme elle, produire les effets les plus in
tenses de l’émotion la plus vraie par les moyens les plus simples. Où d’autres forcent la note et se tordent les bras,
pour arriver à tordre les nerfs du spectateur, Jane Hading joue le plus naturellement et le plus sincèrement du monde, et l’impression produite sur une salle est aussi poignante. Elle attendrit, elle fait frémir, elle fait pleurer. C’est le complet triomphe de l’actrice.
Sincérité et simplicité, ce sont chez elle les deux facultés de la comédienne et les deux qualités de la femme. On n’est pas plus modeste que cette jeune artiste qui, le mois passé, faisait fanatisme à Londres et qui vient de reparaître devant nous sous la double physionomie de la Tzigane Tisza et de Marsa. Avec quel charme délicieux et plein d’un poétique au-delà elle chante, au piano, la romance douloureuse de Marsa :
Ma blessure est profonde Et j’en meurs et ne veux Cœur brisé mais heureux Eternel amoureux
Plus d’autre amour au monde !
Et quelle énergie ensuite dans la terrible scène des chiens! Quelle angoisse dans la scène encore où Zilah re
çoit le paquet de lettres que Marsa écrivait à Michel Menko ! On a comparé la mort de Marsa à la mort de
Frou-Frou. Toutes les poétiques agonies des héroïnes de roman se ressemblent et s’il y avait une mort que rappelât la mort de Marsa, ce serait la chanson de la malheureuse Ophélie, effeuillant la dernière fleur de sa couronne. Mais Jane Hading mourant, sa chanson aux lèvres, ne rappelle personne et sa voix exquise et son doux soufre vont faire couler bien des larmes.
La loge de Jane Hading était pleine de fleurtf.He soir de la première représentation du Prince Zilalif Dès admirateurs lui avaient envoyé des coussins de rosee-Stjes cou
ronnes de violettes. L’auteur du Maître de Forges y avait
joint son bouquet. L’éminente comédienne a emporté ces fleurs sans tirer vanité de ces témoignages d’admiration. C’est la nature d’artiste la plus modeste et la plus in
quiète en même temps que la plus brave et la plus dé
vouée qu’on puisse rencontrer. Elle va au feu en songeant à la pièce même plutôt qu’à son succès personnel et un auteur qui se sait défendu par une aussi vaillante inter
prète doit se sentir profondément rassuré et doit rester profondément reconnaissant. On n’a ni plus de talent, ni plus de modestie, ni plus de loyauté qu elle.
Et le public devine tout cela. Par dessus le feu de la rampe, il voit rayonner cette charmante et courageuse na
ture de femme. Il l’aime comme actrice, et il lui sait gré,
jé le répète, de sa simplicité victorieuse. Sans cris, sans colères, sans exagérations, sans tapage, Jane Hading, ennemie de tout bruit extérieur, habituée dès son adoles
cence aux batailles de la scène, jouant la Fille de Roland à quatorze ans et l’opérette à dix-huit, aimant le théâtre et y étant reine maintenant, Jane Hading, touchante comme une Dorval de comédie, sait rendre avec une force extraordinaire les emportements mêmes et les sauvageries du drame et elle a prouvé dans le Prince Zilah qu’on peut être à la fois une charmante femme au sourire doux et une admirable et puissante comédienne aux irrésistibles accents tragiques.
Les auteurs peuvent rêver maintenant à des créations à la fois poétiques et dramatiques pour le Gymnase. Ils ont, ce qu’ils n’avaient plus là, depuis la disparition de Desclée, une actrice adorée du public pour faire vivre leurs ceuvrcs et applaudir leur nom.
Un spectateur.
