le comte Paul Vassili, malgré son nom russe, n’est pas Russe et qu’il n’est pas un écrivain mais plusieurs
écrivains. Il ou ils ont bien du mordant et du trait, dans tous les cas, et il ou ils font de jolis scandales à travers les cours d’Europe.
C’est du Saint-Simon boulevardier publié du vivant même des Maintenon et des La Vallière.
Le prince de Galles, qui a de la bonne humeur, a dû rire de son portrait. Mais, en revanche, qu’en a dit la reine Victoria? Elle ne l’a pas lu sans doute.
Est-il vrai, ce portrait? N’est-il point chargé?
Je sais qu’une grande dame reçue chez l’impératrice des Indes, nous disait qu’on lui avait, avant d’entrer, lait cette recommandation stupéfiante :
— Surtout ne vous mouchez ni n’éternuez ni ne toussez devant Sa Majesté! La reine Victoria ne sup
porte pas cela à Londres ! Elle ne le permet qu’à Balmoral, en Ecosse!
La grande dame dont je parle a toujours regretté de n’avoir pas reçu une hospitalité... écossaise!
Et ce diable de comte Vassili révèle une infinité de petits secrets de ce genre. Il y a une anecdote im
payable : c’est celle du duc Ernest de Saxe-Cobourg,
le frère du prince Albert, emportant en 1866, pendant la guerre, deux uniformes, l’un Prussien, l’autre Saxon,
et attendant de revêtir l’un ou l’autre... selon la victoire !
Nos députés, qui rentrent cette semaine, n’auraient pas inventé mieux, ces chers politiciens du succès !
Et, puisque j’ai cité des lettres, en voici une de Berryer qui me paraît toute d’actualité, au moment de la reprise des travaux parlementaires. Travaux est joli !
« Après quarante-cinq ans de vie politique, je me suis aperçu que les députés perdent presque toujours les gouvernements absolument comme les témoins des duels font presque toujours blesser ou tuer leurs amis. Alors, pourquoi des députés ? »
C’est irrévérent, mais c’est signé Berryer! On le lui pardonnera. On ne l’eût point pardonné à...
Perdican.
M. G. PATENÔTRE
Tout ce qui se rapporte à nos affaires avec la Chine mérite aujourd’hui d’être l’objet d’une particulière attention. Les négociations étant
engagées, les diplomates passent sur le premier plan; M. Patenôtre, le représentant actuel des droits et des intérêts français et qui doit les défendre contre les finesses de la politique chinoise, excite une curiosité aussi naturelle que les généraux chargés jusqu’ici de les soutenir par les armes.
Ce jeune diplomate vient à peine d’accomplir sa quarantième année. Il était destiné à une toute autre carrière, A vingt ans, il entrait à l’Ecole normale supérieure, et deux ans plus tard, muni du diplôme de licencié ès-lettres, il entrait dans l’enseignement. Il occupa, entre autres chaires, celle de seconde au lycée d’Alger. En 1871, il quitta l’Université : cette université qui, suivant le mot spirituel de Villemain, « mène à tout, à la condition d’en sortir. »
M. Patenôtre débuta dans sa nouvelle carrière, comme attaché payé à la direction politique, en septembre 1875; il fut envoyé, comme secrétaire-adjoint, à Buénos-Ayres, en
septembre 1876, et revint, à la fin de l’année suivante comme rédacteur, à la direction politique, où il ne resta encore qu’une année. Le 7 décembre 1878, il était nommé secrétaire de 1re classe à Pékin, où trois mois après, en avril 1879, grâce aux vicissitudes perpétuelles de notre perpersonnel diplomatique, il avait à prendre la gestion de la légation, comme chargé d’affaires,entre le départ deM.Brenier de Montmorand et la nomination de M. Bourée. Le 16 octobre 1880, M. Patenôtre fut nommé envoyé extraor
dinaire et ministre plénipotentiaire à Stockholm, où il put enfin faire un séjour assez long pour faire apprécier sa courtoisie et son tact diplomatique.
