Dernières réceptions de la saison! C’est sous ce titre que les journaux mondains annoncent les fêtes choisies de la semaine, le bal costumé chez la duchesse de Pomar, la matinée dansante chez Mme Kann, la soirée de la baronne Decazes, le bal organisé par la duchesse de Bisaccia au profit de l’Œuvre des ambulances ur
baines et le grand dîner chez la baronne Alphonse de .Rothschildj3ui.jne_semble clôturer l’année parisienne,.
Et puisque la saison mondaine est’ close — et que trois des dernières étapes finales sont franchies, le Derby de Chantilly, le grand steeple-chase d’Auteuil, la dernière étant le Grand Prix — il est bien temps de la chansonner un peu. C’est ce que vient
de faire, dans une revue jouée au Petit Cercle de la rue Royale, M. le marquis de Massa. Le spirituel marquis est comme feu le vaudevilliste Guénée qu’on appelait autrefois l homme-revue. Il se plait à finement jouer les Aristophanes mondains : il a écrit des revues pour la cour de Compiègne, les Commentaires de César, il en a écrit, au Mexique, presque sous les
balles, pour divertir ses compagnons lors de cette folle et héroïque expédition. Il en écrit aujourd’hui pour les Parisiens du Petit Cercle et c’est Mme Réjane, ce Gavroche sorti du Conservatoire et Mlle Milly-Meyer, autre gamin de Paris, qui les jouent avec beaucoup de verve.
Celle-ci — je parle de la revue dernière — a pour titre A la bonne franquette ! On n’est pas moins pré
tentieux. Et en avant les couplets, les bons mots, les rondeaux! Avec M. le marquis de Massa,qui a galam
ment porté l’uniforme, il y a toujours un petit côté patriotique, et même chauvin, qui n’est point désa
gréable. Cette fois, c’est une lettre rimée du général de Négrier qui nous a donné cette note-là. M. de Négrier est membre du cercle. M. de Massa a supposé que le général écrivait, du Tonkin, à ses amis de Paris. On a applaudi, on a bissé, on voulait trisser. L’effet a été considérable.
Presque à la même heure arrivait à Paris, de Lang- Son en ligne droite, le lieutenant-colonel Herbinger qui porte (injustement, dit-on) le poids moral de la retraite qui précipita la chute du cabinet Ferry. A peine débarqué, le colonel Herbinger était assiégé par les reporters. Il les a reçus avec une dignité parfaite:
— Je vous remercie de votre empressement, mais je n’ai rien à vous dire. Je ne parlerai de toute cette affaire qu’à mes supérieurs.
La conduite et l’attitude du brave soldat sont fort louées. Un détail surtout m’a touché dans ce
M. de Négrier ne sait pas qu’on l’a acclamé au Cercle sur un air d’Offenbach, pas plus que M. Zigomala,
lieutenant anglais au 19e hussards de la reine, ne sait qu’il vient de gagner, avec Redpath, le prix de la Coupe au steeple-chase d’Auteuil. M. Zigomala est au Soudan pendant que son cheval et son jockey cou
rent en France. On est allé au télégraphe et on lui a expédié la nouvelle à Dongola par le fil électrique. O civilisation, voilà de tes coups! Un gentleman est tranquillement (quand je dis tranquillement...) installé au Soudan, sous sa tente, et hip! hip! hurrah ! on acclame son nom, là-bas, sur la piste d Auteuil.
Un télégramme lui arrive. Redpath a gagné le grand steeple-chase, battant Soukaras, battant Kilworth, battant Chancery, battant tout le monde... Et peutêtre qu’au moment même où il achève la lecture du télégramme, vite, le boute-selle et, sabre au clair, les hussards de la reine 1 L’ennemi est là. Ce mélange de vie militaire et de haute vie n’est point sans un cer
tain chic, comme on dit, et ne doit pas manquer d’un
certain charme. On applaudira le lieutenant Zigomala sur le turf anglais lorsqu’il reviendra du Soudan, mais
j’espère qu’on acclamera le général de Négrier dans le défilé, en plein soleil, de ses soldats lorsqu’ils reviendront du Tonkin.
Mais quand, cela ?
