Mai va finir. Déjà, à la façade de plus d’un théâtre s’étale ce mot qui est comme la fanfare de l’été : Clôture !
La saison parisienne se prolongera pour
tant jusqu’au 15 juin, date du Grand Prix, et, jusqu’ici, les plaisirs printaniers ont été assez fri
leux. Je plains les chanteurs de cafés-concerts, qui jettent, sous les marronniers poudrés à frimas comme des marquises du temps passé, le refrain de la romance à la mode : Gaga.
Ah ! ah ! voilà
Voilà, voilà Gaga!
Si je cite mal, qu’on me lapide ! Mais je n’ai retenu que très approximativement les paroles de ce chefd’œuvre. Quand on inaugurera la statue de Béranger au square du Temple, pourvu que les chansonniers modernistes n’aillent pas chanter devant le Bonhomme :
Gaga ! voilà Gaga !
Préparons-nous à subir la niaiserie de cette chanson de Gaga. Il n’y a pas, il n’y aura jamais de vaccin contre le microbe de la niaiserie.
Cette statue de Béranger, qui devait être inaugurée le 10 de ce mois, puis le 31, ne le sera que le 16 juillet prochain, date anniversaire de la mort du chanson
nier. J’ai bien peur que le bruit de la cérémonie ne soit un peu étouffé sous les pétards de l’avant-veille. Le 14 juillet! Depuis quelques années, les petits Pari
siens ont trouvé, pour ce jour-là, une variante au vers fameux de Béranger lui-même :
Un beau tapage a fêté ce grand jour!
Quoiqu’il en soit, il y a ça et là, comme toujours, des inaugurations de statues. Alexandre Dumas avait, place Malesherbes, sa statue assise ; il aura maintenant, à Villers-Cotterets, sa statue debout. Magistra
ture debout ou magistrature assise, c’est, ici, la magistrature du génie.
— C’est toujours singulier et un peu émouvant, disait Dumas fils à un ami, de passer deux fois par jour environ devant la statue de son père !
La place Malesherbes est, en effet, à vingt pas de la maison de l’auteur de Denise, avenue de Villiers. Villers-Cotterets est plus loin, mais la ville natale du grand romancier a tenu à bien faire les choses, et di
manche prochain — c’est-à-dire demain — le maire de la petite cité a invité un certain nombre de notabi
lités littéraires à apporter leur hommage à l’auteur des Mousquetaires.
La présidence du Comité de cette statue natale d’Alexandre Dumas, si je puis dire, avait été donnée à Henri Martin, sénateur de l’Aisne, qui n’est plus là pour rendre hommage à son compatriote, mais le viceprésident, M. H. de la Pommeraye, s’est multiplié avec beaucoup de bonne grâce pour donner de l’éclat à la cérémonie.. Il a guidé l’aimable maire de Villers- Cotterets, M. Senard, dans ses visites parisiennes et,
comme toujours, l’éloquent conférencier s’est mis tout entier au service de ses amis.
C’est M. Edmond Turquet qui présidera la cérémonie. Je prévois qu’elle sera touchante. Le souvenir de Dumas est toujours très vivant chez ses compatriotes. Il y a comme la saine odeur de la forêt de Villers-Cotterets dans les écrits de Dumas.
Quand on pense qu’il aurait aujourd’hui tout juste l’âge de Victor Hugo ! Il aurait même cinq mois de moins, ce grand géant d’Alexandre Dumas, taillé pour vivre cent ans ! Carrier-Belleuse l’a représenté debout et en robe de chambre, comme Dumas lui-même peignait les Grands Hommes.
On auiait pu inscrire sur le socle de la statue la phrase célèbre par laquelle s’ouvrent les Mémoires de Dumas :
« Je suis né à Villers-Cotterets, petite ville du département de l’Aisne, située sur la route de Paris à Laon, à deux cents pas de la rue de la Nou, où mou
rut Demoustiers, à deux lieues de la Ferté-Milon, où naquit Racine, et à sept lieues de Château-Thierry, où naquit La Fontaine.