Au milieu des complications du conflit chinois, pendant lequel M. Bourée avait, à son tour, cédé la place à un inté
rimaire, on se souvint queM. Patenôtre avait pu, dans son rapide passage à Pékin, s’initier aux intérêts de la France dans l’Extrême-Orient, et il fut renvoyé en Chine, comme ministre plénipotentiaire, le 12 septembre 1883. Il n’ac
cepta que par patriotisme et à son corps défendant, dans les conditions difficiles et obscures où elle se présentait, cette mission qui ne paraissait pas promettre au diplomate beaucoup d’honneur, ni au pays des avantages bien certains.
M. Patenôtre n’a pas dépouillé tout à fait l’homme de lettres. Outre une brochure de circonstance la France dégénérée (1871), il a, mettant à profit ses voyages, publié dans la Revue des Deux mondes, un Voyage à Téhéran et les Persans chez eux G. V.
M. ANDRÉ GILL
André GUI, le caricaturiste populaire, s’appelait de son vrai nom Gosset de Gumes. Il était né le 17 octobre 1840, à Paris. Il fut élève de Leloir et de l’Ecole des beaux-arts, servit quelque temps dans un régiment de ligne, comme vo
lontaire, puis se fit connaître par des caricatures insérées dans divers petits journaux.
La fondation du journal la Lune, devenu plus tard l’E- clipse, mit en évidence son talent humoristique et satirique, et Gill acquit bientôt une grande popularité. Sa verve, qui s’exerçait particulièrement sur divers personnages de l’empire, valut à YEclipse de nombreuses condamnations.
Après la guerre, Gill continua dans la Lune rousse et la Nouvelle lune la publication de ses caricatures. Dans ces dernières années, Gill se fit en outre connaître comme pein
tre. Ses tableaux ont été exposés aux Salons annuels. Tout le monde se souvient du Joyeux compagnon, de l Homme à la pipe et surtout de l’Homme ivre, d’une vérité saisis
sante. Ce dernier tableau fut acquis par l’Etat. Malgré ses succès, la folie de la fortune le toucha; on le trouva un jour, en 1881, dans les environs de Bruxelles, moitié mort de faim et de froid. Ramené à Paris par des amis et interné dans une maison de santé, il parut un moment, à force de soins, reprendre la santé et la lucidité de l’esprit. Il peignit même pour le Salon de 1882 ce tableau du Fou, dont nous parlons plus haut, mais le mécontentement qu’il éprouva de voir son tableau mal placé amena une rechute.
Replacé dans la maison de Charenton, il n’eut plus que des moments lucides, et depuis des mois tout espoir de le conserver était perdu.
M. RÉGNIER
M. Régnier, l’ancien sociétaire du Théâtre-Français, qui vient de mourir, était né à Paris, en 1807. Fils de Mme Tousez, née Régnier de La Brière, il prit le nom de sa mère en abordant la carrière théâtrale. Après avoir donné des repré
sentations en province, à Metz, à Nantes, etc., il vint à Paris, joua au Palais-Royal et débuta à la Comédie Fran
çaise dans le Mariage de Figaro, où il obtint un grand succès.
En 1834, il fut reçu sociétaire et créa successivement des rôles importants dans une Chaîne, l’Aventurière, la Joie fait peur, les Effrontés, Jean Baudry, le Supplice d’une femme, etc.
Après avoir longtemps tenu avec éclat les rôles comiques aux côtés de Monrose et de Samson, il résolut de prendre sa retraite et donna sa représentation d’adieux le loavril 1872.
Il parut à cette représentation dans les rôles de Figaro (20 acte du Mariage de Figaro), de Pancrace du Mariage
forcé, et de Noël de la Joie fait peur. Mme Miolan-Carvalho joua Chérubin pour la circonstance; Gardoni, Delle
Sedie et Mme Pauline Viardot se firent entendre dans un intermède musical. Enfin, Mme Arnould Plessy, entourée de toute la troupe, lut un Adieu à Régnier, poésie de M. Gallet.
M. Régnier resta encore une année à la Comédie-Française en qualité de régisseur général. Il dut résigner ces fonc
tions à la suite des froissements qu’elles amenèrent entre ses anciens camarades et lui.
