Je ne sais pas trop comment les Parisiennes entendent le carême : il y a des récep
tions partout, et les bals travestis ne chôment pas, en dépit du carnaval défunt.
Nous aurons eu, du reste, cette semaine le vrai carnaval parisien : la Mi-Carême. C’est un jour de liesse quasi-commerciale dont les négociants à tapage profitent pour étaler quelques annonces sur le boulevard. Et puis les enfants ont encore là une occasion de se costumer en gardes françaises ou en laitières ! Puis c’est tout. On ne songe plus qu’à Pâques... et à la Trinité.
On danse donc beaucoup à Paris. On y dîne surtout infiniment. Qui dit Carême dit repas priés. Cela a l’air d’un paradoxe mais on n’a jamais vu se promener autant de timbales milanaises à travers les rues que depuis que les jours de mortification se sont levés. On va au sermon mais entre l’heure du pâtissier et l’heure du souper. Et puis le sermon ! Le sermon est encore une des formes du spectacle pour la Parisienne. Elle traite la question de savoir si l’éloquence du P. Monsabré vaut celle de M. l’abbé Perraud absolument comme s’il s’agissait des mérites de M. Damala. Le sacré se jnêle agréablement au profane dans cette vie parisienne, qui serait très facilement comparée à des sandwichs en fait de morale. Une tranche de vertu et une tranche de laisser-aller superposées.
Et dans les discussions d’autour de la table, Dieu sait si Ton a parlé des médecins, cette lois, à propos de ce docteur Watelet qui a écrit aux journaux une lettre spéciale pour raconter comment le peintre Bastien Lepage était mort. Vous verrez qu’avec la formi
dable publicité dont ce temps-ci est avide, on ne pourra bientôt plus non seulement vivre mais mourir en paix. Il y aura des des interwievers pour les méde
cins comme pour les hommes d’Etat et les cantatrices célèbres.
— Pardon, docteur, de quelle maladie exacte est mort l’illustre M. Trois-Etoiles?
Notez que l’on a publié toute une brochure sur la maladie et la mort de Gambetta, avec force détails pharmaceutiques, une brochure aussi implacable qu’une autopsie, et que nul ne s’est avisé de demander à l’auteur de cette brochure historico-médicale les comptes que Ton réclame, de par la loi, au docteur Watelet.
Tout médecin devrait avoir bouche close. Quoi ! je lui livre le secret de mes infirmités et de mes ridicu
les et je pourrai trembler à l’idée que, tôt ou tard, je verrai mon cas étalé dans les colonnes d’un journal !
Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre, a-t-on dit. Et pour son médecin encore moins !
Je ne sais qui a dit qu’il n’y avait pas de jolie femme pour sa corsetière. Mais celui-là poussait le pessimisme trop loin.
Ce qui est certain, c’est que le tailleur, comme le docteur, la couturière, comme la garde-malade, sont tenus au plus strict secret professionnel.
Ce grand poète, qui fut un assez méchant homme, Henri Heine, n’a-t-il pas imprimé, un jour, en pleine Gazette d’Augsbourg, que Victor Hugo était bossu ?
Bossu ? Oui, bossu. On peut lire l’étrange révélation dans le volume de Lutèce. Henri Heine assurait que ce secret qui, selon lui, expliquait le génie même de Victor Hugo, lui avait été livré par le tailleur du maître poète.
Victor Hugo, d’ailleurs, ne fit qu’en rire. II en avait déjà vu et entendu bien d’autres 1 II était déjà bronzé, lui qui était né pour le bronze.
— Bossu ? dit-il. C’est peu de chose. On a bien dit que je me grisais, que j’avais tenté d’assommer un ami et que je marchais tout droit vers un cabanon.
Et, riant, il fit ces deux vers qu’il écrivit au bas de son portrait lithographié. Peut-être Henri Heine les lut-il, un jour :
VICTOR HUGO
Tels sont les quatre aspects de cet homme féroce : Folie, assassinat, ivrognerie — et bosse !