A l’Opéra, où nous allons avoir Sigurd, la lumière électrique sera installée dans peu. C’est tant mieux pour les admirables peintures du foyer. On n’apercevait déjà plus, sous la fumée des becs de gaz, les plafonds de Paul Baudry. Ce gaz les dévorait, les rongeait aussi sûrement que la dent du temps — et plus vite. Un moment, M. Ph. de Chennevières avait eu l’idée de les faire remplacer par des copies et de les transporter ailleurs, mais l’idée étant abandonnée, le gaz continuait son œuvre et ce pauvre Baudry ris
quait fort, en fin de compte, d’avoir peint un chef
d’œuvre pour les becs de gaz. La lumière électrique va tout sauver. Et voilà comment M. Edison est un protecteur des arts, à sa manière, qui n’est point mauvaise.
Sigurd! On nous le donne en bien mauvaise saison. A-t-on cherché l’antithèse de la canicule dans la salle et des paysages du Nord sur la scène? Niebelungen et tropique mêlés. Mais, quoi qu’il en soit, l’œuvre d’Ernest Reyer retrouvera à Paris l’éclatant succès qu’elle a obtenu à Bruxelles et qui l’attendait, naguère, à Lyon. Sigurd à Lyon était la passion de l’hiver. On venait de Genève au grand théâtre de Lyon pour en
tendre Sigurd. Je causais naguère, avec le feuilletonniste théâtral du Courrier de Lyon ; il était tout surpris qu’on représentât Sigurd à Paris à un tel moment de l’année et comme si l’on n’y comptait pas. Encore une fois la vogue de Sigurd a été considérable là-bas et je suis certain qu’avec l’opéra de Reyer, notre Académie nationale de musique va retrouver des soirées superbes,
en quelque saison que ce soit. Contre certaines œuvres, le thermomètre ne peut rien.
Et pourtant!...
Pourtant, rien ne résiste à un coup de soleil C’est fini, la saison théâtrale est close. « Il faut, disait Calino, l’autre soir, en regardant les affiches, oui, il faut que cette pièce nouvelle soit bien remarquable, on la joue presque partout : Clôture! J’irai voir ça ». Clôture! C’est, en effet, le mot d’ordre des théâtres. Quelques uns persistent et résistent. La plupart fer
ment leurs portes. Et maintenant place à Elise Faure! Place à M. Libert! Le règne de M. Paulus commence ! Ces artistes spéciaux sont les rois de l’été. M. Fusier parcourt les villes d’eau, M. Paulus fait des tournées comme Mlle Agar. Voilà l’Art de la saison parisienne.
Et Mme Miolan-Carvalho prend sa retraite. Il n’y a personne au théâtre qui ait su chanter comme elle.
C’était le triomphe de l’art. D’autres ont eu des voix plus belles, la Patti, par exemple, ou l’Alboni ; aucune cantatrice n’a poussé aussi loin l’art du chant. Ah ! la Reine Topaze, la Perle du Brésil, les Noces de Jeannette, Faust, Roméo et Juliette! Quelles soirées et quels triomphes! Toutes les petites fauvettes aimables, comme Mlle Van Zandt, peuvent passer, voleter,
chanter, disparaître, elles ne vaudront pas un seul oiseau chanteur doué comme l’était Mme Miolan I On a défini l’Alboni : « Un éléphant qui a avalé un rossi
gnol! » On eût pu dire de Mme Miolan-Carvalho : « C’est un rossignol savant qui avait eu pour professeur l’âme de Mozart! »
qu’ont raconté de lui les interwievers qui l’ont approché, c’est le regard de sa vieille mère pendant que le soldat répondait : « Je n’ai rien à dire. » Toute la vie de dévouement du colonel semblait avoir passé dans ce regard muet, mais plein d’adoration et d’admiration, de la mère.
Je n’ai rien dit de la Fête des Fleurs. Ce sera pourtant l’événement parisien de demain. L’an dernier Saint-Médard avait joué un assez méchant tour à l’ange de la charité : il avait empli ses seaux d’eau et les avait vidés sur la fête. On s’était promené, pa
rapluies ouverts — quelques uns très bravement — sous cette kermesse florale devenue pluviale. Cette année il n’en ira point de même sans doute, car Saint- Médard s’est montré clément. Il n’a pas fait tomber une gouttelette d’eau sur Paris durant toute la journée de lundi dernier. Sa fête a été une fête sèche, comme certaines nourrices. Il est donc probable que le défilé des voitures chargées de fleurs, au Bois de Boulogne, se passera sans averse.