Pendant la direction Vaucorbeil, M. Régnier remplit des fonctions administratives à l’Opéra ; il fut d’abord directeur de la scène, puis directeur général des études. Il s’était retiré à la mort de M. Vaucorbeil et se consacrait à des travaux littéraires que sa santé ne lui a pas permis d’ache
ver. On lui a attribué une part de collaboration dans la Diana que MM. Henri Régnier, son fils et Jacques Normand ont donnée cet hiver à l’Opéra-Comique.
Du reste, M. Régnier n était pas seulement un comédien de premier ordre ; il a écrit plusieurs comédies, notamment la .loconde, pièce en cinq actes, faite en collaboration avec Paul Foucher et jouée au Français en 1856; le Chemin retrouvé, en collaboration avec M. Leroy donné au Gym
nase en 1868. Il avait collaboré à Mademoiselle de La Seiglière et touchait une part de droits d’auteur pour cette pièce.
M. Régnier était chevalier de la Légion d’honneur depuis le 5 août 1872.
l’asie centrale
L’oublié. — Dans notre dernier numéro, à propos des événements qui se passent dans cette région, nous repro
duisions deux tableaux du célèbre peintre russe M. Vereschagin, ayant trait aux mœurs guerrières des tribus turcomanes. Celui que nous donnons aujourd’hui sous cette légende: Y Oublié, fait partie de la même série. Il repré
sente un malheureux soldat russe, tombé grièvement blessé dans un combat, et oublié sur le champ de bataille après l’engagement. Les Turkomans ne font pas de prisonniers.
Le sort du pauvre soldat n’est donc pas douteux. Sa tête coupée sera présentée à l’émir et ira grossir d’une unité ces effroyables pyramides dont nous parlions naguère, et qu’on rencontre si fréquemment dans le voisinage des villes ou au pied de leurs murs et que les féroces roitelets du pays se font un point d’honneur et une sorte de coquetterie de grossir et d’exhausser indéfiniment.
La Porte d’une mosquée. — Ce tableau, du même peintre, nous montre un côté peu agréable, mais typique, de la vie intime du Turkoman, voire de l’Asiatique en général. En Orient, la vermine pullule, et comme elle est indestructible, au moins pour les habitants de ces contrées, ces derniers en ont pris leur parti. Ils vivent avec elle, se défendant du mieux qu’ils peuvent contre leurs attaques qui, pour eux, ont un côté pratique et utile. D’abord, c’est une occupation, au milieu de leur vie indolente et désœuvrée. Que feraientils, s’ils n’avaient pas sous la main la puce ou le pou à qui
donner la chasse? Ils mourraient d’ennui. Et puis, c est un moyen de nouer des relations : deux Asiatiques se rencon
trent, l’un aperçoit sur l’habit de l’autre une des petites bêtes dont nous venons de parler, aussitôt, avec la promp
titude et la précision qu’il doit à une longue pratique, il s’en
empare, la roule un instant entre ses doigts et l’écrase sur un ongle. A charge de revanche. Vous voyez d’ici les rap
ports d’intérêt ou d’agrément qui peuvent naître de cet échange de politesses.
Mais c’est surtout au point de vue du désœuvrement que la vermine est pour l Asiatique une plaie providen
tielle. En Orient, dans toutes les classes delà société, tout
le monde chasse ouvertement et partout le gibier qui gîte sur sa personne : au salon, à la cuirine, au lit, à cheval,
dans la rue, aux portes des mosquées, comme ces deux moines mendiants que représentent notre gravure. Cet Ordre est très répandu dans l’Aste centrale. Ses membres vivent d’aumônes. On les rencontre en tous lieux, promenant indo
lemment leur paresse en même temps que les poux qu’ils portent sous et sur la robe faite de pièces et de morceaux qui les couvre et qui ressemble assez à un habit d’Arlequin.
EXPOSITION UNIVERSELLE D’ANVERS
L’Exposition universelle a été inaugurée le samedi, 2 mai, avec un grand éclat. Le roi et la reine des Belges, les mem
bres de la famille royale, le corps diplomatique, la Chambre des Représentants et le Sénat, la magistrature, le clergé des divers cultes, l’armée, tous les corps constitués et tous les hauts fonctionnaires assistaient à cette solennité.
