EPUis le dernier bal chez la princesse de Sagan où les cartes d’invitation por
taient : Entrée d un animal et où M. de Buffon a passé en revue tous les quadrupèdes, les bipèdes, les volatiles et les crus
tacés de la création, il paraît que ce qu’on appelle le genre BuJJon fait florès et fait fureur dans les modes. Qui nous apprend cela ? C’est Etincelle, Etincelle, qui partage avec Violette le royaume de l’actualité mon
daine, Etincelle, arbiter elegantiarum ! Va pour le genre Buffon ! Mais qu’est-ce que le genre Buffon? La spirituelle chroniqueuse nous le dit, c’est l’applica
tion du règne animai à la parure féminine. On parle des couleurs gorge de pigeon, ce qui n’est pas nouveau,
des étoffes ventre d’hirondelle, des chapeaux oreilles de biche. Et la grande et grosse question du genre Buffon ornant la plus belle moitié du genre humain est, à dire vrai, tout ce qu’il y a de très nouveau et de très curieux au moment où j’écris.
Car vous n’attendez pas que je vous parle de la chute des ministères, M. Mancini en Italie après M. Gladstone en Angleterre, l’un tirant l’autre. Vous ne cherchez même pas, dans ces causeries, des nouvelles de Liu-Vinh-Phuoc, le vieux chef des Pavil
lons-Noirs, le meneur de bandes farouches qui, si l’on en croit les dépêches, aurait été étranglé par des mains chinoises, ce qui nous débarrasserait d’un ennemi assez ennuyeux. Ces bons Chinois! Tant qu’ils ont à se servir du chef des Pavillons-Noirs, ils répondent à nos diplomates : — Les hauts faits et méfaits de ces pillards ne nous regardent point! Arrangez-vous! Ecrasez-les 1 Nous ne pouvons, nous, y parvenir !
Dès que le chef des Pavillons-Noirs peut devenir un péril pour eux, ils savent fort bien le cerner, l’entraî
ner et, — les bons barbares 1 — lui serrer une ficelle autour du cou. Ce sont d’aimables mœurs mais fort heureusement très éloignées de Paris et très indifférentes à un Courrier de Paris. Parlons de Paris!
Hélas ! les voici, les semaines vides, où les chroniqueurs à bout de copie rééditent effrontément des articles stéréotypés pour un public qui les a déjà lus dix fois.
Tirade obligée sur le départ pour les eaux. Quelques lignes consacrées au petit chapeau qui détrône temporairement le chapeau haut de forme, car la vie parisienne se compose de deux périodes : la période hivernale du chapeau de soie, corrigé par le chapeauclaque et la période estivale du chapeau de feutre ou petit chapeau. L’avènement du petit chapeau marque la saison d’été. Un Parisien qui se serait montré en petit chapeau sur le boulevard, il y a dix jours, eût été disqualifié. Le même Parisien qui se promènerait sur ce même boulevard sans petit chapeau ou sans haut chapeau gris passerait pour un provincial.
Après ce petit paragraphe annuel sur le petit chapeau un autre paragraphe, non moins annuel, sur le caféconcert. Combien de fois nous l’a-t-on servi, ce para
graphe-là ! Il est aussi médiocre d’ordinaire que la bière qu’on verse en ces musicos. Puis un paragraphe sur la tristesse des théâtres fermés, un autre sur les étrangers à Paris, un autre encore sur les prochains concours du Conservatoire ou d’ailleurs. Toutes ces tirades, qui ont autant servi que des tirades de mélo
drame, reparaissent avec une régularité mathématique, comme toutes les herbes de la saint Jean à la Saint- Jean. Et, chose curieuse, le public ne s’en lasse point. Il a plaisir à relire, quand vient l’heure des départs, les mêmes réflexions sur les villes d’eaux, la vie d’hôtel et les plaisirs de casinos. C’est qu’après tout la vie recommence avec sa monotone régularité de pendule et que, si on ne veut pas la maudire, comme le font assez brutalement les pessimistes, le mieux est de l’accepter telle qu’elle est avec ses éternels recommencements et ses perpétuelles redites.
