longues robes en soie de Brousse, filles de l’Orient par la régularité de leurs traits et l’élégante nonchalance de leurs attitudes, images de l’amitié souffrante et désolée qui cherche vainement des consolations. C’est un psaume transporté sur la toile, avec toutes ses tendresses et ses déchirements.
La Grèce a le vieil Homère, vu par M. Ménard à travers la poésie d’André Chénier :
Ainsi le grand vieillard en images hardies Déployait le tissu des saintes mélodies;
Les trois enfants émus à son auguste aspect Admiraient d’un regard de joie et de respect De sa bouche abonder les paroles divines,
Comme en hiver la neige au sommet des collines.
Adossé à un arbre, l’auteur de l’Iliade et de l’Odyssée chante en s’accompagnant sur la lyre ; trois jeunes bergers, assis ou couchés sur l’herbe, l’écoutent avec
recueillement. Au loin, la mer apparaît à travers les feuillages derrière de hautes falaises baignées dans les vapeurs du crépuscule.
L’Italie antique est représentée par MM. Boulanger et Hector Le Roux : sousletitre de la Mère des Gracques, le premier nous montre l’illustre Cornélie sortant de chez elle, appuyée sur les deux enfants qui sont son orgueil. Tibérius, déjà grand, tourne vers sa mère des yeux chargés d’affection ; il est vêtu du laticlave, la robe des sénateurs, que portaient les enfants jusqu’au jour où ils prenaient la toge virile ; dans la phy
sionomie du petit Caïus, on sent déjà poindre quelque chose de plus sauvage et de plus indiscipliné : il tient à la main le sabot et le fouet avec lesquels s’amusent encore les gamins d’aujourd’hui, sans soupçonner la noblesse d’origine de ces jouets qui ont plus de deux mille ans. Mais si intéressants que soient ces enfants, appelés à soulever plus tard tant de passions et tant de haines, c’est dans le bonheur que respire la jeune mère qu’est tout le tableau ; elle marche vraiment, comme dirait le poète, dans son rêve étoilé, résumant toutes les allégresses et tous les enivrements de la maternité.
La Pierre mystérieuse de Pompèi, de M. Hector Le Roux, nous fait entrer dans une antiquité plus savante, plus poétique aussi, comme tout ce qui se rattache à de vieilles légendes. On sait que chez les Romains, en Campanie surtout, il y avait, en dehors des divi
nités du culte officiel, toute une série d’adorations pri
vées dont les origines se perdaient dans la nuit des temps ; c’était, outre les dieux de chaque ville et de chaque maison, la vénération témoignée au sein de nombreuses familles et dans certainsendroits consacrés par la tradition à des souvenirs plus ou moins vagues,
précisés par des objets de toute sorte. A Pompèi, où les temples abondent, représentant l’idée de religion collective, on a trouvé, il y a quelques années, en dé
blayant une maison d’apparence assez modeste, située dans un quartier retiré, une pierre noire, fortement encastrée dans le mur, sous la porte d’entrée, à hau
teur d’homme à peu près; fixée par quatre clous de cuivre, cette pierre était entourée d’un carré de pein
ture rouge, puis d’un autre jaune ; tout autour, des clous plantés de ci et delà indiquaient que des ex-voto avaient dû y être suspendus.
C’est cette pierre qui fait le sujet du tableau de M. Hector Le Roux : une jeune servante embrasse le fétiche en passant dans le couloir d’entrée. S’agit-il là d’un de ces aérolithes que les anciens appelaient bétyles et qui furent l’objet de tant de croyances su
perstitieuses, comme la fameuse pierre de Pessinonte conservée dans le temple de Cybèle à titre de symbole de la mère des Dieux ? — Nous ne nous attarderons pas à discuter la question, préférant nous borner à admirer la grâce de la jeune échappée de la grande Grèce que le peintre des vestales a caressée de toutes les souplesses en même temps que de toutes les éner
gies de son pinceau. Dans une autre toile, M. Hector Le Roux a représenté Saïla, la fille de Jephté, dont M. Cabanel nous disaittout-à-l’heurelts lamentations;
couverte d’une tunique bleue, la pauvre sacrifiée lève les bras au ciel en contemplant l’apparition de ce soleil dont elle est condamnée à ne pas voir le coucher ; sa silhouette de vierge s’enlève vigoureusement sur l’im
mensité du ciel et de la plaine sans fin. C’est une note nouvelle et des plus heureuses dans le talent de M. Le Roux, qui recherchait volontiers les colorations atténuées.