La Belgique conviait pour la première fois chez elle, à Anvers, toutes les nations à un de ces grands concours où, selon l’heureuse expression du président du Comité exécutif, resplendit comme dans une admirable synthèse la puissance créatrice de la science et du travail. D’unanimes applaudissements ont salué cette belle fête de la paix.
L’Exposition, avec ses installations et ses décorations encore inachevées, offre l’image d’un immense et prodigieux chantier où s’agitent des fourmilières humaines; mais en face de ses proportions colossales, devant l’abondance, la perfection et la richesse des produits déjà étalés, il n’y a eu qu’une voix pour en prédire le complet, le magnifique succès. Dès la première heure, les hommes éminents dans la science, l’industrie et les arts, venus de par
tout et formant ici comme un infaillible jury de l’opinion publique, lui assignent une place choisie, au premier rang,
parmi ces grandes entreprises qui ont marqué les étapes du progrès en ces trente dernières années. Et ce qui imprime un trait distinctif à l’Exposition Universelle de 1885, c’est qu’elle eut une origine des plus modestes : elle fournit le plus remarquable exemple de ce que peut l’initiative privée, s’attachant avec ardeur et désintéressement à la poursuite d’un but grandiose, utile et profitable à tous. Grâce au patronage d’un souverain éclairé, du roi des Belges, le comité exécutif a pu accomplir un véritable prodige : il a réalisé en quinze mois ce qui avait exigé ailleurs un effort continué durant plusieurs années. L’extraordinaire affluence des exposants l’a obligé, et pour ainsi dire d’un jour à
l’autre, à agrandir d’un tiers les halles de l’industrie et la galerie des machines, à porter de 70,000 à 105,000 mètres carrés le développement de ces gigantesques constructions. Ces agrandissements successifs ont dû être improvisés en quelques semaines, et les dernières en quelques jours Et voilà pourquoi la façade monumentale n’est pas encore dé
corée. Déjà le grand portique d’honneur dominé par son globe, flanqué de ses deux phares électriques, se dresse â une hauteur de 65 mètres dans la surprenante audace de son essor aérien.
Plusieurs trains spéciaux ont amené vers 2 heures, à Anvers, le Roi et la Reine des Belges, les membres de la famille royale et l’immense cortège des invités officiels. Reçu à la gare de l’Est par le bourgmestre et le conseil communal, Léopold II a été chaleureusement accueilli par la population et par des milliers d’hôtes étrangers. La garde civique et l’armée formaient la haie le long des avenues de Keyzer, des Arts, de l’Industrie et du Sud, mais d’un côté seulement, le roi ayant exprimé le désir de rester en con
tact immédiat avec les Anversois en traversant leur ville.
Tous les hôtels de ces superbes avenues qui ont pris la place des anciens remparts de la domination espagnole, étaient brillamment pavoisés. Par toute la ville, d’ailleurs, chaque maison a son drapeau, la plus pauvre comme la plus riche. Les acclamations spontanées, le contentement ré
pandu sur les visages, montraient bien que tout le monde ici prend sincèrement part à cette joyeuse entrée.
A l Exposition, le Roi a été reçu dans la Salle des fêtes, par le Comité exécutif ayant à sa tête son président, M. Vic
tor Lynen. Dans un langage sobre, élevé, tout imprégné de l’esprit de rénovation pratique, celui-ci à indiqué l’idée et le but ne l’œuvre inaugurée. Ce discours a fait une vive impression, car on y sentait vibrer l’âme de cette fière et laborieuse cité anversoise qui a voulu devenir et qui est devenue, en effet, le plus beau port, et le mieux outillé du continent européen.
La salle des fêtes, assez vaste pour contenir 7,000 personnes, présentait un spectacle indescriptible, lorsqu’un or
chestre et des chœurs comprenant 14,000 exécutants, ont exécuté le Feest^ang (le Chant de fête) de Peter Benoit qui dirigeait ces grandes masses instrumentales et vocales. Au choral qui termine cette puissante composition, toute l assemblée a éclaté en applaudissements enthousiastes.
Le roi, la reine, la famille royale, les invités se sont alors rendus en cortège dans la grande travée des halles de l’Industrie (voir notre gravure) à l’extrémité de laquelle se dresse un escalier monumental. Du haut de cet escalier formant terrasse, la vue embrasse l’immense galerie des machines. Là, le ministre de l’industrie, de l’agriculture et
NOS GRAVURES
écrivains. Il ou ils ont bien du mordant et du trait, dans tous les cas, et il ou ils font de jolis scandales à travers les cours d’Europe.
