gère après la guerre civile, la frontière après la Convention dont il parlait souvent. lia d’autres écrits sans doute. J en oublie. J’en passe et des meilleurs, pour le citer lui-même. Un soir, il y a trois ans, ne nous di
sait-il pas, en souriant, simplement, et comme si les livres dont il parlait eussent été des œuvres ordinaires :
— Je puis ne plus écrire un mot maintenant. A un volume par mois, on pourrait encore publier de mes œu vres inédites pendant un an ! Dou^e volumes!
Où sont-ils (indépendamment du génie) les travailleurs de cette race ?
Dans cette série d’œuvres inédites que le poète tenait en réserve, je viens de citer la Grand’mère. Eh bien! Victor Hugo nous a dit que le sujet de la Grand’- mère, raconté sans doute à quelque intime, a déjà été défloré. Il y a un auteur dramatique qui s’en est ins
piré et qui a tout bonnement annexé l’idée de l’auteur des Misérables. Seulement cet annexeur, Victor Hugo ne nous l’a pas nommé.
Mais parfois on ne s’est point contenté, paraît-il, de prendre l’idée du poète, on a jeté sur le papier le texte même. Victor Hugo avait lu, à Guernesey, devant Mme Emile de Girardin, cette poignante pièce de vers qui se nomme les Pauvres gens. Un pêcheur fait à sa femme le tableau de la misère des malheureux enfants devenus orphelins et, au moment où il demande à la ménagère s’il doit aller chercher les petits :
Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà !
Mme de Girardin partit de Guernesey, tout émue racontant avec admiration ces Pauvres gens, et citant même ce dernier vers si plein et si dramatique, si bien fait pour se graver dans la mémoire.
Or, un poète écouta. Il refit l’histoire et l’arrangea à sa manière, et la termina par ce même trait touchant: « Tiens, les voilà I » Et l’Académie Française a couronné son œuvre !
Il faut ajouter, pour être juste, que le poète dont je parle assurait avoir pris l’historiette et le trait final dans un fait divers.
vw\ Je remplirais de ces souvenirs les colonnes de ce Courrier de Paris devenu le Courrier de Victor Hugo. Mais je le termine avec un certain sentiment d’an
goisses comme devant quelque chose d’inconnu. Les funérailles de Victor Hugo peuvent être superbes ou dramatiques. Espérons qu’elles seront magnifiques, calmes et sereines.
Il n’y a qu’un moyen d’honorer le poète de l’amour, c’est de faire, autour de son cercueil, taire toute haine.
Mais il n’est plus là pour crier : « Calmez-vous! Embrassez-vous! Aimez-vousI »
Perdican.
LA SUCCESSION CHARVET
(Suite.)
Le commandant s’était assis sur un banc, au fond du jardin, et regardait la façade,
où grimpaient les aristoloches, de la vigne vierge et des roses, tout en respirant avec un sentiment de bien-être l’air du matin qui décidément apaisait sa fièvre. Des flocons blancs volaient dans le ciel bleu. Les arbres frissonnaient dans l’éveil des choses, et des nichées d’oiseaux criaient gaiement dans les branches.
— Il y a peut-être aussi là une réunion publique, pensait Verdier, tordant une cigarette entre ses doigts.
Il se retourna brusquement en entendant le sable crier. C’était Gilberte qui venait, fraîche comme cette matinée,et qui lui tendait en souriant des tas de papiers.
Le baiser de la jeune fille sur son front fit plaisir au pauvre oncle.
— Bonjour mignonne. As-tu bien dormi ? — Comme un oiseau.
— Et qu’est-ce que tu m’apportes là ?
— Des journaux... des lettres... M. Charvet a dit qu’on vous adresse toutes les communications ici... chez lui, où vous étiez chez vous !
— M. Charvet est bien aimable... Ah ! que de paperasses, bon Dieu 1
Il avait posé les journaux sur le banc entre lui et Gilberte, assise à côté, et il décachetait les lettres, tandis que la jeune fille faisait sauter les bandes des journaux.