Nous entrons dans les temps modernes, ou du moins nous quittons l’antiquité: M. Maillart nous fait assis
ter à la mort du dernier chef Gaulois; M. Luminais, toujours fidèle aux souvenirs de la France primitive, nous retrace les Funérailles de Chilpéric, assassiné par les ordres de la terrible Frédégondè; M. Albert Maignan nous fait toucher du doigt toutes les vanités humaines en nous montrant gisant à terre, tombé de son lit funèbre, abandonné de ses fils eux-mêmes, le
cadavre de ce Guillaume qu’on avait appelé le Conquérant; le spectacle est d’un réalisme poignant ; c’est l’ironie de l’histoire dans toute sa hideur et sa cruauté.
La Jacquerie de M Rochegrosse est bien plus h rrible encore : ce n’est plus la mort d’un homme, c’est l’as
sassinat de tout un groupe de femmes et d’enfants par une bande de bêtes fauves à figure humaine. Nous sommes en plein xive siècle; la captivité du roi Jean a laissé la France en pleine anarchie; de tous côtés, des bandes de paysans se sont formées, massa
crant les seigf.eurs,incendiant les châteaux. L’artiste a choisi pour son tableau le moment où tout ce qu’ily avait de valide derrière les murailles s’est fait tuer les armes
à la main; la horde sauvage a escaladé les balcons et brisé les fenêtres par où elle pénètre dans la salle où se sont réfugiés les femmes et les enfants; un paysan tient renversée en signe de déshonneur la bannière du comte, dont deux autres portent au bout d’une pique le cœur et la tête sanglante; tous sont a rmés de faulx, de piques, de bâtons; leurs mines de brutes menaçantes ne disent que trop quelle besogne ils vont accomplir.
Au travers delà fumée de l’incendie qui vient d’être allumé, nous entrevoyons dans le fond de la salle une tapisserie dont le sujet de piété tranquille contraste avec la violence effroyable de la scène; dans le fond à droite, des meubles sont entassés devant une porte qui s’entr’ouvre, laissant passerdes lueurs sinistres; partout le parquet est jonché , d’éclats de vitres brisées. Mais ce qui fera surtout le succès de l’œuvre, c’est le groupe des femmes et des enfants qui se roulent à terre,éperdus de terreur; voici la mère, vêtue du surcot de drap d’or, qui tient dans ses bras ses enfants, hur
lante, affolée, puis la vieille nou rice, les yeux hagards, plus loin une jeune femme que l’épouvante a ren
versée, enfin, dominant toute cette scène d’horreur, l’aïeule debout, superbe dans sa robe de velours violet aux traînes de manches doublées d’hermine, la tête couverte d’une guimpe blanche qui ne laisse voir que son profil énergique, couvrant d’un geste suprême toute cette famille qu’on va égorger.
M. Rochegrosse est décidément un artiste doué; il a le sens du dramatique, et ce qui est rare, surtout chez un jeune homme encore presque à ses débuts, il sait composer; son tableau de la mort d’Astyanax avait pu soulever des objections de détail; l’artisté reparaît au
jourd’hui avec une puissance de moyens qui permettent décidément d’espérer un maître.
Le moyen-âge aura porté bonheur, cette année, à ceux qui se sont voués à son culte : la Stigmatisée de M. Moreau de Tours nous reporte à ce François d’Assise, de miraculeuse mémoire, qui s’était vu tout à coup couvert des plaies du Christ. La science a cherché à expliquer, au cours de ces dernières années, ces sortes de plaies spontanées qu’on appela des stigmates; l’ignorance superstitieuse du XIIIe siècle trouvait
plus simple de les attribuer à l’intervention divine; la crédulité populaire fut maintes fois exploitée en ce sens. C’est sans doute pour cela que le peintre a choisi
pour son sujet l’intérieur d’un monastère : la patiente est assise dans un grand fauteuil, la poitrine à demi découverte, les bras appuyés sur des coussins, avec des linges sur les blessures d’où le sang s’écoule par gouttes; un moine est auprès d’elle la montrant aux visiteurs et tirant les conséquences de cette manifesta
tion d’en haut ; la foule des curieux regarde, les uns osant s’approcher, les autres se tenant à distance,
quelques uns discrètement sceptiques ; au fond s’ouvre l’entrée de la chapelle, dont les vitraux envoient des reflets mu ticolores qui achèvent de donner quelque chose de fantastique à l’aspect général de la composi
tion. Tous les personnages sont sérieusement étudiés et peints avec une remarquable largeur; la tête du moine, entre autres, est magnifique; M. Moreau de Tours, qui fut toujours un coloriste, est aujourd’hui un peintre, dans la plus haute acception du mot.