« J’y suis né le 24 juillet 1802, rue de Lormet, dans la maison appartenant aujourd’hui à mon ami Cartier,
qui voudra bien me la vendre un jour pour que j’aille mourir dans la chambre où je suis né... »
On sait que c’est à Puys, chez son fils, que Dumas devait finir. L’homme n’arrange comme il l’entend ni sa vie, ni sa mort.
Et qu’est devenu ce M. Cartier qui possédait la maison natale d’Alexandre Dumas en 1847, lorsque Dumas écrivait ses Mémoires?
Toujours est-il que Villers-Cotterets a voulu sa statue particulière. M. Dumas fils inclinait volon
tiers pour qu’on érigeât, là-bas, une reproduction du bronze de Doré.
— Non, non, nous voulons notre Dumas à nous !
Ils avaient raison, et leur Dumas est fort réussi. J’imagine que M. Dalou réussira de même la statue d’Eugène Delacroix que le Comité vient de lui com
mander. Talent tourmenté, vivant et vibrant,M. Dalou doit bien comprendre et bien traduire Delacroix, ce génie de la fièvre.
Et, puisque je parle des sculpteurs, pourquoi ne point dire un mot des peintres? Vous savez la nou
velle? Certes, car elle est déjà vieille d’une semaine. Eh! bien, c’est résolu, décrété, signé, contresigné :
on n’aura pas de Salon triennalYan prochain. Il paraît que ce Salon officiel eût été une injure faite au Salon annuel. L’Etat ayant abdiqué entre les mains de la
Société des artistes, l’Etat n’a plus rien à voir à la peinture : il n’a qu’à décorer les peintres. Ah! les ar
tistes se vengent d’avoir longtemps subi la tutelle de l’Etat ! On me dit même que les jeunes artistes sont assez sévères sur leurs droits et que la nouvelle école
— l’école du morceau et de la chose vue, du tableau
sous l’œil — est aussi intolérante, à l’occasion, que pouvait jadis l’être l’Institut maudit des romantiques.
La jeune école n’admet ni le tableau historique, ni le satin, ni le velours et elle hisse à des hauteurs con
sidérables tout ce qui est sujet Louis XIII, menuet d’autrefois, toile d’histoire, absolument comme on juchait aux endroits invisibles les toiles de Manet, autre
fois. Le Réalisme se venge. Le Réalisme n’admet que les Réalistes. Le reste, perruques, pompiers, poncifs retardataires 1...
L’Institut d’autrefois était même en quelque sorte plus libéral, parce qu’il était plus érudit et plus éclec
tique. Il fut un temps où les élèves des successeurs de David lançaient, quitte à crever la toile, des boulettes de mie de pain à Y Embarquement pour Cythère de Watteau, suspendu dans une salle des Beaux-Arts. Les peintres du plein air actuels jetteraient volontiers à l’eau les baigneuses de Gérôme et au feu les cuirassiers de Meissonier.
J’ai entendu ce bout de dialogue, bien fait pour stupéfier, entre deux peintres :
— Vous savez 1 l’exposition de Delacroix est finie! —- Et les tableaux, sont-ils finis, eux ?
Bon Dieu, que deviendraient les scdons écrits ou parlés si les peintres s’avisaient d’écrire et de se faire eux-mêmes scdonniers pour détrôner les salonniers de profession ?
Je disais que les théâtres vont fermer. Pas tous. La Comédie-Française ne connaît pas la Clôture. Mais elle connaît les maladies et les retards.
Voilà Antoinette Rigaucl, de M. Deslandes, remise à la saison d’automne parce que M. Coquelin voyage l’été, et Une Rupture, de M. Abraham Dreyfus, remise à samedi prochain parce que M. Delaunay a éternué. Ne croyez pas que je plaisante. M. Delaunay a éter
nué et, en éternuant, il s’est déplacé un nerl du dos. La Rupture de M. Dreyfus, qui est amusante, est de
venue celle d’un nerf de l’éminent et charmant comédien. A Rupture rupture et demie. Il y a de ces vaude
villes dans l’histoire du théâtre : l’éternuement d un artiste pourrait avoir des suites aussi fatales que le grain de sable dont parle Pascal à propos de Cromwell.