V. H.
Les querelles littéraires amènent, en effet, à ces petites aménités-là.
Parlez-moi des querelles politiques ! Elles sont plus correctes, je pense. Nous allons avoir dans
peu une loi charmante : la liberté de la fabrication des armes. Tout citoyen aura le droit de se fabriquer,
pour son propre usage, un petit chassepot de coin du feu, une carabine de famille, un revolver d’étagère.
C’est simple comme bonjour. Imaginez la mort mise à la portée de tous, voilà la belle loi que va mettre au monde la Chambre sous prétexte de liberté.
« Le chassepot libre dans l’Etat libre. La mitrailleuse facultative ,— sinon obligatoire..»
C’est assez gentil. Et les billevesées font un tel chemin qu’on voit un homme de cœur, M. Anatole de La Forge, se séparer de M. Paul Déroulède et donner sa démission de président de la Ligue des Patriotes parce que M. Déroulède a flétri le drapeau rouge. M. Anatole de La Forge est pour la liberté des
drapeaux. Chacun son drapeau, chacun son chassepot et que la petite fête commence !
Mais si, demain, un zouave de Charette mourait et que son cercueil entrât dans le cimetière du Père- Lachaise avec un drapeau blanc fleurdelisé sur le drap noir, que dirait M. Anatole de La Forge? Homme de liberté, accorderait-il à l’étendard de la monarchie le droit de flottage qu’il donne aux couleurs de la Commune ?
Et ce qu’il y a de piquant dans la politique actuelle, c’est que dès qu’une échauffourée se produit,—comme celle de Levallois-Perret— il se trouve, le lendemain,
un journal radical pour en accuser... qui ? la famille d’Orléans.
Et c’est ainsi que la politique se traîne, mesquine et répulsive, dans les sentiers où Ton ramasse de la basse popularité. Vrai Dieu, qu’il est plus consolant de reporter sa pensée vers cette terre lointaine où quatre cents de nos soldats ont, dans une bicoque, résisté à sept assauts donnés par dix mille Chinois ! On a dit, après Mazagran, que celui qui y comman
dait, le capitaine Lelièvre, était un fameux lapin. Que dira-t-on du commandant Dominé qui vient d’ajouter une page admirable à l’histoire de l’héroïsme français ?
On ne sait pas combien de tels faits d’armes nous font de bien dans l’opinion des peuples étrangers. Je ne parle pas des ennemis, mais des simples spectateurs qui se disent : Eh! Allons donc! la France n’est pas morte !
Il était arrivé aux dernières cartouches, aux dernières bouchées de pain, le commandant Dominé, lorsque le général Brière de l’Isle est accouru, écra
sant les Chinois et les Pavillons Noirs—ces Pavillons Noirs qui n’existaient plus, nous a-t-on dit bien des fois, et qui renaissent de leurs défaites. Et le commandant Dominé a été sauvé.
Il faut bien que le Parisien fasse des mots, même avec les maux des autres, comme disait Carie Vernet.
Sur le boulevard, on s’est abordé en disant : — Eh! bien, Dominé?
— Le commandant Dominé?
— Oui... savez-vous comment on l’appelle? Domine Salvum !
objets lui ayant appartenu! C’est un peu macabre. La terre aussi où il repose lui appartient. Ou il appartient à la terre.
Et en voilà, je pense, des expositions de peinture!.. M. Adolphe Yvon, le peintre de batailles, va, je crois,
ouvrir bientôt une exposition de portraits et M. Théodule Ribot expose une centaine de dessins et aquarelles qui valent la peine d’être vus et que les con
naisseurs admireront. On a dû faire violence à M. Ribot pour le décider à cette exhibition, car ses dessins, il les garde chez lui et pour lui. Ce sont ses entr’actes de peintre, si je puis dire. II jette un croquis sur le papier, pour se reposer d’un tableau.
— Le soir, qu’est-ce que vous voulez? Je n’ai rien à faire, nous disait-il. Alors je copie les mains de ma femme ou de ma fille !
