chargeant un fourneau de mine. Cette opération, peu connue des personnes étrangères au métier, nécessite une explica
tion. Un mineur commence par faire, à l’aide de pioches et de marteaux, un trou dans la muraille, appelé rameau, de quatre-vingts centimètres carrés environ, c’est-à-dire assez grand pour contenir un homme accroupi. Ce premier rameau achevé, on en fait deux autres à droite et à gauche, et en
retour d’équerre. Cette opération préliminaire terminée, on établit à une certaine distance de ces rameaux deux four
neaux de mines, c’est-à-dire deux cavités capables de con
tenir la quantité de poudre jugée nécessaire pour faire sauter l’ouvrage miné. La poudre mise en place, on remplit entiè
rement les rameaux de terre bien foulée, de manière qu’un petit augelet, sorte de tuyau fait de quatre petites planches,
et servant à protéger la mèche ou saucisson, communique seul avec le fourneau de mine. On met le l eu à cette mèche au moyen d’un artitice ; la mine, éclatant, pousse dans le fossé, lance en l’air et refoule à droite et à gauche la mu
raille qui s’entr’ouvre violemment, se brise et s’écroule avec un horrible fracas au milieu d’un nuage épais de poussière et de fumée.
Notre troisième dessin représente deux brèches : l’une faite par l’artillerie, l’autre, par la mine. La première, la brèche d’artillerie, est une brèche oblique. Tandis que la batterie n 9 (pièces de seize) tirait sur la courtine qui réunissait les bas
tions 6 et 7, à la distance de 159 mètres et sous un angle d’incidence de vingt-cinq degrés, — trois cents coups de canon ont suffi pour renverser l’escarpe dans le fossé, — la batterie n» 1 (pièces de ;seize), placée ià 55 mètres de dis
tance, ouvrait, dans la face gauche du bastion 6, une brèche praticable après quatre cent huit coups, et la batterie n° 2 (pièces de seize), éloignée seulement de 48 mètres, ouvrait dans la même face de ce bastion une autre brèche pratica
ble, à quelques mètres du saillant du bastion, après trois cent quatre-vingt-douze coups. La seconde brèche, la brèche de mine, de vingt mètres environ, a été pratiquée par deux fourneaux établis suivant le dispositif de Vauban, au milieu de la courtine qui joignait les bastionsj2 et 5, et chargés chacun de 228 kilogrammes de poudre.
Notre cinquième et dernier dessin devait représenter l’assaut,• mais 1 assaut et les fêtes préparées pour le célébrer n’ont pas eu lieu. Les intéressantes et utiles opérations du démantèlement de Bapaume étaient presque entièrement terminées sans qu’on eût eu à déplorer aucun accident, grâce à toutes les mesures de prudence qui avaient été prises,
lorsqu’un malheureux événement est venu forcer le duc de Montpensier à contremander l’assaut, le banquet et le bal.
Près d’une mine, qu’on devait faire partir dans le faubourg d’Arras, se trouvait une maison isolée. Ordre avait été donné à ses habitants de se retirer dans un lieu moins exposé. Us n’en tinrent aucun compte, et une petite fille, s’étant mise à
la fenêtre au moment même de l’explosion, fut tuée roide par une pierre qui l’atteignit à la tête. Soit que la force de projection de la mine n’eût pas été bien calculée, soit que
le public, emporté par sa curiosité, eût dépassé les limites qu’il lui était interdit de franchir, un paysan et sept ou huit soldats furent plus ou moins grièvement blessés par d’autres débris. Après deux jours de souffrances, le paysan a expiré, dit-on, à l’hôpital de Bapaume.
A défaut de l’assaut, M. Charpentier nous a donc rapporté de Bapaume la vue d’une brèche pratiquée dans le bastion n° 6 par un fourneau rempli de 1,200 kilogrammes de pou
dre établi sous la brèche de la batterie 5. L’explosion de cette mine fut si forte, qu’elle lança d’énormes morceaux de ma
çonnerie jusque sur les glacis, et que l’une des pièces de la batterie, qui étaient toutes couvertes de terre, vint tomber dans le fossé en arrière des plates-formes, où les curieux, as
semblés autour de la batterie, l’aperçurent à leur grand étonnement, la bouche en l’air, quand la fumée se dissipa.
On nous assure que, Tannée prochaine, Hesdin, place de guerre de troisième classe, patrie de l’abbé Prévost, aura à son tour la satisfaction de se voir délivrée de ses fortifications,
désormais inutiles, par des expériences semblables à celles dont M. Charpentier nous a mis à même de montrer à nos abonnés les plus curieux effets, et dont le rapport de la commission ne tardera pas, nous l’espérons, à nous faire connaître les importants résultats.