Les lettres se ressemblaient toutes. On lui faisait des offres de services pour son élection. Des courtiers s’offraient, fixant leur prix : cinq francs par jour, nour
riture comprise. Un imprimeur sollicitait l’affichage de la profession de foi et déclarait que son collègue Tourteron, qui, évidemment, serait recommandé à Verdier, n’était qu’un suppôt du 16 mai, un Jésuite rouge. Des électeurs demandaient déjà au commandant des re
cettes buralistes. Un autre, qu’on poursuivait pour le paiement de ses contributions, se faisait fort de gagner à Verdier cent voix si, député, le commandant s’engageait à arrêter les poursuites. « Il est étonnant, disait celui-là, qu’on s’acharne après un honorable com
merçant, lorsque M. de Montbrun, qui est marquis, paie moins de contributions que moi qui suis marchand de vin, et par conséquent utile au peuple. »
Verdier souriait à demi devant ces drôleries qui, au fond, lui semblaient tristes. Il se voyait visé là, non plus par le fusil de Garousse comme dans son rêve, mais par une foule de petites ambitions, de désirs su
balternes. Il devenait la cible de toute la plèbe des solliciteurs de l’arrondissement, et toutes elles se ressemblaient, ces lettres, à peu de chose près.
Il lut les journaux. Le Nouvelliste de Seine-et-Marne annonçait purement et simplement sa candidature.
L’Indicateur républicain était favorable, louant la vie de courage et de labeur du commandant. Un petit journal portant cette mention : Première année, numéro un, et ce titre : l’Anguille de Melun, contenait, après un avis au lecteur, un portrait intitulé : le Candidat Verdier.
L’Anguille de Melun! Ah! oui, le journal de Garousse ! Celui dont avait, hier, parlé ce Tivolier.
Et Verdier prit la feuille avec plus de vivacité.
L’ancien soldat était si habitué à voir son nom précédé de cet humble titre si bien gagné : le comman
dant Verdier, que ce mot devant son nom : Candidat, lui fit comme lorsque Bouillard l’avait jeté à la foule dans la réunion de Chailly, un effet singulier, lui causa comme une vague impression de déchéance. Le Can
didat Verdier ! Il souriait en se rappelant ses transes d’autrefois, aux heures des concours pour l’Ecole. Le droit de porter l’épée était jusqu’alors la seule candidature qu’il eût sollicitée. Le Candidat Verdier!
Et, avant de lire l’article, il relisait, épelait encore ces trois mots qui semblaient désigner un autre homme que lui, portant son nom, mais n’étant pas lui.
Enfin, il commença la lecture du journal, parcourant l’avis au lecteur pour se rendre compte de la pro
fession de foi de la petite feuille de combat, « fondée la veille. »
Dans un style déclamatoire et violent, le rédacteur en chef de l Anguille de Melun, (ce monsieur entrevu
la veille, Saboureau de Réville) déclarait qu’il venait dans l’arrondissement livrer le « bon combat » pour la cause des affamés, des révoltés, du peuple en haillons,
en blouse ou en carmagnole. Une élection allait avoir lieu. L’Anguille avait son candidat. Elle le ferait con
naître dans sa vie de labeur et de dévouement, heure par heure, à ses lecteurs. Ce candidat s’appelait Ga
rousse, Clément Garousse, dont le nom seul était un programme. Et pour combattre les candidats que la bourgeoisie ventrue opposerait à cet apôtre des reven
dications sociales, l’Anguille de Melun se ferait, disaitelle, au besoin, aussi mordante et aussi meurtrière que si elle avait eu pour titre la Vipère de Fontainebleau. Saboureau avait prévu le mot de Guénaut.
— Allons, dit doucement le commandant, je vois que le portrait du candidat Verdier ne sera pas précisément aimable.
Il le lut alors, ce portrait, s’attendant bien à d’acerbes critiques sur ses opinions personnelles, à des polé
miques de partis, à la discussion deses titres politiques insuffisants, peut-être même à ses propres yeux ; mais il n’avait pas l’habitude des injures imprimées et il s’airêta tout à coup, devint blême et froissa entre ses doigts secs le petit journal.
— Qu’est-ce qu’il y a donc ? demanda Gilberte.
— Les imbéciles ! dit Verdier, dont la lèvre tremblait sous sa moustache.


— C’est ce journal qui vous irrite ?


Elle tendait la main pour le prendre.
— Non, ne touche pas ça, c’est trop sale !
Il s’était levé, tordant sa barbiche, et regardait le journal que le vent avait déplié et qui maintenant était tombé, voltigeant à demi sur le sable rosé. Un lambeau de papier pouvait donc contenir tant de méchancetés et de mensonges ! Ce qu’il y avait dans ce journal ?