Ces études de mains, elles seront, un jour, l’orgueil d’un musée.
Dans son atelier d’Argenteuil, Ribot avait entassé la plupart des grandes toiles religieuses — des chefsd’œuvre — qu’il n’avait pas vendues. Lorsque les Al
lemands occupèrent Argenteuil, ils prirent toutes ces peintures et, avec un soin exquis, ils les découpèrent en petites lanières ou en petits carrés pareils à des cases de damiers, soigneusement, et lorsque Ribot rentra chez lui il trouva toutes ses toiles en lambeaux.
La vie d’un homme! L’œuvre même d’un artiste! Ce qui devait lui assurer la faveur de cette postérité «pour qui vous savez que je professe beaucoup de respect » disait Delacroix.
Le pauvre Ribot en reçut comme un coup sur la tête. Mais il se remit à l’œuvre et, depuis quinze ans, les toiles qu’il a signées valent mieux encore que ces admirables tableaux perdus.
— Encore s’ils les avaient pris, s’ils les avaient emportés à Berlin, à Munich, je ne sais où, je médirais que mes œuvres existent encore ! Mais les coupiller, les gâcher, les détruire !
Il ne s’en est point consolé et le triomphe de son exposition de dessins ne l’en consolera pas.
Après les expositions de peinture,ce qu’il y a de plus fréquent aujourd’hui, c’est la publication de Mémoires plus ou moins affriolants ou historiques.
M. Léouzon Leduc tenait, l’autre jour, à retirer son épingle du jeu des Mémoires d’Horace de Viel Castel dont il a écrit la préface, etM. de Maupas, en donnant un second volume de Mémoires sur le coup d’Etat, ne détruit pas l’effet de la légende qu’on raconte. On a dit et redit que M. de Maupas, demandant des ordres
à M. de Morny, recevait des dépêches télégraphiques extraordinaires.
M. de Maupas à M. de Morny. — La préfecture de police est entourée, menacée. Que faire?
M. de Morny à M. de Maupas. — Couchez-vous ! Une heure après :
Maupas à Morny. — Groupes grossissent, effervescence croissante. Quels sont vos ordres ?
Morny à Maupas — Couchez-vous !
C’est peut-être bien le docteur Véron qui s’est fait, le premier, l’éditeur de cette correspondance télégra
phique, dont l’exactitude est douteuse, sans doute. Je n’ai pas ouvert encore les Mémoires de M. de Maupas, et j’ignore s’il répond à cette anecdote.
Je serai plus pressé de lire les Confidences de la comtesse de Castiglione ; beaucoup plus. Un mystère enveloppe cette créature charmante, dont Cabanel a peint la beauté. Elle fut la Salammbô des grandes fêtes impériales, elle est aujourd’hui la recluse d’un castel des environs de Turin. S’occupant toujours de politique, d’ailleurs. Vivant solitaire, mais recevant vo
lontiers un visiteur s’il lui vient parler des affaires de l’Europe, qu’elle a la prétention de traiter comme un diplomate chevronné. A Paris, où elle est présente
ment, personne ne la voit. Il y a en elle comme une névrose spéciale, la peur ou l’horreur d’être vue. Les fenêtres de ses appartements sont closes. Avant de monter en voiture, elle attendra que personne ne la puisse apercevoir dans la rue. On connaît cette étrange maladie, qui consiste dans la peur qu’on éprouve à traverser une place, un espace vide. La science nomme
cela l’agoraphobie. La comtesse de Castiglione a une phobie particulière : celle des regards humains. N’être pas vue, voilà le rêve de cette jolie femme, qui libé
ralement, fière de sa beauté, se laissait, aux lustres de l’empire, admiter dans toute sa splendeur.
Que seront ses Mémoires ? Si elle fuit les yeux, ne fuira-t-elle pas les jugements du prochain? Dira-t-elle tout ce qu’elle sait? Osera-t-elle? Voilà bien des points d’interrogation très piquants, et je prédis — sans être prophète comme le Madhi — un succès étourdissant aux Mémoires de Mme de Castiglione.
