Par ce temps d’intrigue et d’éloquence où les tribuns grandiloques et les politiciens adroits accaparent le haut du pavé, ce Il’est cepen
dant pas toujours par l’éloquence ni par l’in
trigue qu’on réussit; et même les plus grands, succès s’obtiennent par le caractère.
C’est par le caractère qu’est arrivé M. Grévy ; c’est par le caractère qu’arrive M. Brisson.
M. Brisson est l’homme des principes. Correct, sévère, rigide jusqu’à la dureté—du moins en apparence— il a l’autorité que donne, quoi qu’on en veuille dire — la probité non seulement privée mais politique.
M. Brisson n’est pas un orateur brillant. Ce n’est pas un agitateur ni même un tacticien parlementaire et, cepen
dant, il possède dans la Chambre — ou pour mieux d re : dans le parlement, — une autorité d’autant plus considérable qu’elle est uniquement fondée sur l’e-time.
Depuis longtemps, s’il eût désiré le pouvoir, il dépendait de lui de le prendre, il n’avait qu’à étendre la main et, plus d une fois, ses amis ont espéré qu’il se déciderait à le faire. Peut -être même a-t-il,de ce côté, une certaine responsabilité indirecte; car enfin si M. Ferry a duré si longtemps, c’est que M. Brisson l’a bien voulu. Et M. Ferry le savait si
bien qu’il ne manquait jamais une occasion de montrer à M. Brisson la plus aigre mauvaise humeur.
Mais.le pouvoir n’attirait pas M. Brisson. Cet homme si froidement énergique, s’il ne craint pas les responsabilités, a peur et se délie volontiers de lui-même. Modeste et dis
posé à restreindre sa compétence plutôt qu’à l’étendre, il est tout jiiste le contraire de M. Gambetta, qui brûlait de s’essayer à tout. Et c’est pourquoi, dans une circonstance où les affaires étrangères tiennent une grande place, il a voulu absolument avoir un spécialiste, et n’a consenti à accepter le mandat de former un ministère qu’après s’être assuré le concours de M. de Freycinet.
Au département de la justice, M. Brisson est chez lui. M. Brisson a pratiqué le barreau, mais c’est surtout un juriste dans l’acception large du mot, c’est-à-dire « l’homme du droit » et le serviteur respectueux de la loi.
Sincère, d’ailleurs, et plein de franchise. Nous allons peut-être savoir la vérité sur les affaires du Tonkin.
LA RF.INE D ANGLETERRE A AIX
On sait que la reine d’Angleterre est en ce moment en villégiature à Aix-les-Bains.Elle est accompagnée de la prin
cesse Béatrice. La reine est arrivée en rade de Cherbourg, le 31 mars, à bord du yacht Victoria and Albert. Elle est partie le soir même à Il heures par train spécial et arrivée à destination le Ier avril dans la soirée. Il n’y a point eu de réception officielle à la gare qui était magnifiquement illuminée et décorée, et pavoisée des couleurs anglaises et françaises. La reine et la princesse se sont rendues à l’hôtel de l’Europe où des appartements leur avaient été préparés. Leur voilure, sans escorte, tenait la tête du défilé. Cinq landaux suivaient, portant l’entourage et la suite. Trois omnibus venaient en dernier lieu. Un détachement de la gendarmerie mobile de Paris et un détachement des dragons de Chambéry formaient la haie.
Notre premier croquis représente la sortie du cortège de la gare d’Aix par un passage préparé pour la circonstance.
Le deuxième,le troisièmeet le septième se npportentà la villa annexe de l’hôtel de l’Europe, où réside la reine. Dans l’un, représentant la villa du côté du midi, on remarque un balcon ayant vue sur le parc du Grand Cercle. Le septième est l’entrée de la résidence royale. Avec le quatrième croquis nous pénétrons dans la chambre à coucher deS.M. tendue de soie jaune ; à côté est le cabinet de toilette, qui fait le sujet du cinquième croquis. Ce cabinet, dont la tenture est couleur turquoise et jaune, est garni de meubles d’ébène,
comme la chambre de la princesse Béatrice, que représente notre sixième croquis.
