Nous allons parler tout à l’heure des retours de Nice. Un des premiers symptômes est celui-ci : La princesse Dolgourouky, la veuve du tzar Alexandre II, vient de se fixer à Paris et elle a donné, l’autre soir, un grand dîner littéraire. Alexandre Dumas, Ernesl Renan, Henry Meilhac, Arsène Houssaye y étaient conviés et sans doute Paris va-t-il avoir bientôt un nouveau grand salon littéraire, un de ces salons internationaux où domine l’esprit français.
On a beaucoup causé chez la princesse et avec l’entrain qu’ont de tels Parisiens de haute marque. Arsène Houssaye a annoncé, entre deux bons mots de Dumas, qu’il allait décidément, à la fin d’avril, publier ses Mémoires. Comme il adore Jean-Jacques, il appellera son livre Ma Confession. Quatre volumes de confiden
ces! Tout un monde (et même le demi-monde) de 1840 à 1885 ! Il paraît qu’Arsène Houssaye, qui a beaucoup écrit mais à qui l’on a écrit au moins tout autant, donne dans sa Confession les fac-similé d’une quantité de lettres à lui adressées, lettres de Sandeau,
lettres de Musset, lettres de Gautier, lettres de Roger de Beauvoir illustrées de dessins par l’auteur lui-même. Ce sera piquant et tout à fait curieux.
Ce toujours jeune Arsène Houssaye, pour parler comme le cliché, qui, cette fois, est absolument exact, incarne, pour une grande partie des étrangers, un cer
tain genre de la fashion française. Il est réellement, de pied en cape, le héros qu’il a choisi et créé, l’Oc
tave de Parisis des Grandes Dames. Aussi combien de curiosités féminines seront éveillées à l’annonce de Ma Confessioni Pourvu qu’Arsène Houssaye ait été bien indiscret! Ah ! s’il met trop de discrétion dans ses confidences, il fera faire la moue à plus d’une jolie Russe, ou d’une Espagnole, ou d’une Autrichienne ! Quand on écrit ses Mémoires, c’est pour tout dire.
On m’assure que Mme de Castiglione, dont je parlais l’autre jour, ne dira pas tout par la bonne raison qu’elle ne dira rien du tout. L’annonce de ses Confidences ne serait qu’un canard destiné à aiguiser l’appé
tit des badauds. Badaud moi-même, car j’attendais impatiemment l’apparition de ce volume.
Nous avons eu d’autres sujets d’intérêt. On a ouvert, à l’hôtel Chimay, l’exposition des œuvres de Jules Bastien-Lepage. Le pauvre garçon, sitôt emporté (à trente-six ans) apparaît là, dans toute la puissance d’un talent qui n’eût fait que grandir. « C’est un maître rare, » disait M. Paul Müntz au lendemain de la mort du peintre. M. Fourcaud, dans l excellente notice imprimée en tête du catalogue, compare à Clouet l’au
teur des portraits de Theuriet, de Sarah Bernhardt, de Mme Drouet, d’Albert Wolf et du prince de Galles. Le fait est que Bastien-Lepage savait unir la science du raffiné à la naïveté du primitif. Son exposition pos
thume sera un triomphe pour sa mémoire. Mais ces succès, doublés par la mort, m’ont toujours fait maudire plus encore les injustices de la destinée et les restrictions de la critique.
La critique ? Si elle était toujours sincère, elle serait parfaitement respectable mais elle a tant de dessous, la critique, et de compromis qu’elle rend per
plexe ceux qui s’inclinent le plus sincèrement devant elle.
Je lis, par exemple, dans un journal, sous la signature d’un feuilletoniste, d’ailleurs peu connu, ces mots : « Yodieux Maître de Forges » et j’apprends que le dégoûté qui parle avec tant de colère de « cet odieux Maître de Forges » a présenté, sans succès, deux pièces au théâtre même où, avec quelque succès, au contraire, on a représenté « Vodieux Maître de Forges. » Tout aussitôt, je l’avoue, le jugement du critique perd quelque peu d’autorité pour moi et je me demande alors, non sans quelque raison, si le dé
pit de l’auteur inédit ne rejaillit pas en gouttelettes acides sur «ces odieux Maître de Forges.» Tout homme qui en critique un autre ne devrait pas avoir les mêmes prétentions que lui. On devrait fouiller les poches des critiques pour voir si elles ne contiennent pas quelque manuscrit rance.
