LE GÉNÉRAL BRIERE DE L’ISLE
Le beau succès que vient de remporter le petit corps expéditionnaire du Tonkin, si bravement et si bien dirigé par le général Brière de l’Isle, appelle de nouveau l’attention sur ce vaillant
soldat qui compte aujourd’hui trente-neuf années de services et trente-trois campagnes dont dix de guerre.
Le général Brière de l’Isle a cinquante-six ans. Il est originaire de la Martinique. C’est un homme de grande taille, de forte carrure; le teint est bronzé. Tout en lui dénonce le soldat, le soldat-marin. En sortant de Saint-Cyr, il fut placé au Ier régiment d’inlanterie de marine et envoyé à la Plata. Sa nomination de capitaine lui parvint à la Martinique qu’il quitta pour se rendre à la Guadeloupe. Il prit part à l expédition de Chine et d’Indo-Chine et, le 26 février 1861, il était cité à l’ordre de l’armée pour s’être distingué à la prise des forts de Ki-hoa.
On le trouve en Cochinchine de 1866 à 1868, avec le grade de lieutenant-colonel, il retourne ensuite à la Guadeloupe jusqu’en 1869.
Le 2 août 1870, il passe colonel, et c’est à la tête du Ier régiment d’infanterie de marine qu’il est blessé et mis hors de combat dans la fatale journée de Sedan.
A son retour de captivité, il entre au ministère de la marine comme chef du bureau des troupes, puis, en 1876, s’embarque pour le Sénégal avec le titre de gouverneur général. Il reste cinq ans dans cette colonie et y reçoit les étoiles de général de brigade.
Aux manœuvres de 1883, entre les 7e et 8e corps, la brigade d’infanterie de marine qu’il avait sous ses ordres fut l’objet des plus vifs éloges tant pour sa bonne tenue que pour la perfection de ses mouvements.
Le 16 décembre 1883, un décret nommait le général Brière de l’Isle commandant de la ire brigade du corps expéditionnaire du Tonkin.
Par son intelligence, sa vigueur, sa parfaite connaissance des colonies, il contribua à faire tomber Bac-Ninh entre nos mains et à débarrasser une partie du pays des bandes qui l’in
festent. Le 8 septembre, il prit la direction des opérations en remplacement du général Millot. Après la victoire de Lang-son, il marcha au secours de la petite garnison assiégée dans Tuyen-Quan et la délivra.
Le général Brière de l’Isle peut être fier de la conduite héroïque du commandant Dominé. C’est un épisode qui comptera, comme il le dit lui-même dans sa dépêche, parmi les plus belles pages de notre histoire. K. de B.
LE GÉNÉRAL DE NÉGRIER
Pendant que le général Brière de l’Isle accourait au secours de la petite garnison de Tuyen-Quan et la sauvait d’un désastre imminent, le général de Négrier, du côté de Lang-Son, détruisait les forts chinois, s’emparait d’une bat
terie de canons revolvers Krupp et faisait sauter la porte frontière de Chine.
Bien que, pour qui connaît le caractère ferme et résolu du jeune et déjà glorieux général, cette action pleine de vigueur riait rien qui étonne, on doit l’admirer comme celles qu’il a accomplies à Bac-Ninh, à Hong-Hoa, à Kep, où il fut blessé.
Du reste, le général de Négrier a de qui tenir.
Toute sa famille a conquis une illustration par l’épée. Son grand-pèje avait été chevalier de St-Louis et capitaine de vaisseau sous Louis XVI ; son oncle, le général François de Négrier, fut blessé à Waterloo, resta longtemps en Afrique et vint recevoir la mort aux journées de juin ; son
père, le général Ernest, Frédéric, Raphaël de Négrier, est un beau vieillard de quatre-vingt-six ans, un vaillant soldat qui enleva aux Autrichiens, pendant la campagne de 1859, le cimetière de Solférino.
Né à Belfort en 1839, le jeune général du Tonkin était capitaine à vingt-neuf ans et colonel à quarante.
Il est de taille moyenne, mais mince et bien prise; les traits du visage sont fins, l’œil bleu, très vif, plein d’éner
gie et de décision; l’ensemble est d’une grande distinction. Aussi bon marcheur que solide cavalier, d’une activité pro
digieuse, il se montre partout, ne cherchant qu’à électriser ses troupes et à forcer le succès ; aussi est-il adoré du soldat. En 1870, on le trouve capitaine au 2e bataillon de chasseurs à pied ; il est blessé à St-Privat.