M. ROLLAND
L’homme éminent dont nous donnons aujourd’hui le portrait, et que la mort, conséquence d’une terrible mala
die douloureuse, vient de ravir à sa famille et à ses très nombreux amis, est celui-là même, qui, il y a quelques mois à peine, présidait la séance solennelle des cinq académies.
Nommé membre de l’Académie des sciences en 1872, il avait aussi reçu de ceux qui étaient le mieux à même d’ap
précier son érudition et ses talents, une consécration que sa modestie n’avait certainement pas recherchée, mais qui
lui était due. Sans compter qu’aux yeux du pays il avait encore d’autres titres que sa science et son érudition à la reconnaissance et à l’estime générales.
Il ne lui avait pas suffi, en effet, d’être un savant distingué. il avait tenu, avant tout, à être un homme utile; et il y avait pleinement réussi ; car c’est lui, personne ne l’ignore, qui sur toute l’étendue du territoire fut sinon le créateur, du moins l’organisateur, de cette branche étonnamment féconde de la richesse fiscale, qui a nom l’Administration des tabacs.
En 1831, le gouvernement avait décidé que la fabrication des tabacs, restée jusque-là déplorablement stationnaire, serait à l’avenir dirigée par des hommes instruits et com
pétents. En 1832, Eugène Rolland,au sortir de l’Ecole polytechnique, se voyait attaché à cette administration. Dès lors il commençait à en réformer le mécanisme et pendant cinquante ans, on peut dire qu’il fut l’inspirateur résolu et souvent l’auteur principal de tous les progrès réalisés, en même temps que le fondateur des nombreux établissements qui s’élevèrent sur toute la surface de la France.
C’est par lui, en effet, que Lyon, le Havre. Lille, Châteauroux, Strasbourg lurent dotés des manu actures, dont aujourd’hui encore on admire la savante organisation. C est sous sa direction que furent édifiées celles de Nantes, Metz, Nancy, Marseille, Tonneins, Riom, Dijon, etc.
On peut donc affirmer hautement que si le tabac est devenu, depuis cinquante ans, une des principales ressour
ces budgétaires de notre pays, c’est à Eugène Rolland que la France en est redevable. Ajoutons que cette création ne s’opéra pas sans peine et qu’il fallut un singulier courage et une persévérance sans seconde pour la mener à bien.
Les luttes qu’Eugène Rolland dut soutenir contre le mauvais vouloir des ateliers, alors même qu’il s’efforçait de
rendre le travail plus facile, et de sauvegarder les besoins de l’hygiène ; les résistances qu’il rencontra dans la routine administrative, alors même qu’il décuplait le rendement d’un impôt, sont au-dessus de tout ce qu’on peut raconter.
Elles suffiraient à elles seules, et au-delà, pour illustrer le nom d’Eugène Rolland. Elles assurent en outre la recon
naissance du pays à cet homme de savoir, qui, à toutes les époques de sa vie, fut un homme de bien, et qui, même au temps le plus despotique de l’empire, sut faire preuve d’un esprit libéral et osa s’avouer républicain.
M. L. V. RAYNAUD
M. Raynaud était entré à l’Ecole d’application du Valdu-Gràce, comme médecin stagiaire, le Ier janvier 1876. Médecin-aide-major de 2 classe en 1878, au 6° hussards,
médecin-major de 2” classe au 111 régiment en 1883, il partait avec un bataillon de ce même régiment pour le Tonkin au mois de janvier 1884. Il devait y trouver la mort. En effet, le 24 mars dernier, il était tué à l’attaque du camp retranché de Uang-Bo, en avant de Lang-Son et de Dong-Dang.
M. Raynaud avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret du 28 décembre 1884, en raison de sa belle conduite au corps expéditionnaire et il venait d’être proposé pour le grade de major de première classe.