Comment les chroniqueurs ne se répéteraient-ils pas un peu, quand la nature rabâche si obstinément (Dieu merci, soit dit entre parenthèse) ? C’est une redite, le printemps. C’est une redite, une belle jour
née au Bois ou au bord de la mer. C’est une redite,
une rose qui pousse, un magnolia qui fleurit. Les lilas en avril, les fraises en mai, les cerises en juin, ce sont des redites I Mais des redites exquises et des rabâ
chages nouveaux. Rabâchons donc tant que nous pourrons. Nous ne trouverons pas mieux que le beau
temps à saluer, les fleurs à respirer et le soleil à chanter !
Edouard Plouvier l’appelait l ami Soleil, ce bon soleil qui rougit les fruits du cerisier, jaunit l’or des
blés, fait gonfler de sang le raisin de France ! Et c’est aussi le nom que lui devait donner ce brave homme qui, grâce au soleil, a fixé sur des plaques le fantôme de gens disparus. Celui-là, s’appelait Niepce et ses compatriotes lui ont, dimanche, élevé une statue. Châîon-sur-Saône reconnaissant a crié vive Niepce! Et
la Bourgogne a été heureuse, au moins sur un point donné, comme au temps deBuridan. M. Lucien Pâté,
un poète sincère et toujours ému, dont les lecteurs de l’Illustration connaissent aussi les fins jugements, a chanté Nicéphore Niepce en des strophes justement applaudies où il a montré l’inventeur demandant au
soleil un dernier bienfait et, sur cette terre où tout passe, le suppliant de conserver la forme de ce qui doit finir :
Saisis l’image fugitive
Que ne garde point l’œil humain ; Fixe-la d’un trait toute vive
Dans cet autre œil fait de ma main !
Voilà la seule nouveauté de la semaine — la statue de Niepce. J’oubliais la publication des lettres intimes de l’amiral Courbet. Elles font grand tapage. Il en sort de partout et elles sont profondément et parfaite
ment irritées. Dans l’une d’elles, l’amiral se rappe
lant qu’étant polytechnicien, en 1848, il traversa les barricades pour aller porter au gouvernement provisoire l’hommage de l’Ecole, s’écrie :
— Et dire qu’il y a trente-six ans je risquais de me faire casser la tête pour l’avènement de ces polichinelles-là !
Polichinelle est dur. Le mot a été souligné, comme on pense, par les amis et les ennemis. Et l’amiral Courbet pourrait bien y perdre cette translation au Panthéon dont on avait parlé tout d’abord. O exécra
ble politique! Un homme est ou non populaire, non point à cause de ses actes mais à cause de ce qu’il pense et de ce qu’il écrit !
On me dira : — Mais l’amiral Courbet ne devait pas écrire! Ce n’est pas d’aujourd’hui, c’est depuis M. Scribe qu’un bon soldat
Doit souffrir et se taire Sans murmurer!
A cela on peut répliquer aussi que l’amiral Courbet n’écrivait pas pour être imprimé. Il se livrait avec toute sa franchise et toutes ses colères dans ses lettres à un ami. Et si l’ami a envoyé ces lettres à la presse, l’ami
ral n’en est pas responsable. Ce qui est certain, c’est qu’il a fait son devoir et qu’il est mort. C’est quelque
chose que ces deux faits à son actif. Et cette mort donne un relief nouveau à notre marine, déjà si ad
mirée. Dans l’Ille-et-Vilaine, c’est un amiral, le viceamiral Véron, monarchiste, qui est élu sénateur depuis dimanche et, dans Seine-et-Oise, c’est un amiral, républicain, l’amiral Jaurès quia présidé, mercredi, le banquet annuel donné à Versailles en l’honneur du général Hoche.
La gloire de l’amiral Courbet rejaillit sur l’uniforme qu’il a porté.