M. Charles Bazin vient d’obtenir une médaille d’or de deuxième classe, à la suite de la dernière exposition de peinture.
Corrrespondance».
Paris, le 30 août 1847.
Monsieur le rédacteur,
Habitant d’Alger, et votre lecteur assidu pendant mon séjour à Paris, comme en Afrique, permetiez-moi de vous sou
mettre les impressions que m’a causées, dans votre numéro du 21 courant, la narration d’un voyage d’Alger à Blidah.
Avec quel plaisir, en compagnie de votre touriste, j’ai revu Bouffarick sortant maintenant si frais et si salubre de ses ma
rais autrefois si fangeux; Bessi-Mered et sa colonne, qui NOus rappelle de si glorieux souvenirs: Blidah, son bois sacré, ses délicieuses orangeries; cette magnifique gorge de l’Atlas avec son joli ruisseau et sa curieuse tribu ae Sidi-Kebbir, qui semble jouer à cache-cache à travers ses sentiers mystérieux et fourrés, et cette jolie forêt de lauriers-roses qui me rap
pelle encore un jour cette nichée d’enfants endormis sous leurs gourbis, mais bien dans de vrais nids tressés avec les branches de ce charmant arbuste, feuilles et fleurs tout à la fois.
Aussi, à ces souvenirs, me suis-je pris à regretter, pour votre voyageur, qu’il n’ait pas poussé son excursion jus
qu’aux sources mêmes de l’Oued-el-Kébir, en compagnie de quelque marabout du lieu ; car il lui eût entendu, sans
doute, raconter, dans son langage pittoresque, comme quoi, il y a longtemps, bien longtemps, le grand marabout Sidi— Kébir marabout grandi ! ! ! (il faut entendre en effet avec quel orgueil et quelle inflexion de voix les Arabes proNOn
cent ce mot grandi ! ! ! qui semble les hausser d’une coudée) ; comme quoi donc ce fameux marabout Sidi-Kébir, voulant donner de l’eau à sa tribu qui n’en avait pas, frappa trois fois le rocher de son bâton, et en fit jaillir ces sources ma
gnifiques qui, depuis lors, arrosent toute la vallée et les jardins de Biidah.
NOn, je n’oublierai de ma vie cette tradition toute biblique, recueillie dans ce lieu sauvage, et le lendemain même de la soumission de ces farouches Béni-Sala, qui, la veille encore, échangeaient des coups de fusils avec NOs zouaves du fort Mimich. L’Arabe, comme vous voyez, ne manque pas de poésie et se laisse facilement inspirer par les beaujés de la
nature. Aussi Tétait-il celui qui, chantant Biidah, l’appelait Blidah la rose, Blidah la coquette.
Mais pourquoi faut-il, monsieur le rédacteur, que le voyageur, en NOus peignant si bien le site de cette jolie ville, et ses belles eaux, et ses frais ombrages, qui en feront un jour le Versailles d’Alger, n’ait trouvé que critiques pour les écarts de ses pauvres habitants entait de constructions? Hé
las! quen’a-t-ii vu Blidah en 1840, alors ville de boue et de
fumier, telle en un mot que l’avait laissée le tremblement de terre de 1825; alors que, il m’en souvient, j’ai vu payer cinq francs un demi-pain de munition, et que NOus n’avions que la terre pour reposer NOtre tête, et encore sous quels abris !
Avec quelles chaudes couleurs, au contraire, on comparant le passé au présent, il eût peint celte métamorphose vrai
ment magique d’un pareil cloaque en une ville dont tant de localités seraient fières en France ! Que n’a-t-il été témoin des efforts de courage et de persévérance, qu’il a fallu à ses premiers habitants pour lutter contre la maladie, le fer des Arabes, et les difficultés des lieux! comme il eût alors ad
miré cette conquête si subite de l’industrie sur le chaos, et trouvé l’éloge au lieu du blâme pour ces dignes enfants de la mère-patrie !
Etait-ce d’ailleurs sans motif et sans raison qu’ils s’étaient abandonnés à cet élan, suivant lui, si peu réfléchi? N étaientce pas ces capitalistes deFrance et de l’étranger (eux que Ton dit pourtant si intelligents), qui, séduits par cette magnifi
que position, les y avaient encouragés de leurs deniars, en leur faisant voir Blidah comme la clef, le boulevard et l’en
trepôt futurs delà plaine et de la montagne? Et ces villages commencés et projetés n’allaient-ils pas peupler et féconder le pays?