C’est du Saint-Simon boulevardier publié du vivant même des Maintenon et des La Vallière.
Le prince de Galles, qui a de la bonne humeur, a dû rire de son portrait. Mais, en revanche, qu’en a dit la reine Victoria? Elle ne l’a pas lu sans doute.
Est-il vrai, ce portrait? N’est-il point chargé?
Je sais qu’une grande dame reçue chez l’impératrice des Indes, nous disait qu’on lui avait, avant d’entrer, lait cette recommandation stupéfiante :
— Surtout ne vous mouchez ni n’éternuez ni ne toussez devant Sa Majesté! La reine Victoria ne sup
porte pas cela à Londres ! Elle ne le permet qu’à Balmoral, en Ecosse!
La grande dame dont je parle a toujours regretté de n’avoir pas reçu une hospitalité... écossaise!
Et ce diable de comte Vassili révèle une infinité de petits secrets de ce genre. Il y a une anecdote im
payable : c’est celle du duc Ernest de Saxe-Cobourg,
le frère du prince Albert, emportant en 1866, pendant la guerre, deux uniformes, l’un Prussien, l’autre Saxon,
et attendant de revêtir l’un ou l’autre... selon la victoire !
Nos députés, qui rentrent cette semaine, n’auraient pas inventé mieux, ces chers politiciens du succès !
Et, puisque j’ai cité des lettres, en voici une de Berryer qui me paraît toute d’actualité, au moment de la reprise des travaux parlementaires. Travaux est joli !
« Après quarante-cinq ans de vie politique, je me suis aperçu que les députés perdent presque toujours les gouvernements absolument comme les témoins des duels font presque toujours blesser ou tuer leurs amis. Alors, pourquoi des députés ? »
C’est irrévérent, mais c’est signé Berryer! On le lui pardonnera. On ne l’eût point pardonné à...
Perdican.
M. G. PATENÔTRE
Tout ce qui se rapporte à nos affaires avec la Chine mérite aujourd’hui d’être l’objet d’une particulière attention. Les négociations étant
engagées, les diplomates passent sur le premier plan; M. Patenôtre, le représentant actuel des droits et des intérêts français et qui doit les défendre contre les finesses de la politique chinoise, excite une curiosité aussi naturelle que les généraux chargés jusqu’ici de les soutenir par les armes.
Ce jeune diplomate vient à peine d’accomplir sa quarantième année. Il était destiné à une toute autre carrière, A vingt ans, il entrait à l’Ecole normale supérieure, et deux ans plus tard, muni du diplôme de licencié ès-lettres, il entrait dans l’enseignement. Il occupa, entre autres chaires, celle de seconde au lycée d’Alger. En 1871, il quitta l’Université : cette université qui, suivant le mot spirituel de Villemain, « mène à tout, à la condition d’en sortir. »
M. Patenôtre débuta dans sa nouvelle carrière, comme attaché payé à la direction politique, en septembre 1875; il fut envoyé, comme secrétaire-adjoint, à Buénos-Ayres, en
septembre 1876, et revint, à la fin de l’année suivante comme rédacteur, à la direction politique, où il ne resta encore qu’une année. Le 7 décembre 1878, il était nommé secrétaire de 1re classe à Pékin, où trois mois après, en avril 1879, grâce aux vicissitudes perpétuelles de notre perpersonnel diplomatique, il avait à prendre la gestion de la légation, comme chargé d’affaires,entre le départ deM.Brenier de Montmorand et la nomination de M. Bourée. Le 16 octobre 1880, M. Patenôtre fut nommé envoyé extraor
dinaire et ministre plénipotentiaire à Stockholm, où il put enfin faire un séjour assez long pour faire apprécier sa courtoisie et son tact diplomatique.
