jourd’hui le bon combat avec une magnifique composition, devant laquelle se mouilleront bien des beaux yeux. « Le dernier jour, nous conte M. Louis Enault,le bio
graphe de Chopin, et seulement quelques heures avant le moment suprême, il aperçut, debout au pied de son lit, là comtesse (Delphine Potocka, qui était venue pour l’aider à mourir), grande, svelte, vêtue de blanc, semblable aux plus belles figures d’anges qu’imagina jamais le plus idéal des peintres. Il la pria de chanter... La comtesse, brisée par l’émotion, se remit au piano et chanta un psaume de Marcello. Chopin se trouva plus mal : tout le monde fut saisi d’effroi. Par un mouve
ment spontané, tous se jetèrent à genoux, personne n’osa parler et l’on n’entendit plus que la voix de la comtesse, planant comme une céleste mélodie au-des
sus des soupirs et des sanglots... L’âme chrétienne de Chopin s’exhala doucement avec la dernière note de l’hymne sainte :
La prière en chantant l’emporta dans les cieux. »
Nous n’avons pas à décrire le tableau ; il est tout entier dans le récit que nous venons de mentionner ;
mais ce dont surtout nous ne pouvons donner une idée, c’est de la beauté de cette grande figure en blanc,
qui se détache au centre, statue de la douleur et de l’harmonie tout à la fois, c’est de l’imposante recherche des lignes et de l’heureux agencement des personnages, qui n’enlèvent rien à l’ensemble de sa lugubre et poignante émotion.
*
Les portraits, eux aussi, sont de l’histoire, histoire des gens et des choses, par les costumes, par les accessoires,
par les physionomies surtout ; on le voyait assez, ces jours derniers, à l’exposition des portraits du siècle or
ganisée à l’Ecole des Beaux-Arts. Venant de parler de la mort de Chopin, nous resterons dans le vocabulaire musical en saluant chez M. Carolus Duran le grand symphoniste de la couleur : ici, c’est la symphonie en noir, dans un délicieux portrait de jeune femme, dont les boucles blondes s’arrondissent sous le large chapeau à plume noire : elle est assise, heureuse et sou
riante, tenant à la main une rose dont l’éclat pique sur tout le fond une note de gaieté pleine de vie et de franchise. Là, c’est la symphonie en rouge, dans le superbe portrait de Mme Pelouze : derrière une dra
perie à demi-relevée, on aperçoit la silhouette des tours de Chenonceaux. Debout, et descendant une marche de la terrasse, c’est bien l’hospitalière châte
laine, vue sans apparat, dans cette intimité du chez soi qui n’exclut pas certaines recherches de toilette ; elle est en robe de satin blanc ; une dentelle sur la tête, un grand manteau doublé de rose est jeté sur une épaule et recouvre la jupe, retenu par les mains. Certes, voilà un portrait qui sera de l’histoire pour le siècle prochain !
M. Comerre a également deux portraits de femme, l’un en peluche verte avec broderies de filigrane d’or, d’un charmant arrangement; l’autre, dont on retrouvera plus loin la reproduction, bien joli et bien gracieux dans son blanc costume Louis XV. M. Cabanel expose aussi un ravissant portrait de jeune fille en blanc, avec une rose au corsage ; M. Courtois a mis avec beaucoup de naturel, sur un coussin de velours d’Utrecht, un frais baby qui n’a pas voulu quitter son fouet ; il a plus loin un portrait de femme, en robe grenat, dont les manches courtes laissent voir des poignets et des mains aristocratiques, dignes d’un cou aux fines attaches ; la dame qu’a peinte M. Giron dans une longue robe de velours ornée de guipure est d’une belle prestance, mais d’un teint pius familier avec la poudre de riz ;
citons encore une petite fille que M. Raphaël Collin a représentée dans une serre, œuvre délicate et distin
guée, un vigoureux portrait de Mlle de G. en toilette blanche, par Mlle Louise Breslau ; ceux de Mme la marquise d’A., par M. Machard ; de Mme G. D., par M. Besnard; de Mlle Duhamel, parM. PierreCarrier- Belleuse ; de Mlle Durand, du Théâtre-Français, par M. de Landerset ; de Mme D. par M. Benjamin Cons
tant ; puis, du côté du sexe laid, M. Jean Macé, par M. Ed. Krug ; M. Armand Silvestre, par M. Paul Merwart; M. Paul Eudel, par M. Jules Worms ; deux généraux, par M. Delhi]meau ; la liste serait longue de tous les portraits intéressants, soit par le talent des artistes, soit par la notoriété des modèles ; nous la com
pléterons à loisir et réparerons les oublis inévitables du premier jour.