Le conseil municipal avait, un moment, fait mine de n’accorder point aux organisateurs le coin de Paris qu’ils sollicitaient. Mais, fort heureusement pour les pauvres, la mauvaise humeur politique a été mise de côté et la fête aura lieu. C’est encore, à tout prendre, la meilleure des politiques.
Le Grand Prix sera couru le lendemain, puis, le jeudi suivant, l’Académie recevra solennellement le successeur de M. Mignet, qui est M. Duruy, élira ensuite le successeur de M. About — qui sera... je
ne sais qui encore — et tout sera dit, cette fois, la saison littéraire, mondaine, académique (cherchez encore d’autres épithètes) sera close.
La saison criminelle même sera bien près de finir. Car on va juger demain l’horloger Pel, celui qu’on a accusé d’avoir fait carboniser sa femme dans un poêle. L’horloger Pel a même fait frissonner les âmes déli
cates avant que l’aimable Marchandon n’eût fait frémir à peu près tout le monde. Ce Pel, on nous l’a repré
senté sous les traits d’une sorte de personnage d’Hoff
mann et, à en croire les reporters, ce serait une façon d’halluciné fantastique poursuivant on ne sait quelle chimère monstrueuse.
J’ai même lu — ce qui est charmant — cette phrase étourdissante dans un article consacré à l’horloger Pel : « Qui sait si cet homme n’est pas un précurseur de la science ? »
Précurseur, avouez-le, est joli. On tue une femme, on la pousse, par fragments, dans un poêle, à l’état de copeaux humains, on la réduit en cendres et lorsque le juge d’instruction vous interroge :
— Mais, pardon, monsieur le juge, « j’étais un chercheur, tout simplement »... Un précurseur... Je voulais savoir s’il est vrai que le corps humain puisse, comme on l’a dit, brûler par une combustion spontanée. Eh!
bien, mon bon juge, l’expérience est faite; la preuve qu’un corps ne peut pas brûler spontanément, c’est qu’il m’a fallu deux jours pour obtenir la combustion de ma femme. C’est décisif. La science me doit des remerciements.
Précurseur, 1 horloger Pel est aussi un simple traducteur. On dit couramment, d’un être qui vous en
nuie: Il me fait mourir à petit feu ! » Pel a tout bonne
ment mis l’expression en pra ique. C’est un calomnié. On lui élèvera peut-être, un jour, une statue.
Florian n’a pas de statue, mais il a son buste, à Sceaux. Et cigaliers etfélibres, tous ceux du Midi, pécaïré, et zouzou ! s’en vont farandoler autour de ce buste, tous les ans. au soleil de mai. Le brave Mistral avait célébré, aux Iks-d’Or, à Hyères, les fêtes du félibrige. On a, de même, chanté la poésie félibiienne à Sceaux et M. Tony-Révillon a célébré la mémoire florianesque de l auteur d Estelle.
Dans quelques jours, on fêtera de même le bon La Fontaine à Château-Thierry et, le mois prochain, le 16 juillet, le bon Béranger au square du Temple.
Fablier et chansonnier, deux bonnes gens l’un et l’autre.
Nous sommes loin de Florian au théâtre, si ce qu’on raconte est vrai. Une actrice de drame, très applaudie, très connue, vient de rompre avec un ami qui l’aimait si fort qu’il n’a pu survivre à la rupture. Il aurait avalé du cyanure de potassium et adieu va !...Là-dessus, les journaux de crier contre la comédienne, qui n’en peut mais : « Femme fatale... Influence terrible... »
— La preuve, a dit un gazetier, que M. X s’est tué pour elle et qu’il l’adorait, c’est qu’il avait menacé de la tuer, elle, auparavant ! Cette preuve d’amour était bien faite pour laisser froide la comédienne. Elle aurait échappé à un grand danger, voilà tout. Mais la vérité est que le mort a succombé à une angine de poitrine et que la « femme fatale », qui est fort jolie, est en
core une fois calomniée. Elle quitte la France, d’ailleurs, et va se faire applaudir loin du boulevard.
