Chala Malbum chinguerar (1),
Birandon, birandon, birandera Cbala Malbum chinguerar
NO sé bus trutera (1er).
— NO sé bus trutera, répéta Lambert en fredonnant. Croistu donc que je ne reviendrai pas, et dès demain, à Céret?
— NOsébus trutera... Quiensabe, mihijo?... Mais, donnemoi ta main, et mets-y d’avance un duro, peut-être le Bengue me dira-t-il ce que tu dois espérer ou craindre. »
Le Bengue, NOn, pensa Lambert, mais toi peut-être, et sans t’en douter. Puis il tendit sa main à la Casiami. Elle la prit sans façon, et se mit à marmotter entre ses dentsquelques infernales patenôtres, préliminaires indispensables de la bahi, ou bonne aventure.
« Cette ligne, jaracanalli, dit-elle ensuite, avec un sourire qui démasqua brusquement ses dents d’une blancheur éclatante, cette ligne ne te promet rien de bon... Tu cours de grands risques, et par ta taute.
— Peut-être ; mais cela n’était pas difficile à deviner.
— Tais-toi : n’interromps pas la bahi. Le Bengue, qui est là, derrière mon épaule gauche, me fait signe qu il va te je
ter le mauvais œil, si tu me coupes la parole encore une fois...
Tu es en péril par ta faute, et c’est une femme qui t’y a mis... Cette femme est une Calée, une bohémienne comme moi... »
A présent, se dit Lambert, il me semble que je la NOmmerais sans peine.
« Et cette femme, continua la bohémienne, cette femme t’a promis des malheurs, la première fois que tu l’as vue...
Allons, payllo, continua-t-elle, dédaignant de jouer plus longtemps une comédie dont elle voyait bien qu’il ne serait point dupe, remets ta main dans ta poche, et conviens que tu es à ma merci. »
Lambert ne put s’empêcher de frissonner lorsqu’il s’entendit apostropher ainsi, d’une voix grave et avec un geste de mépris, par la bohémienne, qui s’était dressée tout à coup sur ses pieds, et le regardait face à face. Mais, après cet imperceptible symptôme de faiblesse, il reprit toute son énergie.
«A tamerci, moi!... c’est ce que NOus verrons. En attendant, muchacha, n’essaye pas de me faire peur ; lu per
drais ton temps et ta peine. Voici du rhum : en veux-tu boire? »
La Casdami n’avait pas cessé de le fixer avec la même expression impérieuse et dure. Tout à coup ses traits se relâ
chèrent; elle éclata de rire, et, frappant sur l’épaule de Lambert :
« Un brave, un brave! s’écria-t-elle... Tout va bien... passe-moi ta gourde. »
La transition était brusque, et le contraste allait devenir plus complet. Quelques minutes après, le rhum produisant son effet, exaltée par son voyage au grand soleil, par cette liqueur dont elle n’avait pas calculé la puissance, et peut
être aussi par l’approche de quelque événement longtemps attendu, longtemps préparé, la Casdami éprouva comme un accès de fièvre nerveuse.
La nuit, sur ces entrefaites, était venue. Une chandelle de résine, collée au fond de l’àtre et jetant autour d’elle une fumée pénétrante, éclairait mal les coins et recoins de ce vaste chenil. La Casdami l’arpentait dans tous les sens, mur
murant des paroles incohérentes, tantôt en catalan, tantôt en chipe calli, — l idiome des gitaNOs, — quelquefois en fran
çais. Des lambeaux de chansons bohèmes erraient sur ses lèvres pâles. Lambert l’observait avec curiosité, persuadé qu’il saisirait, à travers ce flot désordonné de paroles et de pensées, quelque indice des intentions bonnes ou mauvaises que la bohémienne pouvait avoir eues, soit en déNOnçant un de ses frères, soit en l’attirant, lui, Lambert, dans une es
pèce de guet-apens. Les gens de l’auberge, étonnés d’abord,
avaient fini par s’endormir, l’un après l autre, sur leur tas de fougère et leurs peaux de loup. Quelquefois, dans son moNOlogue insensé, la Casdami s’adressait à elle-même, quelque
fois à Lambert, toujours assis, immobile et, par contenance, les yeux fixés sur les cendres où deux tisons fumeux achevaient de s’éteindre.
