parler aujourd’hui d’un autre phéNOmène qui ne me paraît pas moins digne de fixer l’attention de la savante compagnie. Il s’agit d’un enfant remarquable par des facultés musicales aussi extraordinaires que prématurées.
« Jeàn-Chrÿspstôme-Wolfgang-Théophile Mozart est né à Saltzbourg, en Bavière, le 17 janvier 1756 (1). Voici d’abord quelques renseignements que j’ai obtenus sur ses premières
années, d’un compositeur fort distingué qui l’a vu souvent à Vienne, lorsqu’il avait à peine quatre ans.
« A cet âge, NOn-seulement le petit Mozart exécutait des pièces assez difficiles sur le clavecin (harpsicord), son instru
ment favori, mais il composait déjà des petits morceaux d’un style aisé et remplis de goût.
« L’impératrice douairière actuelle, qui avait entendu parler de son talent précoce, prenait souvent plaisir à le tenir sur ses geNOux pendant qu’il jouait du clavecin. L intérêt que prenait à lui cette auguste princesse, NOn moins que la conscience de son habileté, devinrent pour le jeune musicien un puissant motif d’émulation.
« L’année dernière, au moment de jouer, dans une cour d’Allemagne, devant l’électeur, celui-ci, pour l’encourager, lui dit de ne pas être intimidé de sa présence; le petit Mo
zart s’assit tranquillement au clavecin, et répondit qu’il avait joué plus d’une fois en présence de l’impératrice.
« À l’âge de sept ans, son père l’amena à Paris, où il se distingua tellement, que l’on grava son portrait. Son père et sa sœur figuraient dans la même estampe, et sous le portrait du petit Mozart on avait mis ces mots : compositeur et maître de musique, âgé de sept ans. Près du NOm du graveur était la date de 1764. Mozart était par conséquent alors dans sa huitième année.
« En quittant Paris, il vint à Londres, où il resta plus d’un an. C’est alors que je fus témoin plusieurs fois de son habi
leté extraordinaire, NOn-seulement pour l’avoir entendu dans des concerts publics, mais aussi pour l’avoir vu souvent chez son père. Voici ce que je puis dire à ce sujet :
« Je lui apportai un jour un duo manuscrit, composé par un Anglais, sur des morceaux tirés de l’opéra de Démophoon,
de Métastase. La partition était à cinq parties, savoir : deux voix, premier, second violon et basse. Les voix étaient écrites à la clef que les Italiens NOmment clef de contr’alto.
Je voulais m’assurer de sa facilité d’exécution à première vue.
« Le morceau à peine placé sur le pupitre, il en joua l’introduction d une manière supérieure, et dans un style par
faitement en rapport avec celui de l’ouvrage : particularité qui n’est pas ordinaire, même de la part des grands maîtres.
Il se chargea ensuite de la première partie de chant et laissa l’autre à son père. Sa voix était claire et enfantine, mais rien n’égale son excellente méthode. Le père se trompa deux ou trois fois dans le cours du morceau, bien que sa partie ne fût pas plus difficile que la première. Le fils se retournait alors vivement, lui montrait son erreur et le remettait sur la voie. Pour lui, NOn-seulement il exécuta sa partie avec une remarquable précision et dans le meilleur goût, mais il fit valoir avec beaucoup d’intelligence les accompagnements.
Les musiciens les plus exercés eussent été seuls capables d’accompagner ainsi.
«Comme tout le monde ne connaît pas les difficultés que présente l’exécution d’un pareil morceau, je vais tâcher de les faire comprendre par une comparaison. Imaginez un en
fant de huit ans, capable de lire à la fois, du même coup d œil, cinq lignes d’une écriture dont quatre seraient formées avec des caractères de divers alphabets. Supposez que ces lignes
ne soient pas disposées régulièrement, mais d’une manière brisée, sans suite, sans rapports, apparents. Supposez en ou
tre une tirade de Shakspeare tout à fait inconnue du petit lecteur, et qu’il débiterait avec l’énergie et le pathétique d’un (Jafrick. Ajoutez que sous cette liiade se trouvent trois commentaires différents : l’un en grec, le second en hébreu, le troisième en caractères étrusques, enfin que, pour chaque mot, fiait à choisir et exprimer le meilleur commentaire, quelquefois deux et même tous les trois ensemble.
« Voilà précisément ce dont le petit Mozart se mon trait capable, en chantant à première vue sa partie dans un tel duo, et en y joignant les paroles ainsique les accompagnements. Quand il eut fini, il parut enchanté du morceau, et me de
manda avec empressement si j’en avais apporté d’autres semblables.