Au milieu des complications du conflit chinois, pendant lequel M. Bourée avait, à son tour, cédé la place à un inté
rimaire, on se souvint queM. Patenôtre avait pu, dans son rapide passage à Pékin, s’initier aux intérêts de la France dans l’Extrême-Orient, et il fut renvoyé en Chine, comme ministre plénipotentiaire, le 12 septembre 1883. Il n’ac
cepta que par patriotisme et à son corps défendant, dans les conditions difficiles et obscures où elle se présentait, cette mission qui ne paraissait pas promettre au diplomate beaucoup d’honneur, ni au pays des avantages bien certains.
M. Patenôtre n’a pas dépouillé tout à fait l’homme de lettres. Outre une brochure de circonstance la France dégénérée (1871), il a, mettant à profit ses voyages, publié dans la Revue des Deux mondes, un Voyage à Téhéran et les Persans chez eux G. V.
M. ANDRÉ GILL
André GUI, le caricaturiste populaire, s’appelait de son vrai nom Gosset de Gumes. Il était né le 17 octobre 1840, à Paris. Il fut élève de Leloir et de l’Ecole des beaux-arts, servit quelque temps dans un régiment de ligne, comme vo
lontaire, puis se fit connaître par des caricatures insérées dans divers petits journaux.
La fondation du journal la Lune, devenu plus tard l’E- clipse, mit en évidence son talent humoristique et satirique, et Gill acquit bientôt une grande popularité. Sa verve, qui s’exerçait particulièrement sur divers personnages de l’empire, valut à YEclipse de nombreuses condamnations.
Après la guerre, Gill continua dans la Lune rousse et la Nouvelle lune la publication de ses caricatures. Dans ces dernières années, Gill se fit en outre connaître comme pein
tre. Ses tableaux ont été exposés aux Salons annuels. Tout le monde se souvient du Joyeux compagnon, de l Homme à la pipe et surtout de l’Homme ivre, d’une vérité saisis
sante. Ce dernier tableau fut acquis par l’Etat. Malgré ses succès, la folie de la fortune le toucha; on le trouva un jour, en 1881, dans les environs de Bruxelles, moitié mort de faim et de froid. Ramené à Paris par des amis et interné dans une maison de santé, il parut un moment, à force de soins, reprendre la santé et la lucidité de l’esprit. Il peignit même pour le Salon de 1882 ce tableau du Fou, dont nous parlons plus haut, mais le mécontentement qu’il éprouva de voir son tableau mal placé amena une rechute.
Replacé dans la maison de Charenton, il n’eut plus que des moments lucides, et depuis des mois tout espoir de le conserver était perdu.
M. RÉGNIER
M. Régnier, l’ancien sociétaire du Théâtre-Français, qui vient de mourir, était né à Paris, en 1807. Fils de Mme Tousez, née Régnier de La Brière, il prit le nom de sa mère en abordant la carrière théâtrale. Après avoir donné des repré
sentations en province, à Metz, à Nantes, etc., il vint à Paris, joua au Palais-Royal et débuta à la Comédie Fran
çaise dans le Mariage de Figaro, où il obtint un grand succès.
En 1834, il fut reçu sociétaire et créa successivement des rôles importants dans une Chaîne, l’Aventurière, la Joie fait peur, les Effrontés, Jean Baudry, le Supplice d’une femme, etc.
Après avoir longtemps tenu avec éclat les rôles comiques aux côtés de Monrose et de Samson, il résolut de prendre sa retraite et donna sa représentation d’adieux le loavril 1872.
Il parut à cette représentation dans les rôles de Figaro (20 acte du Mariage de Figaro), de Pancrace du Mariage
forcé, et de Noël de la Joie fait peur. Mme Miolan-Carvalho joua Chérubin pour la circonstance; Gardoni, Delle
Sedie et Mme Pauline Viardot se firent entendre dans un intermède musical. Enfin, Mme Arnould Plessy, entourée de toute la troupe, lut un Adieu à Régnier, poésie de M. Gallet.
M. Régnier resta encore une année à la Comédie-Française en qualité de régisseur général. Il dut résigner ces fonc
tions à la suite des froissements qu’elles amenèrent entre ses anciens camarades et lui.
Pendant la direction Vaucorbeil, M. Régnier remplit des fonctions administratives à l’Opéra ; il fut d’abord directeur de la scène, puis directeur général des études. Il s’était retiré à la mort de M. Vaucorbeil et se consacrait à des travaux littéraires que sa santé ne lui a pas permis d’ache
ver. On lui a attribué une part de collaboration dans la Diana que MM. Henri Régnier, son fils et Jacques Normand ont donnée cet hiver à l’Opéra-Comique.