Et voilà beaucoup de bruit — non pas pour rien — mais pour une mort subite et naturelle.
Perdican.
COURRIER DE PARIS
baines et le grand dîner chez la baronne Alphonse de .Rothschildj3ui.jne_semble clôturer l’année parisienne,.
Et puisque la saison mondaine est’ close — et que trois des dernières étapes finales sont franchies, le Derby de Chantilly, le grand steeple-chase d’Auteuil, la dernière étant le Grand Prix — il est bien temps de la chansonner un peu. C’est ce que vient
de faire, dans une revue jouée au Petit Cercle de la rue Royale, M. le marquis de Massa. Le spirituel marquis est comme feu le vaudevilliste Guénée qu’on appelait autrefois l homme-revue. Il se plait à finement jouer les Aristophanes mondains : il a écrit des revues pour la cour de Compiègne, les Commentaires de César, il en a écrit, au Mexique, presque sous les
balles, pour divertir ses compagnons lors de cette folle et héroïque expédition. Il en écrit aujourd’hui pour les Parisiens du Petit Cercle et c’est Mme Réjane, ce Gavroche sorti du Conservatoire et Mlle Milly-Meyer, autre gamin de Paris, qui les jouent avec beaucoup de verve.
Celle-ci — je parle de la revue dernière — a pour titre A la bonne franquette ! On n’est pas moins pré
tentieux. Et en avant les couplets, les bons mots, les rondeaux! Avec M. le marquis de Massa,qui a galam
ment porté l’uniforme, il y a toujours un petit côté patriotique, et même chauvin, qui n’est point désa
gréable. Cette fois, c’est une lettre rimée du général de Négrier qui nous a donné cette note-là. M. de Négrier est membre du cercle. M. de Massa a supposé que le général écrivait, du Tonkin, à ses amis de Paris. On a applaudi, on a bissé, on voulait trisser. L’effet a été considérable.
Presque à la même heure arrivait à Paris, de Lang- Son en ligne droite, le lieutenant-colonel Herbinger qui porte (injustement, dit-on) le poids moral de la retraite qui précipita la chute du cabinet Ferry. A peine débarqué, le colonel Herbinger était assiégé par les reporters. Il les a reçus avec une dignité parfaite:
— Je vous remercie de votre empressement, mais je n’ai rien à vous dire. Je ne parlerai de toute cette affaire qu’à mes supérieurs.
La conduite et l’attitude du brave soldat sont fort louées. Un détail surtout m’a touché dans ce
M. de Négrier ne sait pas qu’on l’a acclamé au Cercle sur un air d’Offenbach, pas plus que M. Zigomala,
lieutenant anglais au 19e hussards de la reine, ne sait qu’il vient de gagner, avec Redpath, le prix de la Coupe au steeple-chase d’Auteuil. M. Zigomala est au Soudan pendant que son cheval et son jockey cou
rent en France. On est allé au télégraphe et on lui a expédié la nouvelle à Dongola par le fil électrique. O civilisation, voilà de tes coups! Un gentleman est tranquillement (quand je dis tranquillement...) installé au Soudan, sous sa tente, et hip! hip! hurrah ! on acclame son nom, là-bas, sur la piste d Auteuil.
Un télégramme lui arrive. Redpath a gagné le grand steeple-chase, battant Soukaras, battant Kilworth, battant Chancery, battant tout le monde... Et peutêtre qu’au moment même où il achève la lecture du télégramme, vite, le boute-selle et, sabre au clair, les hussards de la reine 1 L’ennemi est là. Ce mélange de vie militaire et de haute vie n’est point sans un cer
tain chic, comme on dit, et ne doit pas manquer d’un
certain charme. On applaudira le lieutenant Zigomala sur le turf anglais lorsqu’il reviendra du Soudan, mais
j’espère qu’on acclamera le général de Négrier dans le défilé, en plein soleil, de ses soldats lorsqu’ils reviendront du Tonkin.
Mais quand, cela ?