«Cependant j’avais appris qu’il se livrait souvent à ses propres inspirations, et que parfois, au milieu de la nuit, il se levait .pour se mettre à son clavecin. Je dis à son père que je serais bien heureux de l’entendre improviser. Il me répondit, en secouant la tête, que cela dépendait de la disposition del’enfant, mais que je pouvais lui demander s’il se sen
tait en verve. Je savais que le petit Mozart avait connu le célèbre chanteur Manzoli qui vint en Angleterre en 1764, et je lui dis que je désirerais beaucoup lui entendre chanter un air tendre d’opéra, dans la manière de Manzoli.
«L’enfant, qui était encore assis au clavecin, après m’avoir
(1) « Je joins ici un extrait des registres de Saltzbourg que je dois à l’obligeance de S. E. le comte Haslang, envoyé extraordi
naire et ministre plénipotentiaire des électeurs de Bavière et de Palatinat :
« Je soussigné certifie qu’en l’année 1756, ie 17 janvier, à huit heures du soir, est né Jean-Chrysostôme-Wolfgang-Théo
phile, fils de M. Léopold Mozart, organiste de S. A. le prince de Saltzbourg, et de Marie-Anne, sa femme légitime, dont le NOm de famille était Pertlin, et qu’il fut baptisé le jour suivant, à dix heures du malin, dans l’église cathédrale du prince. Son par
rain fut G. Pergamyr, marchand en cette ville. En foi de quoi j’ai extrait le présent certificat du registre des baptêmes de cette paroisse, et après l’avoir revêtu du sceau ordinaire, je l’ai signé de ma propre main.
« Saltzbourg, 3 janvier 1769. »
« Léopold COMPRECHT, « chapelain de S. A.
regardé avec finesse, se mit à préluder, et commença une sorte de récitatif qui devait servir d’introduction à un cantabile
amoroso ; puis une ritournelle précéda la mélodie dont le thème parlé était le simple mot : Affetto.
« 11 y eut une première et une seconde parties qui, avec les accompagnements, prirent l’étendue d’un véritable morceau d’opéra. Si cette composition n’était pas tout à fait un chefd’œuvre, elle était du moins fort au-dessus de la médiocrité, et déNOtait vraiment une prodigieuse puissance d’imagination.
«Comme il paraissait assez bien disposé, je le priai d’improviser une scène de fureur. L’enfant se retourna encore, me regarda avec malice, et se mît à jouer quelques lignes
de récitatif propres à servir de prélude à un morceau de ce caractère. La scène prit à peu près la même étendue que la
première. Vers le milieu, il s’enflamma à un tel point qu’il frappait sur son clavecin avec une véritable passion, et qu’il était parfois soulevé de dessus sa chaise. Il avait choisi pour texte de cette seconde pièce le mot : I’erfido.
«Il me joua ensuite une étude assez difficile qu’il avait composée peu de jours auparavant (1). Son exécution était d’autant plus surprenante, que ses petits doigts pouvaient à peine atteindre l’intervalle d’une quinte sur le clavecin.
« Voilà les faits dont j’ai été témoin. J’ajout°rai que des musiciens dignes de foi m’ont assuré que -plusieurs tugues,
que le célèbre Bach avait laissées inachevées, ont été reprises par le jeune Mozart, qui les a terminées de la manière la plus heureuse et la plus habile.
« Il est impossible de penser que le père de Mozart en ait imposé sur l’âge de son fils, car NOn-seulement celui-ci a toutes les apparences d’un enfant, mais il en a aussi les ma
nières et les goûts. Ainsi, un jour qu’il était à jouer devant moi, fi aperçut son chat favori ; 11 quitta aussitôt son clavecin pour courir après l’animal, et NOus ne pûmes de long
temps le ramener à la musique. D’autres fois, fi courait autour delà chambre, à cheval sur un bâton. Du reste, aucun doute ne peut rester à cet égard après la lecture du certificat rapporté ci-dessus.
« J’ai appris que l’été dernier le jeune Mozart était à Sallzbourg, où fi venait de composer plusieurs oratorios, dont on parle avec admiration. On m’a dit aussi que le prince de Saltzbourg, ne pouvant croire que ces dernières compositions fussent l’ouvrage d’un enfant, l’avait fait enfermer pen
dant une semaine dans un appartement où il ne devait voir personne, et où on l’avait laissé seul avec du papier de mu
sique, un clavecin et les paroles d’un oratorio. Au bout de huit jours, ce travail était terminé, et fut jugé une œuvre tout à fait supérieure.