Perdican.
J’ai parlé, l’autre jour, de l’exposition des dessins de Gustave Doré. Réellement la maison Ha
chette fait bien les choses. Elle étale sur une table et met à la disposition du public les magnifiques volumes illustrés par Doré qu’elle a édités et Ton peut aller, bien assis, bien chauffé, lire Perrault, Don Quichotte ou le Dante dans un des salons du Cercle de la librai
rie. On a un peu fait de même au quai Malaquais, pour l’exposition d’Eugène Delacroix. Il n’y avait pas de livres illustrés à exposer, sauf le Faust, mais on a mis sous les yeux des visiteurs, dans des vitrines, plusieurs lettres, des plus intéressantes, du grand peintre.
Il en est de curieuses. Lorsque Delacroix est nommé membre de l’Institut, il écrit à un ami : « L’habit que j’endosse ne changera pus l’homme, j’espère. » Dans une autre, il parle de Paul Véronèse « le seul qui ait surpris tout le secret de la nature » ; dans une autre encore, de Prudhon « homme admirable que je place fort haut dans mon estime » et de Charlet « qui n’est pas un caricaturiste mais un homme énorme. » Dans une lettreau peintre Colin (novembre 1862),il lefélicite sur le second prix de Rome que vient d’obtenir son petit-fils Louis Leloir. Pauvre Louis Leloir!
La foule se penche sur ces autographes et aussi sur les reliques d’Eugène Delacroix, la plupart con
servées par M. Alfred Robaut : le lorgnon du peintre, une bague en or, rapportée du Maroc en 1832 et que Delacroix porta au petit doigt jusqu’à sa mort; la pa
lette du maître, des cheveux d’Eugène Delacroix coupés par sa gouvernante Jenny, des cartes de visite du peintre et jusqu’à la lettre de faire part de la mort d’Eugène Delacroix, décédé à Paris, rue Furstenberg. La lettre de faire part d’un mort classée parmi les
tions partout, et les bals travestis ne chôment pas, en dépit du carnaval défunt.
Nous aurons eu, du reste, cette semaine le vrai carnaval parisien : la Mi-Carême. C’est un jour de liesse quasi-commerciale dont les négociants à tapage profitent pour étaler quelques annonces sur le boulevard. Et puis les enfants ont encore là une occasion de se costumer en gardes françaises ou en laitières ! Puis c’est tout. On ne songe plus qu’à Pâques... et à la Trinité.
On danse donc beaucoup à Paris. On y dîne surtout infiniment. Qui dit Carême dit repas priés. Cela a l’air d’un paradoxe mais on n’a jamais vu se promener autant de timbales milanaises à travers les rues que depuis que les jours de mortification se sont levés. On va au sermon mais entre l’heure du pâtissier et l’heure du souper. Et puis le sermon ! Le sermon est encore une des formes du spectacle pour la Parisienne. Elle traite la question de savoir si l’éloquence du P. Monsabré vaut celle de M. l’abbé Perraud absolument comme s’il s’agissait des mérites de M. Damala. Le sacré se jnêle agréablement au profane dans cette vie parisienne, qui serait très facilement comparée à des sandwichs en fait de morale. Une tranche de vertu et une tranche de laisser-aller superposées.
Et dans les discussions d’autour de la table, Dieu sait si Ton a parlé des médecins, cette lois, à propos de ce docteur Watelet qui a écrit aux journaux une lettre spéciale pour raconter comment le peintre Bastien Lepage était mort. Vous verrez qu’avec la formi
dable publicité dont ce temps-ci est avide, on ne pourra bientôt plus non seulement vivre mais mourir en paix. Il y aura des des interwievers pour les méde
cins comme pour les hommes d’Etat et les cantatrices célèbres.
— Pardon, docteur, de quelle maladie exacte est mort l’illustre M. Trois-Etoiles?
