Les élections se feront décidément fia septembre, le 20 ou le 27. Et, naturellement, on ne pense plus à autre chose.
Dès maintenant tout, en France, est
électoral. La pluie qui se refuse, le vent qui persiste, la fraise qui ne mûrit pas, le blé qui se dore et la vendange qui se prépare, tout cela n’est plus qu’une « circonstance » dont on se servira pour ou contre tel ou tel candidat. Si la moisson n’est pas bonne, c’est la faute à la République. Si la vendange promet, c’est à la République qu’en revient l’honneur. Enfin, jusqu’au mois d’octobre prochain, il ne se dira plus un mot en France sous lequel on ne puisse soupçonner une intention électorale.
On sent, dès maintenant, que la lutte sera chaude. La division des partis républicains, la crise des affaires, les déficits du budget ont rendu quelque espoir aux adversaires du gouvernement républicain. Et comme, cette fois, le comte de Chambord ayant disparu, les monarchistes se croient moins divisés le parti se prépare à une action énergique.
D’autre part, les républicains aussi s’occupent de s’organiser. Mais — pas plus que les monarchistes, d’ailleurs — ils ne paraissent avoir « fait l’union » comme on dit à la Chambre des députés. Les anciens gambettistes, quoique fort avariés, continuent à faire bande à part; la réunion convoquée par MM. Clemenceau et Madier de Montjau et dans laquelle de
vaient fusionner les gauches radicales, n’a guère réuni que quatre-vingts députés. Enfin, le fameux « pro
gramme commun » qu’a rédigé M. Pelletan, sous la direction deM. Clémenceau, n’a obtenu qu’un médiocre succès d’estime.
Il est certain que l’accord sera difficile à faire, surtout entre radicaux. Les violents, les révolutionnaires plus ou moins anarchistes se montrent déjà peu disposés à un accord ; et leur, plus grand plaisir, d’ailleurs, comme chacun sait, est de tirer dans le dosa
serait admirablement protégé contre les Français qui, d’autre part, ne seraient protégés contre personne.
En somme, le conflit entre les autorités françaises de Tunis se complique d’une intervention extraordi
nairement énergique delà population. Et M. Cambon,
ministre-résident, vient, à ce qu’il paraît, d’être mandé à Paris pour donner des explications à son chef hiérarchique, le ministre des affaires étrangères.
Du reste, ce n’est pas à Tunis seulement qu’on est mécontent. La mauvaise humeur est à l’ordre du jour un peu partout. Si bien qu’on a pu voir, cette semaine, trois crises ministérielles à la fois, — à Londres, Madrid et Rome — sans parler des crises gouvernemen
tales plus ou moins latentes qui se produisent un peu partout. Le siècle devient dur pour les gouvernants depuis quelques années. Les gouvernés ont, mainte
nant, la prétention de mettre le nez dans leurs propres affaires et de savoir comment elles sont menées. Et, à mesure qu’ils commencent à voir un peu clair, ils deviennent de plus en plus exigeants. Autrefois, c’était plus commode d’être gouvernement. On commençait par décréter que le public n’avait pas à s’en mêler. La politique était un grand arcane exclusivement ré
servé à quelques privilégiés, hommes d’état par droit de naissance et administrateurs par prédestination.
Aujourd’hui la politique est partout et chacun se dit : « Comment? Ce n’est que ça ? »
Et les populations, maintenant, comme à Tunis, se fâchent quand on ne fait pas leurs affaires à leur fantaisie ; et elles se permettent de juger les gouvernements avec une irrévérence voisine du sans-gêne.
Trois crises à la fois! Et deux conflits gouvernementaux : l’un en Danemark, l’autre en Norvège. Sans compter le dessous des cartes qui n’est pas cou
leur de rose en Allemagne ni en Russie ; et deux ou trois guerres possibles à l’horizon !
Ceci, par exemple, c’est le plus grave, et pour les gouvernements encore plus que pour les peuples. Ça coûte cher, aujourd’hui, les guerres. Voyez plutôt la carte à payer du Tonkin. Pour une petite querelle,
une guerre de pacotille, voilà trois cent millions de partis, sans compter une autre centaine de millions
que réclameront les réparations de la flottille. Quatre cent millions pour cette bagatelle, c’est joli. Jugez ce que serait une grande guerre ! Et qui paie ? Les pauvres diables.
Or les pauvres diables, qui voudraient bien ne plus tout payer, grognent dès qu’on leur parle de guerre.
Et c’est ce qui fait que les gouvernements — à qui la guerre est si agréable, — commencent à avoir la vie dure.
Sénat. — Séance du 17 juin : Adoption, après déclaration d’urgence, du projet de loi relatif aux subventions pour construction et appropriation des établissements des
tinés à l’enseignement supérieur, secondaire et primaire. — Reprise de la discussion de la proposition de loi sur les nullités de mariage. — Tirage au sort du département auquel sera attribué le siège de sénateur inamovible du général de Chabaud-Latour, décédé. C’est le département du Puy-de-Dôme qui est désigné.