«A côté de ces témoignages d’un génie aussi prématuré, il est curieux de placer ceux qui se rapportent à des hommes également célèbres par la précocité de leur talent. On cite enire autres John Barratier, qui, à l’âge de quatre ans, savait le latin, l’hébreuàsix, et trois autres langues à l’âge de neuf ans. Le même prodige de philologie traduisit, à onze ans, les voya
ges de Benjamin Rabbi, avec NOtes et commentaires. Peu de temps avant sa mort, qui arriva vers sa vingtième année, Barratier étonna tous les savants de l’Allemagne par sa vaste érudition. Sans.pousser plus loin la comparaison, on peut remarquer que le jeune Mozart n’a encore que treize ans.
» Le révérend M. Mamvaring, dans ses mémoires sur Hændel, cite un exemple encore plus remarquable, en ce qu’il se rapporte également à la musique. Hæudel commença à jouer du clavicorde à l âge de six ans ; à neufans il composa plusieurs morceaux d’église, et fi n’avait pas plus de qua
torze ans quand il composa l’opéra d Almeira. De même que Mozart, lorsque pendant la nuit il était saisi de quelque idée musicale, 11 se levait immédiatement, et allait l’essayer sur une épinette placée dans sa chambre à coucher.
«J’aime à faire ce rapprochement parce qu’il fait espérer que Mozart vivra tout aiussi longtemps que Hændel, malgré cette opinion vulgaire que les intelligences précoces par
viennent rarement à un âge avancé. Jusqu’ici l’avantage est en faveur de Mozart, car fi a commencé dès l’âge de quatre ans. Ce qui m’a le plus étonné, ce sont les improvisations dont fi m’a rendu témoin... Mais je m’arrête, car je deviendrais insensiblement son panégyriste... Permettez-moi, etc. »
P. A. G.
Le congrès scientifique à Toues.
Le vent souffle aux congrès. Il y a en ce moment réunis : à Venise, cougrès de savants ; à Bade, congrès de médecins;
à Bruxelles, congrès d’écoNOmistes et de pénitenciers; à Nevers , congrès agricole ; enfin, le congrès scientifique pro
prement dit vient de terminer sa quinzième session à Tours.
NOus admirons le zèle et l heureuse destinée des hommes de loisir assez bien partagés de la science et de la fortune pour pouvoir délaisser périodiquement le foyer, la famille,
les travaux, les affaires, le tout à cet effet d’aller discuter au loin les causes, les développements et les lois du sxjmbolisme dans l art chrétien, ou rechercher si la méthode inductive dé
crite dans le NOvumOrganum de Bacon suffit pour le progrès des sciences naturelles.
Mais d’abord, et comme il importe de s’entendre sur la valeur des mots, qu’est-ce qu’un congrès? — Une joute de l’intelligence, un tourNOi de la science et de la pensée, NOus
(1) A celte date, Mozart avait déjà publié six sonates pour le clavecin, avec accompagnement de violon ou de flûte allemande (A Londres, chez Brenner, dans le Strand). Elles sont marquées : OEuvre troisième, et à la première jage on anNOnce qu’il lésa composées à l’âge de huit ans. Ces sonates, datées de Londres, te 8 janvier 176S, et dédiées à la reine, sont signées: par son
très-liumble et très-obéissant petit serviteur. Eiles sont écrites d’un style fort original et quelquefois de main de maître.
répond M. Champoiseau, l’un des secrétaires généraux de la session qui se termine, dans le discours proNOncé par lui à l’ouverture de ladite. — J’accepte la définition que j’eusse trouvée de moi-même, si l’hoNOrable M. Champoiseau n’avait pris l’initiative ; elle renferme tout à la fois l’éloge et la cri
tique de l œuvre. De même qu’un tourNOi chevaleresque était jadis l’image de la guerre, de même un congrès scien
tifique est l’image de la science. Les chevaliers cherchaient au tourNOi l’occasion de faire briller leur adresse, la vigueur de leur palefroi etla splendeur de leur armure. Les congres
sistes trouvent dans leurs réunions l’avantage de mettre en lumière leur faconde, les trésors un peu trop inédits de leur érudition locale, et maintes qualités qui ne dépassaient pas le seuil d’un arrondissement, do même qu’autrefois le bras des chevaliers se rouillait dans leurs châteaux-forts. Envisa
gés comme gymnastique, l’un et l’autre exercices sont loua
bles assurément ; mais le tort de la gymnastique est de ne profiter qu’à ceux qui la pratiquent. Quel NOtable progrès feront faire à la science ces conciles NOmades, importés d’Al
lemagne, de naturalistes, d’archéologues et de physiciens amateurs, véritables chevaliers errants de la pensée? Le même apparemment que les tourNOis firent faire jadis au métier des armes.