Il y a eu, dimanche, une cérémonie touchante au Vésinet, la distribution des prix aux élèves de l’Orphelinat d’Alsace-Lorraine. Le jeune comte d’Haussonville était là, succédant à son père qui a fondé une telle œuvre et qui l’a fait avec un zèle si charmant et si simple, comme il faisait, au reste, toutes choses. M. Ottenin d’Haussonville avait, cette fois, prié M. François Coppée de présider la cérémonie.
Coppée a adressé aux élèves qui l’écoutaient un de ces discours émus et simples où vibre toujours la note irrésistiblement attendrie des Intimités.
Mais ce poète des humbles sait faire vaillamment parler les plus grands et on le verra, cet hiver, lorsque l’Odéon jouera ses Jacobites.
Quelqu’un qui a entendu la lecture de ce beau drame nous le définissait ainsi :
— Des fleurs embaumées d’Ecosse poussées sur du roc !
A propos de théâtres, on a repris l Assommoir et personne, que je sache, n’a rappelé avec quel goût personnel, quelle hardiesse aussi, M. Henri Chabrillat, lorsqu’il était directeur de l’Ambigu, avait monté ce drame. Je croyais bien que les grands succès que Chabrillat remporta alors, comme directeur, lui avaient donné la fortune. Non, puisque le voilà redevenu
homme de lettres et qu’il nous envoie un volume, un roman qui m’a très vivement intéressé, empoigné comme on dit en termes d’argot littéraire.
Ah! si Chabrillat était encore directeur comme il irait rapidement trouver Chabrillat romancier, et comme il lui dirait :
— J’ai lu Fnquet. C’est très amusant, Friquet! Et comme cela sonnerait bien sur une affiche parisienne ! Faites-moi Friquet!
Il y a dans ce Friquet un dénouement déjà bien des fois exploité par les romanciers, depuis que Malot, le premier, en écrivant l Histoire d’un blessé, mêla le ro
man à l’histoire : c’est le dénouement où le héros se fait soldat, si bien que tout finit par la guerre de 1870. Mais Chabrillat a le droit, lui, de faire finir ses per
sonnages dans les bataillons de mobiles ou de francs tireurs.il fit partie, en qualité de lieutenant, de ce ba
taillon d’enfants de Paris qui défendit Cbâteaudun et se mesura quarante-huit fois avec les Allemands.Qua
rante-huit fois! Cette troupe, au départ, était composée de 1170 volontaires; ces voloni aires n’étaient plus que 240 au retour à Paris. Vive Friquet qui en faisait pariie et il paraît que c’est en combattant à ses côtés que Chabrillat a connu son histoire!
— Mon lieutenant, eût pu lui dire Friquet, tirons au tas d’abord, puis après, vous tirerez à la ligne avec mes aventures!
Et je ne sais pas d’aventures plus dramatiques que ces aventures de Friquet, une de mes lectures émues de ces derniers temps avec le beau roman nouveau de Malot, le Sang-Bleu.
Une nouvelle, qui a inspiré les chroniqueurs, c’est la disparition prochaine du café Procope. Le vieux Paris s’en va, ce n’est pas la première fois que je le constate. Les vieux cafés cù l’on causait sont remplacés par les brasseries où l’on déclame et à l’heure même où l’on donnait cette nouvelle de la disparition du café Procope, les journaux étaient rem
plis de la description de l’inauguration du nouveau castel du Chat Noir, brasserie littéraire cù M. Rodolphe Salis habille ses garçons en académiciens.
Le café Procope — le café, comme on l’appelait autrefois — ou plutôt le Caffé, qui rendait les arrêts
en littérature, au temps de Piron, était devenu rocs l’empire le rendez-vous de la jeunesse oppesante. La
voix de Gambetta en avait fait plus d’une fo s trembler les vitres. On se montrait encore naguère la table de Gambetta, non loin de la table de Voltaire. Adieu à tout cela ! Le Paris qui marche n’a point le temps de s’attarder à ces souvenirs ! Un coup de pioche, quelques lignes dans une chronique, et tout est dit !
On pourrait cependant donner ce texte de composition française aux concurrents de nos collèges :
— De l’émiettement des souvenirs par les démolitions des logis et le baptême des rues!