Est-ce leur faute si Ton s’est arrêté dans cette voie? N’ontils pas d’ailleurs été entraînés par l’administration ellemême, à la vue de ses travaux immenses de constructions qui justifiaient suffisamment ses intentions hautement mani
festées de faire de Blidah un vaste établissement militaire de premier ordre? Tout cela n’est pas réalisé; est-ce encore leur faute? Pourquoi donc si peu ménager ces pauvres habitants qui appellent plutôt sur eux l’encouragement et l’in
térêt de la Fiance entière? Qu’elle veuille en effet une bonne fois poursuivre vigoureusement son œuvre commencée, au lieu de s’arrêter comme elle le fait, et les événements justifieront bientôt l’importance attachée à la position de Biidah.
Et ce chemin de fer tant désiré par les habitants de cette ville comme par ceux d’Alger, pourquoi donc le condamner ainsi d’un trait de plume? S’est-on rendu compte de sa dé
pense, comme des produits qu’il peut donner? A-t-on calculé le va-et-vient des voyageurs, des marchandises et des transports de l’armée, dont une récente ordonnance sur le trans
fert des divisions militaires du littoral dans l’intérieur doit encore augmenter l’importance? Sans doute si Ton en compare les frais avec ceux des chemins de fer de France, Ter
reur peut être excusable. Qu’on raye donc ici dans sa pensée toutes ces gares splendides, dont NOus n’avons que faire, ce luxe d’état-major, ces terrains dont l’acquisition est si rui
neuse, et tous ces travaux d’art qui font de la plupart des chemins de fer autant d’entreprises de géants, et qui peuvent effrayer pour eux, mais NOn pour le nôtre. Qu’on descende maintenant avec moi dans la plaine de la Mitidjah, et qu’on y cherche où sont ces travaux d’art à faire, ces terrains si chers à acheter, si ce n’est qu’une plaine sans obstacle, et la plus admirablement disposée pour une entreprise de cette nature.
Oui, si Ton veut réfléchir aux capitaux que son exécution jetterait dans le pays, et à leur influence sur le développement de la colonisation et de l’industrie, il est impossible qu’une œuvre si pleine d’avenir ne paraisse pas mériter les sympa
thies de tous les amis de l’Algérie comme le concours de l’Etat, qui doit vouloir pju’elle devienne promptement forte et prospère.
Montrons-NOus donc, pour cette colonie qui NOus touche, les dignes émules de NOs rivaux, qui savent si bien employer leurs trésors et le sang de leurs enfants pour des possessions situées aux extrémités du globe. Et, fiers de NOtre belle con
quête, voyons enfin la France à cheval sur la Méditerranée, un pied sur l’Europe, un pied sur l’Afrique, embrassant ainsi tous les événements d’un coup d’œil, et conveNOns qu’au
cun sacrifice ne doit lui coûter pour répondre dignement aux desseins de ia Providence, qui semble l’avoir appelée dans celte admirable position, à présider aux destinées du monde.
Peut-être ai-je dépassé mon but, monsieur le rédacteur; mais, veuillez me pardonner en faveur du sujet et du motif qui m’a guidé, celui de combattre une erreur d’autant plus grave, selon moi, qu’elle s’adressait, par vos lecteurs, à l’é
lite de la société. Que votre voyageur aussi me pardonne mon désaccord avec lui; car je n’accuse pas plus ici sa sincérité qu’il ne doutera de la mienne. Et maintenant, qu’il m’en croie, abandonNOns la question au temps NOtre grand maître et aux circonstances, qqi ont-déjà tant fait pour l’Algérie.
J’ai Thonnej
La Casdami.
I.
Je ne voudrais pas commencer mon récit par dire du mal d’un des personnages qui vont y jouer les principaux rôles.
Or, je crains de lui ravir d’avance la sympathie de plus d’un cœur sensible, si j’avoue, tout d’abord, qu’André Lam
bert était gabelou, c’est-à-dire douanier. Gabelou, dix-sept degrés plus bas qu un chien, disent les belles filles bretonnes. Mais enfin il y a gabelou et gabelou, comme il y a sabots et sabots], et celui-ci pouvait revendiquer des droits particuliers aux égards de mes lecteurs.
D’abord, c’était un joli garçon. Je ne garantirais pasqu’une petite comtesse romanesque l’eût trouvé tel, car il avait le teint fleuri, l’oreille pourpre, des épaules d’Hercule et des mollets de vieux danseur. Mais sa physioNOmie était heu
reuse; de beaux cheveuxbruns, trop abondants pour être touj ours en bon ordre, s’ébouriffaient sur son large front et des
cendaient fort bas sur son cou fièrement modelé. Avec cela, des dents de jeune loup, — c’est-à-dire parfaitement blanches, — et de petites moustaches dont les crocs effilés ajou
taient je ne sais quoi de railleur à une expression de figure naturellement honnête et douce. Voilà de quoi recommander le douanier en question à quelques personnes]d’un naturalisme savant, et qui jugent volontiers du dedans parle dehors.