Un article à faire : des dangers d’un éternuement 1 Mais, à vrai dire, il est aujourd’hui des dangers partout. Charles Monselet, par exemple, écrivit, un jour, une fantaisie sur le danger que courrait le monde
— et le demi-monde — si les coiffeurs s’avisaient de se mettre en grève. « A-t-on jamais songé à la per
turbation singulière qu’amènerait à Paris une grève de coiffeurs? La physionomie de la population en serait profondément transformée et la plupart de nos cottemporains redeviendraient chevelus et barbus comme les anciens Gaulois, car il y a un nombre considérable de gens qui ne savent pas se raser. »
Les coiffeurs ne se sont pas mis en grève, mais les tailleurs ont profité du printemps pour briser momen
tanément leurs aiguilles et la perturbation a menacé de devenir très grave, car il y a également un nombre considérable de gens qui ne savent pas coudre euxmêmes leurs habits.
La grève des tailleurs a même donné lieu à deux sortes d’affiches à la main placardées dans Paris à la porte des fournisseurs à la mode.
Les unes, comme celle qui s’étalait sur les volets de Dusautoy, disait : Fermé pour cause de grève.
Les autres, plus longues : Malgré la grève, le magasin donne des vêtements à très bon compte.
Il y aurait à demander aux ouvriers tailleurs s’ils ont beaucoup gagné à la grève, — et s’ils n’ont pas fait les affaires des tailleurs de la libre Angleterre et de la vieille Germanie — mais la question est telle
ment épineuse et attristante qu’il faut peut-être la laisser dormir dans les colonnes d’un Courrier de Paris.
Un de nos amis ayant voulu insinuer que la grève n’est peut-être pas tout à fait le meilleur moyen de donner du pain aux travailleurs, le citoyen Jules Guesde, homme intelligent et libéral, lui a répondu :
« Taisez-vous ou vous aurez du plomb ! » Il est très gentil, ce citoyen Guesde.
Est-ce que nous ne devions pas avoir une exposition de chats ? Ce qui est certain, c’est que nous avons une exhibition de chiens. Je ne sais quel fantai
siste ennemi du chien a écrit : « Le chien aime l’homme comme l’homme aime le mouton, à l’état de mets. » Le chien, cet ami de l’homme, ne serait qu’un faux ami, à entendre ce farouche canivore qui, en supposant que le chien ne fasse périr que mille personnes par an de la rage (ce qui est un chiffre beaucoup trop bas) a calculé que, depuis Jésus-Christ, les chiens ont tué, au moins : un million, huit cent quatre-vingt-cinq mille personnes !
Voyez-vous cet ami dei’humanité qui lui coûte déjà, au bas mot, 1,885,000 individus !
Tandis que le chat! C’est un égoïste, le chat, je le veux bien On a dit aussi de lui : « Le chat ne vous ca
resse pas, il se caresse à vous ! » Rien de plus vrai.
C’est un hypocrite p:ut-être, mais ce n’est pas un meurtrier. On n a jamais à craindre énormément la rage avec le chat et l’hydrophobie n’est pas une maladie particulièrement féline.
Le chat, ce traître, a moins coûté de victimes à l’homme que le chien, ce serviteur dévoué !
Mais il est, après tout, dans la fatalité des choses humaines de trouver le danger dans les êtres qu’on aime le plus. L’amour du chien est périlleux, comme tous les amours de ce monde. Et, du moins, l’amour du caniche, du braque, du bull-dog, du danois, pour son maître, est-if un amour sincère. On n’a qu’à voir, pour s’en convaincre, les yeux na -fs des braves bêtes exposées dans ce Scdon des chiens.
Et Ponto me regarde avec des yeux honnêtes! dit un vers des Contemplations.
Le jour où il l’écrivit, ce vers, Victor Hugo avait peut-être rencontré une hypocrisie dans le regard de l’homme.
