HISTOIRE DE LA SEMAINEIl y a quelques six semaines, j’ai dû vous en­nuyer un peu, peut-être même beaucoup, en vous expliquant tout au long comme quoi les conven­tions avec les chemins de fer étaient la base pre­mière du budget. Les événements se sont chargés de présenter mon excuse et l’importance que prend aujourd’hui la question, les batailles formidables — non sans un peu de comique — dont ces conven­tions sont l’occasion, justifient le développement que je m’étais permis.A cette heure, il n’y a pas d’autre affaire dans la Chambre. Les séances publiques, pour tant qu’on y fasse de discours, ne comptent plue er si l’on siège, a’est uniquement pour attendre que les conventions viennent en discussion — si toutefois on parvient à les y faire venir.Car si les conventions n’ont guère d’amis bien chauds, elles ont des adversaires ardents. Elles se­ront votées, en fin de compte, je n’en doute pas, mais sans le moindre enthousiasme et à force de résignation. C’est un « remède nécessaire » et les assemblées, comme les enfants gâtés, se font pritr beaucoup pour avaler ces sortes de choses.D’ailleurs, ce n’est pas seulement une question politique, c’est une bataille d’intérêts. En prin­cipe, la majorité de la Chambre est délibérément hostile aux grandes compagnies qu’elle traite de « féodalité financière » ; mais, indiv.duellement, chacun a son chemin de fer rég.onal, son embran­chement électoral, c’est-à-dire son intérêt per­sonnel ; de là le caractère presque féroce que prend la querelle.Car il y a querelle, et non pas des plus doutes. Dans la commission, les adversaires et les partisans des conventions sont à une voix près. Soit mala- dtesse, soit inadvertance, le gouvernement a laissé renvoyer le projet à l’ancienne commission des chemins de fer dont plusieurs membres sont admi­nistrateurs dès chemins de fer de l’Etat, mal dis­posés, par conséquent, pour les grandes compagnies.Cette presque égalité de forces produit, dans la commission, des résultats étrange- , un va-et-vient de la majorité, des contradictions dans les décisions, qui ne manquent pas d’imprévu. Selon qu’un des opposants ou l’un des partisans s’absente, la majo­rité se déplace dans un sens ou dans l’autre. Pour­tant, l’adhésion définitive de M. Rouvier aux conventions a donné la majorité aux partisans du projet. Mais ce n’a pas été sans peine. Le premier jour, c’est à la majorité a une voix que la commis­sion a repoussé le rachat de la compagnie d’Orléans. Le lendemain, les opposants sont parvenus à frire repousser « l’acceptation en principe » des conven­tions. Maintenant, se voyant en minorité d’une voix, — de deux peut-être, — les opposants ont adopté une autre tactique : ils veulent empê­cher qu’on puisse discuter le projet avant les va­cances.Ils y réussiront probablement, à moins d’un effort vigoureux du gouvernement. Les élections trien­nales des conseils généraux qui doivent avoir lieu cette année limitent forcément la session. C’est tout au plus si l’on peut siéger jusqu’au 21 juillet, à condition de retarder les élections jusqu’au S août, ce qui permet à peine d’arriver en règle pour la session des conseils.C’est là-dessus que calculent les opposants, et ils font de l obstruction irlandaise. Pour peu qu’ils réussissent à empêcher le dépôt du rapport avant le lundi 9 juillet, ils auront gain de cause et nous y touchons.Les manœuvres des deux côtés sont amusantes. Les opposants conduits par MM. Wilson et Allain- Targé soulèvent chaque jour une difficulté nou­velle. Hier, le gouvernement obtenait que la convention avec le P.-L.-M. fût adoptée; immé­diatement, les opposants ont obtenu qu’on ne nommât pas le rapporteur. Les partisans du projet ayant désigné d’avance M. Rouvier, on pense que, d’avance, le rapport est prêt et qu’il pourra être déposé dès le lendemain de la nomination du rap­porteur. Mais, voici la riposte : profitant d’un mo­ment où, par l’ab-ence de deux commissaires, ils étaient en majorité, les opposants font décider qu on ne déposera pas un rapport sans tous les au­tres. Et maintenant, ils ont mis en train la discus­sion des tarifs. Les passions, d’ailleurs, sont mon­tées au diapason de la colère furieuse. M. Madier de Montjau déclare qu’il fera scandale à la tribune si le gouvernement parvient à enlever d’urgence l’ouverture de la discussion. M. de La Porte — lelieutenant de M. Allain-Targé — déclare que les opposants ont de quoi « tenir » trois semaines au moins. Par contre, M. J. Ferry, de fort mauvaise humeur, adjure, menace, affirmant que si la Cham­bre s’en va sans avoir voté, il la fera revenir je Ier septembre.C’est