M. DE PONTÉCOULANT
M.le comte Roger Le Doulcet de Pontécoulant, ministre plénipotentiaire, qui vient de mourir, appartenait à l’une des plus anciennes familles de Normandie. Petit-fils du
conventionnel et fils d’un officier d’état-major, connu par ses travaux df mécanique céleste, il était né en 1832. Il embrassa la carrière diplomatique et fut directeur au ministère des affaires étrangères et chef de cabinet sous le ministère de M. Waddington. Il se retira en 1819.
En 1883, il accompagna M. Waddington, chargé de représenter le gouvernement de la Répub ique au couron
nement de l’empereur Alexandre 111. Mais, à peine arrivé
à Moscou, il fut rappelé en France par la mort de son frère aîné.
M. de Pontécoulant était commandeur de la Légion d’honneur.
M. CHARLES DE FENOYL
M. Charles de Fenoyl, adjudant d’artillerie de marine, a été tué pendant les combats meurtriers livrés autour de Kelung, du 4 au 8 mars dernier. Engagé volontaire en 1881, il avait demandé et obtenu de faire, sous les ordres du général de Négrier, la campagne du Sud oranais. Il s’y distingua, et quand les hostilités avec la Chine commen
cèrent, il réclama l’honneur d’être envoyé dans l’Extrême- Orient. Comme adjudant, il commandait les quelques hommes d’artillerie de marine qui coopéraient aux opérations à Formose. Il n’avait que vingt trois ans.
M. Charles de Fenoyl était le fils du marquis de Fenoyl, ancien conseiller général du Rhône. Il avait de qui te ir en fait de bravoure ; les mobiles du Rhône n’ont pas oublié qu’en 1870 M. le marquis de Fenoyl, père de dix enfants, n’hésita pas à prendre du service, et ils se souviennent de sa belle conduite à Belfort.
UNE ARRESTATION SOUS LA TERREUR
Il était bien caché, l’émigré, dans la vieille maison triste. Qui eût pu le soupçonner là, entre ces murailles grises et froides, blotti comme au fond d’un puits! Quelque indis
cret aura parlé ! L’œil d’un sectionnaire aura percé ce mystère en fouillant cet asile. Les soldats sont venus. « Ordre de saisir partout où on le rencontrera le ci-de
vant. » Et le ci-devant est arrêté ! Il a levé, tout à l’heure
son bâton de muscadin sur les soldats, mais les grenadiers ont bientôt envoyé au loin la canne et le chapeau et ils vont entraîner l’homme....
Là-haut, sur le perron de pierre, la femme du gentilhomme se lamente, s arrachant les cheveux dans un désespoir biblique et le lieutenant, qui obéit aux ordres re
çus, lui montre froidement l’ordre de la municipalité ou du
représentant en mission. C’est écrit. Il doit obéir. Derrière les contrevents, effacée, une vieille femme regarde la scène tragique à travers les brindilles de ses pots de Heurs. C’est fini. Arrêté, condamné II ne reverra plus la vieille maison qui lui servait d’asile.
M Jules Girardet a savamment et dramatiquement composé cette scène qui émeut par une simplicité poignante et par ce caractère de vérité que nous demandons, aujour
d’hui, aux évocations de la peinture historique comme aux scènes quotidiennes de la peinture de notre vie moderne.
JEUNE FILLE DE CAPRI
Sir Frédéric Leighton est un idéaliste; les paysans de Grèce et d’Italie qu’il nous présente nous apparaissent comme des dieux ou des déesses. Président de l Académie royale de Londres il se plait à poétiser ses modèles Ils perdent brusquement la grossièreté de leur nature, et sous son pinceau ou son crayon ils prennent des attitudes idéales et la nature est tout aussitôt transfigurée. C’est ce qui fait
le charme et le succès de Leighton. Nous pouvons nous imaginer, si nous voulons, cette jeune paysanne couronnée de myrte et peinte ainsi durant un moment de repos dans la vigne ou le jardin planté d’oliviers. Ou bien elle peut avoir été crayonnée pendant qu’elle regardait le retour annuel des cailles d’Afrique aux rives ensoleillées d’Italie.
