EXPOSITION DES ŒUVRES DE JULES BASTIEN-LEPAGE
Dans le succès qui accueille, parmi les artistes, l’exposition des œuvres de Jules Bastien-Le
page, la meilleure part on peut le dire, est pour le portraitiste. Il y avait un fidèle et puis
sant observateur de la figure humaine dans
ce naturaliste qui a si vivement rendu le paysage, l’air, les bois, la vie des champs. Les portraits de M. André Theuriet, de M. Albert Wolff, de Mme Sarah Bernhardt, du frère de l’auteur, de Mme Juliette Drouet sur
tout, sont des œuvres particulièrement rares et d’une science achevée. La science, à ce degré, s’appelle du reste le ta
lent le plus élevé. C’est la science d’Holbein et de Jeannet Clouet.
Mais peut-être, parmi les portraits laissés par Bastien- Lepage, faut-il faire une part spéciale à celui qui, daté de Paris, portelen0 204 ets’appelle. PoriraitdeJIL. Jules Watelet. Un enfant ! Un enfant vivant, souriant, bien campé, avec ses longs cheveux de bambino florentin et sa veste de matelot,
son jersey à la mode moderne. Le garçonnet est tout à fait réussi et je vois peu de toiles aussi remarquables dans le catalogue de Bastien-Lepage. C’est par un caractère tout particulier, un charme inattendu, des qualités rares chez tout le monde et surtout chez l’éminent peintre lui-même que le Portrait de Jules Watelet nous plait. Voilà bien un petit Français d’aujourd’hui alerte, pensif et nerveux! Et
c’est en regardant ce peintre épris de la vérité jusqu’à en être l’esclave qu’on se dit quel maître fut ce jeune homme de trente ans et quelle perte fit, lorsqu’il mourut, notre art national contemporain.
FORMOSE. - SES HABITANTS
La magnifique île dont les Français viennent d’occuper la partie septentrionale est divisée.dans sa longueur (du nord au sud), par une grande chaîne de montagnes habitée par des tribus à demi sauvages, qui vivent dans la plus entière indépendance, les Chinois n’ayant pu les soumettre. Quel
ques rares tribus ont cependant accepté la domination des Célestes, dans la région méridionale, non loin de Taiwanfu,
la capitale. Les gens d’Amoy les appellent les « Pépohoan ».
Dans les villes du littoral occidental, il y a beaucoup de Chinois et de métis de Chinois. Le premier de nos dessins
représente cette catégorie d’habitants de l’ile. Nous les. avons placés là pour bien montrer combien les types, les coutumes et les costumes des aborigènes de Formose diffèrent de ceux des Chinois.
Sur tout le littoral on parle le dialecte d’Amoy, qui est celui qui a cours dans toutes les colonies chinoises. Les hommes de Formose ont la tête rasée et portent la queue tressée, vestige de la conquête tartare. Mais les femmes ont montré une plus grande indépendance, en ce qu’elles ont conservé les coutumes et les ajustements de leurs ancêtres.
Leur passion dominante est le tabac. Tous, hommes, femmes et enfants, fument avec une égale ardeur.
Les femmes s habillent avec soin. Elles se coiffent à la mode malaise. L’un de nos dessins montre la façon de porter les enfants. Dans ce même dessin on remarquera que le cos
tume se compose d’une jaquette très courte, qui n’est point attachée au jupon. Ces vêtements sont en cotonnade bleue.
Autant le mariage est solennel chez les Chinois, autant il est simple chez les aborigènes de Formose. La femme choisit son mari et elle met, à ce choix, le soin le plus minutieux. Elle recherche un époux bien portant et travail
leur. Et ses droits sont tels, qu’elle peut divorcer si les qualités du mari ne répondent pas à ses prévisions.
La religion consiste dans l’adoration de deux fétiches dont l’un représente le principe mâle et l’autre le principe femelle. Un voyageur décrit ainsi ces idoles : « Une bûche de bois, sorte de piédouehe enguirlandé de fleurs et supportant une tête de cerf avec des bois, représente le prin
cipe femelle. Une tête de cerf placée sur une sorte de petite chaise en bambou représente l’esprit mâle. »
Pour ces demi-sauvages, le monde a toujours existé et ne périra jamais ; l’âme est immortelle et les actes de la vie sont récompensés ou punis après la mort.