Notez que l’on a publié toute une brochure sur la maladie et la mort de Gambetta, avec force détails pharmaceutiques, une brochure aussi implacable qu’une autopsie, et que nul ne s’est avisé de demander à l’auteur de cette brochure historico-médicale les comptes que Ton réclame, de par la loi, au docteur Watelet.
Tout médecin devrait avoir bouche close. Quoi ! je lui livre le secret de mes infirmités et de mes ridicu
les et je pourrai trembler à l’idée que, tôt ou tard, je verrai mon cas étalé dans les colonnes d’un journal !
Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre, a-t-on dit. Et pour son médecin encore moins !
Je ne sais qui a dit qu’il n’y avait pas de jolie femme pour sa corsetière. Mais celui-là poussait le pessimisme trop loin.
Ce qui est certain, c’est que le tailleur, comme le docteur, la couturière, comme la garde-malade, sont tenus au plus strict secret professionnel.
Ce grand poète, qui fut un assez méchant homme, Henri Heine, n’a-t-il pas imprimé, un jour, en pleine Gazette d’Augsbourg, que Victor Hugo était bossu ?
Bossu ? Oui, bossu. On peut lire l’étrange révélation dans le volume de Lutèce. Henri Heine assurait que ce secret qui, selon lui, expliquait le génie même de Victor Hugo, lui avait été livré par le tailleur du maître poète.
Victor Hugo, d’ailleurs, ne fit qu’en rire. II en avait déjà vu et entendu bien d’autres 1 II était déjà bronzé, lui qui était né pour le bronze.
— Bossu ? dit-il. C’est peu de chose. On a bien dit que je me grisais, que j’avais tenté d’assommer un ami et que je marchais tout droit vers un cabanon.
Et, riant, il fit ces deux vers qu’il écrivit au bas de son portrait lithographié. Peut-être Henri Heine les lut-il, un jour :
VICTOR HUGO
Tels sont les quatre aspects de cet homme féroce : Folie, assassinat, ivrognerie — et bosse !
V. H.
Les querelles littéraires amènent, en effet, à ces petites aménités-là.
Parlez-moi des querelles politiques ! Elles sont plus correctes, je pense. Nous allons avoir dans
peu une loi charmante : la liberté de la fabrication des armes. Tout citoyen aura le droit de se fabriquer,
pour son propre usage, un petit chassepot de coin du feu, une carabine de famille, un revolver d’étagère.
C’est simple comme bonjour. Imaginez la mort mise à la portée de tous, voilà la belle loi que va mettre au monde la Chambre sous prétexte de liberté.
« Le chassepot libre dans l’Etat libre. La mitrailleuse facultative ,— sinon obligatoire..»
C’est assez gentil. Et les billevesées font un tel chemin qu’on voit un homme de cœur, M. Anatole de La Forge, se séparer de M. Paul Déroulède et donner sa démission de président de la Ligue des Patriotes parce que M. Déroulède a flétri le drapeau rouge. M. Anatole de La Forge est pour la liberté des
drapeaux. Chacun son drapeau, chacun son chassepot et que la petite fête commence !
Mais si, demain, un zouave de Charette mourait et que son cercueil entrât dans le cimetière du Père- Lachaise avec un drapeau blanc fleurdelisé sur le drap noir, que dirait M. Anatole de La Forge? Homme de liberté, accorderait-il à l’étendard de la monarchie le droit de flottage qu’il donne aux couleurs de la Commune ?
Et ce qu’il y a de piquant dans la politique actuelle, c’est que dès qu’une échauffourée se produit,—comme celle de Levallois-Perret— il se trouve, le lendemain,
un journal radical pour en accuser... qui ? la famille d’Orléans.
Et c’est ainsi que la politique se traîne, mesquine et répulsive, dans les sentiers où Ton ramasse de la basse popularité. Vrai Dieu, qu’il est plus consolant de reporter sa pensée vers cette terre lointaine où quatre cents de nos soldats ont, dans une bicoque, résisté à sept assauts donnés par dix mille Chinois ! On a dit, après Mazagran, que celui qui y comman
dait, le capitaine Lelièvre, était un fameux lapin. Que dira-t-on du commandant Dominé qui vient d’ajouter une page admirable à l’histoire de l’héroïsme français ?