Une note plus claire, après tant de sombres spectacles : c’est M. Béroud qui va nous la donner, avec son grand triptyque d’Henri III à Vneise. Le panneau cen
tral représente la réception d’Henri de Valois et de sa suite par sa Sérénité le doge Louis Mocenigo dans la salle du Sénat, au palais ducal; sur l’estrade du fond sont deux sièges de gala destinés au Doge et au jeune Roi qui doit prendre place à sa droite comme fidèle allié de la Sérénissime République. Dans le panneau de gauche, Henri assiste, du palais Foscarini, au tournoi qu’il est contraint de faire cesser pour l’em
pêcher de tourner au pugilat. Dans le panneau de droite, Henri quitte le palais ducal par l’escalier des Géants; il est accompagné du doge, des ambassadeurs vénitiens qui lui portent l’ombrelle et de sa suite. Tel est, en quelques mots, le résumé de ces trois grands tableaux dans lesquels se meut tout un monde de dames et de seigneurs : M. Béroud, qui connaît à fond Venise et ses maîtres, s’est laissé entraîner par son amour de la cité des lagunes à une entreprise colos
sale qui eût voulu un Véronèse ou un Tiepolo ; sans doute il y a montré une grande richesse d’imaginat.on, un goût louable de l’élégance, une incontestable entente des grandes ordonnances; mais tout cela est bien extérieur et sent trop la décoration dans ce qu’elle a de superficiel et de facile. Disons-le franchement, l’œuvre manque de relief, on y voudrait plus de véritable peinture.
Revenons d’un siècle en arrière et arrêtons-nous devant le Michel-Ange de M. Antonin Mercié: l’auteur du Gloria Victis ne se contente pas d’être le pre
mier sculpteur de son temps ; semblable au maître dont il s’inspire aujourd’hui, il veut prouver qu’il manie avec une égale supériorité l’ébauchoir et le pinceau ; mais l’artiste éminent qu’est M. Mercié ne s’est ha
sardé que progressivement dans la peinture, risquant d’abord de timides essais pour arriver à cette Vénus si richement modelée qui est maintenant au Luxem
bourg, revenant aujourd’hui au Salcn avec une œuvre vraiment magistrale. Michel-Ange, on lésait, n’avait pas ou du moins n’avait guère étudié l’antique qui commençait justement à être mis en honneur au mo
ment où il produisait déjà ses premiers ouvrages; c’est à force d’interroge-r la nature qu’il atteignit à cette science inouïe dans laquelle se mouvait librement son génie, mais dont l’exemple devait amener la déca
dence de l’école, trop exclusivement préoccupée du tour de force anatomique.
C’estl’auteur du tombeau des Médicisque M. Mercié a voulu nous montrer redevenu simple écolier à ge
noux devant la nature. Michel-Ange est chez les moines de San Spirito, à Florence; le prieur veut bien
lui fournir des cadavres ; il en profite pour passer des nuits à les étudier, dans un des caveaux du couvent. Le voici en face d’une moitié d’homme, donc il a attaché un bras à une potence, afin de pou
voir le lever et en mieux pénétrer la musculature ;
déjà sans doute il l’a dissèque et noté dans tous ses raccourcis. Pour ne pas avoir à se préoccuper de la torche fumeuse qui l’éclaire, il l’a fichée en plein ca
davre ; la flamme répand ses reflets rougeâtres sur le torse et sur le papier où l’artiste recueille ses observaùons ; la scène, qui eût pu être répugnante, n’est que violente et d’une violence que sauve l’art infini avec lequel elle est traitée ; la tête de Michel-Ange, absorbé dans son travail, mérite à elle seule tous les éloges ; l’ensemble de l’œuvre est superbe ; voilà de la peinture solide et vraiment moderne, vraie sans vulgarité, puissante sans effort apparent, dramatique sans déclamation.