Nous avons tant crié jadis contre M. Haussmann qui triangulisait Paris! Le Conseil municipal le ridiculise, cela ne vaut pas mieux. Et proposer de rayer du coin d’une rue le nom de Bonaparte n’est-ce pas aussi absurde que le fait, attribué au Père Loriquet, d’ap
peler Napoléon « M. de Bonaparte, généralissime des armées de Sa Majesté Louis XVIII?» Ah! ils vont bien, les Loriquet de l’Hôtel-de-Ville!
A propos de ces compositions de prix, dont je viens de parler, M. Emile Augier, citait, l’autre jour, un joli mot d’enfant à un ami.
— Eh! bien, demandait-on à un jeune collégien, es-tu content de ta composition ?
— Oh! très content, répondit l’enfant. Si je n’avais pas passé une phrase, j aurais été avant dernier !
Nous ayons eu, cette semaine, le procès de Mme Nilsson réclamant deux cent mille francs prêtés à feu son mari. M. Ch. Limet, avocat à la Cour d’appel, a brillamment plaidé la cause et elle eût été mauvaise qu’avec son talent il l’eût gagnée. Mais elle était bonne et la grande artiste a triomphé des résistances peu justes des héritiers Rouzaud.
On a aussi parlé de Sarah Bernhardt, cette semaine. La villa ornée de faïences, dont les décorations artistiques rappelaient les multiples talents de la tragé
dienne, et qu’elle avait fait construire là-haut, sur la falaise, a été vendue, cette semaine, au Havre. Je ne crois pas que les enchères aient été énormes. Il y avait là cependant des tableaux et des tentures de prix, des japonaiseries de choix. Ainsi, hôtel de Paris, villa de Sainte-Adresse, tout est vendu ! Livres et meubles !
— Aussi, dit le Schsunard de Mürger, qu’un huissier vient saisir, quelle imprudence d’avoir des meubles chez soi !
Théodora n’en est pas plus triste. Elle va jouer à Bruxelles, à Londres, en province, puis revenir à Paris, reprendre Adrienne Lecouvreur, regagner un million et le jeter au vent!
Perdican.
COURRIER DE PARIS
taient : Entrée d un animal et où M. de Buffon a passé en revue tous les quadrupèdes, les bipèdes, les volatiles et les crus
tacés de la création, il paraît que ce qu’on appelle le genre BuJJon fait florès et fait fureur dans les modes. Qui nous apprend cela ? C’est Etincelle, Etincelle, qui partage avec Violette le royaume de l’actualité mon
daine, Etincelle, arbiter elegantiarum ! Va pour le genre Buffon ! Mais qu’est-ce que le genre Buffon? La spirituelle chroniqueuse nous le dit, c’est l’applica
tion du règne animai à la parure féminine. On parle des couleurs gorge de pigeon, ce qui n’est pas nouveau,
des étoffes ventre d’hirondelle, des chapeaux oreilles de biche. Et la grande et grosse question du genre Buffon ornant la plus belle moitié du genre humain est, à dire vrai, tout ce qu’il y a de très nouveau et de très curieux au moment où j’écris.
Car vous n’attendez pas que je vous parle de la chute des ministères, M. Mancini en Italie après M. Gladstone en Angleterre, l’un tirant l’autre. Vous ne cherchez même pas, dans ces causeries, des nouvelles de Liu-Vinh-Phuoc, le vieux chef des Pavil
lons-Noirs, le meneur de bandes farouches qui, si l’on en croit les dépêches, aurait été étranglé par des mains chinoises, ce qui nous débarrasserait d’un ennemi assez ennuyeux. Ces bons Chinois! Tant qu’ils ont à se servir du chef des Pavillons-Noirs, ils répondent à nos diplomates : — Les hauts faits et méfaits de ces pillards ne nous regardent point! Arrangez-vous! Ecrasez-les 1 Nous ne pouvons, nous, y parvenir !
Dès que le chef des Pavillons-Noirs peut devenir un péril pour eux, ils savent fort bien le cerner, l’entraî
ner et, — les bons barbares 1 — lui serrer une ficelle autour du cou. Ce sont d’aimables mœurs mais fort heureusement très éloignées de Paris et très indifférentes à un Courrier de Paris. Parlons de Paris!