LE PRINCE ZILAH
Notre critique dramatique a rendu compte du Prince Zilah, de M. Jules Claretie, qui vient d’obtenir un si grand et si légitime succès au Gymnase. Notre dessinateur a donné les principales scènes de cette émouvante comédie. C’est d’abord le prologue avec cette troupe de patriotes hongrois attaquée par l’ennemi, au milieu des roches couver
tes de pins, dans les défilés de la montagne. Le Prince Sandor Zilah a été tué par les Russes; André Zilah son fils, Michel Menko, le comte Varhély jurent de le venger et de vouer leur vie à la liberté de la patrie. Vingt ans se sont passés. Le prince André Zilah va épouser Marsa, une fille de Tisza la Tzigane et d’un prince russe qui a re
connu cette enfant de la Bohémienne. Mais Menko a été l’amant de Marsa ; cet infâme vient rappeler le passé à sa maîtresse et la menace d’envoyer ses lettres au prince si elle ne cède pas de nouveau à son amour. Le domestique chargé de les remettre oublie de les apporter à temps. Le prince sort de l’église, après la cérémonie nuptiale, lorsque ces lettres lui sont remises ; il sait toute la vérité maintenant et toutes les hontes.
LES DESSINS ET AQUARELLES DE GUSTAVE DORÉ
Le nom populaire de Gustave Doré vient de recevoir la consécration suprême que donne la gloire posthume. Le Cercle de la Librairie a ouvert une exposition des aquarelles et des dessins laissés par l’admirable illustrateur qui a tant fait pour l’art de la librairie française. Cette exposition sera un des événements de l’année.
Gustave Doré, qui fut, en peinture, un artiste préoccupé de l’effet, inspiré et puissant, passant d’une étude des loque
teux de la Cité de Londres ou des grottes de Grenade aux paysages des Highlands d’Ecosse, Doré, l’étonnant sculp
teur du Vase de l’Exposition Universelle et du monument
de Dumas père, restera surtout, dans l’histoire artistique de son temps, comme un prestigieux dessinateur, comme un improvisateur merveilleux, un inventeur magique, une sorte de Rembrandt ou d Martinn du crayon. C’est par là que ce talent étrange, vigoureux, multiple, touche vraiment au génie. Oui, il y a en lui ce qui est génial : le don, l’imagination, la personnalité, la variété, la multiplicité.
Les trois dessins qui accompagnent ces lignes et qui sont tirés de l’illustration de Roland Furieux donnent bien la note de ce prodigieux artiste. Ils ont le charme et la puissance. Il semble que Doré ait vraiment traversé le pays enchanté de l’Arioste, comme on dirait qu’il a vécu la large vie des héros de Rabelais ou mené, à travers la plaine aride, la vie errante de Don Quichotte. La maison Hachette qui a tou
jours tenu si haut le renom de la librairie française et qui,
après avoir publié la Bible de Bida, édite aujourd’hui les admirables Récits mérovingiens de Jean Paul Laurens, aura eu la gloire d’avoir demandé à Gustave Doré la plupart de ses chefs d’œuvre et ses plus beaux livres, le Dante, la Bible, Y Espagne, Londres, La Fontaine, Don Quichotte, les Idylles du Roi, de Tennyson, etc. Presque tous les dessins de ces maîtres livres, on les retrouvera dans l’exposition du Cercle de la Librairie, à côté de ces stupéfiants Contes dràtatiques où Doré a rivalisé de curiosité, d’originalité et de verve avec Balzac, le tourangeau.
On sait que, lorsqu’il a été emporté, si jeune et le cerveau plein de rêves que sa main eût réalisés, Gustave Doré songeait à illustrer Shakespeare. « Je donnerai ma mesure dans mon Shakespeare!» disait-il. Il n’avait pas besoin d’ache
ver ce Shakespeare pour donner sa mesure. Les admirables dessins, les croquis étourdissants d’humour, de mouve
ment, de lumière, les aquarelles colorées et puissantes qu’on trouvera rassemblées dans les salons du Cercle de la Librai
rie prouvent bien que ce prodigue, cet improvisateur, cet inventeur — méconnu de son vivant, sur certains points — fut vraiment un homme de grande race et le nom acclamé de Gustave Doré, aimé hier, respecté aujourd’hui, est un de ceux que conservera et saluera l’avenir.
l’assassinat d’odonovan rossa
C’est le 2 février dernier qu’a eu lieu cette tentative d’assassinat dirigée contre le chef des « Invincibles irlan
dais » ou de la secte des dynamitards, comme on dit audelà de l’Atlantique.
