LA SUCCESSION CHARVET


PAR JULES CLARETIE
(Suite.)
Cette fois, des voix crièrent : bravo, Garousse! Le candidat, reprenant faveur, put développer son discours à son aise. Il
laissait là l’idée de révolte, qui effrayait mais exploitait habilement les déceptions politiques après les souffrances privées. Il attaquait hardiment le tas des politiciens qui avaient comme il disait, promis au peuple plus de beurre que de pain et qui l’avaient gardée pour eux, l’assiette au beurre !... (Et l’on riait). Il déclarait que c’en était assez de ces exploiteurs. Jean Glèbe, Jean Boue, Jean Pauvre, Jean Populus n’en voulait plus. Il entendait, ce peuple,
faire désormais son pain lui-même : oui, tout cuire de ses mains, le four, la fournée et la fournaise!


Et peu à peu la chaude éloquence allumait ces


cœurs, faisait flamber des espoirs fous dans ces têtes, réveillait, attisait les rancunes.
— Assez de pantins, citoyens: des hommes !... Des hommes comme vous plutôt même que comme moi. Plus de socialistes, parlementaristes, monarchistes, opportunistes! Partout l’avalanche des colères anarchistes populaires ! Et plus de vaines appellations bel
liqueuses ! Plus de frontières ! Plus de guerre ! Jamais la guerre, même sous le prétexte d un patriotisme devenu une antiquaille. Je veux qu’une heure vienne où tout homme puisse répondre quand on lui deman
dera : « — Êtes-vous Français? — Non, je suis de la terre !... »
C’était la péroraison du discours de Garousse. Elle enleva la salle entière. On applaudissait avec fureur.
Le grand jeune homme maigre, au haut de l’atelier, saluait son candidat de gestes frénétiques. Cette évo
cation de la terre devant les paysans qui l’aiment comme une maîtresse, avait tout emporté dans une tempête d’enthousiasme, sauf quelques malicieux entêtés dans le genre du père Jovin, et Bouillard se penchant légèrement vers Garousse lui disait tout bas :
— Ça va bien ! Ça y est !... Restez-en là !
Le commandant Verdier s’était senti blessé dans tout ce qu’il aimait lorsque cet homme avait raillé le patriotisme et parlé dédaigneusement de cette vertu pour laquelle lui, le soldat, eût donné sa vie. Il lui avait semblé qu’on outrageait tout ce qu’il adorait, qu’on jetait une poignée de boue au drapeau. Et soudain il se sentait éperonné, talonné, transformé. Il
— La nièce du commandant!


DESSIN D’ÉMILE BAYARD