Nous ajouterons seulement à cette énumération deux groupes qui forment de véritables tableaux : l’un est
de Mlle Abbéma ; il est intitulé Chanson d après-midi et représente un coin de l’atelier de l’artiste, avec les portraits de Mmes Madeleine Brohan et Tholer et d’une autre dame qui accompagne M. Duchesne au piano ;
l’autre est de M. Fantin-Latour ; il contient huit figures d’hommes, plus ressemblantes les unes que les autres, dont un joue également du piano ; l’œuvre est compo
sée avec beaucoup d’habileté, dans ces colorations douces où se reconnaît le talent si fin et si distingué de l’auteur.
*
* *
La peinture militaire n’a pas cette année,de représentants bien nombreux : les deux généraux en chef, MM. Détaillé et de Neuville n’ont rien envoyé,nous a-t-on dit, du moins nous ne connaissons pas encore leurs tableaux; M. Berne-Bellecour a continué son évolution du côté de l’armée de mer; son Débarquement, où les hommes ont de l’eau à mi-jambes et sont obligés de porter leurs officiers, a ses qualités habituelles d’exactitude et de finesse; M. Couturier, dans son Dépôt de remonte, nous fait assister à la petite revue du matin où on examine les chevaux ; il a un groupe d’officiers bien pris sur le fait, plein de vie et d’entrain; le Renseigne
ment, de M. Grolleron, nous ramène à l’hiver fatal; la campagne est couverte dé neige; un paysan indique à un officier de francs-tireurs la direction qu’a prise l’ennemi; M. Protais, dans sa Sentinelle avancée, M. Ar
mand Dumaresq, dans sa Reconnaissance nous montrent le soldat seul ou en troupe; M. Jeanniot nous conduit sur les fortifications où se promènent Les Pays, le petit soldat d’infanterie et sa payse; M. Bettanier nous re
présente, En Lorraine, non sans quelque exagération de sentiment patriotique, la douleur d un Saint-Cyrien en présence de l’exhumation de son père; enfin, M.Beaumetz, non moins patriote, mais plusmesuré, a envoyé, avec un épisode de Champigny plein de mouvement,
qu’il intitule A la baïonnette! un tableau d’une émotion sincère et contenue : la Dernière faction, c’est celle de ce marin qui garde, à la porte du fort de Montrouge, le corps de l’officier qui commandait le fort et s’est sui
cidé pour ne pas survivre à la capitulation; ce héros, dont nous nesavonspas le nom, est enveloppé dans le drapeau tricolore; au loin, on distingue les Allemands qui s’approchent, s’estompant dans la brume.
* *
Est-il bien nécessaire de grouper entre eux les peintres de l’Orient et de leur consacrer une étude spéciale? En vérité nous ne sommes plus au temps où
les Marilhat, les Decamps, les Delacroix étonnaient leurs contemporains des spectacles ensoleillés qu’ils avaient rapportés du Caire ou de Constantinople, et nous savons trop aujourd’hui que nombre d’entre les sultanes qu’on nous sert sont nées aux Batignolles. C’est donc plutôt pour nous conformer à un usage tra
ditionnel que nous avons réservé quelques ouvrages qui auraient pu tout aussi bien rentrer dans la peinture d’histoire ou dans la peinture de genre.