Quant au chat, Théophile Gautier, qui adorait les chats, comme Moncrif et M..Champfleury, Gautier a dit le mot : « Dieu a inventé le chat pour donner à l homme l’illusion de croire qu il caressait le tigre. »
Je n’ai rien dit du célèbre rapport de M. Mesureur sur les rues de Paris. Il a pourtant fait sourire.
Les enfants peuvent jouer à « M. Mesureur n’aime pas les saints » comme ils jouent à« M. le curé n’aime pas les O! » Il taille et rogne tous les saints au coin
des rues, M. Mesureur, excepté Saint-Simon, parce que c’est un écrivain de quelque valeur, quoique duc, Sainte-Beuve parce qu’il s’est fait enterrer civilement et Sainte-Opportune (ceci est un comble! parce que le mot a une signification politique.
Les journaux hostiles à la République se sont fort égayés de ces grattages de bienheureux et il faut avouer que le Rapport de M. Mesureur était bien fait pour leur inspirer quelque gaieté. Ah! ils s’en amuseront, les coupletiers des revues de fin d’année!
Lorsque, la première fois, on parla de débaptiser les rues de Paris, un conseiller municipal réclama avant toute chose la radiation du mot : Enfer!
— Boulevard d’Enfer! rue d’Enfer! Mes chers collègues, c’est une folie et une insulte au bon sens. Il n’y a pas d’enfer! Rayons enfer! Biffons enfer!
— Ou si vcus tenez à le garder, dit en riant le préfet de la Seine (c’était alors M. Ferdinand Duval) appelez-le à’Enfer... Rochereau!
Il ne croyait faire qu’un calembour; il venait de décréter une réalité.
— Denfert-Rochereau ! Bravo, M. le préfet. A la bonne heure! Voilà une idée! Àhl si vous en aviez toujours de semblables!
On biffa d’Enfer : on écrivit Denfert. L’histoire est connue, mais j’ai tenu à signaler le coupable : je le répète, c’est M. Ferdinand Duval.
Mais comment M. Mesureur, qui a dû proscrire la rue d’Enfer n’a-t-il pas fulminé contre la rue de Paradis-Poissonnière ?
M. Mesureur aurait dû déclarer que le paradis n’existe que dans les petits théâtres. Et encore!
Perdican.
La saison parisienne se prolongera pour
tant jusqu’au 15 juin, date du Grand Prix, et, jusqu’ici, les plaisirs printaniers ont été assez fri
leux. Je plains les chanteurs de cafés-concerts, qui jettent, sous les marronniers poudrés à frimas comme des marquises du temps passé, le refrain de la romance à la mode : Gaga.
Ah ! ah ! voilà
Voilà, voilà Gaga!
Si je cite mal, qu’on me lapide ! Mais je n’ai retenu que très approximativement les paroles de ce chefd’œuvre. Quand on inaugurera la statue de Béranger au square du Temple, pourvu que les chansonniers modernistes n’aillent pas chanter devant le Bonhomme :
Gaga ! voilà Gaga !
Préparons-nous à subir la niaiserie de cette chanson de Gaga. Il n’y a pas, il n’y aura jamais de vaccin contre le microbe de la niaiserie.
Cette statue de Béranger, qui devait être inaugurée le 10 de ce mois, puis le 31, ne le sera que le 16 juillet prochain, date anniversaire de la mort du chanson
nier. J’ai bien peur que le bruit de la cérémonie ne soit un peu étouffé sous les pétards de l’avant-veille. Le 14 juillet! Depuis quelques années, les petits Pari
siens ont trouvé, pour ce jour-là, une variante au vers fameux de Béranger lui-même :
Un beau tapage a fêté ce grand jour!
Quoiqu’il en soit, il y a ça et là, comme toujours, des inaugurations de statues. Alexandre Dumas avait, place Malesherbes, sa statue assise ; il aura maintenant, à Villers-Cotterets, sa statue debout. Magistra
ture debout ou magistrature assise, c’est, ici, la magistrature du génie.
— C’est toujours singulier et un peu émouvant, disait Dumas fils à un ami, de passer deux fois par jour environ devant la statue de son père !