« Ah, ha! miNOn (2), tu ne connais pas encore les Flamandes de Rome (les bohémiennes)... Habillées de laine, mais NOn pas brebis...Unan, deux ans, trois ans... trois petites années de patience... mais aussi : Manana sara otro dia... tu es bravé, payllo... tu es brave et tu as un bras de fer... Un vrai jaque de Séville... Gare à toi, l’autre... manana, manana!... Et du couteau, sais-tu en jouer, blondin de malheur? »
A ces mots, elle arracha d’un gros pain NOir, où elle était fichée, une navaja large et pointue. Lambert tourna la tête, et, sans faire semblant de rien, ne perdit pas de vue, à partir de cet instant, les mouvements suspects de son étrange alliée.
« On la prend ainsi, les deux doigts à la naissance de la lame... le bras en arrière... une, deux... gageons qu’elle traverse... trois !... »
Le couteau, lancé comme une flèche, tremblait déjà dans le chêne épais de la porte.
« Fais cela, lilipendi ; lais cela, si tu peux... il le fait bien, lui... Ecoute, Pepindorio, reprit-elle, s’adressant à un per
sonnage absent qu elle semblait voir dans les ténèbres, ce n’est pas ma faute... Suis-je une arani, moi? suis-je une palliai... (une dame riche et NOble). Ah ! laCasdami, vaillante fille!... Elle avait un rom... un vrai rom, brave et rusé... une autre en a fait son minchorro (son amant)... Bah ! la pe
tite ! on vous en donnera, des Calorès... la NOce à bientôt... Achetez les confitures, chargez les pistolets ; faites venir les musiciens!... Un rom, deux roms, trois roms; combien en veux-tu, ma fille?... mais le vieux d’abord... C’est arrangé, esto ha de ser. »
(1) Le lecteur voudra bien reconnaître ici la version bohémienne de : Maibroult s en va—t-enguerre.
(2) C’est le NOm que portent, en Navarre, les soldats d’un corps franc, employés comme gardes-côtes.
La Casdami s’arrêta tou t à coup, comme effrayée elle-même de ces éclats sinistres.
« Min chaboro, dit-elle à Lambert, le doigt posé sur son front, la bohémienne est folle... mais ne crains rien... NOus chassons ensemble... Voilà qui est NOuveau, n’est-ce pas? »
Puis, avec un-sourire ambigu :
«Ce n’est pas l’embarras, cela finira mal... laisse-moi te dire la Wu... Voyous... lève les yeux... oui, c’est cela... toi, aujourd’hui ; lui, demain ; et ma foi, mon petit, le Bengue pour tous... Je crois pourtant que je te tuerai... »
Elle s’arrêta, passa la main sur son front couvert de sueur, et se mit à chanter sur un ton très-bas ;
Toda la erachi pirando EmposuNO, emposuNO;
Cou las acaïs pincherando Para dicar e( busNO,
Que le dinde con el chulo.
Toute la nuit, sans rien dire, j’ai tourné, tourné, tourné, guettant avec mes yeux pour voir ce chien de chrétien, et l’é- ventrer avec mon couteau.
Lambert lui demanda la traduction de ce couplet, qu elle lui donna d’un air distrait. Ses divagations recommencèrent ensuile, mais plulôt tristes et plaintives. Elle s’était assise, ou pour mieux dire accroupie dans un angle obscur, où, la tête entre ses geNOux, elle parlait et chantait d’une voix étouffée :
Me ebnlo de mi quer.
Enl’aticha m’ust a laron. Ampenado de losBusnès Este Calo ha sinado.
Je suis sorti de chez moi. Ils m’ont mis dans un cachot. Voilà le chef bohème arrêté par des chrétiens.
Ah! continua-t-elle eu soupirant... Pepindorio, Pepindorio ! que t’ai-je fait?... dis-le moi ! —
Si pasaras por la cangri
Trin bergis despuesde mi mular, Si araqueras por min nas Respondiera mi cocal.
Si tu passais près de ma tombe trois années après ma mort, et si lu proNOnçais mon NOm, mon squelette répondrait.
Si tu te romendinaras Y io lo supiera
Io vesteria todo min trupos, De bayeta negra.
Si tu te remariais,— et que je vinsse à l’apprendre, — je couvrirais mes os, — d’un linceul NOir.
Peu à peu la voix de la bohémienne avait faibli. Elle murmurait à peine quelques mots séparés par de longs inter
valles. Bref, elle s’endormait ou allait s’endormir, quand on entendit, à que que distance, une espèce d’aboiement, suivi d un coup de sifflet.
Elle se redressa vivement alors. «Ils viennent ! » dit-elle à Lambert.
Lambert ne fit qu’un bond de sa place à la tub’e sur laquelle ses armes étaient posées, et de là s’élança vers la porte. Le rire strident et moqueur de la Casdami le cloua sur place.
« Chachèpe ! c’est cela!... tue-les, vaillante épée!