Du reste, M. Régnier n était pas seulement un comédien de premier ordre ; il a écrit plusieurs comédies, notamment la .loconde, pièce en cinq actes, faite en collaboration avec Paul Foucher et jouée au Français en 1856; le Chemin retrouvé, en collaboration avec M. Leroy donné au Gym
nase en 1868. Il avait collaboré à Mademoiselle de La Seiglière et touchait une part de droits d’auteur pour cette pièce.
M. Régnier était chevalier de la Légion d’honneur depuis le 5 août 1872.
l’asie centrale
L’oublié. — Dans notre dernier numéro, à propos des événements qui se passent dans cette région, nous repro
duisions deux tableaux du célèbre peintre russe M. Vereschagin, ayant trait aux mœurs guerrières des tribus turcomanes. Celui que nous donnons aujourd’hui sous cette légende: Y Oublié, fait partie de la même série. Il repré
sente un malheureux soldat russe, tombé grièvement blessé dans un combat, et oublié sur le champ de bataille après l’engagement. Les Turkomans ne font pas de prisonniers.
Le sort du pauvre soldat n’est donc pas douteux. Sa tête coupée sera présentée à l’émir et ira grossir d’une unité ces effroyables pyramides dont nous parlions naguère, et qu’on rencontre si fréquemment dans le voisinage des villes ou au pied de leurs murs et que les féroces roitelets du pays se font un point d’honneur et une sorte de coquetterie de grossir et d’exhausser indéfiniment.
La Porte d’une mosquée. — Ce tableau, du même peintre, nous montre un côté peu agréable, mais typique, de la vie intime du Turkoman, voire de l’Asiatique en général. En Orient, la vermine pullule, et comme elle est indestructible, au moins pour les habitants de ces contrées, ces derniers en ont pris leur parti. Ils vivent avec elle, se défendant du mieux qu’ils peuvent contre leurs attaques qui, pour eux, ont un côté pratique et utile. D’abord, c’est une occupation, au milieu de leur vie indolente et désœuvrée. Que feraientils, s’ils n’avaient pas sous la main la puce ou le pou à qui
donner la chasse? Ils mourraient d’ennui. Et puis, c est un moyen de nouer des relations : deux Asiatiques se rencon
trent, l’un aperçoit sur l’habit de l’autre une des petites bêtes dont nous venons de parler, aussitôt, avec la promp
titude et la précision qu’il doit à une longue pratique, il s’en
empare, la roule un instant entre ses doigts et l’écrase sur un ongle. A charge de revanche. Vous voyez d’ici les rap
ports d’intérêt ou d’agrément qui peuvent naître de cet échange de politesses.
Mais c’est surtout au point de vue du désœuvrement que la vermine est pour l Asiatique une plaie providen
tielle. En Orient, dans toutes les classes delà société, tout
le monde chasse ouvertement et partout le gibier qui gîte sur sa personne : au salon, à la cuirine, au lit, à cheval,
dans la rue, aux portes des mosquées, comme ces deux moines mendiants que représentent notre gravure. Cet Ordre est très répandu dans l’Aste centrale. Ses membres vivent d’aumônes. On les rencontre en tous lieux, promenant indo
lemment leur paresse en même temps que les poux qu’ils portent sous et sur la robe faite de pièces et de morceaux qui les couvre et qui ressemble assez à un habit d’Arlequin.
EXPOSITION UNIVERSELLE D’ANVERS
L’Exposition universelle a été inaugurée le samedi, 2 mai, avec un grand éclat. Le roi et la reine des Belges, les mem
bres de la famille royale, le corps diplomatique, la Chambre des Représentants et le Sénat, la magistrature, le clergé des divers cultes, l’armée, tous les corps constitués et tous les hauts fonctionnaires assistaient à cette solennité.
La Belgique conviait pour la première fois chez elle, à Anvers, toutes les nations à un de ces grands concours où, selon l’heureuse expression du président du Comité exécutif, resplendit comme dans une admirable synthèse la puissance créatrice de la science et du travail. D’unanimes applaudissements ont salué cette belle fête de la paix.