O’Donovan Rossa est un homme d’environ cinquantecinq ans. Né à Ross, en Irlande, il devint à l’époque où Stephens agitait le pays, l’un des membres les plus acti s du parti anti-anglais et fonda une Société dont l’objet était la création d’une république démocratique irlandaise. Arrêté en 1858 pour ce fait et remis en liberté, il reprit sa car
rière d’agitateur, s’associa aux fénians et fonda en IS63 à Dublin 1 ’lrish People qui prêcha ouvertement la révolution et le partage des terres. Arrêté de nouveau avec plusieurs de ses collègues, il comparut avec eux en 1865 devant une commission spéciale, fut déclaré coupable de conspiration et de trahison, et condammé à la prison perpétuelle.
Le temps qu’il a passé en prison jusqu’à l’amnistie de 1869 a fait l’objet de sa part d’une publication où il était représenté comme une victime de la tyrannie. Aussitôt qu’il eût été mis en liberté, il regagna les Etats-Unis, qu’il avait déjà visités en 1863. Il fonda à New-York un journal intitulé Y United lrishman, dans lequel il ne cessa depuis lors de faire constamment appel à la force et à l’assassinat, de réclamer la pensée et la direction de ces entreprises tentées contre l’Angleterre, et d’applaudir à leur succès.
Les bureaux de Y United lrishman sont situés Chambers strect. C’est dans ces bureaux que, le 31 janvier, il reçut d’une dame inconnue, Mme Iseult Dudley, un mot lui as
signant au bureau de la Compagnie télégraphique un rendez-vous, auquel il alla immédiatement. Cette dame lui
dit qu’elle était en communion d’idées avec les nationalistes irlandais, quelle désirait soutenir leur cause et pouvait
mettre à leur disposition une certaine somme par mois. Deux jours plus tard, nouveau billet et nouveau rendezvous au même endroit. Il s’agissait cette fois de faire le premier versement de la somme promise. Quand O’Donovan aborda la dame, celle-ci tira de sa poche un écrit, en di
sant qu’il avait à y apposer sa signature. C’était un reçu de ce premier versement.
Comme l’Irlandais s’apprêtait à lire l’écrit, elle le pria de gagner quelque endroit où ils pussent parler avec plus de liberté. Ils descendirent dans Chambers Street, s’apprêtant à traverser Broadway, mais ils ne marchaient pas de
puis une minute que la dame fît un pas en arrière et, prenant un revolver dans sa poche, fit feu sur O’Donovan Rossa qui, s’affaissant, tomba sur le trottoir, où la meur
trière acheva de décharger sur lui son arme. On s amassa autour du blessé que deux passants parvinrent, comme le montre notre gravure, à remettre sur ses pieds, tandis que Mme Dudley, tournant le dos, s’éloignait en suivant le trottoir de Chambers Street. Elle ne tarda pas à être arrêtée.
On sait qu’O’Donovan Rossa, qui avait été transporté à l’hôpital voisin, est aujourd’hui à peu près guéri. Une seule balle avait porté. Elle l’avait atteint dans le dos, un peu au dessous de l’épaule.
Pour Mme Dudley elle est toujours en prison. On s’est naturellement beaucoup occupé de sa personnalité, mais on ne sait rien de bien positif à son égard. Les uns en font une folle, avec tendance à la manie du suicide, les autres un agent à la solde de l’Angleterre. D’autres disent au contraire que c’est une femme intelligente, active, ayant d’in
times sentiments de patriotisme. Ses déclaratioes donnent du corps à cette dernière version.
Interrogée par un reporter, elle a, en effet répondu qu’en tentant .de tuer Rossa, elle n’était animée que du désir de châtier un misérable qui aidait des fanatiques à faire couler le sang et à causer des dégâts matériels; et elle a exprimé le regret de n’avoir pas réussi dans sa tentativè. Voici au reste son interrogatoire après son arrestation : — Quel est votre nom ? — Yseult Dudley. — Votre adresse? — 60,
Clinton place. —Votre nationalité?— Anglaise. — Votre âge? — Vingt-quatre ans. — Mariée ou seule? — Veuve.
