... Vous reconnaissez cette fille ?
DESSIN D’EMILE BAYARD
PAR GEORGES OHNET
(Suite.)
Mais il était bien loin de se douter de ce qui se passait. Il parlait avec animation et ne remarquait point la surveillance active qui s’exerçait autour de lui. Lorsque le train fut arrivé, il donna une dernière poignée de main au baron, et, fermant lui-même la portière du compartiment, il traversa la gare, remonta en voiture, et s’éloigna. Il se sentit le cœur serré,
comme il ne l’avait jamais eu en voyant partir son ami. Il s’arrêta au bas du pont et attendit là lepassage du wagon. Par la fenêtre, il vit une main qui s’agitait, une figure qui souriait, puis, à un détour de la voie, dans un tourbillon de vapeur blanche, tout disparut. Et, au pas, il se remit en route, se demandant pourquoi il était si triste.
Mais les impressions que ressentait Robert étaient fugitives. Sa rude nature réagissait promptement. Il mit son cheval au trot et se proposa de ne point passer par les quartiers du centre, pour éviter les encombrements qui l’avait arrêté à l’arrivée. Il suivit la pro
menade plantée de superbes platanes qui entoure la Neuville. Il allait sortir du faubourg, quand, en arri
vant au bas de la montée de Clairefont, il tomba dans un groupe d’ouvriers des fabriques qui, à la porte d’un cabaret, écoutaient Chassevent, ivre à rouler maintenant, et qui, pour la centième fois, d’une voix pâteuse et avec des additions mélodramatiques, racontait la mort de sa fille.
A la vue de Robert, un murmure d’horreur partit du groupe qui se massa dans une attitude hostile. En
couragé par les menaçantes dispositions de son entourage, le vagabond s’avança en titubant, et essayant de prendre le cheval au mors :
— Le voilà, l’assassin! Le voilà! Vengeance !
D’une main incertaine il avait réussi à saisir la bride mais un maître cinglon qu’il reçut sur les doigts la lui fit lâcher. Il recula en hurlant, et, heurté par le bran
card, il aurait infailliblement passé sous la roue de la voiture, si d’une main vigoureuse, le comte du
haut de son siège, ne l’avait cueilli et lancé jusqu’à la porte du cabaret..
— Ah! aprèsla fille... le père! brailla le braconnier. A moi, mes amis ! Emparons-nous de lui, livrons-le à la justice !...
En un instant, Robert se vit entouré d’hommes aux
DESSIN D’EMILE BAYARD
LA GRANDE MARNIÈRE
PAR GEORGES OHNET
(Suite.)
Mais il était bien loin de se douter de ce qui se passait. Il parlait avec animation et ne remarquait point la surveillance active qui s’exerçait autour de lui. Lorsque le train fut arrivé, il donna une dernière poignée de main au baron, et, fermant lui-même la portière du compartiment, il traversa la gare, remonta en voiture, et s’éloigna. Il se sentit le cœur serré,
comme il ne l’avait jamais eu en voyant partir son ami. Il s’arrêta au bas du pont et attendit là lepassage du wagon. Par la fenêtre, il vit une main qui s’agitait, une figure qui souriait, puis, à un détour de la voie, dans un tourbillon de vapeur blanche, tout disparut. Et, au pas, il se remit en route, se demandant pourquoi il était si triste.
Mais les impressions que ressentait Robert étaient fugitives. Sa rude nature réagissait promptement. Il mit son cheval au trot et se proposa de ne point passer par les quartiers du centre, pour éviter les encombrements qui l’avait arrêté à l’arrivée. Il suivit la pro
menade plantée de superbes platanes qui entoure la Neuville. Il allait sortir du faubourg, quand, en arri
vant au bas de la montée de Clairefont, il tomba dans un groupe d’ouvriers des fabriques qui, à la porte d’un cabaret, écoutaient Chassevent, ivre à rouler maintenant, et qui, pour la centième fois, d’une voix pâteuse et avec des additions mélodramatiques, racontait la mort de sa fille.
A la vue de Robert, un murmure d’horreur partit du groupe qui se massa dans une attitude hostile. En
couragé par les menaçantes dispositions de son entourage, le vagabond s’avança en titubant, et essayant de prendre le cheval au mors :
— Le voilà, l’assassin! Le voilà! Vengeance !
D’une main incertaine il avait réussi à saisir la bride mais un maître cinglon qu’il reçut sur les doigts la lui fit lâcher. Il recula en hurlant, et, heurté par le bran
card, il aurait infailliblement passé sous la roue de la voiture, si d’une main vigoureuse, le comte du
haut de son siège, ne l’avait cueilli et lancé jusqu’à la porte du cabaret..
— Ah! aprèsla fille... le père! brailla le braconnier. A moi, mes amis ! Emparons-nous de lui, livrons-le à la justice !...
En un instant, Robert se vit entouré d’hommes aux