Au demeurant, André Lambert était une espèce de bel esprit. Tout comme un autre, étudiant en droit, il avait jeté son petit article dans la boîte de maint journal, et présenté son petit vaudeville à tous les théâtres du boulevard. 11 ne lui manquait donc, pour se dire littérateur, que d’avoir été accepté ou représenté. Peu de chose, en vérité, quand on
pense à tout ce qui se lit et se joue. André Lambert eût peutêtre persisté dans cette voie funeste, et ferait maintenant partie de la Société des gens de lettres, sans un sien oncle, négociant marseillais, dont il espérait l’héritage, et qui n’entendait pas raillerie sur le choix d’un état. 11 le voulait so
lide, régulier, hoNOrable toujours, et toujours de mieux en mieux rétribué. Voilà pourquoi son neveu ne lut pas journaliste.
Et voilà pourquoi, recommandé chaudement à un député conservateur qui avait le bon es prit de voter quelquefois avec l’opposition, ce même neveu obtint un modesteernploi dans les douanes. On crut faire plaisir à son oncle en l’acheminant vers les Pyrénées orientales, et il était sur la route de Céret,
dans une vallée dont la Têt forme le thalweg, — pour NOus servir d’une expression que les historiens modernes ont pris
à cœur de populariser,—lorsqu’une rencontre passablement bizarre vint égayer son voyage.
C’était le soir, et la diligence,—qu’on eût appelée coucou dans un pays plus civilisé, — grimpait péniblement une montée assez rude. Selon l’usage, le conducteur avait offert aux voyageurs l’occasion d’alléger son pesant équipage en leur vantant la beauté du pays, et l’agrément d une promenade en plein air. André Lambert descendit volontiers, et d un pas leste, fumant un cigare de contrebande, il atteignit le haut de la côte. Puis, jetant un regard en arrière, et voyant la voiture qui se traînait encore au premier détour de la si
nueuse montée, avec les allures d’un escargot fatigué, il prit son parti de gagner pays devant elle , dût-elle ne jamais le rattraper.
Un taillis épais bordait à droite et à gauche la route inégale, et l’œil parisien de NOtre jeune homme y chercha d’abord des chapeaux de feutre gris, des yeux flamboyants, des moustaches NOires, des escopettes braquées : tous les
access tires du mélodrame Pixérécourt. Mais peu à peu il se familiarisa singulièrement avec ce réceptacle de bandits fantast ques, et en vint, après s’être en lèrement moqué de ses terreurs jusqu’à s’aventurer dans les petits sentiers pratiqués, par les piétons amoureux d’ombre, parallèlement à la route royale. Le vent de la nuit venait juste
ment de se lever, et soulevait la poudre du chemin; mais dans ce fourré ténébreux où T amandier, le myrthe, le mû
rier, croissaient pêle-mêle, la brise balsamique n’apportait qu’un parfum pénétrant et frais, l’odeur du thym, de la la
vande, des blés verts, des citronniers en fleur, des buissons d’aubépine. Ranimé par le grand air, les douces émanations de la terre, et la pensée qu’il allait arriver, le lendemain ma
tin, au terme de son ennuyeux voyage, André se mit à siflotter, en marchant, un quadrille qui lui rappelait les bals charmants du Ranelagh et de l’allée des Veuves.
Il en était là de ses impressions de route, et marchait, la canne basse, dans une sécurité parfaite, lorsque, arrivé à un endroit où le sentier tournait brusquement, il se trouva face à face avec un être vivant, de haute taille, qui lui posa brusquement la main sur l’épaule, et lui demanda d une voix grave :
«Où donc allez-vous, Jaracanalli (1)? »
Le premier mouvement du jeune voyageurfutdigne d’Hippolyte, fils de Thésée. Il n’arrêta pas ses coursiers, et pour cause, mais il recula vivement, d’un pas, et, faisant lestement circuler sa canne autour de sa tête, il se mit en position, le pied gauche en arrière, le bras levé, dans une attitude que Michel Pisseux lui-même aurait déclarée irréprochable.
Son ennemi, ou plulôt son interlocuteur, — dont l’obscurité ne lui avait pas encore permis de discerner les traits, — ne parut pas s’alarmer beaucoup de ces dispositions hosti
les; et avant que Lambert n’eût eu le temps de rédiger une réponse convenable à l’indiscrète question qui venait de lui être adressée :
« Caramba! quel brave soldat! » reprit la même voix, et ces mots furent suivis d’un éclat de rire étouffé qui attestait les dispositions les plus pacifiques.
Un peu honteux d’avoir trop tôt fait montre de son courage, le beau douanier, sans désarmer tout à fait, prit une allure moins belliqueuse, et tâcha de savoir à quelle espèce
(1) Cela signifie douanier dans l’argot des bohémiens.
