C est l’Angleterre, cette fois, qui se donne le luxe d’une crise. Le ministère Glads
tone vient d’ètre mis en minorité sur une question d’impôt. Après avoir tenu bon sur les questions les plus graves, l’Egypte, l’Afghanistan etc. tomber sur un tonneau dn bière,
c’est dur. Il est vrai que John Bull, quand on touche à son ale et à son beef, se fâche encore plus vite, et plus rudement que Hans Wurst de Munich quand on augmente les droits sur son bock-bier. Tous ces gros mangeurs et ces grands buveurs sont sensibles à l’endroit du ventre.
Il est vrai que ce n’est pas seulement sur une question fiscale que tombe, en réalité, M. Gladstone. Le vote qui le renverse est un vote de coalition, qui réu
nit les torys les plus retirdataires et les parnellistes les plus avancés D’autre part, l’amour-propre anglais, le chauvinisme britannique, le « jingoïsme » comme on dit là-bas, était soumis à de trop rudes épreuves par la politique ultra-pacifique de M. Gladstone. Le retour assez humilié et pas mal humiliant du général Lumsden avait donné de l humeur à toute la badauderie anglaise. Et, comme l’a dit autrefois et d’une façon assez fâc’seuse M. J. Ferry, « ces choses-là ;e paient. »
N’allez pas croire, cependant, que la chute de M. Gladstone soit le présage certain d’un revirement belliqueux dans la politique de l’Angleterre. Rien n’est plus improbable. Nos voisins sont gens pratiques et qui savent compter. Ils feront leur petit devis d’une guerre afghane : et si le doit passe l’avoir, après avoir poussé trois ou quatre grognements contre Gladstone, Us feront tout juste comme lui. Peut-être essaiera-t-on quelques petites allures de fierté pour « sauver la face » comme disent les Chinois. Au besoin, on fera dorer la couleuvre, mais on finira tout de même par l’avaler.
Il est donc permis de croire que, pour cette fois encore, l’été se passera sans que la paix du monde soit troublée.
Chambre des députés. — Séance du 2 juin : Commencement de la deuxième délibération de la loi sur le recru
tement de l’armée M. Gambon présente un contre-projet tendant à la suppression des armées permanentes et à leur remplacement par une « armée nationale ». Ce contre-projet est repoussé par 428 voix contre 14. Les huit premiers articles de la loi sont adoptés sans modifications.
Séance du 4 : Discussion sur la prise en considération des propositions de mise en accusation du cabinet Ferry. Le débat est ouvert par une déclaration de M. Brisson,
président du Conseil, concluant au rejet des propositions et faisant appel à l’union et à la concentration des républi
cains. La prise en considération est repoussée par 322 voix contre 153.
Séance du 6 : Lecture du rapport de M. Constans sur la proposition de loi relative au rétablissement du scrutin de liste. Le rapport conclut à l’adoption du texte voté par le Sénat. — Suite de la discussion de la loi sur le recrutement de l’armée, poursuivie jusqu’à l’article 19.
Séance du 7 juin : Adoption sans modifications de la loi sur le scrutin de liste. La disposition relative à l’exclusion des étrangers est aussi vivement que vainement com
battue par MM. Maxime Lecomte et Clémenceau. 393 voix contre 86 adoptent l’ensemble de la loi.
Turquie. — La nomination de Sawas pacha au gouvernement de l’île de Crète et son arrivée à la Canée ont causé une grande agitation dans la population. Tous les employés du gouvernement ont donné leur démission. Pour expliquer ce fait, il faut remonter jusqu’au moment de la démission du précédent gouverneur de l’île de Crète, Photiades bey, dont ni chrétiens ni musulmans ne voulaient plus. L’Assemblée crétoise, en présentant ses doléances à la Porte, refusait par avance trois fonctionnaires pouvant être appelés à ce poste important, entre autres Sawas pacha, le gouverneur actuel ; la Porte, pour détruire le mauvais effet de la concession faite par le rappel de Photiades, avait justement choisi pour gouverneur l’un des trois pachas re
poussés par les Crétois. Sawas se fit d’abord passer pour malade et l’on annonçait même qu’il ne pourrait prendre possession de son poste lorsqu’on apprit à la fois son départ de Constantinople et son arrivée à la Canée. L’apparition du nouveau gouverneur a suffi pour exaspérer les esprits et nous ne serions guère étonnés d’apprendre prochainement l’explosion d’un mouvement qui pourrait prendre de redoutables proportions.
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Nécrologie. — Le prince Charles-Antoine de Hohenzollern. Il appartenait à la branche cadette de cette maison de Hohenzollern-Sigmaringen, qui est catholique, et luimême avait pour mère la princesse Antoinette Murat.