Ce qu’on pouvait lire là? Ce qu’avaient lu la plupart des électeurs qui l’écoutaient hier à Chailly ?... Et cette idée faisait à présent monter le rouge à la figure du brave homme. Dans un article non signé, on se mo
quait habilement de tout ce que le commandant avait fait autrefois, on ridiculisait sa vie tout entière, on ne se contentait pas de la fable, déjà oubliée, du Conseil de guerre de Guelma, on tournait surtout en ridicule — qui l’eût deviné ? — ce sauvetage des mineurs de Méons, et le dévouement du soldat devenait un pré
texte à grosses plaisanteries méchantes, à des facéties de boulevardier qui s’amuse :
« Qu’est-ce qui nous a donné un soldat qui change les prolonges de ses canons en brancards, comme le maréchal Lobau eût changé les siens en irrigateurs ?... Qu’est-ce que c’est que cet artilleur qui touche des appointements pour tuer les gens et qui les sauve ? Qu’on lui donne le prix Monthyon ! Qu’on le cou
ronne à l’Académie 1 Mais le nommer député, député de Seine-et-Marne, pour avoir mérité une médaille de sauvetage à Méons, ce serait trop bonasse de la part de Jacques Bonhomme. La cause du peuple avait besoin de dogues pour la défendre et non de caniches pour la repêcher ! La place du candidat Verdier n’était pas à la Chambre, elle était dans le Comité de la Société des sauveteurs. Une médaille, soit, mais pas de mandat législatif! A bas l’Artilleur Sentimental ! »
Verdier se répétait ces phrases qu’il venait de lire, il reprit le journal pour les relire encore, et, de nouveau, le rejeta avec colère.
— Politiquaille, va 1 dit-il brusquement.
Politiquaille, soit, mais puisqu’il était engagé, il fallait bien marcher, marcher malgré 1 ’Anguille de Melun et les stupidités de Saboureau et les railleries de Garousse.
Seulement, là, au premier coup, l’infamie de ces polémiques de haine lui sautait au front. Brusquement, il se trouvait, comme hier, face à face avec la hideuse mauvaise foi. Cette action toute naturelle de sa vie, un adversaire qu’il ne connaissait même pas, un cabotin de la plume ou de la politique, s’arrangeait pour en faire un sujet de risée. Verdier devenait subitement un niais, simplement parce qu’il avait été un brave.
Et il ne pouvait pas dire, cette fois, que le fait n’était point exact, comme l’affaire de Guelma I Non, le sau
vetage de Méons était vrai et — quelle ironie ! — c’est parce qu’il était vrai qu’il devenait comique I...
« Qu’est-ce que c’est que cet artilleur qui sauve les gens et bourre ses obus d’actions de bienfaisance ? » On le payait pour tuer les ennemis de la France, et il s’occupait d’autre chose I II perdait son temps à jouer les Saint-Vincent de Paul en province! Il avait bien fait de donner sa démissionne candidat Verdier, il volait l’argent du pays.
Toutes ces gouailleries qu’il venait de lire l’étouffaient, l’étranglaient comme une arête qu’on ne peut avaler. Oh ! les gredins ! C’était précisément son dé
vouement qu’ils bafouaient, sa bonté qu’ils raillaient,
ce sauvetage qui devenait pour eux quelque chose de pis qu’une mauvaise action : — une action ridicule.
— J’ai bien envie, dit tout à coup le soldat, d’aller toucher du bout de ma canne cette anguille-là et de lui écraser la tête I
— Et pourquoi ? demanda Gilberte qui s’était levée et lui prenait le bras doucement.
— Ah! c’est que, vois-tu, ces imbéciles... prétendent...
— Qu’est-ce qu’ils prétendent, mon bon oncle?
— Rien. Des bêtises! Ils se moquent de moi parce que, tu sais... ce que je racontais hier précisément... à table, mon affaire de Méons...IIparaît que j’ai commis une absurdité en sauvant ces pauvres gens... Et comment savent-ils même que j’ai fait ça, ces galopins-là?
— Dame ! fit Gilberte qui souriait, collant sa tête brune à l’épaule du soldat, on parle assez souvent des lâchetés de certaines gens. v.Il faut bien que, de temps en temps, on parle du courage des autres! Et ça vous étonne, dit-elle, qu’on se moque de vous parce que vous avez fait cela ?
— Je suis toujours étonné devant la mauvaise foi d’un tas de clampins et leur méchanceté...
— Oh 1 je sais... Si étonné que vous en avez déposé vos épaulettes ! Eh bien, moi, je ne connais rien à la politique, mais il me semble que c’est là surtout que vous aurez l’occasion d’être... étonné!