Séance du 18 : Fin delà discussion, en première lecture, de la proposition de loi sur les nullités de mariage. Le
Sénat décide qu’il passera à une deuxième délibération. — Commencement de la discussion en première lecture du projet de loi relatif à la déclaration d’utilité publique d’un canal d’irrigation dans le département des Alpes-Maritimes.
M. Buffet demande l’ajournement du projet; sa demande est combattue par le ministre de l’agriculture et repoussée.
Séance du 20 : Adoption, en première lecture, du projet de loi sur le canal d’irrigation du Loup. — Vote, après dé
claration d’urgence, de la proposition de loi sur les moyens préventifs de combattre la récidive, proposition précédem
ment adoptée par le Sénat et à laquelle la Chambre des députés avait fait quelques changements. Le texte voté par le Sénat, différant sur quelques points de celui de la Chambre des députés, celle-ci devra, avant la fin de la session, procéder à un nouvel examen.
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Chambre des députés. — Séance du 16 juin. — M. de Baudry d’Asson présente une proposition de loi ayant pour objet d’accorder à l’amiral Courbet des funérailles nationales, et demande l’urgence. Le ministre de la guerre ré
pond que le gouvernement avisera en temps utile. Jusque là il se réserve de savoir si l’amiral, en mourant, n’a pas laissé des dispositions particulières, et si sa famille, de son côté, n’aura pas à en présenter au sujet de ses funérailles. L’urgence est repoussée. — Suite de la discussion du projet sur le recrutement de l’armée, dont huit articles sont votés.
Séance du 18 : Adoption de la proposition de loi relative à la création d’une médaille commémorative de l’expédition du Tonkin. — Suite de la discussion de la loi sur le recrutement de l’armée, qui est conduite jusqu’à l’article 70.
Séance du 20 : Fin de la discussion de la loi sur le recrutement de l’armée, dont l’ensemble est adopté. — Une proposition de M. Rivière, tendant à faire survivre les proposi
tions de loi qui auront été transmises au Sénat avant la fin de la législature, est également adoptée. Précédemment
ces propositions de loi, émanant de l’initiative parlementaire, devenaient caduques.
Séance du 22 : M. de Freycinet dépose sur le bureau le projet de loi autorisant le président de la République à ratifier le traité de paix avec la Chine. L’urgence est déclarée. — Commencement de la discussion du budget.
Election. — Sénatoriale. Département d’Ille-et-Vilaine : M. le vice-amiral Véron, candidat monarchiste, est élu par 577 voix contre 534 données au candidat républicain;
M. Courtois. Il s’agissait de remplacer M. Jouin, sénateur républicain.
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Décrets. — Sont promus dans la ire section du cadre de l’état-major général de l’armée, savoir :
i° Au grade de général de division : M. le général de brigade de Boisdenemets, commandant par intérim la 1 Ie division d’infanterie (6e corps d’armée), inspecteur général en 1885, du 1 Ie arrondissement d’infanterie, en rempla
cement de M. le général du Barail, admis dans la section de réserve. — 20 Au grade de général de brigade,
MM. les colonels : Delagrange, chef de la 6e légion de gendarmerie, en remplacement de M. le général Gaday, décédé ; Nismes, commandant le 6e régiment d artillerie, en remplacement de M. le général de Boisdenemets, promu général de division.
Chine et Tonkin. — Par suite de la mort du vice-amiral Courbet, le contre-amiral Lespès a pris le commandement en chef de l’escadre de l’Extrême-Orient.
Grande-Bretagne. — La crise ministérielle. Lord Salisbury, chargé de constituer le nouveau cabinet a dû, pour accomplir sa tâche, y faire une place importante à lord Randolph Churchill, qui représente dans le parti tory le radicalisme aristocratique, lequel veut que les classes diri
geantes, prenant l’initiative des réformes, opèrent ellesmêmes la transformation de la société anglaise. En conséquence, le 18, le nouveau ministère était ainsi composé :
Premier ministre et secrétaire des affaires étrangères : lord Salisbury. — Lord chancelier : sir Hardinge Giffard. — Lord président du conseil privé : sir Stafford Northcote,
qui sera élevé à la pairie. — Chancelier de l’Echiquier et leader de la Chambre des communes : sir Michael Hicks Beach. — Ministre de l’intérieur : sir Richard Cross. — Ministre des colonies : le colonel Stanley. — Ministre de la guerre : M. W.-H. Smith. — Premier lord de l’Amirauté : lord Georges Hamilton. — Ministre des Indes : lord Ran
dolph Churchill. — Lord lieutenant vice-roi, d’Irlande : le comte Carnarvon. — Ministre des postes : lord John Manners.
Mais s’il suffisait à lord Salisbury de s’entendre avec lord Churchill pour constituer un cabinet, cela ne suffisait pas pour le faire fonctionner. Il fallait encore s’entendre avec les libéraux, c’est-à-dire avec le cabinet renversé par un vote de coalition et qui n’en a pas moins conservé la majo
rité à la Chambre des communes. C’était là la difficulté.