Né en 1811, il abdiqua la souveraineté en faveur du roi de Prusse en 1849 et reçut en compensation le titre d’ «Al
tesse royale » et les prérogatives des princes puînés de la maison royale.
C’est à propos de son fils aîné, le prince Léopold, qu’é­ clata la guerre de 1870.
Son second fils, le prince Charles, est le roi actuel de la Roumanie. Ses deux autres enfants sont le prince Frédéric, colonel des dragons de la garde, et la princesse Marie, qui a épousé le comte de Flandre. Il avait épousé en 1834 la princesse Joséphine de Bade.
M. le général de brigade en retraite Riffault, ancien sénateur du département de Loir-et-Cher. Sorti de l’Ecolq polytechnique dans le génie en 1834. il était aide de camp de M. le duc de Montpensier au moment de la Révolution de février; envoyé aux barricades pour annoncer le changement du ministère, il fut blessé de deux coups de feu.
Il fut ensuite aide de camp du maréchal Vaillant, directeur des études à l’Ecole polytechnique, et enfin commandant de cette Ecole. Général de brigade en 1869, il avait été promu en 1865 commandeur de la Légion d’honneur. Né en 1814.
A NOS ABONNÉS
Nos trois derniers numéros ont subi des retards dont la plupart de nos abonnés ont compris les causes et que nous les prions de vouloir bien excuser.
Nos lecteurs savent que nous ne reculons devant aucun sacrifice pour donner au journal tout le développement que peuvent exiger les circonstances. C est ainsi que nous n’avons pas hésité à consacrer aux funérailles de Victor Hugo deux suppléments de quatre pages chacun, ce qui doublait l’importance de notre livraison ordinaire.
Aux difficultés d’exécution que présentent des planches d aussi grandes dimensions s’en ajoutait une autre :
nous nous sommes imposé la plus rigoureuse exactitude et tous nos dessins, faits d’après des photographies instan
tanées, n’ont pu être commencés que dans la nuit qui a suivi la cérémonie. Malgré tous nos efforts, et quelle que soit l’excellente organisation de nos ateliers, il nous a été impossible de terminer les multiples opérations de la pho
tographie, du dessin, de la gravure, du clichage et de l’impression sans un retard de quelques heures. C est ce qu’ont, du reste, compris nos abonnés et le succès de notre dernier numéro nous donne la conviction qu’ils se sont trouvés amplement dédommagés de leur attente.
Nous n’avons pas besoin d’ajouter que c’est là un cas tout à fait exceptionnel et que, dès cette semaine, le service du journcd continuera à s’effectuer avec sa ponctualité habituelle.
tentiaire de France et le gouvernement chinois. Une dépêche officielle de notre agent à Shang-haï en a aussitôt informé le gouvernement et M. de Freycinet en a porté la nouvelle aux deux Chambres.
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Grande-Bretagne. — Réouverture, le 4 juin, du Parlement anglais. La question afghane à la Chambre des Com
munes : M. Gladstone a dit que les négociations pour la délimitation de la frontière n’étaient pas encore terminées. Relativement à l’arbitrage sur les événements de Pendjeh,
le premier ministre, après avoir promis de s’expliquer le lendemain, n’a plus paru se souvenir de sa promesse. D’où il est permis de conclure que l’arbitrage n’aura pas lieu. A quoi bon d’ailleurs ? la cession de l’oasis de Pendjeh à la Russie l’a rendu d’avance sans objet.
Arrivée à Londres, le 6 juin, du général Lumsden.
sorte que, sauf de gros imprévus, M. Ferry et ses amis devront se résigner à laisser faire les élections par M. Brisson qui fera — selon sa promesse — « des élections loyales» ; c’est-à-dire « ne fera pas de candidature officielle. »
Donc, calme plat dans le monde parlementaire. Un incident, pourtant, a soulevé—sans grand bruit — un commencement de tempête dans le conseil des minis
tres. L’ordre du jour de M. le général Boulanger,
(commandant le corps d occupation à Tunis) enjoignant aux officiers et soldats de « dégainer » au cas où ils seraient insultés, a fait presque tapage.
Les ministres civils, qui ne savaient point trop ce qui se passe à Tunis, avaient, à première vue, trouvé le procédé plus que vif; d’autant que c’était au moins, en apparence une riposte à un jugement trop indulgent du tribunal français de T unis qui avait con
damné à six jours de prison seulement l’agresseur d’un officier français.
Après examen la chose s’est éclaircie. Ce n’est pas entre le général et le tribunal qu’est le conflit ; c’est entre la résidence et les autres pouvoirs.
Ce n’est pas moins grave, si vous voulez, mais c’est moins bruyant quant à présent et cela peut se dénouer tout doucement.