une extrémité qui pourrait n’être pas sans daHger et,«pour ma part, je n’y crois guère. M. de Villèle disait : « Je me suis pas de force à tenir la Chambre pendant la fenaison. » M. Ferry, si fort qu’il soit, n’est pas de force à tenir la Chambre pendant les vacances.Un autre côté fort piquant de cette lutte c’est la position respectivement prise par MM. Rouvier et Allain-Targé, tous deux « ministrables », deux mi­nistres « possibles des finances. Il y a trois semai­nes, ils donnaient de concert la chasse — et une forte chasse — à M. Tirard. Aujourd’hui, M. Ti- rard étant devenu sénateur inamovible — présage de mort ministérielle — MM. Rouvier et Allain- Targé sont adversaires. Sans doute, le hasard le fait, M. Allain-Targé s’étant montré de tout temps ennemi déclaré des grandes compagnies, tandis que M. Rouvier répugnait au rachat. Mais il y a là une coïncidence curieuse. M. Rouvier, en effet, s’est rapproché du portefeuille pendant que M. Allain- Targé, dont les chances ont toujours été moins fa­vorables, s’en éloignait encore ; et cette circons­tance, peut-être, n’est pas pour rendre le débat moins vif.En dehors de cette question, le reste n’est rien et il n’y a que la maladie — mortelle à bref délai, paraît-il — de M. le comte de Chambord, qui soit un événement considérable.Il y a dix ans, cette mort aurait pu changer bien des choses. Les princes d’Orléans, s’ils n’avaientété presque forcés d’aller à Frohsdorf, et si « le Roy » n’avait été là pour écrire la lettre du 27 octobre 1873, auraient pu jouer et gagner une belle partie. Il est aujourd hui trop tard et tout ce que les prin­ces y peuvent gagner ce sont quelques hommages accordés à regret, beaucoup d’injures et probable­ment l’exil, volontaire ou forcé.Une chose, en tout cas, est frappante : c est la convenance et le respect avec lequel toute la presse, même la plus radicale — sauf une ou deux feuilles qui, décemment, ne peuvent être comptées comme «journaux » — rend hommage à la loyauté, à la dignité, au patriotisme de M. le comte de Chambord. Laisser une pareille mémoire c’est royalement finir.Chambre des députés. — Séance du. 28 juin : Suite de la discussion en deuxième lecture de la loi sur les récidivistes. L article 19, qui remet à un réglement d’ad­ministration publique le soin de déterminer le mode d’exécution de la loi, est adopté. Est également adopté un amendement attribuant à tout réclusionnaire le droit de se faire envoyer dans un lieu de relégation, après avoir subi la moitié de sa peine. — Dépôt sur le bureau par M. Raynal, ministre des travaux publics, de la con­vention avec la Compagnie d’Orléans.Séance du 29. — Fin de la discussion en deuxième lecture de la loi sur les récidivistes. Un article addi­tionnel de M. Lagrange, tendant à rétablir la relégaiion facultative, contre laquelle la Chambre s’est prononcée à plusieurs reprises, est rejeté. L’ensemble de la loi est adopté. —Commencement de la discussion, en deuxième lecture, de la loi municipale ; M. de Lanessan prononce un long discours à l’appui d’un contre-projet dont il est l’auteur. Ce contre-projet tend à l’établissement de l’au­tonomie communa e.Séance du 30 : Suite de la discussion précédente. Le rapporteur répond au discours de M.de Lanessan,dont le projet autonomiste est rejeté. Les neuf premiers articles du projet sont ensuite adoptés avec quelques légères modifications et presque sans débat.Séance du 2 juillet : La discussion des interpellations de MM. Granet et Delafosse sur notre situation au Ton- kin est fixée au 10 juillet. — Reprise de la discussion de la loi municipale. Sur l’article 10, un amendement de M. Jametel modifiant le nombre des conseillers muni- paux dans les communes de 1,001 à 1,500 habitants, est adopté. Le projet attribuait quatorze conseillers à ces communes ; elles n’en auront que douze. Après avoir renvoyé plusieurs articles à la commission qui se pro­pose de présenter un nouveau texte, la Chambre adopte les articles 12 à 35, à l’exception de l’article 14 qui est réservé à cause d’un amendement de M. Floquet ten­dant à faire disparaître la double liste électorale.Séance du 3 juillet : Discussion du projet de loi por­tant ouverture au ministre de la marine et des colonies, au titre du budget extraordinaire de 1883, d’un crédit de 4,677,000 francs pour la continuation du chemin de fer et des forts du Sénégal. Adoption. * *Sénat. — Séance du 28 juin : Rejet du projet de loi sur la division de l’arrondissement de Narbonne en deux circonscriptions électorales. Ce projet avait été adopté par la Chambre. Le vote du Sénat signifie que le remaniement des circonscriptions électorales ne doivent être faits qu’à la fin de la législature, au renou­vellement in.