Transporté dans Metz, il s’en échappe le 3 novembre, traversant à cheval et en tenue les lignes allemandes. Deux ulhans l’arrêtent, lui demandent s’il est porteur d’une auto
risation régulière pour s’éloigner ainsi de la place. De Négrier présente à l’un d’eux son billet d’hôpital, mais pendant que celui-ci en prend lecture, il saisit un pistolet et casse la tète du cavalier prussien. L’autre s’enfuit au galop.
L’héroïque capitaine gagna alors la Belgique et se présenta à l’armée du Nord, où le général Faidherbe lui confia le commandement d’un bataillon de chasseurs. Au combat de Villers-Bretonneux, un coup de feu l’at
teint au bras gauche ; à l’affaire de Vermant qui précéda la bataille de St-Quentin, il est frappé par un éclat d’obus : à chaque combat, une blessure.
Après la guerre, la commission de révision des grades,
en présence des services rendus par cet excellent officier, le confirma dans son emploi de chef de bataillon.
En 1879, il devient colonel de la Légion étrangère. Que de prodiges accomplis à la tête de ce régiment de braves ! Citons-en un exemple. Pour réprimer plus sûrement la ré
volte du Sud oranais, il montait ses soldats sur des mulets et leur faisait franchir des étapes de 60 kilomètres, tom
bant sur les tribus au moment où elles s’y attendaient le moins. De la sorte, nos hommes arrivant tout dispos, repre
naient leurs fusils portés jusque-là en bandoulière,semaient la mort parmi les rebelles et leur enlevaient leurs troupeaux.
On se souvient de la kouba d’El Abiod qu’il détruisit, afin de transporter dans un lieu plus directement soumis à notre surveillance un monument religieux qui, loin de nous, était le rendez-vous des révoltés et des prêcheurs de guerre sainte. Un comité établi à Paris pour la protection des in
digènes protesta alors violemment, si bien que le ministre de la guerre dut infliger un blâme un jeune colonel pour un acte qui, croyait-il, pouvait froisser les Arabes dans leur croyance. Les journaux d’Algérie, au contraire, esti
maient que l’eftet moral produit sur les Bédouins par cette mesure énergique aurait pour la colonie les plus salutaires résultats. La souscription ouverte, dans leurs colonnes, pour offrir une épée d’honneur au colonel se couvrit de signa
tures et montait à plus de 12,000 fr, quand elle fut arrêtée par le refus de celui-ci.
Nommé général en 1873, M. de Négrier partit presqu’immédiatement pour le Tonkin où il fut placé à la tête de la 20 brigade du corps expéditionnaire. Après la prise de Bac-Ninh et de Hong-Hoa il a reçu la croix de grandofficier de la Légion d’honneur.
C’est le plus jeune de nos officiers généraux. R. de B.
AU CIRQUE MÉNIER
Après une mode en vient une autre. C’est l’histoire des « clous » qui se chassent mutuellement, si l’on en croit cette vieille radoteuse de Sagesse des Nations.
Aujourd’hui, dans le monde, — dans le monde où l’on a le temps, les moyens et l’intention de s’amuser, — la mode paraît être au Cirque d’amateurs. C’est le « clou » auqueli le succès semble devoir s’accrocher. Après Molier, Méfligfb Après Molier et Ménier, beaucoup d’autres sans doiSBfjpn trouvera bientôt un hippodrome chez tous ceux qimWtmt assez de place pour le loger.
%dis, on faisait de la peinture ou de la sculpture, aux moments perdus — perdus était généralement le mot. Autre guitare. Adieu palettes, pinceaux et ébauchoirs. La haute école a détrôné l’école des Beaux-Arts. Le cheval, dressé en liberté, a renversé le chevalet. Le son du mannequin a coulé dans l’arène. L’éléphant étale ses grâces sur la table à modèle.
Tout pour et par l’équitation. A nous les jeux fortifiants du cirque! A nous Medrano, Boum-Boum, Gugusse, leurs cabrioles désopilantes et leurs audacieux calembours, — la fiente de l’esprit qui se cavale, dirait M. Franconi, cor
rigeant un texte de Victor Hugo. Vivent les clowns ! Les clowns for ever!