Peu importent, d’ailleurs, les catégories, quand l’œuvre est bonne : voici, en tête, M. Gèrôme, avec la Pisc ne de Brousse, prétexte à nous montrer dans toutes les poses et toutes les attitudes de beaux corps de femmes nues allant et venant en toute liberté, sur lesquels se jouent les mille refiels de la lumière ; M. Bou
langer expose son Porteur d’eau juif qui retrouvera aux Champs-Elysées son succès du Cercle des Mirlitons; M. Veyrassat a des Arabes à la fontaine; M. Guillaumet, des Souvenirs des environs de Biskra; M. Fabius Brest, une vue du Village d’Eyoub, près de Constan
tinople ; M. Paul Lazerges, une Caravane en Algérie ; M. Clairin, une immense toile, la plus grande de tout le Salon, les Maures en Espagne, sur laquelle nous re
viendrons quand nous aurons eu le loisir d’en étudier la composition; enfin, M. Benjamin Constant va rem
porter un nouveau, un immense succès avec sa Justice du chérif au xvc siècle, grand tableau d’une magnifique exécution. L’Oriental tue les femmes, l’histoire des harems n’est qu’une longue suite d’exécutions ;
c’en est une, et des plus sauvages, qui vient d’avoir lieu ; sur les froides dalles de marbre gisent pêle-mêle les malheureuses victimes ; pas de bruit, la mort plane sur cette scène funèbre; silencieux comme les cadavres qu’ils ont faits, les exécuteurs se tiennent dans l’ombre, attendant l’arrivée et les félicitations du
maître ; un rayon de soleil pénètre par une fenêtre et jette sur tous ces beaux corps de femmes l’ironie de
ses reflets éclatants; elles ont du moins de lumineuses funérailles, qui ont permis à l’artiste de la sser de côté toutes les laideurs de la mort. Superpe page, en somme, et qui marque encore un pas en avant dans une carrière déjà riche en succès !
*
La place va nous manquer, et nous n’avons encore parlé ni de la peinture de genre, ni des scènes de la vie contemporaine, ni du paysage : force nous est de parler sommairement de nombre d’œuvres qui méri
tent l’attention ; nous y reviendrons. En attendant, voici une bien jolie interprétation de la fable de La
fontaine le Jardinier et son seigneur, par M. Adrien Marie, le Départ et le Retour, deux gracieux pendants,
de M. Toulmouche; l’Ange gardien, de M. Ferrier, les amusants petits groupes d’enfants de M. Lobrichon, Y Espiègle et la Reine du camp, de M. Jacquet, les Es
crimeuses viennoises, de M. Wertheimer, le Printemps de la vie, de M. Aimé Perret, Y Adieu, de Mme Alice Enault, la Récolte du houblon, de Mlle Vénot d’Auteroche, la Joyeuseté, de M. Emile Bayard, qui a peint une bande pleine d’entrain vaguant dans une verte campagne; la Pavane de M. Toudouze, œuvre bril
lante, conçue dans une gamme de gris et de roses tendres, où deux enfants en costume Louis XIII esquissent les premiers pas de la danse à la mode.