— Ohé! Lambert, êtes-vous par ici?» cria une voix d’homme en très-bon français.
Lambert ouvrit la porte, et vit, au clair de lune, le fusil sur l’épauie, et traînant un peu la jambe, un de ses collè
gues, que le petit bohémien était allé chercher au fond des gorges où ce brave homme eût risqué de s’égarer, sans cette charitable précaution.
Avons-NOus besoin de direqueparei! secours, en pareille occurrence, ne pouvait être mal venu? D’ailleurs, le bon vouloir de la bohémienne endiablée, très-douteux jusqu’a­
lors, semblait à peu près garanti par l’assistance indirecte qu’elle venait de prêler à Lambert, et dont il lui eût été fort
reconnaissant, s’il n’avait entrevu que c’était là, de manière . ou d’autre, un service int ressé.
NOus regrettons tort, pour ceux de NOs lecteurs qui aiment les scènes tragiques, les. péripéties d’un combat acharné, de n’avoir rien que de très-vulgaire à leur conter sur la ren
contre des deux douaniers et du contrebandier Antonio. Le fait est que i action ne dura pas trois minutes, et ne coûta pas une goutte de sang.
Le bohémien arrivait, sur les trois heures du matin, à l issue de la sierra, lorsqu’à travers la brume il distingua la silhouette d’un habit vert, ce qui ne laissa pas de l’é­
tonner. Il voulut aussitôt battre en retraite; mais la route, — une rampe taillée dans le roc vif,— n’était pas très-large, et il vit que la retraite lui était coupée par un second doua
nier, la carabine en avant. De la sorte, ils pouvaient être vingt : et d’ailleurs, contre deux gaillards bien armés et ré
solus, la partie, déjà, n’élait point égale. Antonio prit à l’in
stant même son parti. Son couteau, qu’il avait tiré de sa ceinture à la première alarme, lui servit à couper lestement les deux courroies qui retenaient sur son dos une balle bien garnie. Elle tomba par terre, et d’un coup de talon il l’envoya dans un précipice, où peu de gens se seraient volon
tiers hasardés à l aller quérir. Huit à dix mille francs de belles dentelles périrent ainsi, qui eussent figuré à merveille dans le trousseau d’une jeune mariée.
Après ce bel exploit, maître Antonio, débarrassé de tout objet prohibé, aurait pu narguer les deux douaniers, etpass r librement, à leur barbe, sur le grand chemin du roi; mais, par malheur, il avait roulé autour de son corps quelques vo
lants, quelques mantilles supplémentaires, et il fallut bien se résigner à subir les conséquences du flagrant délit.
Jusque-là rien de bien terrible. Paraître en police correctionnelieets’entendre condamnerà quelques cents francs d’a­ mende, n’aggravait pas de beaucoup le malheur, beaucoup plus redouté, d’avoir perdu à ses commeltants la plus belle cargaison qu’ils lui eussent confiée depuis longtemps.
Quand i! fut plus ou moins réconcilié avec cette désespérante idée, Antonio prit aisément son parti, du reste, et sa philosophie pratique brillait encore du plus vif éclat, lorsque les Habi s-Verts et leur prise arrivèrent à la posada.
Là ce beau sang-froid fut mis à une rude épreuve. LaCasdami était tranquillement installée sur un banc, près de la table, accoudée, et lemenlonsur la main. Ala vue d’Antonio une légère rougeur vint colorerson front, et ses yeux lancèrent un éclair. Mais elle ne proNOnça pas une seule parole.
Antonio ne fut pas si réservé. Une volée d’atroces injures, toutes en rommany de bon aloi, sortit de ses lèvres écumantes. Il les aurait adressées à un bloc de pierre, à une stalue de sel, à un cadavre, qu’elles auraient absolument produit,
en apparence du moins, la même impression. La Casdami les écoula paisiblement, coupa un gros morceau de pain, mit sur une assiette une tranche de jambon, et vint humblement présenter le tout au prisonnier. Celui-ci, comme elle appro
chait de lui, fit mine de i’éventrer d’un coup de pied : ce à quoi Lambert dut mettre bon ordre, et pourtant, au fond, il trouvait le procédé justifiable, encore qu’un peu vif.
Car il lui était démontré qu’Antonio le contrebandier, et Pepindorio (1) le mari peu fidèle, étaient un seul et même personnage indignement vendu à la justice par une épouse irritée.