La place Malesherbes est, en effet, à vingt pas de la maison de l’auteur de Denise, avenue de Villiers. Villers-Cotterets est plus loin, mais la ville natale du grand romancier a tenu à bien faire les choses, et di
manche prochain — c’est-à-dire demain — le maire de la petite cité a invité un certain nombre de notabi
lités littéraires à apporter leur hommage à l’auteur des Mousquetaires.
La présidence du Comité de cette statue natale d’Alexandre Dumas, si je puis dire, avait été donnée à Henri Martin, sénateur de l’Aisne, qui n’est plus là pour rendre hommage à son compatriote, mais le viceprésident, M. H. de la Pommeraye, s’est multiplié avec beaucoup de bonne grâce pour donner de l’éclat à la cérémonie.. Il a guidé l’aimable maire de Villers- Cotterets, M. Senard, dans ses visites parisiennes et,
comme toujours, l’éloquent conférencier s’est mis tout entier au service de ses amis.
C’est M. Edmond Turquet qui présidera la cérémonie. Je prévois qu’elle sera touchante. Le souvenir de Dumas est toujours très vivant chez ses compatriotes. Il y a comme la saine odeur de la forêt de Villers-Cotterets dans les écrits de Dumas.
Quand on pense qu’il aurait aujourd’hui tout juste l’âge de Victor Hugo ! Il aurait même cinq mois de moins, ce grand géant d’Alexandre Dumas, taillé pour vivre cent ans ! Carrier-Belleuse l’a représenté debout et en robe de chambre, comme Dumas lui-même peignait les Grands Hommes.
On auiait pu inscrire sur le socle de la statue la phrase célèbre par laquelle s’ouvrent les Mémoires de Dumas :
« Je suis né à Villers-Cotterets, petite ville du département de l’Aisne, située sur la route de Paris à Laon, à deux cents pas de la rue de la Nou, où mou
rut Demoustiers, à deux lieues de la Ferté-Milon, où naquit Racine, et à sept lieues de Château-Thierry, où naquit La Fontaine.
« J’y suis né le 24 juillet 1802, rue de Lormet, dans la maison appartenant aujourd’hui à mon ami Cartier,
qui voudra bien me la vendre un jour pour que j’aille mourir dans la chambre où je suis né... »
On sait que c’est à Puys, chez son fils, que Dumas devait finir. L’homme n’arrange comme il l’entend ni sa vie, ni sa mort.
Et qu’est devenu ce M. Cartier qui possédait la maison natale d’Alexandre Dumas en 1847, lorsque Dumas écrivait ses Mémoires?
Toujours est-il que Villers-Cotterets a voulu sa statue particulière. M. Dumas fils inclinait volon
tiers pour qu’on érigeât, là-bas, une reproduction du bronze de Doré.
— Non, non, nous voulons notre Dumas à nous !
Ils avaient raison, et leur Dumas est fort réussi. J’imagine que M. Dalou réussira de même la statue d’Eugène Delacroix que le Comité vient de lui com
mander. Talent tourmenté, vivant et vibrant,M. Dalou doit bien comprendre et bien traduire Delacroix, ce génie de la fièvre.
Et, puisque je parle des sculpteurs, pourquoi ne point dire un mot des peintres? Vous savez la nou
velle? Certes, car elle est déjà vieille d’une semaine. Eh! bien, c’est résolu, décrété, signé, contresigné :
on n’aura pas de Salon triennalYan prochain. Il paraît que ce Salon officiel eût été une injure faite au Salon annuel. L’Etat ayant abdiqué entre les mains de la
Société des artistes, l’Etat n’a plus rien à voir à la peinture : il n’a qu’à décorer les peintres. Ah! les ar
tistes se vengent d’avoir longtemps subi la tutelle de l’Etat ! On me dit même que les jeunes artistes sont assez sévères sur leurs droits et que la nouvelle école
— l’école du morceau et de la chose vue, du tableau
sous l’œil — est aussi intolérante, à l’occasion, que pouvait jadis l’être l’Institut maudit des romantiques.
