Robert y trouvait Ellen en tête-à-tête avec une sorte de bellâtre...
DESSIN D’ÉMILE BAYARD
Ellen Morgan, maîtresse de la situation, avait relevé la tête brusquement. Epousée par Robert elle entendait être comtesse, jusqu’au jour où elle serait marquise.
L’aventurière qui, de ville d’eaux en ville d’eaux poursuivait un mari avec une grâce d’ondine et une âpreté de recors, apparaissait maintenant au jeune homme dans toute la férocité exquise de sa sé
duction. Elle affectait d’aimer Robert, qui l’adorait toujours, brûlé par cette froideur de neige; mais elle ne lui cachait pas qu’elle aimait aussi en lui le descendant des Montbrun qui, un jour ou l’autre, introduirait dans son monde la fille du colonel Morgan.
Et, en même temps que ce titre de comtesse, Ellen ne détestait pas l’argent que M. de Montbrun donnait


LA SUCCESSION CHARVET


PAR JULES CLARETIE
(Suite.)
à sa femme. Elle avait la gloriole du nom, mais, en personne pratique, le respect aussi de la fortune. Ellen patienterait donc, attendant que le marquis ouvrît ses portes à sa bru et, en attendant, elle ne recevrait et n’inviterait personne et n’alficherait pas encore ce nom de Montbrun devenu le sien. Les mois passaient ainsi et le marquis portait toujours le deuil de la morte lorsque Robert, en arrivant, un jour, à l’improviste rue de Boulogne y trouvait, avec mistress Morgan effarée, Ellen en tête-à-tête avec une sorte de bellâtre qu’elle lui présentait comme un ami tout dévoué. Un ami dont on n’avait jamais parlé au comte. Et, malgré toute sa présence d’esprit et son sang-froid, elle lais
sait deviner, dans le premier moment de trouble, dans le balbutiement maladroit d’une première explication,
un secret plus hideux que le précédent et qui sautai à la face de Robert comme une éclaboussure de boue.
L’homme qui était là était une façon d’impresario et de mime, de nationalité douteuse, un de ces métis eu
ropéens, nés on ne sait où, jouant lui-même en Italie les ballets qu’il composait avec une science extraordinaire de chorégraphe et on l’avait vu traîné et acclamé sur le théâtre, comme ne l eût pas été un sau
veur de la patrie. Mozart et Beethoven n’avaient jama s eu, dans toute leur existence, la dixième partie des triomphes de ce maestro de pacotille. Beau, du reste, et prétentieux, des cheveux et des yeux noirs comme du jais et ce teint livide des êtres qui fardent leur joue et la blanchissent pour jouer, le soir, devant la rampe. Ellen avait dû rencontrer cet Illyrien ou ce Valaque à