Un initant d’arrêt devant le P.erre-le-Grand cheç Mme de Mainlenon, de Mme de Champrenaud : le czar de toutes les Russies vient de visiter Saint-Cyr ;
pris du désir subit de voir la fondatrice, il monte chez el e sans se fa’re annoncer, écarte le rideau du lit où elle dort et la contemple longuement; l’œuvre est forte et imposante. Nous voici maintenant à l’époq -.e révolutionnaire: M. Berteaux expose un Attentat à la vie de Hoche, à Rennes ; M. Henri Cain des Loisirs d’ofificiers en demi-solde, qui regardent des blancs manœuvrer au Champ de Mars; M. François Flameng une Marie-Ar.toinette allant à l’échafaud, qui
sera très remarquée: on ne voit que le fond de la charrette fatale ; le bourreau et son aide sont sur le devant ; l’artiste a eu raison de combiner sa perspective de manière à ne pas être obligé de nous les mon
trer. La malheureuse Reine est en blanc, avec dessous noirs, bonnet blanc à rubans noirs, un fichu noir sur le cou. Les yeux baissés, elle se tient toute raide, isolée de ce qui l’entoure, luttant intérieurement pour ne pas laisser couler ses larmes. A côté d elle, un prêtre en costume bourgeois, avec un simple rabat, mais un prêtre constitutionnel, qui ne peut inspirer ni sympathie ni confiance à la condamnée ; il a l’air,
d’ailleurs, plus ému qu’elle; on dirait qu’il est la femme et qu’elle est l’homme. Le cortège sort de la Conciergerie par l’ancien guichet qui est aujourd’hui sur le Boulevard du Pa ais. Dans le fond, on aperçoit
le petit Châtelet. Tout autour de la charrette, grouille une foule hideuse, les armes à la main, la menace à la bouche. Le cœur se soulève de pitié et d’indignation à la vue du tableau de M. François Flameng, qui en a fait comme une marche funèbre où deux notes uniques, le noir et le blanc, se renvoient leurs lamentations désolées.
Le Faust de M. Jean-Paul Laurens n’est qu’une carte de visite envoyée au Salon par l’illustre auteur de tant de grandes compositions ; mais quelle profon
deur de poésie mystérieuse dans cette simple figure de vieillard assis à sa table de travail, et comme le maître se retrouve dans la moindre de ses œuvres ! Nous terminerons cette première revue de la peinture d’his
toire parla Mort de Chopin de M. Félix Barrias : voilà longtemps que le frère de l’auteur des Premières funérailles, avait cessé d’être un militant; il reprend au
La Grèce a le vieil Homère, vu par M. Ménard à travers la poésie d’André Chénier :
Ainsi le grand vieillard en images hardies Déployait le tissu des saintes mélodies;
Les trois enfants émus à son auguste aspect Admiraient d’un regard de joie et de respect De sa bouche abonder les paroles divines,
Comme en hiver la neige au sommet des collines.
Adossé à un arbre, l’auteur de l’Iliade et de l’Odyssée chante en s’accompagnant sur la lyre ; trois jeunes bergers, assis ou couchés sur l’herbe, l’écoutent avec
recueillement. Au loin, la mer apparaît à travers les feuillages derrière de hautes falaises baignées dans les vapeurs du crépuscule.
L’Italie antique est représentée par MM. Boulanger et Hector Le Roux : sousletitre de la Mère des Gracques, le premier nous montre l’illustre Cornélie sortant de chez elle, appuyée sur les deux enfants qui sont son orgueil. Tibérius, déjà grand, tourne vers sa mère des yeux chargés d’affection ; il est vêtu du laticlave, la robe des sénateurs, que portaient les enfants jusqu’au jour où ils prenaient la toge virile ; dans la phy
sionomie du petit Caïus, on sent déjà poindre quelque chose de plus sauvage et de plus indiscipliné : il tient à la main le sabot et le fouet avec lesquels s’amusent encore les gamins d’aujourd’hui, sans soupçonner la noblesse d’origine de ces jouets qui ont plus de deux mille ans. Mais si intéressants que soient ces enfants, appelés à soulever plus tard tant de passions et tant de haines, c’est dans le bonheur que respire la jeune mère qu’est tout le tableau ; elle marche vraiment, comme dirait le poète, dans son rêve étoilé, résumant toutes les allégresses et tous les enivrements de la maternité.