On ne sait pas combien de tels faits d’armes nous font de bien dans l’opinion des peuples étrangers. Je ne parle pas des ennemis, mais des simples spectateurs qui se disent : Eh! Allons donc! la France n’est pas morte !
Il était arrivé aux dernières cartouches, aux dernières bouchées de pain, le commandant Dominé, lorsque le général Brière de l’Isle est accouru, écra
sant les Chinois et les Pavillons Noirs—ces Pavillons Noirs qui n’existaient plus, nous a-t-on dit bien des fois, et qui renaissent de leurs défaites. Et le commandant Dominé a été sauvé.
Il faut bien que le Parisien fasse des mots, même avec les maux des autres, comme disait Carie Vernet.
Sur le boulevard, on s’est abordé en disant : — Eh! bien, Dominé?
— Le commandant Dominé?
— Oui... savez-vous comment on l’appelle? Domine Salvum !
objets lui ayant appartenu! C’est un peu macabre. La terre aussi où il repose lui appartient. Ou il appartient à la terre.
Et en voilà, je pense, des expositions de peinture!.. M. Adolphe Yvon, le peintre de batailles, va, je crois,
ouvrir bientôt une exposition de portraits et M. Théodule Ribot expose une centaine de dessins et aquarelles qui valent la peine d’être vus et que les con
naisseurs admireront. On a dû faire violence à M. Ribot pour le décider à cette exhibition, car ses dessins, il les garde chez lui et pour lui. Ce sont ses entr’actes de peintre, si je puis dire. II jette un croquis sur le papier, pour se reposer d’un tableau.
— Le soir, qu’est-ce que vous voulez? Je n’ai rien à faire, nous disait-il. Alors je copie les mains de ma femme ou de ma fille !
Ces études de mains, elles seront, un jour, l’orgueil d’un musée.
Dans son atelier d’Argenteuil, Ribot avait entassé la plupart des grandes toiles religieuses — des chefsd’œuvre — qu’il n’avait pas vendues. Lorsque les Al
lemands occupèrent Argenteuil, ils prirent toutes ces peintures et, avec un soin exquis, ils les découpèrent en petites lanières ou en petits carrés pareils à des cases de damiers, soigneusement, et lorsque Ribot rentra chez lui il trouva toutes ses toiles en lambeaux.
La vie d’un homme! L’œuvre même d’un artiste! Ce qui devait lui assurer la faveur de cette postérité «pour qui vous savez que je professe beaucoup de respect » disait Delacroix.
Le pauvre Ribot en reçut comme un coup sur la tête. Mais il se remit à l’œuvre et, depuis quinze ans, les toiles qu’il a signées valent mieux encore que ces admirables tableaux perdus.
— Encore s’ils les avaient pris, s’ils les avaient emportés à Berlin, à Munich, je ne sais où, je médirais que mes œuvres existent encore ! Mais les coupiller, les gâcher, les détruire !
Il ne s’en est point consolé et le triomphe de son exposition de dessins ne l’en consolera pas.
Après les expositions de peinture,ce qu’il y a de plus fréquent aujourd’hui, c’est la publication de Mémoires plus ou moins affriolants ou historiques.
M. Léouzon Leduc tenait, l’autre jour, à retirer son épingle du jeu des Mémoires d’Horace de Viel Castel dont il a écrit la préface, etM. de Maupas, en donnant un second volume de Mémoires sur le coup d’Etat, ne détruit pas l’effet de la légende qu’on raconte. On a dit et redit que M. de Maupas, demandant des ordres
à M. de Morny, recevait des dépêches télégraphiques extraordinaires.
M. de Maupas à M. de Morny. — La préfecture de police est entourée, menacée. Que faire?
M. de Morny à M. de Maupas. — Couchez-vous ! Une heure après :
Maupas à Morny. — Groupes grossissent, effervescence croissante. Quels sont vos ordres ?