L’un de nos dessins représente une maison d’aborigènes. Dans toute la partie indépendante de l’île, les habitations sont disposées d’après le même plan. Les constructions oc
cupent les trois côtés d’un carré. Le centre est réservé aux habitants, les côtés aux besoins agricoles et au bétail. Notre dessin représente le centre et l’une des ailes. Mais l autre aile est pareille à celle qui est figurée. Le bétail consiste généralement en volailles et en porcs.
Le mobilier est de la plus grande simplicité. Il consiste en quelques objets en bambou de fabrique chinoise. Des billes de bois servent de sièges. Au mur, des fusils à mèche,
des arcs, des flèches et des épieux forment panoplies. Des filets garnissent les poutres.
Les rats infestent les habitations : mais comme ils constituent un plat très estimé par les habitants, on en organise des chasses à domicile au moyen de pièges très ingénieux, toujours en bambou.
Les aborigènes indépendants de Formose sont régis par des assemblées ou conseils du village. Ils aiment les fêtes et, la nuit venue, ils se réunissent volontiers pour boire et pour causer.
Comme le montre aussi notre dessin, on trouve dans toutes les cours le papaya, dont les fruits abondants sont très estimés à Formose. Les aborigènes cultivent aussi un tabac très délicat, qu’ils fument presque vert. Enfin « l’Oigon » est un arbrisseau dont la petite graine macérée dans l’eau produit une gelée exquise. Il est particulier à File.
EXPOSITION UNIVERSELLE D ANVERS (1885)
Jamais il n’y eut de plus probant ni de plus remarquable exemple de ce que peut l’initiative privée s’appliquant à réaliser une conception utile autant que grandiose. L’année dernière, à pareille époque, quelques notables Anversois,
fiers à bon droit des merveilleux progrès si rapidement accomplis dans leur ville, eurent la noble ambition de convier le monde civilisé à venir admirer la métamorphose qui, en moins d’un demi-siècle, a fait de la métropole commerciale belge le premier port du continent européen.
Aujourd hui (voir notre gravure) ce projet audacieux a reçu sa complète exécution : l’espace de 220,000 mètres carrés, où s’élèvent les halles de l’industrie, la galerie des machines et les innombrables annexes de l’Exposition universelle, est devenu trop étroit. Toutes les nations ont ré
pondu à l’appel des Anversois, appuyés sur le patronage d’un souverain ardemment dévoué au progrès, Léopold II, roi des Belges.
Parmi elles, nous nous plaisons à le constater, la France tient le premier rang, elle compte plus de 2000 exposants,
et ses produits occuperont un espace couvert de vo.ooo mètres carrés soit la cinquième partie des halles de l’industrie et de la galerie des machines. Le pavillon des colonies françaises, qui se dresse sur mille mètres carrés, sera la reproduction exacte d’un palais cochinchinois.
Notre ministère de la marine et des colonies ne s’est pas proposé seulement d’en faire la merveille décorative des jardins ; avec le concours de la commission instituée ad hoc,
il s’est appliqué aussi à y placer, devant les yeux du public universel, l’image réelle, le tableau saisissant de notre activité coloniale, la vie elle-même de nos multiples colonies dans la variété de ses manifestations.
La Belgique, avec ses 2400 exposants, occupera 30,000 mètres carrés. Le compartiment belge et le compartiment
français embrasseront donc ensemble la moitié des 100,000 mètres carrés, des halles de l’Industrie et de la galerie des
machines. Celle-ci. qui couvre un espace de 20,000 mètres carrés, offrira un prodigieux spectacle, surtout le soir,
éclairée à la lumière électrique. En creusant la terre sous cette galerie, on a remis au jour les fondations de l’ancienne citadelle du duc d’Albe, le terrible lieutenant de Philippe II d’Espagne. Ainsi à l’endroit même où se dressait un sinis
tre monument d’oppression et de torture, l’électricité, cette étoile des temps modernes, rayonnera sur les plus étonnantes inventions du progrès humain.