A l’Opéra, où nous allons avoir Sigurd, la lumière électrique sera installée dans peu. C’est tant mieux pour les admirables peintures du foyer. On n’apercevait déjà plus, sous la fumée des becs de gaz, les plafonds de Paul Baudry. Ce gaz les dévorait, les rongeait aussi sûrement que la dent du temps — et plus vite. Un moment, M. Ph. de Chennevières avait eu l’idée de les faire remplacer par des copies et de les transporter ailleurs, mais l’idée étant abandonnée, le gaz continuait son œuvre et ce pauvre Baudry ris
quait fort, en fin de compte, d’avoir peint un chef
d’œuvre pour les becs de gaz. La lumière électrique va tout sauver. Et voilà comment M. Edison est un protecteur des arts, à sa manière, qui n’est point mauvaise.
Sigurd! On nous le donne en bien mauvaise saison. A-t-on cherché l’antithèse de la canicule dans la salle et des paysages du Nord sur la scène? Niebelungen et tropique mêlés. Mais, quoi qu’il en soit, l’œuvre d’Ernest Reyer retrouvera à Paris l’éclatant succès qu’elle a obtenu à Bruxelles et qui l’attendait, naguère, à Lyon. Sigurd à Lyon était la passion de l’hiver. On venait de Genève au grand théâtre de Lyon pour en
tendre Sigurd. Je causais naguère, avec le feuilletonniste théâtral du Courrier de Lyon ; il était tout surpris qu’on représentât Sigurd à Paris à un tel moment de l’année et comme si l’on n’y comptait pas. Encore une fois la vogue de Sigurd a été considérable là-bas et je suis certain qu’avec l’opéra de Reyer, notre Académie nationale de musique va retrouver des soirées superbes,
en quelque saison que ce soit. Contre certaines œuvres, le thermomètre ne peut rien.
Et pourtant!...
Pourtant, rien ne résiste à un coup de soleil C’est fini, la saison théâtrale est close. « Il faut, disait Calino, l’autre soir, en regardant les affiches, oui, il faut que cette pièce nouvelle soit bien remarquable, on la joue presque partout : Clôture! J’irai voir ça ». Clôture! C’est, en effet, le mot d’ordre des théâtres. Quelques uns persistent et résistent. La plupart fer
ment leurs portes. Et maintenant place à Elise Faure! Place à M. Libert! Le règne de M. Paulus commence ! Ces artistes spéciaux sont les rois de l’été. M. Fusier parcourt les villes d’eau, M. Paulus fait des tournées comme Mlle Agar. Voilà l’Art de la saison parisienne.
Et Mme Miolan-Carvalho prend sa retraite. Il n’y a personne au théâtre qui ait su chanter comme elle.
C’était le triomphe de l’art. D’autres ont eu des voix plus belles, la Patti, par exemple, ou l’Alboni ; aucune cantatrice n’a poussé aussi loin l’art du chant. Ah ! la Reine Topaze, la Perle du Brésil, les Noces de Jeannette, Faust, Roméo et Juliette! Quelles soirées et quels triomphes! Toutes les petites fauvettes aimables, comme Mlle Van Zandt, peuvent passer, voleter,
chanter, disparaître, elles ne vaudront pas un seul oiseau chanteur doué comme l’était Mme Miolan I On a défini l’Alboni : « Un éléphant qui a avalé un rossi
gnol! » On eût pu dire de Mme Miolan-Carvalho : « C’est un rossignol savant qui avait eu pour professeur l’âme de Mozart! »
qu’ont raconté de lui les interwievers qui l’ont approché, c’est le regard de sa vieille mère pendant que le soldat répondait : « Je n’ai rien à dire. » Toute la vie de dévouement du colonel semblait avoir passé dans ce regard muet, mais plein d’adoration et d’admiration, de la mère.
Je n’ai rien dit de la Fête des Fleurs. Ce sera pourtant l’événement parisien de demain. L’an dernier Saint-Médard avait joué un assez méchant tour à l’ange de la charité : il avait empli ses seaux d’eau et les avait vidés sur la fête. On s’était promené, pa
rapluies ouverts — quelques uns très bravement — sous cette kermesse florale devenue pluviale. Cette année il n’en ira point de même sans doute, car Saint- Médard s’est montré clément. Il n’a pas fait tomber une gouttelette d’eau sur Paris durant toute la journée de lundi dernier. Sa fête a été une fête sèche, comme certaines nourrices. Il est donc probable que le défilé des voitures chargées de fleurs, au Bois de Boulogne, se passera sans averse.