Morny à Maupas — Couchez-vous !
C’est peut-être bien le docteur Véron qui s’est fait, le premier, l’éditeur de cette correspondance télégra
phique, dont l’exactitude est douteuse, sans doute. Je n’ai pas ouvert encore les Mémoires de M. de Maupas, et j’ignore s’il répond à cette anecdote.
Je serai plus pressé de lire les Confidences de la comtesse de Castiglione ; beaucoup plus. Un mystère enveloppe cette créature charmante, dont Cabanel a peint la beauté. Elle fut la Salammbô des grandes fêtes impériales, elle est aujourd’hui la recluse d’un castel des environs de Turin. S’occupant toujours de politique, d’ailleurs. Vivant solitaire, mais recevant vo
lontiers un visiteur s’il lui vient parler des affaires de l’Europe, qu’elle a la prétention de traiter comme un diplomate chevronné. A Paris, où elle est présente
ment, personne ne la voit. Il y a en elle comme une névrose spéciale, la peur ou l’horreur d’être vue. Les fenêtres de ses appartements sont closes. Avant de monter en voiture, elle attendra que personne ne la puisse apercevoir dans la rue. On connaît cette étrange maladie, qui consiste dans la peur qu’on éprouve à traverser une place, un espace vide. La science nomme
cela l’agoraphobie. La comtesse de Castiglione a une phobie particulière : celle des regards humains. N’être pas vue, voilà le rêve de cette jolie femme, qui libé
ralement, fière de sa beauté, se laissait, aux lustres de l’empire, admiter dans toute sa splendeur.
Que seront ses Mémoires ? Si elle fuit les yeux, ne fuira-t-elle pas les jugements du prochain? Dira-t-elle tout ce qu’elle sait? Osera-t-elle? Voilà bien des points d’interrogation très piquants, et je prédis — sans être prophète comme le Madhi — un succès étourdissant aux Mémoires de Mme de Castiglione.
Perdican.
COURRIER DE PARIS
J’ai parlé, l’autre jour, de l’exposition des dessins de Gustave Doré. Réellement la maison Ha
chette fait bien les choses. Elle étale sur une table et met à la disposition du public les magnifiques volumes illustrés par Doré qu’elle a édités et Ton peut aller, bien assis, bien chauffé, lire Perrault, Don Quichotte ou le Dante dans un des salons du Cercle de la librai
rie. On a un peu fait de même au quai Malaquais, pour l’exposition d’Eugène Delacroix. Il n’y avait pas de livres illustrés à exposer, sauf le Faust, mais on a mis sous les yeux des visiteurs, dans des vitrines, plusieurs lettres, des plus intéressantes, du grand peintre.
Il en est de curieuses. Lorsque Delacroix est nommé membre de l’Institut, il écrit à un ami : « L’habit que j’endosse ne changera pus l’homme, j’espère. » Dans une autre, il parle de Paul Véronèse « le seul qui ait surpris tout le secret de la nature » ; dans une autre encore, de Prudhon « homme admirable que je place fort haut dans mon estime » et de Charlet « qui n’est pas un caricaturiste mais un homme énorme. » Dans une lettreau peintre Colin (novembre 1862),il lefélicite sur le second prix de Rome que vient d’obtenir son petit-fils Louis Leloir. Pauvre Louis Leloir!
La foule se penche sur ces autographes et aussi sur les reliques d’Eugène Delacroix, la plupart con
servées par M. Alfred Robaut : le lorgnon du peintre, une bague en or, rapportée du Maroc en 1832 et que Delacroix porta au petit doigt jusqu’à sa mort; la pa
lette du maître, des cheveux d’Eugène Delacroix coupés par sa gouvernante Jenny, des cartes de visite du peintre et jusqu’à la lettre de faire part de la mort d’Eugène Delacroix, décédé à Paris, rue Furstenberg. La lettre de faire part d’un mort classée parmi les