L. FLECHER.
tion. Un mineur commence par faire, à l’aide de pioches et de marteaux, un trou dans la muraille, appelé rameau, de quatre-vingts centimètres carrés environ, c’est-à-dire assez grand pour contenir un homme accroupi. Ce premier rameau achevé, on en fait deux autres à droite et à gauche, et en
retour d’équerre. Cette opération préliminaire terminée, on établit à une certaine distance de ces rameaux deux four
neaux de mines, c’est-à-dire deux cavités capables de con
tenir la quantité de poudre jugée nécessaire pour faire sauter l’ouvrage miné. La poudre mise en place, on remplit entiè
rement les rameaux de terre bien foulée, de manière qu’un petit augelet, sorte de tuyau fait de quatre petites planches,
et servant à protéger la mèche ou saucisson, communique seul avec le fourneau de mine. On met le l eu à cette mèche au moyen d’un artitice ; la mine, éclatant, pousse dans le fossé, lance en l’air et refoule à droite et à gauche la mu
raille qui s’entr’ouvre violemment, se brise et s’écroule avec un horrible fracas au milieu d’un nuage épais de poussière et de fumée.
Notre troisième dessin représente deux brèches : l’une faite par l’artillerie, l’autre, par la mine. La première, la brèche d’artillerie, est une brèche oblique. Tandis que la batterie n 9 (pièces de seize) tirait sur la courtine qui réunissait les bas
tions 6 et 7, à la distance de 159 mètres et sous un angle d’incidence de vingt-cinq degrés, — trois cents coups de canon ont suffi pour renverser l’escarpe dans le fossé, — la batterie n» 1 (pièces de ;seize), placée ià 55 mètres de dis
tance, ouvrait, dans la face gauche du bastion 6, une brèche praticable après quatre cent huit coups, et la batterie n° 2 (pièces de seize), éloignée seulement de 48 mètres, ouvrait dans la même face de ce bastion une autre brèche pratica
ble, à quelques mètres du saillant du bastion, après trois cent quatre-vingt-douze coups. La seconde brèche, la brèche de mine, de vingt mètres environ, a été pratiquée par deux fourneaux établis suivant le dispositif de Vauban, au milieu de la courtine qui joignait les bastionsj2 et 5, et chargés chacun de 228 kilogrammes de poudre.
Notre cinquième et dernier dessin devait représenter l’assaut,• mais 1 assaut et les fêtes préparées pour le célébrer n’ont pas eu lieu. Les intéressantes et utiles opérations du démantèlement de Bapaume étaient presque entièrement terminées sans qu’on eût eu à déplorer aucun accident, grâce à toutes les mesures de prudence qui avaient été prises,
lorsqu’un malheureux événement est venu forcer le duc de Montpensier à contremander l’assaut, le banquet et le bal.
Près d’une mine, qu’on devait faire partir dans le faubourg d’Arras, se trouvait une maison isolée. Ordre avait été donné à ses habitants de se retirer dans un lieu moins exposé. Us n’en tinrent aucun compte, et une petite fille, s’étant mise à
la fenêtre au moment même de l’explosion, fut tuée roide par une pierre qui l’atteignit à la tête. Soit que la force de projection de la mine n’eût pas été bien calculée, soit que
le public, emporté par sa curiosité, eût dépassé les limites qu’il lui était interdit de franchir, un paysan et sept ou huit soldats furent plus ou moins grièvement blessés par d’autres débris. Après deux jours de souffrances, le paysan a expiré, dit-on, à l’hôpital de Bapaume.
A défaut de l’assaut, M. Charpentier nous a donc rapporté de Bapaume la vue d’une brèche pratiquée dans le bastion n° 6 par un fourneau rempli de 1,200 kilogrammes de pou
dre établi sous la brèche de la batterie 5. L’explosion de cette mine fut si forte, qu’elle lança d’énormes morceaux de ma
çonnerie jusque sur les glacis, et que l’une des pièces de la batterie, qui étaient toutes couvertes de terre, vint tomber dans le fossé en arrière des plates-formes, où les curieux, as
semblés autour de la batterie, l’aperçurent à leur grand étonnement, la bouche en l’air, quand la fumée se dissipa.
On nous assure que, Tannée prochaine, Hesdin, place de guerre de troisième classe, patrie de l’abbé Prévost, aura à son tour la satisfaction de se voir délivrée de ses fortifications,
désormais inutiles, par des expériences semblables à celles dont M. Charpentier nous a mis à même de montrer à nos abonnés les plus curieux effets, et dont le rapport de la commission ne tardera pas, nous l’espérons, à nous faire connaître les importants résultats.
M. Charles Bazin vient d’obtenir une médaille d’or de deuxième classe, à la suite de la dernière exposition de peinture.
Corrrespondance».