Hélas ! les voici, les semaines vides, où les chroniqueurs à bout de copie rééditent effrontément des articles stéréotypés pour un public qui les a déjà lus dix fois.
Tirade obligée sur le départ pour les eaux. Quelques lignes consacrées au petit chapeau qui détrône temporairement le chapeau haut de forme, car la vie parisienne se compose de deux périodes : la période hivernale du chapeau de soie, corrigé par le chapeauclaque et la période estivale du chapeau de feutre ou petit chapeau. L’avènement du petit chapeau marque la saison d’été. Un Parisien qui se serait montré en petit chapeau sur le boulevard, il y a dix jours, eût été disqualifié. Le même Parisien qui se promènerait sur ce même boulevard sans petit chapeau ou sans haut chapeau gris passerait pour un provincial.
Après ce petit paragraphe annuel sur le petit chapeau un autre paragraphe, non moins annuel, sur le caféconcert. Combien de fois nous l’a-t-on servi, ce para
graphe-là ! Il est aussi médiocre d’ordinaire que la bière qu’on verse en ces musicos. Puis un paragraphe sur la tristesse des théâtres fermés, un autre sur les étrangers à Paris, un autre encore sur les prochains concours du Conservatoire ou d’ailleurs. Toutes ces tirades, qui ont autant servi que des tirades de mélo
drame, reparaissent avec une régularité mathématique, comme toutes les herbes de la saint Jean à la Saint- Jean. Et, chose curieuse, le public ne s’en lasse point. Il a plaisir à relire, quand vient l’heure des départs, les mêmes réflexions sur les villes d’eaux, la vie d’hôtel et les plaisirs de casinos. C’est qu’après tout la vie recommence avec sa monotone régularité de pendule et que, si on ne veut pas la maudire, comme le font assez brutalement les pessimistes, le mieux est de l’accepter telle qu’elle est avec ses éternels recommencements et ses perpétuelles redites.
Comment les chroniqueurs ne se répéteraient-ils pas un peu, quand la nature rabâche si obstinément (Dieu merci, soit dit entre parenthèse) ? C’est une redite, le printemps. C’est une redite, une belle jour
née au Bois ou au bord de la mer. C’est une redite,
une rose qui pousse, un magnolia qui fleurit. Les lilas en avril, les fraises en mai, les cerises en juin, ce sont des redites I Mais des redites exquises et des rabâ
chages nouveaux. Rabâchons donc tant que nous pourrons. Nous ne trouverons pas mieux que le beau
temps à saluer, les fleurs à respirer et le soleil à chanter !
Edouard Plouvier l’appelait l ami Soleil, ce bon soleil qui rougit les fruits du cerisier, jaunit l’or des
blés, fait gonfler de sang le raisin de France ! Et c’est aussi le nom que lui devait donner ce brave homme qui, grâce au soleil, a fixé sur des plaques le fantôme de gens disparus. Celui-là, s’appelait Niepce et ses compatriotes lui ont, dimanche, élevé une statue. Châîon-sur-Saône reconnaissant a crié vive Niepce! Et
la Bourgogne a été heureuse, au moins sur un point donné, comme au temps deBuridan. M. Lucien Pâté,
un poète sincère et toujours ému, dont les lecteurs de l’Illustration connaissent aussi les fins jugements, a chanté Nicéphore Niepce en des strophes justement applaudies où il a montré l’inventeur demandant au
soleil un dernier bienfait et, sur cette terre où tout passe, le suppliant de conserver la forme de ce qui doit finir :
Saisis l’image fugitive
Que ne garde point l’œil humain ; Fixe-la d’un trait toute vive
Dans cet autre œil fait de ma main !
Voilà la seule nouveauté de la semaine — la statue de Niepce. J’oubliais la publication des lettres intimes de l’amiral Courbet. Elles font grand tapage. Il en sort de partout et elles sont profondément et parfaite
ment irritées. Dans l’une d’elles, l’amiral se rappe
lant qu’étant polytechnicien, en 1848, il traversa les barricades pour aller porter au gouvernement provisoire l’hommage de l’Ecole, s’écrie :
— Et dire qu’il y a trente-six ans je risquais de me faire casser la tête pour l’avènement de ces polichinelles-là !