— Est ce que Sardou, Augier, Labiche ou moi nous nous jugeons entre nous ? disait, un jour, Dumas.
Est-ce que nous crions au public: « N’allez pas dans la baraque à côté ! Ce qu’on y joue n’y vaut rien !
Entrez, entrez dans ma baraque à moi ! » La plupart de ceux qui nous jugent devraient être plus indulgents puisqu’ils savent, par leur expérience personnelle, combien il est malaisé même de faire médio
crement ce que nous cherchons à faire honnêtement !
C’est une parole que jai retenue et je me suis promis, me décidant à être jugé, à ne plus juger personne.
Il faut, pourtant, à mesure qu’ils passent comme des marionnettes sur un petit théâtre, juger les gens et, avec les gens, les choses. La Porte-Saint- Martin reprendra, dans six mois, la Prise de Pékin puis
que nos soldats sont exposés à reprendre Pékin luimême. Mais, pour jouer le rôle fameux du reporter anglais, il n’y aura plus là le bon comédien Clément Just que n’oublieront jamais ceux qui l’ont vu dans ce drame.
Clément Just est mort, cette semaine, à l’heure même où l’on affichait sur les murs de Paris l’annonce d’uns Représentation extraordinaire au bénéfice de M. Clément Just. Il est mort en souffrant beaucoup et, la veille, il disait à M. Romain, du Gymnase, qui était allé lui rendre visite:
— Demain je serai mieux là-bas !
— Oui, àlaVarenne! répondit M. Romain, comme s’il n’avait pas compris.
Clément Just, l’été, allait se reposer à la Varenne où il louait, je crois, une maisonnette.
— Non, non, fit le mourant. A la Varenne, on n’est pas bien. On n’est très bien que là-bas !
Là-bas, c’était le cimetière où ses camarades l’ont conduit. J’ai lu dans un journal que Clément Just, las de ne pas trouver d’emploi dans les théâtres de drames avait demandé de débuter au café concert de l’Eldorado.
Débuter à l’Eldorado, à soixante-huit ans ! Un artiste qui eût été applaudi à la Comédie-Française! Cela juge l’état d’un théâtre. L’opérette, la féerie, la drôlerie ont tué le drame. Il faut tout le talent de Sar
dou pour le faire revivre. Et encore, vous verrez que, Sardou et Sarah partis, la Porte-Saint-Martin retournera à la féerie !
En attendant, Nice rentre à Paris. A Pâques les stations d’hiver se vident, et les fugitifs de la vie parisienne réintègrent le domicile déserté. C’est toute une alluvion nouvelle. Au Bois, on aperçoit des figures méditerranéennes. Les échappés d’Hyères ou de Cannes sont tout étonnés de retrouver le printemps dans l’allée des Poteaux. Printemps frileux, printemps grelotteux, mais printemps ensoleillé, et, avec le soleil,
la neige même paraîtrait printanière. On songe déjà aux toilettes d’après la semaine sainte, et l’on rêve au chapeau qu’on arborera au Concours hippique.
C’est tout à fait nouveau, ces mœurs d’hiver, ces façons d’aller passer la saison lroide à Nice ou Monte Carlo, et de revenir tout juste à point pour humer la brise d’avril, voir rapidement, au théâtre, les succès de l’hiver, avaler les toiles du Salon, et repartir pour la mer, puis pour le château. Si bien que Paris finirait par n’être plus qu’un pied-à-terre pour les Parisiens, s’il n’y avait pas les étrangers qui lui sont fidèles, qui s’y cramponnent et qui l’adorent avec autant de lrénésie qu’autrefois Nestor Roqueplan, ce Roqueplan qui disait :
Les ennemis du romanesque avoueront que les romans d’aventures n’offrent pas beaucoup d’antithèses plus étonnantes.
Gamahut a été condamné à mort et tout aussitôt il s’est trouvé d’autres Gamahut, d’honnêtes Gamahut,
de braves et innocents Gamahut pour protester contre la similitude du nom et déclarer dans les journaux qu’ils n’ont rien de commun avec le Gamahut qui n’est plus au coin du quaide l’Horloge puisqu’il estàMazas.
Charles Ballerich, lui, a été acquitté. Il n’est pas un honnête homme qui n’eût serré cette main de soldat.