Paris, le 30 août 1847.
Monsieur le rédacteur,
Habitant d’Alger, et votre lecteur assidu pendant mon séjour à Paris, comme en Afrique, permetiez-moi de vous sou
mettre les impressions que m’a causées, dans votre numéro du 21 courant, la narration d’un voyage d’Alger à Blidah.
Avec quel plaisir, en compagnie de votre touriste, j’ai revu Bouffarick sortant maintenant si frais et si salubre de ses ma
rais autrefois si fangeux; Bessi-Mered et sa colonne, qui NOus rappelle de si glorieux souvenirs: Blidah, son bois sacré, ses délicieuses orangeries; cette magnifique gorge de l’Atlas avec son joli ruisseau et sa curieuse tribu ae Sidi-Kebbir, qui semble jouer à cache-cache à travers ses sentiers mystérieux et fourrés, et cette jolie forêt de lauriers-roses qui me rap
pelle encore un jour cette nichée d’enfants endormis sous leurs gourbis, mais bien dans de vrais nids tressés avec les branches de ce charmant arbuste, feuilles et fleurs tout à la fois.
Aussi, à ces souvenirs, me suis-je pris à regretter, pour votre voyageur, qu’il n’ait pas poussé son excursion jus
qu’aux sources mêmes de l’Oued-el-Kébir, en compagnie de quelque marabout du lieu ; car il lui eût entendu, sans
doute, raconter, dans son langage pittoresque, comme quoi, il y a longtemps, bien longtemps, le grand marabout Sidi— Kébir marabout grandi ! ! ! (il faut entendre en effet avec quel orgueil et quelle inflexion de voix les Arabes proNOn
cent ce mot grandi ! ! ! qui semble les hausser d’une coudée) ; comme quoi donc ce fameux marabout Sidi-Kébir, voulant donner de l’eau à sa tribu qui n’en avait pas, frappa trois fois le rocher de son bâton, et en fit jaillir ces sources ma
gnifiques qui, depuis lors, arrosent toute la vallée et les jardins de Biidah.
NOn, je n’oublierai de ma vie cette tradition toute biblique, recueillie dans ce lieu sauvage, et le lendemain même de la soumission de ces farouches Béni-Sala, qui, la veille encore, échangeaient des coups de fusils avec NOs zouaves du fort Mimich. L’Arabe, comme vous voyez, ne manque pas de poésie et se laisse facilement inspirer par les beaujés de la
nature. Aussi Tétait-il celui qui, chantant Biidah, l’appelait Blidah la rose, Blidah la coquette.
Mais pourquoi faut-il, monsieur le rédacteur, que le voyageur, en NOus peignant si bien le site de cette jolie ville, et ses belles eaux, et ses frais ombrages, qui en feront un jour le Versailles d’Alger, n’ait trouvé que critiques pour les écarts de ses pauvres habitants entait de constructions? Hé
las! quen’a-t-ii vu Blidah en 1840, alors ville de boue et de
fumier, telle en un mot que l’avait laissée le tremblement de terre de 1825; alors que, il m’en souvient, j’ai vu payer cinq francs un demi-pain de munition, et que NOus n’avions que la terre pour reposer NOtre tête, et encore sous quels abris !
Avec quelles chaudes couleurs, au contraire, on comparant le passé au présent, il eût peint celte métamorphose vrai
ment magique d’un pareil cloaque en une ville dont tant de localités seraient fières en France ! Que n’a-t-il été témoin des efforts de courage et de persévérance, qu’il a fallu à ses premiers habitants pour lutter contre la maladie, le fer des Arabes, et les difficultés des lieux! comme il eût alors ad
miré cette conquête si subite de l’industrie sur le chaos, et trouvé l’éloge au lieu du blâme pour ces dignes enfants de la mère-patrie !
Etait-ce d’ailleurs sans motif et sans raison qu’ils s’étaient abandonnés à cet élan, suivant lui, si peu réfléchi? N étaientce pas ces capitalistes deFrance et de l’étranger (eux que Ton dit pourtant si intelligents), qui, séduits par cette magnifi
que position, les y avaient encouragés de leurs deniars, en leur faisant voir Blidah comme la clef, le boulevard et l’en
trepôt futurs delà plaine et de la montagne? Et ces villages commencés et projetés n’allaient-ils pas peupler et féconder le pays?