Polichinelle est dur. Le mot a été souligné, comme on pense, par les amis et les ennemis. Et l’amiral Courbet pourrait bien y perdre cette translation au Panthéon dont on avait parlé tout d’abord. O exécra
ble politique! Un homme est ou non populaire, non point à cause de ses actes mais à cause de ce qu’il pense et de ce qu’il écrit !
On me dira : — Mais l’amiral Courbet ne devait pas écrire! Ce n’est pas d’aujourd’hui, c’est depuis M. Scribe qu’un bon soldat
Doit souffrir et se taire Sans murmurer!
A cela on peut répliquer aussi que l’amiral Courbet n’écrivait pas pour être imprimé. Il se livrait avec toute sa franchise et toutes ses colères dans ses lettres à un ami. Et si l’ami a envoyé ces lettres à la presse, l’ami
ral n’en est pas responsable. Ce qui est certain, c’est qu’il a fait son devoir et qu’il est mort. C’est quelque
chose que ces deux faits à son actif. Et cette mort donne un relief nouveau à notre marine, déjà si ad
mirée. Dans l’Ille-et-Vilaine, c’est un amiral, le viceamiral Véron, monarchiste, qui est élu sénateur depuis dimanche et, dans Seine-et-Oise, c’est un amiral, républicain, l’amiral Jaurès quia présidé, mercredi, le banquet annuel donné à Versailles en l’honneur du général Hoche.
La gloire de l’amiral Courbet rejaillit sur l’uniforme qu’il a porté.
Il y a eu, dimanche, une cérémonie touchante au Vésinet, la distribution des prix aux élèves de l’Orphelinat d’Alsace-Lorraine. Le jeune comte d’Haussonville était là, succédant à son père qui a fondé une telle œuvre et qui l’a fait avec un zèle si charmant et si simple, comme il faisait, au reste, toutes choses. M. Ottenin d’Haussonville avait, cette fois, prié M. François Coppée de présider la cérémonie.
Coppée a adressé aux élèves qui l’écoutaient un de ces discours émus et simples où vibre toujours la note irrésistiblement attendrie des Intimités.
Mais ce poète des humbles sait faire vaillamment parler les plus grands et on le verra, cet hiver, lorsque l’Odéon jouera ses Jacobites.
Quelqu’un qui a entendu la lecture de ce beau drame nous le définissait ainsi :
— Des fleurs embaumées d’Ecosse poussées sur du roc !
A propos de théâtres, on a repris l Assommoir et personne, que je sache, n’a rappelé avec quel goût personnel, quelle hardiesse aussi, M. Henri Chabrillat, lorsqu’il était directeur de l’Ambigu, avait monté ce drame. Je croyais bien que les grands succès que Chabrillat remporta alors, comme directeur, lui avaient donné la fortune. Non, puisque le voilà redevenu
homme de lettres et qu’il nous envoie un volume, un roman qui m’a très vivement intéressé, empoigné comme on dit en termes d’argot littéraire.
Ah! si Chabrillat était encore directeur comme il irait rapidement trouver Chabrillat romancier, et comme il lui dirait :
— J’ai lu Fnquet. C’est très amusant, Friquet! Et comme cela sonnerait bien sur une affiche parisienne ! Faites-moi Friquet!
Il y a dans ce Friquet un dénouement déjà bien des fois exploité par les romanciers, depuis que Malot, le premier, en écrivant l Histoire d’un blessé, mêla le ro
man à l’histoire : c’est le dénouement où le héros se fait soldat, si bien que tout finit par la guerre de 1870. Mais Chabrillat a le droit, lui, de faire finir ses per
sonnages dans les bataillons de mobiles ou de francs tireurs.il fit partie, en qualité de lieutenant, de ce ba
taillon d’enfants de Paris qui défendit Cbâteaudun et se mesura quarante-huit fois avec les Allemands.Qua
rante-huit fois! Cette troupe, au départ, était composée de 1170 volontaires; ces voloni aires n’étaient plus que 240 au retour à Paris. Vive Friquet qui en faisait pariie et il paraît que c’est en combattant à ses côtés que Chabrillat a connu son histoire!