J. Vilbort
FRANS HALS AU LOUVRE
Il s’est fait un certain bruit, depuis quelque temps, autour de l’acquisition de trois tableaux de Frans Hais par le Musée du Louvre : les tableaux étant « à la restaura
tion », nous n’avons pu être autorisés que tout récemment
à les faire photographier; nous en publions aujourd’hui la reproduction.
L’historique de leur entrée dans notre musée national est désormais connu : M. Joseph Reinach, notre sympathique confrère de la République Française, venait de vi
siter, à Harlem, le béguinage de Berensteyn, fameux par les quatre peintures qu’y avait exécutées le maître ; il en
tendit raconter que les régents de l’hôpital avaient déjà vendu, au prix de 210,000 francs, un des portraits détachés de l’ensemble de l’œuvre laissé par Frans Hais, et qu’ayant besoin d’argent pour leurs malades, ils seraient disposés à céder les trois autres, et à les remplacer par des copies; aussitôt M. Reinach écrivit à M. Jules Ferry et à M. Fallières; des négociations ne tardèrent pas à s’engager ; elles se terminèrent par l’achat des trois toiles au prix de 104,000 francs.
L’administration du Louvre, très fière de sa nouvelle acquisition, vient de l’exposer à l’extrémité de la grande galerie du bord de l’eau ; c’est là que nous avons vu les trois tableaux, éclatants et tout luisants de vernis ; nous ne voudrions pas traiter ici incidemment la grave question des restaurations ; quand donc pourtant se décidera-t-on à comprendre que la chirurgie n’est pas applicable aux ta
bleaux, et que la médecine, si elle ne veut pas les tuer, ne doit jamais aller au-delà des vulgaires prescriptions de l’hygiène ?
Les trois tableaux sont datés de 1629; c’est l’époque où Rembrandt entrait dans la carrière; Hais venait de dé
passer la quarantaine, il ne s’était pas encore jeté dans ces improvisations superbes qui font de lui le plus audacieux,
le plus fougueux de tous les peintres ; il était alors en pleine possession de son talent, ne perdant pas encore de vue les lois de la correction, maître de lui-même, en même temps que plein de souplesse et de vigueur.
Le premier portrait est celui du bienfaiteur de l’asile, Nicolas Van Berensteyn; il est de tous le mieux conservé et aussi le plus beau ; la tête est individuelle et vivante; les mains, celle surtout qui tient le chapeau, sont d’une exécution admirable.
Celui de la temme de Nicolas est conçu dans une donnée de douceur tout autrement délicate ; le visage a des tons ivoirés; la collerette est d’une étonnante virtuosité.
C’est autour du troisième tableau que se sont surtout concentrées les discussions; qu’il représente le même Nico
las et sa femme, comme on l’affirme, ou seulement le frère et la belle-sœur du fondateur du béguinage, comme le pré
tendait Burger, peu nous importe, sa.principale originalité consiste dans l’importance de la composition, dans le gra
cieux arrangement de toute cette famille d’enfants jouant dans l’herbe d’un verger, sous des arbres chargés de fruits ; parmi ces enfants, il en est un, celui de droite en haut, qui ne peut certainement pas être attribué à Frans Hais; on
suppose qu’un accident a dû arriver jadis au tableau, et qu’un peintre maladroit a pensé le reconstituer en lui ren
dant la figure qu’il avait perdue. Les autres personnages sont, d’ailleurs, d’une exécution bien inférieure à celle des deux portraits isolés. Quoi qu’il en soit, l’œuvre est loin d’être dénuée d’intérêt: non seulement elle complète un
ensemble, mais elle a des qualités de brio et de iranchise qui sont bien du maître de Harlem ; il s’er. dégage un charme incontestable.
Il convient de ne pas oublier que nous n’avons pas le droit d’être trop sévère, quand on nous parle de Frans Hais à propos du Louvre : le portrait de Descartes et la bohémienne de la collection Lacaze étaient vraiment des spécimens bien insuffisants. Sans penser que les trois nou
veaux tableaux venus de Harlem suffisent encore à faire connaître dignement le maître hollandais, nous pouvons du moins parler de lui aujourd’hui avec un peu moins d’hésitation.
AGRANDISSEMENT DE LA GARE SAINT-LAZARE
La circulation est extrêmement active aux abords de la gare Saint-Lazare; le manque de largeur et de dégagements amène fréquemment des embarras de voitures inex
tricables dans les rues avoisinantes. Des améliorations étaient devenues depuis longtemps indispensables, et la Com
pagnie de l’Ouest ne les avait ajournées qu’à cause de la dépense considérable qu’elles doivent entraîner.