— Pourquoi avez-vous tiré sur cet homme? — C’est O’Donovan Rossa et je suis Anglaise.
Quant au physique, voici le portrait que trace de Mme Dudley le reporter du Herald : Elle est de taille moyenne, très potelée, a le teint frais et rose, les traits ré
guliers, la bouche bien dessinée. Elle porte lunettes. Les yeux, d’un bleu clair, sont grands et bien ouverts, avec une certaine expression d’insouciance. Le timbre de sa voix est d’une douceur surprenante. Ses manières ont toutes la grâce féminine et l’ensemble de sa personne révèle une femme d’une politesse exquise et d’une éducation au-dessus de la moyenne. Voici maintenant le détail de sa toilette au
moment de son arrestation : chapeau de paille blanche avec une large bande de velours bleu foncé, dolman noir avec fourrures, robe de soie noire, gants de peau noirs, foulard de soie blanche.
UN MEETING REVOLUTIONNAIRE A NEW-YORK
Outre la gravure de l’assassinat d’Odonavan Rossa, que nous reproduisons aujourd’hui, les journaux illustrés américains nous apportent la représentation des scènes tumul
tueuses survenues dans un meeting socialiste tenu à New- York, à l’occasion des explosions de Londres.
Très divisé, comme partout, le parti révolutionnaire se partage, aux Etats-Unis, entre différentes coteries qui se détestent et s’entre déchirent avec une violence au moins égale à celle de leur haine commune contre le bourgeois, le capital et la propriété. Les deux groupes principaux, les bleus et les rouges, se composent, le premier, des socialistes relativement modérés, et l’autre des anarchistes à outrance. Lorsque parvint à New-York la nouvelle des der
nières explosions de Londres, les bleus convoquèrent une réunion ayant pour objet de réprouver ces attentats et de dénoncer toute solidarité avec les apôtres de la dynamite,
mais, redoutant l’ingérence des rouges dans leurs affaires, ils réclamèrent la protection de la police métropolitaine, qui prit ses mesures en conséquence. Le 2 février, jour fixé pour le meeting, les rouges ne manquèrent pas au rendezvous : ils commencèrent par distribuer aux assistants un ordre du jour incendiaire, puis ils voulurent prendre d’assaut le bureau et faire nommer un président de leur choix.
A l’aide des chaises et des banquettes, ils essayèrent de se frayer un passage jusqu’à l’estrade, mais les bleus étaient en force, et il y avait dans la salle un certain nombre d’a­
gents en bourgeois. Ceux-ci appelèrent à leur aide leurs camarades en uniforme postés à l’extérieur, et les assaillants furent vigoureusement expulsés à coups de casse-tête, comme le montre notre gravure.
Sauf l’intervention de la police, moins débonnaire qu’à Paris, on se serait cru à la salle Lévis ou à Belleville : c’est à ce titre qu’il nous a paru bon de reproduire cette scène instructive et d’autant plus édifiante, qu’elle a pour théâtre la terre classique de la liberté.
MESSALINA
Dans notre dernier numéro, nous avons rendu compte du grand ballet historique, Messalina, qui vient d’obtenir,
à l’Éden-Théâlre, un si grand et si légitime succès. Nous n’avons pas à y revenir ici,nous n’avons que quelques mots à dire concernant notre dessin. Il représente l’entrée, au se
cond tableau, des gladiateurs et des rétiaires au cirque, soit de quarante-huit danseuses, qui exécutent une série de jetés avec des conversions sur un mouvement de galop. Les cos
tumes sont très beaux et très exacts, comme au reste tous
ceux du ballet, qui font le plus grand honneur au costumier et aux dessinateurs, parmi lesquels il convient de citer parti
j culièrement M. Dick de Lonlay, le secrétaire du théâtre.
NOS GRAVURES