Est-ce leur faute si Ton s’est arrêté dans cette voie? N’ontils pas d’ailleurs été entraînés par l’administration ellemême, à la vue de ses travaux immenses de constructions qui justifiaient suffisamment ses intentions hautement mani
festées de faire de Blidah un vaste établissement militaire de premier ordre? Tout cela n’est pas réalisé; est-ce encore leur faute? Pourquoi donc si peu ménager ces pauvres habitants qui appellent plutôt sur eux l’encouragement et l’in
térêt de la Fiance entière? Qu’elle veuille en effet une bonne fois poursuivre vigoureusement son œuvre commencée, au lieu de s’arrêter comme elle le fait, et les événements justifieront bientôt l’importance attachée à la position de Biidah.
Et ce chemin de fer tant désiré par les habitants de cette ville comme par ceux d’Alger, pourquoi donc le condamner ainsi d’un trait de plume? S’est-on rendu compte de sa dé
pense, comme des produits qu’il peut donner? A-t-on calculé le va-et-vient des voyageurs, des marchandises et des transports de l’armée, dont une récente ordonnance sur le trans
fert des divisions militaires du littoral dans l’intérieur doit encore augmenter l’importance? Sans doute si Ton en compare les frais avec ceux des chemins de fer de France, Ter
reur peut être excusable. Qu’on raye donc ici dans sa pensée toutes ces gares splendides, dont NOus n’avons que faire, ce luxe d’état-major, ces terrains dont l’acquisition est si rui
neuse, et tous ces travaux d’art qui font de la plupart des chemins de fer autant d’entreprises de géants, et qui peuvent effrayer pour eux, mais NOn pour le nôtre. Qu’on descende maintenant avec moi dans la plaine de la Mitidjah, et qu’on y cherche où sont ces travaux d’art à faire, ces terrains si chers à acheter, si ce n’est qu’une plaine sans obstacle, et la plus admirablement disposée pour une entreprise de cette nature.
Oui, si Ton veut réfléchir aux capitaux que son exécution jetterait dans le pays, et à leur influence sur le développement de la colonisation et de l’industrie, il est impossible qu’une œuvre si pleine d’avenir ne paraisse pas mériter les sympa
thies de tous les amis de l’Algérie comme le concours de l’Etat, qui doit vouloir pju’elle devienne promptement forte et prospère.
Montrons-NOus donc, pour cette colonie qui NOus touche, les dignes émules de NOs rivaux, qui savent si bien employer leurs trésors et le sang de leurs enfants pour des possessions situées aux extrémités du globe. Et, fiers de NOtre belle con
quête, voyons enfin la France à cheval sur la Méditerranée, un pied sur l’Europe, un pied sur l’Afrique, embrassant ainsi tous les événements d’un coup d’œil, et conveNOns qu’au
cun sacrifice ne doit lui coûter pour répondre dignement aux desseins de ia Providence, qui semble l’avoir appelée dans celte admirable position, à présider aux destinées du monde.
Peut-être ai-je dépassé mon but, monsieur le rédacteur; mais, veuillez me pardonner en faveur du sujet et du motif qui m’a guidé, celui de combattre une erreur d’autant plus grave, selon moi, qu’elle s’adressait, par vos lecteurs, à l’é
lite de la société. Que votre voyageur aussi me pardonne mon désaccord avec lui; car je n’accuse pas plus ici sa sincérité qu’il ne doutera de la mienne. Et maintenant, qu’il m’en croie, abandonNOns la question au temps NOtre grand maître et aux circonstances, qqi ont-déjà tant fait pour l’Algérie.
J’ai Thonnej
La Casdami.
I.
Je ne voudrais pas commencer mon récit par dire du mal d’un des personnages qui vont y jouer les principaux rôles.
Or, je crains de lui ravir d’avance la sympathie de plus d’un cœur sensible, si j’avoue, tout d’abord, qu’André Lam
bert était gabelou, c’est-à-dire douanier. Gabelou, dix-sept degrés plus bas qu un chien, disent les belles filles bretonnes. Mais enfin il y a gabelou et gabelou, comme il y a sabots et sabots], et celui-ci pouvait revendiquer des droits particuliers aux égards de mes lecteurs.
D’abord, c’était un joli garçon. Je ne garantirais pasqu’une petite comtesse romanesque l’eût trouvé tel, car il avait le teint fleuri, l’oreille pourpre, des épaules d’Hercule et des mollets de vieux danseur. Mais sa physioNOmie était heu
reuse; de beaux cheveuxbruns, trop abondants pour être touj ours en bon ordre, s’ébouriffaient sur son large front et des
cendaient fort bas sur son cou fièrement modelé. Avec cela, des dents de jeune loup, — c’est-à-dire parfaitement blanches, — et de petites moustaches dont les crocs effilés ajou
taient je ne sais quoi de railleur à une expression de figure naturellement honnête et douce. Voilà de quoi recommander le douanier en question à quelques personnes]d’un naturalisme savant, et qui jugent volontiers du dedans parle dehors.