La Pierre mystérieuse de Pompèi, de M. Hector Le Roux, nous fait entrer dans une antiquité plus savante, plus poétique aussi, comme tout ce qui se rattache à de vieilles légendes. On sait que chez les Romains, en Campanie surtout, il y avait, en dehors des divi
nités du culte officiel, toute une série d’adorations pri
vées dont les origines se perdaient dans la nuit des temps ; c’était, outre les dieux de chaque ville et de chaque maison, la vénération témoignée au sein de nombreuses familles et dans certainsendroits consacrés par la tradition à des souvenirs plus ou moins vagues,
précisés par des objets de toute sorte. A Pompèi, où les temples abondent, représentant l’idée de religion collective, on a trouvé, il y a quelques années, en dé
blayant une maison d’apparence assez modeste, située dans un quartier retiré, une pierre noire, fortement encastrée dans le mur, sous la porte d’entrée, à hau
teur d’homme à peu près; fixée par quatre clous de cuivre, cette pierre était entourée d’un carré de pein
ture rouge, puis d’un autre jaune ; tout autour, des clous plantés de ci et delà indiquaient que des ex-voto avaient dû y être suspendus.
C’est cette pierre qui fait le sujet du tableau de M. Hector Le Roux : une jeune servante embrasse le fétiche en passant dans le couloir d’entrée. S’agit-il là d’un de ces aérolithes que les anciens appelaient bétyles et qui furent l’objet de tant de croyances su
perstitieuses, comme la fameuse pierre de Pessinonte conservée dans le temple de Cybèle à titre de symbole de la mère des Dieux ? — Nous ne nous attarderons pas à discuter la question, préférant nous borner à admirer la grâce de la jeune échappée de la grande Grèce que le peintre des vestales a caressée de toutes les souplesses en même temps que de toutes les éner
gies de son pinceau. Dans une autre toile, M. Hector Le Roux a représenté Saïla, la fille de Jephté, dont M. Cabanel nous disaittout-à-l’heurelts lamentations;
couverte d’une tunique bleue, la pauvre sacrifiée lève les bras au ciel en contemplant l’apparition de ce soleil dont elle est condamnée à ne pas voir le coucher ; sa silhouette de vierge s’enlève vigoureusement sur l’im
mensité du ciel et de la plaine sans fin. C’est une note nouvelle et des plus heureuses dans le talent de M. Le Roux, qui recherchait volontiers les colorations atténuées.
Nous entrons dans les temps modernes, ou du moins nous quittons l’antiquité: M. Maillart nous fait assis
ter à la mort du dernier chef Gaulois; M. Luminais, toujours fidèle aux souvenirs de la France primitive, nous retrace les Funérailles de Chilpéric, assassiné par les ordres de la terrible Frédégondè; M. Albert Maignan nous fait toucher du doigt toutes les vanités humaines en nous montrant gisant à terre, tombé de son lit funèbre, abandonné de ses fils eux-mêmes, le
cadavre de ce Guillaume qu’on avait appelé le Conquérant; le spectacle est d’un réalisme poignant ; c’est l’ironie de l’histoire dans toute sa hideur et sa cruauté.
La Jacquerie de M Rochegrosse est bien plus h rrible encore : ce n’est plus la mort d’un homme, c’est l’as
sassinat de tout un groupe de femmes et d’enfants par une bande de bêtes fauves à figure humaine. Nous sommes en plein xive siècle; la captivité du roi Jean a laissé la France en pleine anarchie; de tous côtés, des bandes de paysans se sont formées, massa
crant les seigf.eurs,incendiant les châteaux. L’artiste a choisi pour son tableau le moment où tout ce qu’ily avait de valide derrière les murailles s’est fait tuer les armes
à la main; la horde sauvage a escaladé les balcons et brisé les fenêtres par où elle pénètre dans la salle où se sont réfugiés les femmes et les enfants; un paysan tient renversée en signe de déshonneur la bannière du comte, dont deux autres portent au bout d’une pique le cœur et la tête sanglante; tous sont a rmés de faulx, de piques, de bâtons; leurs mines de brutes menaçantes ne disent que trop quelle besogne ils vont accomplir.