Il n’en peut guère être autrement. J’ai sous les yeux le programme de la quinzième session du congrès. J’y trouve trente questions capitales et ardues d’agriculture et de commerce; autant de sciences naturelles; idem de sciences mé
dicales; autant pour l’archéologie et l’histoire; autant pour la philosophie, la littérature et les beaux-arts; un pareil NOmbre enfin de problèmes touchant aux sciences physiques et mathématiques, c’est-à-dire de quoi défrayer pour un an les cinq classes de l’Institut; le tout devant être élaboré, discuté et approfondi en dix jours, sans préjudice des opé
rations de scrutin qui remplissent seules une séance, des NOmbreux discours proNOncés et des mémoires volumineux que chacun peut mêler, à titre de hors-d’œuvre, à ce formi
dable menu. Est-il un estomac scientifique qui puisse s’as
similer une telle pâture? J’en doute fort, et j’imagine, bien que je n’aie pas eu l’honneur d’assister aux séances du con
grès , qu’une succession dé speechs fort savants, mais peu déduits les uns des autres, est l’aliment, siNOn le résultat unique de ces conciles provinciaux.
Quoiqu’il en soit, ces réunions, introduites en France more germanico par le savant M. de Caumont, n’eusserit-elles que l’avantage d’alimenter chez NOus t’amour des choses de la science et le culte de la pensée sans aucun autre fruit prati
que et appiiquablé, ce qui est, je crois bien, le cas, elles mériteraient encore de fixer l’attention. Quinze années d’existence leur ont acquis, somme toute, une NOtoriété qui per
met et commande à un journal voué, comme le nôtre, à tous les mouvements d hommes, d’idées ou de choses, pourvu qu’ils soient contemporains, d’en entretenir ses lecteurs. NOus avions même l’intention de consacrer aux séances du quinzième congrès un article développé et analytique, avec vues reproduisant l’aspect des réunions elles fêtes célébrées à leur occasion. Mais l’envoi trop tardif des dessins et des NOtes qui devaient subvenir à cet examen NOus impose, sous
peine de tomber à NOtre tour dans l’archéologie, l’obUgation de passer plus vite qu’il n’était dans NOtre pensée surles travaux de la session, et de NOus borner, pour cette fois, à es
quisser à fort grands traits l’historique et la physioNOmie de cette docte réunion.
La quatorzième session du congrès avait eu lieu, l’année dernière, à Marseille. L’assemblée, avant de se séparer, dé
termina, selon l’usage, le lieu de sa prochaine cour plénière,
et fixa, pour la présente année, le lieu de ses réunions à Tours. Cette ville de plaisir, d’éiégance, de mœurs douces, oisives et contemplatives, toute remplie de souvenirs gothi
ques et cbeva!eresques, toute peuplée d’hommes de loisir, de collectionneurs, de savants faciles et d’amants platoniques des beaux-arts et des lettres, semble la terre classique de l’ar
chéologie, la patrie des sciences aimables; elle était tout à fait le lieu propres aux éances d’une assemblée comme le con
grès , et je m’étonne seulement qu’on ne l’eût pas encore choisie.
Etaient invités à prendre part à ces solennelles assises de î847 les savants de France et de l’étranger, c’est-à-dire, et pour définir ce terme un peu vague desavant, toutes les per
sonnes, disait le programme, s’intéressant au progrès des arts, des sciences et des lettres. Puis, dit autre part ie même programme (article 18) : «Seront membres du congrès toutes les personnes qui, ayant accepté l’invilation, auront versé entre les mains du trésorier la somme de 10 fr. pour acquit
ter tes frais de la tenue du congrès et l’impression du compte rendu. » Il faut reconnaître qu’il est difficile de se montrer plus accommodant sur les titres scientifiques, ni d’obtenir à moins de frais une position dans le monde des correspon
dants et des membres hoNOraires d’académie. Sept cents membres ou environ, pourvus de ce diplôme d’un NOu
veau genre, avaient répondu à l’appel dont la Tou
raine avait fourni naturellement la plus grande part. On comptait sur lin effectif de savants plus considérable, ainsi que sur l’apparition de MM. les ministres de l’instruction pu
blique, de l’agriculture et du commerce. Mais la coïncidence des conseils généraux avec la tenue du congrès a privé l’assemblée de l’arrière-ban dont elle espérait grossir ses séances.
Quoi qu’il en soit, les sept cents membres présents à la quinzième session (on peut se consoler à moins) ont ouvert le congrès le 1 septembre, en grande pompe, dans la salie des assises du palais de justice, en présence d’une assem
blée féminine fort élégante, disposée, NOus apprend NOtre correspondant, sur les bancs du jury et des accusés, « tout surpris de se voir l’asile recherché des grâces et de l’inNO
cence, » tandis que sur l’estrade étaient placés les membres du bureau présidé provisoirement par M. Champoiseau, l’un des secrétaires généraux du congrès, ayant près de lui M. l’archevêque de Tours, M. l’évêque de Nevers, M. Ro