Dans l’état actuel, les deux cours qui donnent sur la rue Saint-Lazare, l’une à l’angle de la rue d’Amsterdam, l’autre à l’angle de la rue de Rome, sont affectées exclusivement au service de la banlieue. Tout le service des voyageurs avec bagages et celui des messageries se font par la rue d’Amsterdam, ce qui produit un grand encombrement.
I. — Dégagement des abords et accès de la gare. — La Ville de Paris doit contribuer pour une somme de trois millions à cette première partie des travaux qui constitue en même temps une opération de voirie.
La largeur de la rue St-Lazare sera portée à 30 mètres, par suite de la démolition du pâté de maisons situées devant la gare, entre les rues de Rome et d’Amsterdam.
La cour située à l’angle de la rue d’Amsterdam sera plus que doublée et sera établie en rampe de manière à suppri
mer les. marches et faciliter le service des bagages. Elle sera exclusivement affectée au départ des grandes lignes et fera le pendant de la cour située à l’angle de la rue de Rome dans laquelle seront réunis tous les services des trains de banlieue.
Ces deux cours communiqueront entre elles par une voie de 18 mètres de largeur, longeant la galerie dite de Ver
sailles et contournant un pâté de constructions de rapport dont la destination n’a pas encore été définitivement arrêtée.
La cour couverte d’arrivée des grandes lignes, située rue d’Amsterdam, sera considérablement agrandie. Le bureau de poste sera démoli, et sur son emplacement on ouvrira un second débouché pour les voitures. Enfin le serviqe des messageries sera transporté au-dessus du pont de l’Europe, ce qui dirigera sur les rues de Rome et de Londres là circulation si encombrante des camions et fourgons. 1
H. — Extension et modification des aménagements intérieurs de la gare. — Une partie des constructions actuelles seront conservées et ne subiront que des modifications pour l’aménagement des divers services. Du côté de la rue St-Lazare, entre les rues de Rome et d’Amsterdam, le projet comporte une façade générale d’aspect monumental,
d’environ 210 mètres de longueur : à chaque extrémités’élèvera un corps de bâtiment flanqué de deux pavillons;
la partie centrale comprendra la majeure partie de la galerie haute de Versailles qui sera accusée par trois arcades de grandes proportions. C’est dans cette galerie et ses dépendances que seront installés tous les services de la banlieue.
Les bureaux des caisses et des titres et les pièces destinées au Conseil d’administration seront placés dans la partie de la construction située à l’angle des rues de Rome et St-Lazare. En outre, pour loger différents services de la gare, de la voie et de la traction, un bâtiment sera construit plus haut, au-dessus, en façade sur la rue de Rome,
Le service du départ des grandes lignes se fera dans l’hémicycle situé sur la cour, du côté de la rue d’Amsterdam :
on y ajoutera une seconde salle de bagages. Le service de l’arrivée sera aussi considérablement agrandi par suite du déplacement des messageries. Celles-ci seront installées dans une cour établie sur piliers au niveau de la place de l’Europe,
à l’angle des rues Mosnier et de Saint-Péiersbourg; foutes, les manœuvres s’y feront, au moyen d’appareils hydrauliques.
III. — Exécution des travaux. — Les travaux sont commencés depuis une quinzaine de jours sur trois points différents. Le grand escalier en bois de la cour de Rome a été démoli et transporté vers le milieu de la galerie de Versailles Sur cet emplacement on va construire le pavil
lon d’angle; tout autour on a élevé des palissades et on a commencé les déblais des terres le long de la rue de Rome. Un second chantier est installé à l’angle des rues de Rome et de Vienne.
Le troisième se trouve au coin des rues Mosnier et de, Saint-Pétersbourg, où doit être établi le service des messageries.
300 ouvriers sont déjà employés sur ces divers points; de nouveaux chantiers seront bientôt créés et les travaux seront poussés avec une grande activité. La Compagnie générale compte les avoir terminés dans quatre années. Le devis général peut être évalué à environ 20 millions. G. T.
NOS GRAVURES