— Mon lieutenant, eût pu lui dire Friquet, tirons au tas d’abord, puis après, vous tirerez à la ligne avec mes aventures!
Et je ne sais pas d’aventures plus dramatiques que ces aventures de Friquet, une de mes lectures émues de ces derniers temps avec le beau roman nouveau de Malot, le Sang-Bleu.
Une nouvelle, qui a inspiré les chroniqueurs, c’est la disparition prochaine du café Procope. Le vieux Paris s’en va, ce n’est pas la première fois que je le constate. Les vieux cafés cù l’on causait sont remplacés par les brasseries où l’on déclame et à l’heure même où l’on donnait cette nouvelle de la disparition du café Procope, les journaux étaient rem
plis de la description de l’inauguration du nouveau castel du Chat Noir, brasserie littéraire cù M. Rodolphe Salis habille ses garçons en académiciens.
Le café Procope — le café, comme on l’appelait autrefois — ou plutôt le Caffé, qui rendait les arrêts
en littérature, au temps de Piron, était devenu rocs l’empire le rendez-vous de la jeunesse oppesante. La
voix de Gambetta en avait fait plus d’une fo s trembler les vitres. On se montrait encore naguère la table de Gambetta, non loin de la table de Voltaire. Adieu à tout cela ! Le Paris qui marche n’a point le temps de s’attarder à ces souvenirs ! Un coup de pioche, quelques lignes dans une chronique, et tout est dit !
On pourrait cependant donner ce texte de composition française aux concurrents de nos collèges :
— De l’émiettement des souvenirs par les démolitions des logis et le baptême des rues!
Nous avons tant crié jadis contre M. Haussmann qui triangulisait Paris! Le Conseil municipal le ridiculise, cela ne vaut pas mieux. Et proposer de rayer du coin d’une rue le nom de Bonaparte n’est-ce pas aussi absurde que le fait, attribué au Père Loriquet, d’ap
peler Napoléon « M. de Bonaparte, généralissime des armées de Sa Majesté Louis XVIII?» Ah! ils vont bien, les Loriquet de l’Hôtel-de-Ville!
A propos de ces compositions de prix, dont je viens de parler, M. Emile Augier, citait, l’autre jour, un joli mot d’enfant à un ami.
— Eh! bien, demandait-on à un jeune collégien, es-tu content de ta composition ?
— Oh! très content, répondit l’enfant. Si je n’avais pas passé une phrase, j aurais été avant dernier !
Nous ayons eu, cette semaine, le procès de Mme Nilsson réclamant deux cent mille francs prêtés à feu son mari. M. Ch. Limet, avocat à la Cour d’appel, a brillamment plaidé la cause et elle eût été mauvaise qu’avec son talent il l’eût gagnée. Mais elle était bonne et la grande artiste a triomphé des résistances peu justes des héritiers Rouzaud.
On a aussi parlé de Sarah Bernhardt, cette semaine. La villa ornée de faïences, dont les décorations artistiques rappelaient les multiples talents de la tragé
dienne, et qu’elle avait fait construire là-haut, sur la falaise, a été vendue, cette semaine, au Havre. Je ne crois pas que les enchères aient été énormes. Il y avait là cependant des tableaux et des tentures de prix, des japonaiseries de choix. Ainsi, hôtel de Paris, villa de Sainte-Adresse, tout est vendu ! Livres et meubles !
— Aussi, dit le Schsunard de Mürger, qu’un huissier vient saisir, quelle imprudence d’avoir des meubles chez soi !
Théodora n’en est pas plus triste. Elle va jouer à Bruxelles, à Londres, en province, puis revenir à Paris, reprendre Adrienne Lecouvreur, regagner un million et le jeter au vent!
Perdican.
COURRIER DE PARIS