La vie réelle va nous prendre : dans une grande toile pleine de vie et de mouvement, M. Roll nous montre le Travail, au chantier du barrage de Suresnes;
M. Aimé Morot, nous conduit à Séville et nous fait assister à une Corrida enlevée avec un brio sans rival; M. Fourié a passé de Mme Bovary à une Première com
munion à la campagne, jolie scène d’intérieur d’église, où les blancs chantent doucement sur les blancs; M.Louis Deschamps, lui aussi, a des blancs exquis dans les Deux jumeaux couchés pieds à pieds dans unmême berceau sous la garde de la gr^nd’mère; M. Georges Landelle débute brillamment avec son Premier échelon, scène d’amour sur une échelle en Normandie ; M. Gervex a mis dans une Séance du jury de peinture toutes les ressources de sa palette habile aux resemblances et éprise de lumière; M. Béraud a photographié en poète en même temps qu’en philosophe le parc de l’Asile des aliénés à Charenton ; Mlle Louise Breslau reste dans son Ch!g soi, toujours vraie et vigoureuse; M. Charles Frère expose un solide Pressoir à Chatelguyon; M. Ed. Frère, le Four de la Boulangère et le Bivouac du bataillon scolaire; M. Geoffroy a aussi un Bataillon sco
laire à la revue de l’hôtel de ville ; plus loin, ce sont d’autres enfants surpris au cours d’une baignade détendue par M. le curé, Y Epouvantail.
Dans un ordre d’idées plus sentimentales, nous avons les Cinq Orphelines de M. Echtler, le Martyr de M. Pelez, puis la Fin de la journée, de M. Adan et leChant de l’Alouette de M. Jules Breton, les rêveurs de
la vie des champs; plus gais sont M. Roger Jourdain, avec son Nuage, épisode très réussi de la vie conju
gale, M. Mosler, avec son Orage qui approch -, sous la figure d’une mère écoutant l’amoureux qui conte fleurette à sa fille, M. Gilbert, dont le Marché parisien, vu par une après-midi de dimanche, va être un des succès de l’Exposition.
M. Destrem a une vue de l entrée du bal Bullier le soir, qui contient de bien curieuses recherches d’effets de lumière, et une Fin du jour, à Yport, qui est tout le poème de la nuit tombante. Nous sommes au bord de la mer ; profitons-en et saluons au passage les Portraits de M. Tattegrain, le Loup de mer de M. Renouf, les vaillantes toiles de M. Haquette, le Coup de vent et le Débarquement, la Mignon de Cancale, de M. Feyen- Perrin, les Pêcheuses de Zandvoort, de M. Burgers, les Loups de mer, de Mme Demont-Breton, la Pêche aux homards, de M. Bourgain, l’Heure du bain au Tréport, deM. Aublet, la Mauvaise nouvelle, de M. Beyle, qui a résumé avec une poignante intensité les drames journaliers de la vie du marin. M. Auguste Flameng a re
présenté avec un relief rempli de couleur la Cale des
Messageries maritimes à Bordeaux; M. Le Pic a peint la Rentrée dupilote ; M. Montenard a mis toute sa connais
sance des choses de la mer et aussi toutes les souplesses de son pinceau dans son Embarquement de troupes. Plus
loin, il nous apparaît sous un aspect tout autre, avec la Grand route entre Toulon et la Seyne, où il a rendu avec une intensité étonnante ces effets si monotones et si désespérés d’un paysage fait de soleil et de poussière.
*
* *
Nous avons prononcé le mot de paysage : hélas ! il va falloir borner ici notre promenade d’ouverture, sans dire un mot de tous ceux qui sont reproduits plus loin, sans pouvoir faire plus que d’en citer quelques autres, notamment le Paris vu de Meudon, de M. Guil
lemet, le Mont Cervin, de M. Jean Desbrosses, la
Mare aux pigeons, de M. Paul Colin, la Meuse devant Dordrecht, de M. Yon, qui nous montre le soleil voilé par un écran de brumes, les Terrains blancs à St-Ouen, de M. Paul Péraire, les Tours du port à La Rochelle, et Y Effet de lune aux marais salants, de M. Billotte, tous deux à la fois pleins de vérité et de style, le Coin de forêt de M. Defaux, le Matin sur les bords du Doubs, de M. Rapin.