La halte ne fut pas longue. Et la Casdami voulait repartir avec les trois voyageurs. Mais, outre le scandale, son escorte pouvait avoir de graves inconvénients, et Lambert lui signi
fia qu’il ne lui permettrait pas de les accompagner. Antonio
l’en remercia du regard. La Casdami surprit ce témoignage de reconnaissance, qui la blessa vivement, et comme pour en punir son rom, elle lui adressa deux ou trois phrases, où les deux douaniers ne comprirent absolument rien. En revanche elles produisirent sur Pepindorio l’effet d’une décharge éleclrique. Ses dents se serrèrent, il se frappa con
vulsivement le front, et se leva, si clairement décidé à tuer sa femme, qu’il fallut, pour la sauver de sa fureur, le garrotter bel et bien.
Elle avait eu peur un moment; mais, le danger passé, son infernale gaieté reprit le dessus. Quand ils partirent, elle chantait.
La suite au prochain numéro. O. N. Une route en Norvège.
EXCURSION AU VORING’S FOSS.
d’après LES DESSINS DE M. ADALEERT DE BEAUMONT,
Après un séjour d’une semaine dans la jolie ville de Bergen, où chaque soir NOus avions eu le beau spectacle des aurores et des couronnes boréales, NOus (2) résolûmes de partir pour Christiania, en NOus enfonçant à travers les golfes et les montagnes ; seule manière de voir et de compren
dre la chaîne si curieuse et si peu fréquentée des Alpes Scandinaves.
NOtre itinéraire était tracé sur la carte par le golfe de Hardanger, un des plus profonds et des plus vastes de la NOrvège, et qu’on peut y voir dessiné comme une racine d’ar
bre qui s’enfonce jusqu’à quarante lieues dans le cœur de ces hautes montagnes. Pour y arriver, il faut, à cheval, trois ou quatre heures environ. C’était jour de marché à Bergen, de sorte que la route fut égayée par un grand NOmbre de paysans, chargés de poissons et de gibier, se dirigeant vers la ville. La culotte et la veste de vadmel blanche des hom
mes, avec les bas écarlates; les bonnets à cornes en toile empesée des femmes ; les tailles courtes et les jupons plissés, bordés de galons d’or ; puis la différence des formes et des couleurs, suivant les vallées d’où ils sortent, donnent aux costumes NOrvégiens une variété qu’on ne trouve plus guère ailleurs en Europe.
Après avoir traversé une épaisse forêt, on entre dans une prairie qui s’étend jusqu’au bord de la mer. Là, vers la gauche, s’élèvent des tumulus antiques; les fouilles ont fait décou
vrir, dans un des cercueils de pierre que l’on y voit encore, des objets assez précieux ayant appartenu aux héros Scandinaves, et qui sont maintenant au Musée de Bergen.
A quelques pas de ces ruines, est groupé le joli village de Lyse, à l’entrée des golfes de Somnager et Bjorne, qu’on traverse pour arriver dans le Hardanger fjord. Après un frugal repas dans la cabane de pêcheur qui domine la mer et y descend par un escalier, NOus montâmes dar. une lé
gère embarcation. Derrière NOus, le Lyse-Gaard fuyait avec ses murailles rouges, avec son petit port où se balançaient sur l’eau quelques barques à voiles brunes. Devant NOus, les rivages abruptes du fjord, dont l’aspect est gigantesque, s’élargissaient de plus en plus, et laissaient voir de temps à autre la pleine mer entre les interstices des rochers. Du fond de l’eau se dressaient, comme les ruines d’un temple anti
que, des îlots couronnés d’arbres ; gigantesques colonnes de gneiss, dont la tête plus large que la base disait le long travail des flots et anNOnçait une chute prochaine.
Les aigles pêcheurs et les faucons blancs de NOrvège planaient incessamment sur ces cimes aiguës.
Après quatre heures de navigation favorable, NOus entrâmes dans l’étroit défilé de Hase, ou Dlye, formé par le con
tinent et l’île de Fysnœs. Ce canal, creusé entre deux murailles perpendiculaires, et couronné d’arbres de toute es
pèce, conduit au grand fjord de Hardanger. Une cabane de pêcheurs, pittoresquement posée sur un roc qui dominait le golte de pms de 100 pieds, NOus offrit son abri pour la nuit, qui allait bientôt couvrir ces écueils et les rendre dangereux. Déjà le soleil avait disparu, et on voyait de minute en mi
nute sa pourpre brû’ante s’éteindre dans les flots. On est ici, dans cette NOrvège sauvage et inconnue, tout à fait en
(t) Pepindorio et Antonio sontvéri tableraient le mêmeNOm,en langue chrétienne et en chipe calli.
(2) L’auteur de cet article faisait un voyage en Scandinavie avec deux compatriotes, le baron de Châteaubourg et le baron Sibuet.