L’expression un peu attendrie du visage peut aussi donner aux âmes sensibles l’idée qu’elle voit déjà les pauvres
oiseaux pris dans les filets qu’on leur tend. Toutes ces suppositions ne nuisent pas ; au contraire, on prend une grande quantité de cailles à Capri dans la saison de leur migration et leurs derniers battements d’ailes doivent avoir excité la pitié de plus d’une de ces douces filles de Capri.
Mais nous préférons, avec un critique anglais, nous imaginer cette jolie fille aux grands yeux errant pares
seusement dans la vallée criblée de soleil de cette île enchantée, écoutant l’écho lointain d’une chanson de pê
cheur ou le rire de quelque vendangeur et marchant sans but, et lançant des regards timides le longdes haies jusqu’à ce qu’un pas se fasse entendre, qu’une forme se montre et alors le jeune visage rougira, et nous saurons que c’est la vieille histoire, l’éternelle histoire d’amour qui recommence, et il en sera ainsi jusqu’à la fin des siècles, à Paris comme à Capri et à Capri, le pays du modèle, comme à Londres, la patrie du peintre. C.
LES MINES DE CHARBON
Dans le Haut-Tonkin et la Chine méridionale.
On a beaucoup parlé des richesses minières du Tonkin : mais on n’y pourra songer qu’après paix faite. Ces chaînes de montagnes qui séparent le Tonkin du Laos et des pro
vinces méridionales de la Chine sont, parait-il, extrêmement riches en gisements de toute nature.
Mais la grosse question a toujours été de savoir si le Tonkin et la Chine renfermaient d’importants gisements houillers ; et si ces contrées pourront suffire aux énormes besoins de combustible que la pénétration de la civilisation européenne y fera naître.
Jusqu’à présent le charbon de terre a été exploité d’une façon toute primitive par les indigènes du pays de l’Extrême- Orient. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que les Chinois, faute de moyens de ventilation suffisants, n’enfon
cent pas leurs mines verticalement dans le sol et que leurs mineurs en sont encore à l’usage de la lampe primitive dont on se servait en Europe avant l’invention de la lampe Davy.
En somme, les gisements reconnus au Tonkin et en Chine n’ont pas été sérieusement attaqués, les Chinois se conten
tant le plus souvent, comme le montrent nos dessins; de l’exploitation du charbon qu’ils trouvent à fleur de terre ou à portée des galeries horizontales en usage chez eux.
Et comme les charbons qu’ils trouvent ainsi sont en miettes et de qualité inférieure, ils le mouillent, le font passer dans un moule et en forment des briquettes rondes qu’il font sé
cher au soleil et qui sont de la forme et de la dimension des mottes que font nos tanneurs.
Somme toute, l’avenir du Tonkin et de la Chine est proportionné à l’importance des bassins houillers que l’on y dé
couvrira, et tout permet de croire que lorsque l’on aura le libre accès des montagnes qui font au Tonkin une fron
tière naturelle, on y trouvera des gisements de charbon de la plus grande importance. C. L.
NOTES ET IMPRESSIONS
Tout homme naît débiteur. Bacon.
*
* *
Il est plus facile de faire le mal que de le réparer, et le souvenir d’une injustice subsiste longtemps après que l’injustice a disparu. Ed. Hervé.
*
* *
Une fable souvent répétée devient une légende, et c’est trop souvent avec des légendes qu’on écrit l’histoire.
H. Gomot.
*
* *
Si l’œuvre de l’hospitalité de nuit eût existé lors de la naissance du Christ, Joseph et Marie eussent été recueillis par elle et Jésus ne serait pas né dans une étable.
Mgr di Rende.
*
* *
« Blaguer l’Académie » est l’u âge assez ordinaire des gens marqués pour en faire partie. Harry Alis.
*
* *
Les serments se prêtent, mais-ne sc donnent pas : ce qui explique leur grand nombre. André Lemoyne.
*
* *
Dans cinquante ans, le livre aura tué le drame.
E. et J. de Concourt.
* *
On peut tomber très bas, sans pour cela tomber de très
haut. G.-M. Vaitour.
NOS GRAVURES
M. BRISSON