Nous y reviendrons, en même temps que nous réparerons nos oublis qui doivent être nombreux : nous ne pouvions prétendre donner à nos lecteurs, à la date où paraîtront ces lignes, un compte-rendu définitif d’une exposition qui n’ouvrira que le premier mai ; nous n’avons du moins rien négligé pour leur en présenter un aperçu aussi impartial et aussi complet que possible.
graphe de Chopin, et seulement quelques heures avant le moment suprême, il aperçut, debout au pied de son lit, là comtesse (Delphine Potocka, qui était venue pour l’aider à mourir), grande, svelte, vêtue de blanc, semblable aux plus belles figures d’anges qu’imagina jamais le plus idéal des peintres. Il la pria de chanter... La comtesse, brisée par l’émotion, se remit au piano et chanta un psaume de Marcello. Chopin se trouva plus mal : tout le monde fut saisi d’effroi. Par un mouve
ment spontané, tous se jetèrent à genoux, personne n’osa parler et l’on n’entendit plus que la voix de la comtesse, planant comme une céleste mélodie au-des
sus des soupirs et des sanglots... L’âme chrétienne de Chopin s’exhala doucement avec la dernière note de l’hymne sainte :
La prière en chantant l’emporta dans les cieux. »
Nous n’avons pas à décrire le tableau ; il est tout entier dans le récit que nous venons de mentionner ;
mais ce dont surtout nous ne pouvons donner une idée, c’est de la beauté de cette grande figure en blanc,
qui se détache au centre, statue de la douleur et de l’harmonie tout à la fois, c’est de l’imposante recherche des lignes et de l’heureux agencement des personnages, qui n’enlèvent rien à l’ensemble de sa lugubre et poignante émotion.
*
Les portraits, eux aussi, sont de l’histoire, histoire des gens et des choses, par les costumes, par les accessoires,
par les physionomies surtout ; on le voyait assez, ces jours derniers, à l’exposition des portraits du siècle or
ganisée à l’Ecole des Beaux-Arts. Venant de parler de la mort de Chopin, nous resterons dans le vocabulaire musical en saluant chez M. Carolus Duran le grand symphoniste de la couleur : ici, c’est la symphonie en noir, dans un délicieux portrait de jeune femme, dont les boucles blondes s’arrondissent sous le large chapeau à plume noire : elle est assise, heureuse et sou
riante, tenant à la main une rose dont l’éclat pique sur tout le fond une note de gaieté pleine de vie et de franchise. Là, c’est la symphonie en rouge, dans le superbe portrait de Mme Pelouze : derrière une dra
perie à demi-relevée, on aperçoit la silhouette des tours de Chenonceaux. Debout, et descendant une marche de la terrasse, c’est bien l’hospitalière châte
laine, vue sans apparat, dans cette intimité du chez soi qui n’exclut pas certaines recherches de toilette ; elle est en robe de satin blanc ; une dentelle sur la tête, un grand manteau doublé de rose est jeté sur une épaule et recouvre la jupe, retenu par les mains. Certes, voilà un portrait qui sera de l’histoire pour le siècle prochain !
M. Comerre a également deux portraits de femme, l’un en peluche verte avec broderies de filigrane d’or, d’un charmant arrangement; l’autre, dont on retrouvera plus loin la reproduction, bien joli et bien gracieux dans son blanc costume Louis XV. M. Cabanel expose aussi un ravissant portrait de jeune fille en blanc, avec une rose au corsage ; M. Courtois a mis avec beaucoup de naturel, sur un coussin de velours d’Utrecht, un frais baby qui n’a pas voulu quitter son fouet ; il a plus loin un portrait de femme, en robe grenat, dont les manches courtes laissent voir des poignets et des mains aristocratiques, dignes d’un cou aux fines attaches ; la dame qu’a peinte M. Giron dans une longue robe de velours ornée de guipure est d’une belle prestance, mais d’un teint pius familier avec la poudre de riz ;
citons encore une petite fille que M. Raphaël Collin a représentée dans une serre, œuvre délicate et distin
guée, un vigoureux portrait de Mlle de G. en toilette blanche, par Mlle Louise Breslau ; ceux de Mme la marquise d’A., par M. Machard ; de Mme G. D., par M. Besnard; de Mlle Duhamel, parM. PierreCarrier- Belleuse ; de Mlle Durand, du Théâtre-Français, par M. de Landerset ; de Mme D. par M. Benjamin Cons
tant ; puis, du côté du sexe laid, M. Jean Macé, par M. Ed. Krug ; M. Armand Silvestre, par M. Paul Merwart; M. Paul Eudel, par M. Jules Worms ; deux généraux, par M. Delhi]meau ; la liste serait longue de tous les portraits intéressants, soit par le talent des artistes, soit par la notoriété des modèles ; nous la com
pléterons à loisir et réparerons les oublis inévitables du premier jour.