La jeune école n’admet ni le tableau historique, ni le satin, ni le velours et elle hisse à des hauteurs con
sidérables tout ce qui est sujet Louis XIII, menuet d’autrefois, toile d’histoire, absolument comme on juchait aux endroits invisibles les toiles de Manet, autre
fois. Le Réalisme se venge. Le Réalisme n’admet que les Réalistes. Le reste, perruques, pompiers, poncifs retardataires 1...
L’Institut d’autrefois était même en quelque sorte plus libéral, parce qu’il était plus érudit et plus éclec
tique. Il fut un temps où les élèves des successeurs de David lançaient, quitte à crever la toile, des boulettes de mie de pain à Y Embarquement pour Cythère de Watteau, suspendu dans une salle des Beaux-Arts. Les peintres du plein air actuels jetteraient volontiers à l’eau les baigneuses de Gérôme et au feu les cuirassiers de Meissonier.
J’ai entendu ce bout de dialogue, bien fait pour stupéfier, entre deux peintres :
— Vous savez 1 l’exposition de Delacroix est finie! —- Et les tableaux, sont-ils finis, eux ?
Bon Dieu, que deviendraient les scdons écrits ou parlés si les peintres s’avisaient d’écrire et de se faire eux-mêmes scdonniers pour détrôner les salonniers de profession ?
Je disais que les théâtres vont fermer. Pas tous. La Comédie-Française ne connaît pas la Clôture. Mais elle connaît les maladies et les retards.
Voilà Antoinette Rigaucl, de M. Deslandes, remise à la saison d’automne parce que M. Coquelin voyage l’été, et Une Rupture, de M. Abraham Dreyfus, remise à samedi prochain parce que M. Delaunay a éternué. Ne croyez pas que je plaisante. M. Delaunay a éter
nué et, en éternuant, il s’est déplacé un nerl du dos. La Rupture de M. Dreyfus, qui est amusante, est de
venue celle d’un nerf de l’éminent et charmant comédien. A Rupture rupture et demie. Il y a de ces vaude
villes dans l’histoire du théâtre : l’éternuement d un artiste pourrait avoir des suites aussi fatales que le grain de sable dont parle Pascal à propos de Cromwell.
Un article à faire : des dangers d’un éternuement 1 Mais, à vrai dire, il est aujourd’hui des dangers partout. Charles Monselet, par exemple, écrivit, un jour, une fantaisie sur le danger que courrait le monde
— et le demi-monde — si les coiffeurs s’avisaient de se mettre en grève. « A-t-on jamais songé à la per
turbation singulière qu’amènerait à Paris une grève de coiffeurs? La physionomie de la population en serait profondément transformée et la plupart de nos cottemporains redeviendraient chevelus et barbus comme les anciens Gaulois, car il y a un nombre considérable de gens qui ne savent pas se raser. »
Les coiffeurs ne se sont pas mis en grève, mais les tailleurs ont profité du printemps pour briser momen
tanément leurs aiguilles et la perturbation a menacé de devenir très grave, car il y a également un nombre considérable de gens qui ne savent pas coudre euxmêmes leurs habits.
La grève des tailleurs a même donné lieu à deux sortes d’affiches à la main placardées dans Paris à la porte des fournisseurs à la mode.
Les unes, comme celle qui s’étalait sur les volets de Dusautoy, disait : Fermé pour cause de grève.
Les autres, plus longues : Malgré la grève, le magasin donne des vêtements à très bon compte.
Il y aurait à demander aux ouvriers tailleurs s’ils ont beaucoup gagné à la grève, — et s’ils n’ont pas fait les affaires des tailleurs de la libre Angleterre et de la vieille Germanie — mais la question est telle
ment épineuse et attristante qu’il faut peut-être la laisser dormir dans les colonnes d’un Courrier de Paris.
Un de nos amis ayant voulu insinuer que la grève n’est peut-être pas tout à fait le meilleur moyen de donner du pain aux travailleurs, le citoyen Jules Guesde, homme intelligent et libéral, lui a répondu :
« Taisez-vous ou vous aurez du plomb ! » Il est très gentil, ce citoyen Guesde.