L’Exposition, avec ses installations et ses décorations encore inachevées, offre l’image d’un immense et prodigieux chantier où s’agitent des fourmilières humaines; mais en face de ses proportions colossales, devant l’abondance, la perfection et la richesse des produits déjà étalés, il n’y a eu qu’une voix pour en prédire le complet, le magnifique succès. Dès la première heure, les hommes éminents dans la science, l’industrie et les arts, venus de par
tout et formant ici comme un infaillible jury de l’opinion publique, lui assignent une place choisie, au premier rang,
parmi ces grandes entreprises qui ont marqué les étapes du progrès en ces trente dernières années. Et ce qui imprime un trait distinctif à l’Exposition Universelle de 1885, c’est qu’elle eut une origine des plus modestes : elle fournit le plus remarquable exemple de ce que peut l’initiative privée, s’attachant avec ardeur et désintéressement à la poursuite d’un but grandiose, utile et profitable à tous. Grâce au patronage d’un souverain éclairé, du roi des Belges, le comité exécutif a pu accomplir un véritable prodige : il a réalisé en quinze mois ce qui avait exigé ailleurs un effort continué durant plusieurs années. L’extraordinaire affluence des exposants l’a obligé, et pour ainsi dire d’un jour à
l’autre, à agrandir d’un tiers les halles de l’industrie et la galerie des machines, à porter de 70,000 à 105,000 mètres carrés le développement de ces gigantesques constructions. Ces agrandissements successifs ont dû être improvisés en quelques semaines, et les dernières en quelques jours Et voilà pourquoi la façade monumentale n’est pas encore dé
corée. Déjà le grand portique d’honneur dominé par son globe, flanqué de ses deux phares électriques, se dresse â une hauteur de 65 mètres dans la surprenante audace de son essor aérien.
Plusieurs trains spéciaux ont amené vers 2 heures, à Anvers, le Roi et la Reine des Belges, les membres de la famille royale et l’immense cortège des invités officiels. Reçu à la gare de l’Est par le bourgmestre et le conseil communal, Léopold II a été chaleureusement accueilli par la population et par des milliers d’hôtes étrangers. La garde civique et l’armée formaient la haie le long des avenues de Keyzer, des Arts, de l’Industrie et du Sud, mais d’un côté seulement, le roi ayant exprimé le désir de rester en con
tact immédiat avec les Anversois en traversant leur ville.
Tous les hôtels de ces superbes avenues qui ont pris la place des anciens remparts de la domination espagnole, étaient brillamment pavoisés. Par toute la ville, d’ailleurs, chaque maison a son drapeau, la plus pauvre comme la plus riche. Les acclamations spontanées, le contentement ré
pandu sur les visages, montraient bien que tout le monde ici prend sincèrement part à cette joyeuse entrée.
A l Exposition, le Roi a été reçu dans la Salle des fêtes, par le Comité exécutif ayant à sa tête son président, M. Vic
tor Lynen. Dans un langage sobre, élevé, tout imprégné de l’esprit de rénovation pratique, celui-ci à indiqué l’idée et le but ne l’œuvre inaugurée. Ce discours a fait une vive impression, car on y sentait vibrer l’âme de cette fière et laborieuse cité anversoise qui a voulu devenir et qui est devenue, en effet, le plus beau port, et le mieux outillé du continent européen.
La salle des fêtes, assez vaste pour contenir 7,000 personnes, présentait un spectacle indescriptible, lorsqu’un or
chestre et des chœurs comprenant 14,000 exécutants, ont exécuté le Feest^ang (le Chant de fête) de Peter Benoit qui dirigeait ces grandes masses instrumentales et vocales. Au choral qui termine cette puissante composition, toute l assemblée a éclaté en applaudissements enthousiastes.
Le roi, la reine, la famille royale, les invités se sont alors rendus en cortège dans la grande travée des halles de l’Industrie (voir notre gravure) à l’extrémité de laquelle se dresse un escalier monumental. Du haut de cet escalier formant terrasse, la vue embrasse l’immense galerie des machines. Là, le ministre de l’industrie, de l’agriculture et
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