Nous ajouterons seulement à cette énumération deux groupes qui forment de véritables tableaux : l’un est
de Mlle Abbéma ; il est intitulé Chanson d après-midi et représente un coin de l’atelier de l’artiste, avec les portraits de Mmes Madeleine Brohan et Tholer et d’une autre dame qui accompagne M. Duchesne au piano ;
l’autre est de M. Fantin-Latour ; il contient huit figures d’hommes, plus ressemblantes les unes que les autres, dont un joue également du piano ; l’œuvre est compo
sée avec beaucoup d’habileté, dans ces colorations douces où se reconnaît le talent si fin et si distingué de l’auteur.
*
* *
La peinture militaire n’a pas cette année,de représentants bien nombreux : les deux généraux en chef, MM. Détaillé et de Neuville n’ont rien envoyé,nous a-t-on dit, du moins nous ne connaissons pas encore leurs tableaux; M. Berne-Bellecour a continué son évolution du côté de l’armée de mer; son Débarquement, où les hommes ont de l’eau à mi-jambes et sont obligés de porter leurs officiers, a ses qualités habituelles d’exactitude et de finesse; M. Couturier, dans son Dépôt de remonte, nous fait assister à la petite revue du matin où on examine les chevaux ; il a un groupe d’officiers bien pris sur le fait, plein de vie et d’entrain; le Renseigne
ment, de M. Grolleron, nous ramène à l’hiver fatal; la campagne est couverte dé neige; un paysan indique à un officier de francs-tireurs la direction qu’a prise l’ennemi; M. Protais, dans sa Sentinelle avancée, M. Ar
mand Dumaresq, dans sa Reconnaissance nous montrent le soldat seul ou en troupe; M. Jeanniot nous conduit sur les fortifications où se promènent Les Pays, le petit soldat d’infanterie et sa payse; M. Bettanier nous re
présente, En Lorraine, non sans quelque exagération de sentiment patriotique, la douleur d un Saint-Cyrien en présence de l’exhumation de son père; enfin, M.Beaumetz, non moins patriote, mais plusmesuré, a envoyé, avec un épisode de Champigny plein de mouvement,
qu’il intitule A la baïonnette! un tableau d’une émotion sincère et contenue : la Dernière faction, c’est celle de ce marin qui garde, à la porte du fort de Montrouge, le corps de l’officier qui commandait le fort et s’est sui
cidé pour ne pas survivre à la capitulation; ce héros, dont nous nesavonspas le nom, est enveloppé dans le drapeau tricolore; au loin, on distingue les Allemands qui s’approchent, s’estompant dans la brume.
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Est-il bien nécessaire de grouper entre eux les peintres de l’Orient et de leur consacrer une étude spéciale? En vérité nous ne sommes plus au temps où
les Marilhat, les Decamps, les Delacroix étonnaient leurs contemporains des spectacles ensoleillés qu’ils avaient rapportés du Caire ou de Constantinople, et nous savons trop aujourd’hui que nombre d’entre les sultanes qu’on nous sert sont nées aux Batignolles. C’est donc plutôt pour nous conformer à un usage tra
ditionnel que nous avons réservé quelques ouvrages qui auraient pu tout aussi bien rentrer dans la peinture d’histoire ou dans la peinture de genre.