Est-ce que nous ne devions pas avoir une exposition de chats ? Ce qui est certain, c’est que nous avons une exhibition de chiens. Je ne sais quel fantai
siste ennemi du chien a écrit : « Le chien aime l’homme comme l’homme aime le mouton, à l’état de mets. » Le chien, cet ami de l’homme, ne serait qu’un faux ami, à entendre ce farouche canivore qui, en supposant que le chien ne fasse périr que mille personnes par an de la rage (ce qui est un chiffre beaucoup trop bas) a calculé que, depuis Jésus-Christ, les chiens ont tué, au moins : un million, huit cent quatre-vingt-cinq mille personnes !
Voyez-vous cet ami dei’humanité qui lui coûte déjà, au bas mot, 1,885,000 individus !
Tandis que le chat! C’est un égoïste, le chat, je le veux bien On a dit aussi de lui : « Le chat ne vous ca
resse pas, il se caresse à vous ! » Rien de plus vrai.
C’est un hypocrite p:ut-être, mais ce n’est pas un meurtrier. On n a jamais à craindre énormément la rage avec le chat et l’hydrophobie n’est pas une maladie particulièrement féline.
Le chat, ce traître, a moins coûté de victimes à l’homme que le chien, ce serviteur dévoué !
Mais il est, après tout, dans la fatalité des choses humaines de trouver le danger dans les êtres qu’on aime le plus. L’amour du chien est périlleux, comme tous les amours de ce monde. Et, du moins, l’amour du caniche, du braque, du bull-dog, du danois, pour son maître, est-if un amour sincère. On n’a qu’à voir, pour s’en convaincre, les yeux na -fs des braves bêtes exposées dans ce Scdon des chiens.
Et Ponto me regarde avec des yeux honnêtes! dit un vers des Contemplations.
Le jour où il l’écrivit, ce vers, Victor Hugo avait peut-être rencontré une hypocrisie dans le regard de l’homme.
Quant au chat, Théophile Gautier, qui adorait les chats, comme Moncrif et M..Champfleury, Gautier a dit le mot : « Dieu a inventé le chat pour donner à l homme l’illusion de croire qu il caressait le tigre. »
Je n’ai rien dit du célèbre rapport de M. Mesureur sur les rues de Paris. Il a pourtant fait sourire.
Les enfants peuvent jouer à « M. Mesureur n’aime pas les saints » comme ils jouent à« M. le curé n’aime pas les O! » Il taille et rogne tous les saints au coin
des rues, M. Mesureur, excepté Saint-Simon, parce que c’est un écrivain de quelque valeur, quoique duc, Sainte-Beuve parce qu’il s’est fait enterrer civilement et Sainte-Opportune (ceci est un comble! parce que le mot a une signification politique.
Les journaux hostiles à la République se sont fort égayés de ces grattages de bienheureux et il faut avouer que le Rapport de M. Mesureur était bien fait pour leur inspirer quelque gaieté. Ah! ils s’en amuseront, les coupletiers des revues de fin d’année!
Lorsque, la première fois, on parla de débaptiser les rues de Paris, un conseiller municipal réclama avant toute chose la radiation du mot : Enfer!
— Boulevard d’Enfer! rue d’Enfer! Mes chers collègues, c’est une folie et une insulte au bon sens. Il n’y a pas d’enfer! Rayons enfer! Biffons enfer!
— Ou si vcus tenez à le garder, dit en riant le préfet de la Seine (c’était alors M. Ferdinand Duval) appelez-le à’Enfer... Rochereau!
Il ne croyait faire qu’un calembour; il venait de décréter une réalité.
— Denfert-Rochereau ! Bravo, M. le préfet. A la bonne heure! Voilà une idée! Àhl si vous en aviez toujours de semblables!
On biffa d’Enfer : on écrivit Denfert. L’histoire est connue, mais j’ai tenu à signaler le coupable : je le répète, c’est M. Ferdinand Duval.
Mais comment M. Mesureur, qui a dû proscrire la rue d’Enfer n’a-t-il pas fulminé contre la rue de Paradis-Poissonnière ?
M. Mesureur aurait dû déclarer que le paradis n’existe que dans les petits théâtres. Et encore!
Perdican.