Au demeurant, André Lambert était une espèce de bel esprit. Tout comme un autre, étudiant en droit, il avait jeté son petit article dans la boîte de maint journal, et présenté son petit vaudeville à tous les théâtres du boulevard. 11 ne lui manquait donc, pour se dire littérateur, que d’avoir été accepté ou représenté. Peu de chose, en vérité, quand on
pense à tout ce qui se lit et se joue. André Lambert eût peutêtre persisté dans cette voie funeste, et ferait maintenant partie de la Société des gens de lettres, sans un sien oncle, négociant marseillais, dont il espérait l’héritage, et qui n’entendait pas raillerie sur le choix d’un état. 11 le voulait so
lide, régulier, hoNOrable toujours, et toujours de mieux en mieux rétribué. Voilà pourquoi son neveu ne lut pas journaliste.
Et voilà pourquoi, recommandé chaudement à un député conservateur qui avait le bon es prit de voter quelquefois avec l’opposition, ce même neveu obtint un modesteernploi dans les douanes. On crut faire plaisir à son oncle en l’acheminant vers les Pyrénées orientales, et il était sur la route de Céret,
dans une vallée dont la Têt forme le thalweg, — pour NOus servir d’une expression que les historiens modernes ont pris
à cœur de populariser,—lorsqu’une rencontre passablement bizarre vint égayer son voyage.
C’était le soir, et la diligence,—qu’on eût appelée coucou dans un pays plus civilisé, — grimpait péniblement une montée assez rude. Selon l’usage, le conducteur avait offert aux voyageurs l’occasion d’alléger son pesant équipage en leur vantant la beauté du pays, et l’agrément d une promenade en plein air. André Lambert descendit volontiers, et d un pas leste, fumant un cigare de contrebande, il atteignit le haut de la côte. Puis, jetant un regard en arrière, et voyant la voiture qui se traînait encore au premier détour de la si
nueuse montée, avec les allures d’un escargot fatigué, il prit son parti de gagner pays devant elle , dût-elle ne jamais le rattraper.
Un taillis épais bordait à droite et à gauche la route inégale, et l’œil parisien de NOtre jeune homme y chercha d’abord des chapeaux de feutre gris, des yeux flamboyants, des moustaches NOires, des escopettes braquées : tous les
access tires du mélodrame Pixérécourt. Mais peu à peu il se familiarisa singulièrement avec ce réceptacle de bandits fantast ques, et en vint, après s’être en lèrement moqué de ses terreurs jusqu’à s’aventurer dans les petits sentiers pratiqués, par les piétons amoureux d’ombre, parallèlement à la route royale. Le vent de la nuit venait juste
ment de se lever, et soulevait la poudre du chemin; mais dans ce fourré ténébreux où T amandier, le myrthe, le mû
rier, croissaient pêle-mêle, la brise balsamique n’apportait qu’un parfum pénétrant et frais, l’odeur du thym, de la la
vande, des blés verts, des citronniers en fleur, des buissons d’aubépine. Ranimé par le grand air, les douces émanations de la terre, et la pensée qu’il allait arriver, le lendemain ma
tin, au terme de son ennuyeux voyage, André se mit à siflotter, en marchant, un quadrille qui lui rappelait les bals charmants du Ranelagh et de l’allée des Veuves.
Il en était là de ses impressions de route, et marchait, la canne basse, dans une sécurité parfaite, lorsque, arrivé à un endroit où le sentier tournait brusquement, il se trouva face à face avec un être vivant, de haute taille, qui lui posa brusquement la main sur l’épaule, et lui demanda d une voix grave :
«Où donc allez-vous, Jaracanalli (1)? »
Le premier mouvement du jeune voyageurfutdigne d’Hippolyte, fils de Thésée. Il n’arrêta pas ses coursiers, et pour cause, mais il recula vivement, d’un pas, et, faisant lestement circuler sa canne autour de sa tête, il se mit en position, le pied gauche en arrière, le bras levé, dans une attitude que Michel Pisseux lui-même aurait déclarée irréprochable.
Son ennemi, ou plulôt son interlocuteur, — dont l’obscurité ne lui avait pas encore permis de discerner les traits, — ne parut pas s’alarmer beaucoup de ces dispositions hosti
les; et avant que Lambert n’eût eu le temps de rédiger une réponse convenable à l’indiscrète question qui venait de lui être adressée :
« Caramba! quel brave soldat! » reprit la même voix, et ces mots furent suivis d’un éclat de rire étouffé qui attestait les dispositions les plus pacifiques.
Un peu honteux d’avoir trop tôt fait montre de son courage, le beau douanier, sans désarmer tout à fait, prit une allure moins belliqueuse, et tâcha de savoir à quelle espèce
(1) Cela signifie douanier dans l’argot des bohémiens.
L. FLECHER.