Toutefois, rappelez-vous que cette question de T unis ne peut manquer, un moment ou l’autre, de faire quelque bruit.
Sénat. — Séance du 4 juin : Adoption du projet de loi autorisant M. le Président de la République à ratifier le traité conclu à Hué, le 6 juin 1884, entre la France et l’Annam.
HISTOIRE DE LA SEMAINE
En tout cas, ce n’est pas nous qui ferons les turbulents. C’est merveille comme on devient sage à la Chambre ainsi qu’au Sénat. Les projets de loi défilent sans que, pour ainsi dire, on les voie passer. La loi sur les récidivistes qui, l’an dernier, avait exigé tant de séances, a fondu, en quelque sorte, à la discussion ; et voilà que le scrutin de liste vient de passer au Sénat, puis à la Chambre presque sans toucher les bords.
Ce n’est pas, pourtant, sans que le Sénat y ait trouvé l’occasion d’affirmer, en passant, sa jalousie invétérée contre la Chambre et le peu de sympathie qu’il professe à l’endroit du suffrage universel. On a dit carré
ment, au Sénat, qu’il y avait tiop de députés et pas assez de sénateurs ce qui, dans un congrès, diminuerait fâcheusement l’importance du Sénat et son pou
voir effectif. Et, pour remédier autant que possible à cet inconvénient, le Sénat n’a pas voulu comprendre dans le chiffre de la population, sur lequel se calcule le nombre des députés, les étiangers résidant en France qui, cependant,sont comptés quand il s’agit de calculer le nombre des sénateurs.
Peut-être, au Luxembourg, a-t-on cru que la Chambre se gendarmerait bien fort contre cette inéga
lité choquante et qu’elle renverrait au Sénat le projet de loi compliqué d’un ou deux amendements. Les malins du palais Médicis clignaient de l’œil avec finesse en parlant de cette éventualité qui remettait tout en question. Mais la Chambre n’a pas donné dans le panneau et, tel quel, sans chicaner pour une douzaine de députés de plus ou de moins — et, de fait, n’y en a-t-il pas assez, bon Dieu ! -— elle a voté le projet tout d’une traite, sans débrider, en une toute petite séance.
Et je vous assure qu’on est en train de « faire des listes » dans les dépaitements ! Et, d’ici aux élections, on ne fera que ça.
D’ailleurs, cela n’empêche pas que, tout en ne se querellant pas tout haut,on continue à se faire la guerre en-dessous. Pour le moment, lesferrystes sont déferrés, mais la mauvaise humeur y est toujours et l’intention mauvaise encore plus. Le « coup de l’apothéose » sur la mise en accusation n’a pas réussi. M. Brisson, bien
inspiré cette fois, a refusé d’entrer dans une discussion qui ressemblait fort à un traquenard. Cette simple déclaration a mis un éteignoir sur l’auréole que MM. Ranc et Devès préparaient pour M. Ferry. De
Elections. — Sénatoriale. — Département de la Manche : M. Sebire, républicain, élu par 745 voix contre 471 données à M. l’amiral de Gueydon, monarchiste. Il s’agissait de remplacer M. Dufresne, décédé.
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Lettre de M. le cardinal Guibert, archevêque de Paris, à M. le ministre de l’instruction publique et des cultes, dans laquelle il proteste « au nom de la vérité des faits, du droit public et du Concordat » contre le décret du 26 mai qui « enlève au culte catholique l’église de Sainte-Gene
viève ». Au nom de la vérité des faits : car ce temple fut, dès l’origine, destiné « à remplacer l’antique sanctuaire dédié depuis douze siècles à la patronne de Paris »; au nom du droit public : car le décret de 1806 « a restitué le Panthéon au culte et n’a pu être révoqué légalement par l’ordonnance de 1830 »; au nom du Concordat : car l’article 12 porte que « toutes les églises métropolitaines, cathédrales, parois
siales et autres, non aliénées, nécessaires au culte, seront remises à la disposition des évêques ».
M. le ministre de l’instruction publique et des cultes a répondu à M. l’archevêque de Paris que sa protestation, dans la forme comme dans le fond, dépasse absolument son droit; que la légalité de la décision prise à l’égard du Pan
théon n’est pas contestable, et que l’émotion qu’a pu lui causer cette décision « ne saurait excuser des écarts de langage aussi contraires au caractère de sa haute fonction qu’à ses devoirs envers le gouvernement et ne l’autorisait à aucun degré à discuter ses actes et sa politique générale ».
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Chine et Tonkin. — Arrivée au Tonkin, le 31 mai, du général de Courcy.
La paix a été signée le 9 juin entre le ministre plénipo