Peu importent, d’ailleurs, les catégories, quand l’œuvre est bonne : voici, en tête, M. Gèrôme, avec la Pisc ne de Brousse, prétexte à nous montrer dans toutes les poses et toutes les attitudes de beaux corps de femmes nues allant et venant en toute liberté, sur lesquels se jouent les mille refiels de la lumière ; M. Bou
langer expose son Porteur d’eau juif qui retrouvera aux Champs-Elysées son succès du Cercle des Mirlitons; M. Veyrassat a des Arabes à la fontaine; M. Guillaumet, des Souvenirs des environs de Biskra; M. Fabius Brest, une vue du Village d’Eyoub, près de Constan
tinople ; M. Paul Lazerges, une Caravane en Algérie ; M. Clairin, une immense toile, la plus grande de tout le Salon, les Maures en Espagne, sur laquelle nous re
viendrons quand nous aurons eu le loisir d’en étudier la composition; enfin, M. Benjamin Constant va rem
porter un nouveau, un immense succès avec sa Justice du chérif au xvc siècle, grand tableau d’une magnifique exécution. L’Oriental tue les femmes, l’histoire des harems n’est qu’une longue suite d’exécutions ;
c’en est une, et des plus sauvages, qui vient d’avoir lieu ; sur les froides dalles de marbre gisent pêle-mêle les malheureuses victimes ; pas de bruit, la mort plane sur cette scène funèbre; silencieux comme les cadavres qu’ils ont faits, les exécuteurs se tiennent dans l’ombre, attendant l’arrivée et les félicitations du
maître ; un rayon de soleil pénètre par une fenêtre et jette sur tous ces beaux corps de femmes l’ironie de
ses reflets éclatants; elles ont du moins de lumineuses funérailles, qui ont permis à l’artiste de la sser de côté toutes les laideurs de la mort. Superpe page, en somme, et qui marque encore un pas en avant dans une carrière déjà riche en succès !
*
La place va nous manquer, et nous n’avons encore parlé ni de la peinture de genre, ni des scènes de la vie contemporaine, ni du paysage : force nous est de parler sommairement de nombre d’œuvres qui méri
tent l’attention ; nous y reviendrons. En attendant, voici une bien jolie interprétation de la fable de La
fontaine le Jardinier et son seigneur, par M. Adrien Marie, le Départ et le Retour, deux gracieux pendants,
de M. Toulmouche; l’Ange gardien, de M. Ferrier, les amusants petits groupes d’enfants de M. Lobrichon, Y Espiègle et la Reine du camp, de M. Jacquet, les Es
crimeuses viennoises, de M. Wertheimer, le Printemps de la vie, de M. Aimé Perret, Y Adieu, de Mme Alice Enault, la Récolte du houblon, de Mlle Vénot d’Auteroche, la Joyeuseté, de M. Emile Bayard, qui a peint une bande pleine d’entrain vaguant dans une verte campagne; la Pavane de M. Toudouze, œuvre bril
lante, conçue dans une gamme de gris et de roses tendres, où deux enfants en costume Louis XIII esquissent les premiers pas de la danse à la mode.
La vie réelle va nous prendre : dans une grande toile pleine de vie et de mouvement, M. Roll nous montre le Travail, au chantier du barrage de Suresnes;
M. Aimé Morot, nous conduit à Séville et nous fait assister à une Corrida enlevée avec un brio sans rival; M. Fourié a passé de Mme Bovary à une Première com
munion à la campagne, jolie scène d’intérieur d’église, où les blancs chantent doucement sur les blancs; M.Louis Deschamps, lui aussi, a des blancs exquis dans les Deux jumeaux couchés pieds à pieds dans unmême berceau sous la garde de la gr^nd’mère; M. Georges Landelle débute brillamment avec son Premier échelon, scène d’amour sur une échelle en Normandie ; M. Gervex a mis dans une Séance du jury de peinture toutes les ressources de sa palette habile aux resemblances et éprise de lumière; M. Béraud a photographié en poète en même temps qu’en philosophe le parc de l’Asile des aliénés à Charenton ; Mlle Louise Breslau reste dans son Ch!g soi, toujours vraie et vigoureuse; M. Charles Frère expose un solide Pressoir à Chatelguyon; M. Ed. Frère, le Four de la Boulangère et le Bivouac du bataillon scolaire; M. Geoffroy a aussi un Bataillon sco
laire à la revue de l’hôtel de ville ; plus loin, ce sont d’autres enfants surpris au cours d’une baignade détendue par M. le curé, Y Epouvantail.