Donc, le 28 février dernier, M. Albert Ménier, — un gentleman tout à fait dans le mouvement, et qui ferait chauffer le train plutôt que de le manquer, — conviait ses amis à une grande représentation équestre, 53, boulevard Eugène, à Neuilly. Les cartes d’invitation portaient la mention : on dansera.
Pas moyen de s’égarer en route. Tout le long, tout le long du boulevard, des flèches de gaz remplissent l’office des cailloux blancs du Petit Poucet, et conduisent, pour ainsi dire par la main, les heureux invités jusqu’à la porte du cirque improvisé.
Ce cirque, situé au fond du jardin de la maison, est entouré de vastes écuries. Au contrôle, trois messieurs en habit, d’une sévérité excessive, paraphrasant le vers de Marion Delorme : « On n’entre pas ici facilement » font montrer patte blanche, c’est-à-dire carte rose, les invita
tions étant rigoureusement personnelles. Après le contrôle, un hall immense, une espèce de serre meublée de plantes exotiques et ornée d’un buffet luxueusement et conforta
blement servi. Enfin, après le hall, le cirque proprement dit, très vaste avec une galerie tout autour. Eclairage électrique éblouissant, presque effacé cependant par les toilettes des dames qui occupent la galerie, et jouent gracieusement avec des tambours de basques sur lesquels est im
primé le programme de la soirée. Les messieurs sont en bas, assis autour de la piste.
Programme chargé, scrupuleusement exécuté, avec beaucoup d’entrain et autant de succès. Chevaux sauteurs, haute école, voltige aérienne, divertissements variés, parades,
lazzis et jongleries des clowns, rien ne manque. Tout est enlevé avec un brio, une maestria incontestables. Un vrai
cirque, avec de vrais écuyers et de vrais clowns, ne fait pas mieux. Il fait même souvent moins bien.
Entre temps, Mme Esmeralda nous présente sa chèvre, qui n’a que le tort de s’appeler « Jeannette ». — Djali eût été, je crois, un peu mieux en situation. — Puis, nous applaudissons l’éléphant John Bull, léger comme une gazelle, ou à peu près, qui obéit au doigt et à l’œil à son amie Pierrot. Ce John Bull est étonnant; il mange à table, la serviette au col, comme un homme, sonne legarçon, pour demander la « suite » et « l’addition » avec une sonnette, au lieu de sonner de la trompe, comme l’a judicieuse
ment fait observer un clown. Il marche en outre sur des bouteilles, joue de la grosse caisse, se ballade en vélocipède. Enfin, il va jusqu’à danser le boléro. C’est dans cette agréable occupation que le représente notre dessin, qui donne d’ailleurs une idée très exacte de l’ensemble du cirque. M. Albert Ménier et ses amis, les uns en écuyers de cirque, les autres en clowns, entourent John Bull ej Son amie « Pierrot ».
Après la représentation équestre, bal, avec un orchestre dirigé par Deransart. Après le bal, souper. Total : succès. On ne demande qu’à recommencer. H. S.
CHINE ET TONKIN
Formose : La rade de Kelung, vue du Nid d’Aigle. — Le Nid d’Aigle. Le fort Tamsui.—Le 5 août 1884, l’amiral Lespès bombardait pour la première fois la ville de Kelung, au nord-est de l’île de Formose. Faute d’un corps sérieux de débarquement, on dut remettre à une époque ultérieure l’occupation effective. Elle eut lieu du Ier au 4 octobre, après plusieurs engagements avec les troupes chinoises qui défendaient les hauteurs dominant la place.
C’est deux de ces hauteurs que représente notre gravure. Le Nid d’Aigle et le fort Tamsui sont occupés par un fort détachement de nos troupes. Toute cette con
trée est très accidentée et très pittoresque. Le paysage aux environs de Kelung, et surtout entre cette ville et Tamsui, vaut la peine d’être vu, si nous en croyons des voyageurs anglais. Tant mieux pour notre admirable corps expédi
tionnaire qui pourra, la belle saison aidant, se refaire au milieu de cette nature pittoresque, des misères et des soufrances endurées pendant ce long hiver.