Au travers delà fumée de l’incendie qui vient d’être allumé, nous entrevoyons dans le fond de la salle une tapisserie dont le sujet de piété tranquille contraste avec la violence effroyable de la scène; dans le fond à droite, des meubles sont entassés devant une porte qui s’entr’ouvre, laissant passerdes lueurs sinistres; partout le parquet est jonché , d’éclats de vitres brisées. Mais ce qui fera surtout le succès de l’œuvre, c’est le groupe des femmes et des enfants qui se roulent à terre,éperdus de terreur; voici la mère, vêtue du surcot de drap d’or, qui tient dans ses bras ses enfants, hur
lante, affolée, puis la vieille nou rice, les yeux hagards, plus loin une jeune femme que l’épouvante a ren
versée, enfin, dominant toute cette scène d’horreur, l’aïeule debout, superbe dans sa robe de velours violet aux traînes de manches doublées d’hermine, la tête couverte d’une guimpe blanche qui ne laisse voir que son profil énergique, couvrant d’un geste suprême toute cette famille qu’on va égorger.
M. Rochegrosse est décidément un artiste doué; il a le sens du dramatique, et ce qui est rare, surtout chez un jeune homme encore presque à ses débuts, il sait composer; son tableau de la mort d’Astyanax avait pu soulever des objections de détail; l’artisté reparaît au
jourd’hui avec une puissance de moyens qui permettent décidément d’espérer un maître.
Le moyen-âge aura porté bonheur, cette année, à ceux qui se sont voués à son culte : la Stigmatisée de M. Moreau de Tours nous reporte à ce François d’Assise, de miraculeuse mémoire, qui s’était vu tout à coup couvert des plaies du Christ. La science a cherché à expliquer, au cours de ces dernières années, ces sortes de plaies spontanées qu’on appela des stigmates; l’ignorance superstitieuse du XIIIe siècle trouvait
plus simple de les attribuer à l’intervention divine; la crédulité populaire fut maintes fois exploitée en ce sens. C’est sans doute pour cela que le peintre a choisi
pour son sujet l’intérieur d’un monastère : la patiente est assise dans un grand fauteuil, la poitrine à demi découverte, les bras appuyés sur des coussins, avec des linges sur les blessures d’où le sang s’écoule par gouttes; un moine est auprès d’elle la montrant aux visiteurs et tirant les conséquences de cette manifesta
tion d’en haut ; la foule des curieux regarde, les uns osant s’approcher, les autres se tenant à distance,
quelques uns discrètement sceptiques ; au fond s’ouvre l’entrée de la chapelle, dont les vitraux envoient des reflets mu ticolores qui achèvent de donner quelque chose de fantastique à l’aspect général de la composi
tion. Tous les personnages sont sérieusement étudiés et peints avec une remarquable largeur; la tête du moine, entre autres, est magnifique; M. Moreau de Tours, qui fut toujours un coloriste, est aujourd’hui un peintre, dans la plus haute acception du mot.
Une note plus claire, après tant de sombres spectacles : c’est M. Béroud qui va nous la donner, avec son grand triptyque d’Henri III à Vneise. Le panneau cen
tral représente la réception d’Henri de Valois et de sa suite par sa Sérénité le doge Louis Mocenigo dans la salle du Sénat, au palais ducal; sur l’estrade du fond sont deux sièges de gala destinés au Doge et au jeune Roi qui doit prendre place à sa droite comme fidèle allié de la Sérénissime République. Dans le panneau de gauche, Henri assiste, du palais Foscarini, au tournoi qu’il est contraint de faire cesser pour l’em
pêcher de tourner au pugilat. Dans le panneau de droite, Henri quitte le palais ducal par l’escalier des Géants; il est accompagné du doge, des ambassadeurs vénitiens qui lui portent l’ombrelle et de sa suite. Tel est, en quelques mots, le résumé de ces trois grands tableaux dans lesquels se meut tout un monde de dames et de seigneurs : M. Béroud, qui connaît à fond Venise et ses maîtres, s’est laissé entraîner par son amour de la cité des lagunes à une entreprise colos
sale qui eût voulu un Véronèse ou un Tiepolo ; sans doute il y a montré une grande richesse d’imaginat.on, un goût louable de l’élégance, une incontestable entente des grandes ordonnances; mais tout cela est bien extérieur et sent trop la décoration dans ce qu’elle a de superficiel et de facile. Disons-le franchement, l’œuvre manque de relief, on y voudrait plus de véritable peinture.