Les libéraux peuvent soutenir le cabinet conservateur sur la politique courante, l’expédition des affaires, mais non sur les questions de principe. Jusqu’ici lord Salisbury et M. Gladstone n’ont pu se mettre d’accord et les chambres se sont ajournées en attendant que cet accord ait lieu, si tant est qu’il doive se faire S’il ne se fait pas, le nouveau cabinet devra disparaître avant d’être entré en fonctions, et le parti libéral devra prendre de nouveau la direction des affaires.
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Italie. — Crise ministérielle. Dans le vote du budget des affaires étrangères, le cabinet n’ayant obtenu qu’une majorité de quatre voix, n’a pas trouvé cette majorité suffi
sante et a remis sa démission entre les mains du roi. M. Depretis l’a déclaré à la Chambre, en demandant le vote du budget de l’instruction publique, de l’intérieur et des travaux publics, comme mesure administrative.
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Espagne. — Encore une crise ministérielle. Ce n’est point la politique qui a amené cette troisième crise, mais le choléra. Le roi Alphonse ayant manifesté l’intention de se rendre dans les provinces de Murcie et de Valence où sévit le fléau, ses ministres tentèrent de. l’en dissuader, et n’y réussissant pas, donnèrent leur démission. M. Canovas le déclara aux Cortès, en ajoutant que les ministres consi
déraient ce voyage comme « très dangereux pour le roi, et par conséquent, pour les institutions et les intérêts de la nation. » Le lendemain de cette déclaration, le roi s’est vu acclamer par la foule ; par contre, des démonstrations hos
tiles ont accueilli le gouverneur de Madrid. Avant de pren
dre une décision définitive, Alphonse XII a fait mander les présidents du Sénat et de la Chambre pour conférer avec eux.
Le résultat de cette conférence a été que le roi a renoncé à son voyage, selon le vœu des ministres, qui res
tent conséquemment au pouvoir. La crise n’aura pas été longue. Mais il est à craindre que le prestige royal et la stabilité du pouvoir n’en soient quelque peu compromis.
M. Canovas a commis certainement une maladresse en met
tant en avant les institutions du pays qui n’avaient rien à voir dans cette circonstance.
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Nécrologie. — M. Durieu, député du Cantal, ancien représentant du peupleà la Constituante de 1848 et à l’Assemblée législative.
Le feld-maréchal de Manteuffel, gouverneur de l’Alsace
Lorrame. Voir notre article Gravures.
histoire DE la semaine
leurs .voisins.
Donc, la bataille sera rude et déjà l’on peut voir que les partis ne reculeront devant rien. La publica
tion des lettres personnelles de l’amiral Courbet en est un symptôme suffisant. Les passions électorales sont telles que les parents et les amis de l’amiral n’ont pas hésité à sacrifier sa mémoire pour causer quelque préjudice à leurs adversaires et, dans l’espoir de déconsi
dérer un peu le gouvernement républicain, ils ont, sans balancer, publié de longs fragments de corres
pondance qui ne sont point précisément à l’honneur de l’amiral. Voilà les « funérailles nationales » fort compromises ; et c’est d’autant plus fâcheux qu’au pre
mier moment tout le monde semblait d’accord pour rendre hommage au soldat sans acception de parti. Mais la passion électorale ne respecte rien.
II est vrai que ces questions de guerre coloniale sont, électoralement parlant, une véritable « corde sensible ». La carte à payer du Tonkin est un peu chère. Il y a un déficit et il y a des morts. Puis, en Cochinchine, ou plutôt au Cambodge, on a des inquiétudes. La révolte paraît s’accentuer assez vigoureuse
ment. Qui sait ce qui peut en sortir. Ensuite, voilà Madagascar où l’on parle de « faire un effort » — traduisez : une expédition sur Tananarive. Enfin la paix que nous venons de conclure avec la Chine ne diffère pas assez sensiblement du traité deTien-Tsin
pour qu’on pardonne au gouvernement de nous avoir engagés dans une guerre coûteuse pour obtenir tout juste ce qu’on nous donnait de bonne volonté.
C’est pourquoi la politique coloniale perd considérablement de terrain. Et le malheur veut justement que, dans celle denos conquêtes coloniales qui se jus
tifiait le mieux et qui pouvait être le plus utile, les maladresses du résident de France ont compromis la situation delà colonie françûse. Si bien qu à la date de dimanche dernier, 21 courant, la colonie française de Tunis, convoquée en assemblée générale, votait un ordre du jour de « blâme sévère » contre le ministrerésident et demandait son rappel immédiat.
Il paraît que nos diplomates, très grands seigneurs et très dédaigneux des choses infimes du négoce, ont fait passer toute sorte d’intérêts plus ou moins politi
ques avant les intérêts du commerce français. De façon que, si l’on en croit les plaintes formulées par la colo
nie française, le protectorat ne serait qu’une duperie à force d’être scrupuleux et tout le monde, à Tunis,