Dans un ordre d’idées plus sentimentales, nous avons les Cinq Orphelines de M. Echtler, le Martyr de M. Pelez, puis la Fin de la journée, de M. Adan et leChant de l’Alouette de M. Jules Breton, les rêveurs de
la vie des champs; plus gais sont M. Roger Jourdain, avec son Nuage, épisode très réussi de la vie conju
gale, M. Mosler, avec son Orage qui approch -, sous la figure d’une mère écoutant l’amoureux qui conte fleurette à sa fille, M. Gilbert, dont le Marché parisien, vu par une après-midi de dimanche, va être un des succès de l’Exposition.
M. Destrem a une vue de l entrée du bal Bullier le soir, qui contient de bien curieuses recherches d’effets de lumière, et une Fin du jour, à Yport, qui est tout le poème de la nuit tombante. Nous sommes au bord de la mer ; profitons-en et saluons au passage les Portraits de M. Tattegrain, le Loup de mer de M. Renouf, les vaillantes toiles de M. Haquette, le Coup de vent et le Débarquement, la Mignon de Cancale, de M. Feyen- Perrin, les Pêcheuses de Zandvoort, de M. Burgers, les Loups de mer, de Mme Demont-Breton, la Pêche aux homards, de M. Bourgain, l’Heure du bain au Tréport, deM. Aublet, la Mauvaise nouvelle, de M. Beyle, qui a résumé avec une poignante intensité les drames journaliers de la vie du marin. M. Auguste Flameng a re
présenté avec un relief rempli de couleur la Cale des
Messageries maritimes à Bordeaux; M. Le Pic a peint la Rentrée dupilote ; M. Montenard a mis toute sa connais
sance des choses de la mer et aussi toutes les souplesses de son pinceau dans son Embarquement de troupes. Plus
loin, il nous apparaît sous un aspect tout autre, avec la Grand route entre Toulon et la Seyne, où il a rendu avec une intensité étonnante ces effets si monotones et si désespérés d’un paysage fait de soleil et de poussière.
*
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Nous avons prononcé le mot de paysage : hélas ! il va falloir borner ici notre promenade d’ouverture, sans dire un mot de tous ceux qui sont reproduits plus loin, sans pouvoir faire plus que d’en citer quelques autres, notamment le Paris vu de Meudon, de M. Guil
lemet, le Mont Cervin, de M. Jean Desbrosses, la
Mare aux pigeons, de M. Paul Colin, la Meuse devant Dordrecht, de M. Yon, qui nous montre le soleil voilé par un écran de brumes, les Terrains blancs à St-Ouen, de M. Paul Péraire, les Tours du port à La Rochelle, et Y Effet de lune aux marais salants, de M. Billotte, tous deux à la fois pleins de vérité et de style, le Coin de forêt de M. Defaux, le Matin sur les bords du Doubs, de M. Rapin.
Nous y reviendrons, en même temps que nous réparerons nos oublis qui doivent être nombreux : nous ne pouvions prétendre donner à nos lecteurs, à la date où paraîtront ces lignes, un compte-rendu définitif d’une exposition qui n’ouvrira que le premier mai ; nous n’avons du moins rien négligé pour leur en présenter un aperçu aussi impartial et aussi complet que possible.