Revenons d’un siècle en arrière et arrêtons-nous devant le Michel-Ange de M. Antonin Mercié: l’auteur du Gloria Victis ne se contente pas d’être le pre
mier sculpteur de son temps ; semblable au maître dont il s’inspire aujourd’hui, il veut prouver qu’il manie avec une égale supériorité l’ébauchoir et le pinceau ; mais l’artiste éminent qu’est M. Mercié ne s’est ha
sardé que progressivement dans la peinture, risquant d’abord de timides essais pour arriver à cette Vénus si richement modelée qui est maintenant au Luxem
bourg, revenant aujourd’hui au Salcn avec une œuvre vraiment magistrale. Michel-Ange, on lésait, n’avait pas ou du moins n’avait guère étudié l’antique qui commençait justement à être mis en honneur au mo
ment où il produisait déjà ses premiers ouvrages; c’est à force d’interroge-r la nature qu’il atteignit à cette science inouïe dans laquelle se mouvait librement son génie, mais dont l’exemple devait amener la déca
dence de l’école, trop exclusivement préoccupée du tour de force anatomique.
C’estl’auteur du tombeau des Médicisque M. Mercié a voulu nous montrer redevenu simple écolier à ge
noux devant la nature. Michel-Ange est chez les moines de San Spirito, à Florence; le prieur veut bien
lui fournir des cadavres ; il en profite pour passer des nuits à les étudier, dans un des caveaux du couvent. Le voici en face d’une moitié d’homme, donc il a attaché un bras à une potence, afin de pou
voir le lever et en mieux pénétrer la musculature ;
déjà sans doute il l’a dissèque et noté dans tous ses raccourcis. Pour ne pas avoir à se préoccuper de la torche fumeuse qui l’éclaire, il l’a fichée en plein ca
davre ; la flamme répand ses reflets rougeâtres sur le torse et sur le papier où l’artiste recueille ses observaùons ; la scène, qui eût pu être répugnante, n’est que violente et d’une violence que sauve l’art infini avec lequel elle est traitée ; la tête de Michel-Ange, absorbé dans son travail, mérite à elle seule tous les éloges ; l’ensemble de l’œuvre est superbe ; voilà de la peinture solide et vraiment moderne, vraie sans vulgarité, puissante sans effort apparent, dramatique sans déclamation.
Un initant d’arrêt devant le P.erre-le-Grand cheç Mme de Mainlenon, de Mme de Champrenaud : le czar de toutes les Russies vient de visiter Saint-Cyr ;
pris du désir subit de voir la fondatrice, il monte chez el e sans se fa’re annoncer, écarte le rideau du lit où elle dort et la contemple longuement; l’œuvre est forte et imposante. Nous voici maintenant à l’époq -.e révolutionnaire: M. Berteaux expose un Attentat à la vie de Hoche, à Rennes ; M. Henri Cain des Loisirs d’ofificiers en demi-solde, qui regardent des blancs manœuvrer au Champ de Mars; M. François Flameng une Marie-Ar.toinette allant à l’échafaud, qui
sera très remarquée: on ne voit que le fond de la charrette fatale ; le bourreau et son aide sont sur le devant ; l’artiste a eu raison de combiner sa perspective de manière à ne pas être obligé de nous les mon
trer. La malheureuse Reine est en blanc, avec dessous noirs, bonnet blanc à rubans noirs, un fichu noir sur le cou. Les yeux baissés, elle se tient toute raide, isolée de ce qui l’entoure, luttant intérieurement pour ne pas laisser couler ses larmes. A côté d elle, un prêtre en costume bourgeois, avec un simple rabat, mais un prêtre constitutionnel, qui ne peut inspirer ni sympathie ni confiance à la condamnée ; il a l’air,
d’ailleurs, plus ému qu’elle; on dirait qu’il est la femme et qu’elle est l’homme. Le cortège sort de la Conciergerie par l’ancien guichet qui est aujourd’hui sur le Boulevard du Pa ais. Dans le fond, on aperçoit
le petit Châtelet. Tout autour de la charrette, grouille une foule hideuse, les armes à la main, la menace à la bouche. Le cœur se soulève de pitié et d’indignation à la vue du tableau de M. François Flameng, qui en a fait comme une marche funèbre où deux notes uniques, le noir et le blanc, se renvoient leurs lamentations désolées.
Le Faust de M. Jean-Paul Laurens n’est qu’une carte de visite envoyée au Salon par l’illustre auteur de tant de grandes compositions ; mais quelle profon
deur de poésie mystérieuse dans cette simple figure de vieillard assis à sa table de travail, et comme le maître se retrouve dans la moindre de ses œuvres ! Nous terminerons cette première revue de la peinture d’his
toire parla Mort de Chopin de M. Félix Barrias : voilà longtemps que le frère de l’auteur des Premières funérailles, avait cessé d’être un militant; il reprend au