égral de la Chambre des députés. — Deuxième lecture du projet de loi sur l’élection des juges consulaires. Un contre-projet de M. Bardoux sub­stituant le suffrage à deux degrés au suffrage universel, voté en première lecture, est adopté article par article, mais, chose curieuse, il est repoussé dans son ensemble. Le projtt primitif est ensuite remis en délibération, et l’article Ier est adopté par 151 voix contre 121.Séance du 30 : Discussion de l’interpellation de M. Bé­renger sur la suppression des aumôniers dans les hos­pices et hôpitaux. Après un débat auquel prennent part MM. Bérenger,Waldeck-Rousseau etdeLareinty, l’ordre du jour suivant est proposé par le premier : « Le Sénat, convaincu que la suppression des aumôniers serait, dans la plupart des hospices et hôpitaux de Paris, une grave atteinte à la liberté des malades, passe à l’ordre du jour ». L’ordre du jour pur et simple, auquel se rallie le gouvernement, ayant, aux termes du règlement, la priorité, est mis aux voix et adopté par 136 voix contre 120.Séance du 3 juillet : Adoption d’un certain nombre de projets, parmi lesquels celui concernant l’établissement d’un câble sous-marin entre l’île de Ténériffe et Saint- Louis du Sénégal, et celui relatif au service postal entre Calais et Douvres. — Reprise de la deuxième délibéra­tion sur la loi relative aux juges consulaires. LTne nou­velle rédaction de l’article 20, ajournant à une nouvelle loi ultérieure le mode d’élection des membres des cham­bres de commerce et des chambres consultatives des arts et manufictures, est votée. L’ensemble du projet est ensuite adopté. — Commencement de la discussion en deuxième lecture de la loi sur la protection de l’en­fance. Un contre-projet de M. Bérenger, combattu par la commission, est repoussé.* Décrets. — Décret convoquant les électeurs de l’arrondissement de Narbonne pour le 22 juillet pro­chain, à l’effet d’élire un député en remplacement de M. Mairie, démissionnaire. — Décret affectant au ser­vice des musées nationaux tous les locaux des palais du Louvre et des Tuileries occupés actuellement par les services de la Ville de Paris. — Décret prescrivant la fermeture du Grand Livre pour les rentes 5 0/0 et l’ou­verture d’un nouveau livre pour le 4 1/2 0/0. Election. — Municipale. Seizième arrondissement, quartier de la Muette. Il s’agissait de remplacer M. le docteur Thulié, démissionnaire. Candidats : MM. Acloc- que, Chauvin, Branicki et des Essarts. Ballottage.Grande-Bretagne. — Chambre desJLords. Rejet du projet de loi autorisant les mariages entre veufs et belles- sœurs. Cinq voix de majorité. Tous les évêques ont voté contre le projet. * Nécrologie. — M. Dussonnier, ancien consul de France à Canton, officier de la Légion d’honneur; qua­tre-vingt-onze ans. Il était l’un des premiers négociants français qui fut entré dans un port chinois.M. Pierre Grand, journaliste qui, sous la Restauration, combattit pour le triomphe des idées libérales. Il publia, en 1821, une brochure intitulée : Le Cri de la France, lut poursuivi et, quoique acquitté, exclu de toutes les Facultés de droit pour deux ans. Avocat du barreau de Paris et collaborateur à X Année française. Suspendu comme avocat en 1829, à cause du discours prononcé par lui à l’enterremenUdu conventionnel Laignelot. Si­gnataire de la protestation des journalistes en 1830. 11 entra alors dans la magistrature et il était conseiller à la cour de Metz lorsque la France perdit la Lorraine en 1870. Quatre-vingt-un ans.M. Eugène Lecomte, ancien député de l’Yonne sous l’Empire, commandeur de la Légion d’honneur. Après 1830, il avait été lieutenant-colonel de la garde natio­nale de la Seine.M. Jules Leurent, ancien député du Nord. A l’Assem­blée nationale, où il avait siégé au centre droit, il con­tribua, par son abstention, à l’adoption, à une voix de majorité, de l’amendement Wallon.M. Ferdinand Ducarre, industriel, ancien député du Rhône. Fut à Lyon l’un des chefs de l’opposition sous l’Empire. Après le 4 septembre 1870, il devint maire de Lyon et eut, en cette qualité, à combattre les tendances ultra-révolutionnaires du conseil municipal; mais élu le 7 février 1871 représentant du Rhône à l’Assemblée nationale, le premier sur treize, M. Ducarre intervint avec succès dans toutes les discussions d’affaires, et fut le rapporteur du projet de loi sur le travail des enfants dans les manufactures. Il siégea sur les bancs de la gauche républicaine. Après la séparation de l’Assemblée nationale il renonça à la vie publique.