Le conseil municipal avait, un moment, fait mine de n’accorder point aux organisateurs le coin de Paris qu’ils sollicitaient. Mais, fort heureusement pour les pauvres, la mauvaise humeur politique a été mise de côté et la fête aura lieu. C’est encore, à tout prendre, la meilleure des politiques.
Le Grand Prix sera couru le lendemain, puis, le jeudi suivant, l’Académie recevra solennellement le successeur de M. Mignet, qui est M. Duruy, élira ensuite le successeur de M. About — qui sera... je
ne sais qui encore — et tout sera dit, cette fois, la saison littéraire, mondaine, académique (cherchez encore d’autres épithètes) sera close.
La saison criminelle même sera bien près de finir. Car on va juger demain l’horloger Pel, celui qu’on a accusé d’avoir fait carboniser sa femme dans un poêle. L’horloger Pel a même fait frissonner les âmes déli
cates avant que l’aimable Marchandon n’eût fait frémir à peu près tout le monde. Ce Pel, on nous l’a repré
senté sous les traits d’une sorte de personnage d’Hoff
mann et, à en croire les reporters, ce serait une façon d’halluciné fantastique poursuivant on ne sait quelle chimère monstrueuse.
J’ai même lu — ce qui est charmant — cette phrase étourdissante dans un article consacré à l’horloger Pel : « Qui sait si cet homme n’est pas un précurseur de la science ? »
Précurseur, avouez-le, est joli. On tue une femme, on la pousse, par fragments, dans un poêle, à l’état de copeaux humains, on la réduit en cendres et lorsque le juge d’instruction vous interroge :
— Mais, pardon, monsieur le juge, « j’étais un chercheur, tout simplement »... Un précurseur... Je voulais savoir s’il est vrai que le corps humain puisse, comme on l’a dit, brûler par une combustion spontanée. Eh!
bien, mon bon juge, l’expérience est faite; la preuve qu’un corps ne peut pas brûler spontanément, c’est qu’il m’a fallu deux jours pour obtenir la combustion de ma femme. C’est décisif. La science me doit des remerciements.
Précurseur, 1 horloger Pel est aussi un simple traducteur. On dit couramment, d’un être qui vous en
nuie: Il me fait mourir à petit feu ! » Pel a tout bonne
ment mis l’expression en pra ique. C’est un calomnié. On lui élèvera peut-être, un jour, une statue.
Florian n’a pas de statue, mais il a son buste, à Sceaux. Et cigaliers etfélibres, tous ceux du Midi, pécaïré, et zouzou ! s’en vont farandoler autour de ce buste, tous les ans. au soleil de mai. Le brave Mistral avait célébré, aux Iks-d’Or, à Hyères, les fêtes du félibrige. On a, de même, chanté la poésie félibiienne à Sceaux et M. Tony-Révillon a célébré la mémoire florianesque de l auteur d Estelle.
Dans quelques jours, on fêtera de même le bon La Fontaine à Château-Thierry et, le mois prochain, le 16 juillet, le bon Béranger au square du Temple.
Fablier et chansonnier, deux bonnes gens l’un et l’autre.
Nous sommes loin de Florian au théâtre, si ce qu’on raconte est vrai. Une actrice de drame, très applaudie, très connue, vient de rompre avec un ami qui l’aimait si fort qu’il n’a pu survivre à la rupture. Il aurait avalé du cyanure de potassium et adieu va !...Là-dessus, les journaux de crier contre la comédienne, qui n’en peut mais : « Femme fatale... Influence terrible... »
— La preuve, a dit un gazetier, que M. X s’est tué pour elle et qu’il l’adorait, c’est qu’il avait menacé de la tuer, elle, auparavant ! Cette preuve d’amour était bien faite pour laisser froide la comédienne. Elle aurait échappé à un grand danger, voilà tout. Mais la vérité est que le mort a succombé à une angine de poitrine et que la « femme fatale », qui est fort jolie, est en
core une fois calomniée. Elle quitte la France, d’ailleurs, et va se faire applaudir loin du boulevard.
Et voilà beaucoup de bruit — non pas pour rien — mais pour une mort subite et naturelle.
Perdican.
COURRIER DE PARIS