Terriblement dur pour nos braves marins, ce blocus de Formose, qui les occupe depuis cinq mois ! La mousson du nord-est, les coups de vent, les pluies torrentielles ont été
pour notre flotte des adversaires cent fois plus redoutables que l’ennemi. On voit à l’entrée de la rade quatre de nos navires : le Bayard, 1’Atalante, la Saône et l’Aspic ; si l’on apprend que, dans le port même, pendant la mousson, la mer est très grosse, bien qu’il soit protégé au nord-est par l’ilejPahou, on jugera ce qu’elle peut être à l’entrée de la rade. Ballotée sans cesse par des flots impitoyables, toujours en éveil pour soutenir le blocus et résister au mau
vais état de la mer, notre flotte comptera cette campagne presque stérile de cinq mois parmi les plus pénibles.
La ville de Kelung s’étend des deux côtés du port, dans lequel vient se jeter la petite rivière de Kelung qui divise ainsi la ville en deux parties. Une demi-douzaine d’Européens, fonctionnaires des douanes ou représentants de mai
sons d’Amoy, l’habitent en temps ordinaire. La population indigène, assez pauvre, vit de pêche ou est employée à l’exploitation des mines de charbon dont on a tant parlé,
qui sont situées à une dizaine de kilomètres de Kelung. — Notre occupation a eu pour résultat de jeter un peu d’ar
gent dans la circulation, en échange des produits du pays que les habitants nous vendent avec empressement.
Ile Matsou : Village chinois. — La Plage. — Monument religieux. — L’Ile Matsou est située près de l’embouchure de la rivière Min, sur la côte de Chine. Il n’y a pas de port, mais, au mouillage, les bateaux sont assez bien abrités contre la grosse mer. Lvamiral Courbet y vint passer, avec la flotte, le mois de septembre dernier après le bombardement de Fou-Tchéou; là, il put charger du charbon qu’il fit venir principalement de Hong-Kong. Le terrain de l’île est aride. Ses quelques habitants réunis dans un ou deux petits vil
lages dont nous donnons la vue, vivent de la pêche, principalement.
Sur la plage, une pagode délaissée, presque cachée par un bouquet de beaux arbres. Et plus loin, un monument religieux, un tombeau probablement, qu’entourent quelques indigènes dans un primitif costume.
Le Volta. — Ce navire est connu. Le négociateur du traité de Tien-Tsin, M. Fournier, en était le commandant au moment de la signature du traité. Puis, le Volta vint prendre sa place dans l’escadre de l’amiral Courbet. On sait qu’au bombardement de Fou-Tchéou, le commandant en chef arbora son pavillon sur ce navire. Pendant la journée du 24 août, ce dernier prit ainsi une part active à la destruction de l’arsenal, des jonques et des brûlots. Un pilote américain fut tué, sur le pont du Volta, au moment de l’action.
Ce croiseur, d’une force de 250 chev, porte 6 canons. La baie d’Along; Ba-la, chef de pirates.— Le Tonkin n’ayant pas encore un port abordable pour les grands na
vires, c’est dans la baie d’Along que viennent mouiller nos transports arrivant de France; de là, en deux heures, on parvient à Haï-Phong après un transbordement sur des navires calant moins de 5 mètres 50 c.
Au mouillage de la baie, notre gravure représente l’Atalante, commandée par le commandant Trêves, un vieux
Parisien du siège, le Drac, la Saône, la Nive et le Cnmorin.
Quel curieux spectacle offre cette Baie d’Along, avec ses milliers de pointes de rochers ! Unique au monde, cette division étrange d’une masse énorme de rochers en petits morceaux innombrables plantés droit au milieu de la mer ! Les pirates ont beau jeu pour établir leurs repaires dans ce dédale d’îles. — On en capture encore assez souvent, malgré cela. — Témoin, Ba-la, dont nous donnons le portrait à nos lecteurs. Il fut fait prisonnier par nos marins de YAtalante. Coiffé d’un crépon sale, couvert d’un cai-couan en
loques, Ba-la représente bien le type de l’Annamite le plus vulgaire, vivant de rapines et de méfaits de tous genres.
Debout derrière lui, son serviteur Dinh-van-Song.
A la recherche d’une mine de charbon. — Nous sommes sur le terrain houiller à la recherche d’une mine. Il y a là un groupe de colons, avec quelques marins, composant l’escorte.
On a facilité ainsi certaines explorations de mines, qui eussent été dangereuses sans cette dernière précaution.
Plusieurs explorateurs en ont profité. On sait que le régime minier du Tonkin a été réglé par une commission. Le droit du prospecteur est reconnu. Reste à mettre en pratique les décisions de la commission. G. F.
NOS GRAVURES