Soldat et deux fois soldat, car décidément l’homme de police est en guerre ouverte non seulement contre l’armée du mal qui peut le chouriner, mais contre la presse qui le calomnie. Il se mène depuis quelques années une campagne anti-policière qui donne beau jeu aux malfaiteurs. Le policier qui nous protège est attaqué comme le mouchard qui nous trahirait. Il semble que le gardien de la paix, que l’agent de notre sûreté, soit méprisable comme l’espion. Cet assaut in
cessant donné à la police doit faire réfléchir les gens d’esprit prévoyant et sage. C’est une citadelle à défendre.
Et voici que M. Andrieux, qui en connaît les détours, en raconte les tours et en livre les secrets! C’est un grand succès de curiosité (toujours le même mot qui rend bien l’unique passion du public actuel), oui,
un vrai succès que ces Souvenirs d’un ancien préfet de police.
On va les publier en volumes, en livraisons, sous toutes les formes. M. Andrieux ne fait là, après tout, que ce qu’ont fait ses prédécesseurs, M. Delessert M. Gisquet, Caussidière, mais il est plus indiscret et par conséquent plus redoutable. Il dit tout, il en dit trop. Il raconte que c’est lui qui a fait tirer, à Saint- Germain, un pétard sous la statue de M. Thiers, que la République radicale où Louise Michel écrivait, était subventionnée par la police!
Vous verrez, vous verrez qu’à toute nouvelle échauffourée, les journaux anarchistes répéteront, ressasseront :
— C’est la police!... Tout ce qui se fait, c’est par la police ! Demandez à M. Andrieux !
On a cité, à propos des Souvenirs de M. Andrieux, les Mémoires de M. Claude. Mais on m’assure que les Mémoires deM. Claude, loin d’être de M. Claude, sont de M. Théodore Labourieu. Je n’affirme rien.
A/VA Un jeune homme apporte, l’autre matin, à un auteur en renom un drame intitulé : La chair saignante.
— Vous verrez, monsieur, dit-il, qu’il s’agit d’une œuvre sans entraves!... La toile ne baisse jamais, le décor change quand il le faut, ni actes, ni scènes, je proclame le drame continu comme Wagner réclame la mélodie continue!
— Pardon, interrompt l’auteur qui feuilletait le manuscrit, je vois que vous écrivez enfant « mon enfant » par un a... anfantl
C’est voulu, monsieur! Je suis pour toutes les libertés en art — même la liberté de l’orthographe!
Perdican.
COURRIER DE PARIS
— Si j’habitais seulement Asnières huit jours, je mourrais du mal de Paris!
Un singulier esprit, ce Roqueplan, et un vif esprit. Il nous disait un jour :
— Lorsqu’on a une réputation d’esprit à soutenir, on est le plus malheureux des hommes. On est le for
çat de son étiquette. C’est pourquoi je regarde comme un ennemi intime tout individu qui me force à lui répondre une lettre. En effet, toute lettre doit se termi
ner par une pointe, un trait quelconque, et, comme çà ne se trouve pas toujours, je maudis le scélérat qui
me contraint à chercher !... Je mets un mot d esprit jusque dans un billet écrit à mon bottier pour lui réclamer une paire de bottes !
Alphonse Karr, qui a autant d’esprit que Roqueplan — et plus d’œuvres à son actif — est cependant moins ambitieux. Il vient de publier une brochure in
titulée : Messieurs les assassins, où il déclare que, de tout son bagage littéraire, il n’est certain de laisser après lui que quelques courtes petites phrases, mais qui flotteront du moins et surnageront. L’une est le résumé de ses études politiques. Elle date de 1848 :
« Plus ça change, plus c’est la meme chose ! »
L’autre datede 1840 :
« Abolissons la peine de mort, mais que MM. les assassins commencent. »
Alphonse Karr vient de reprendre et de développer en une brochure cette dernière phrase-là, parce qu’il trouve quedécidément les assassins,loin de commencer, recommencent trop. Le fait est que le sympathique Gamahut semble à plaisir inventé pour nâvrer les philantrophes. Il tue pour tuer, il se vante d’avoir tue et, le lendemain, il chante dans les cabarets des chansons sentimentalas :
Représentants, fondez la paix du monde Sous le regard et du peuple et de Dieu !
Le hasard ironiquement macabre des causes célèbres a amené, à vingt-quatre heures de distance, ce bandit, Gamahut et ce brave homme affolé de colère, Charles Ballerich, sur le même banc d infamie. Le fils orphelin accusé du même crime que l’assassin qui avait tué sa mère !