HISTOIRE DE LA SEMAINE
A l’heure où j’écris ces lignes, la bataille est encore indécise entre le gouvernement et l’opposition ; mais il ne parait pas douteux que le gouvernement finisse par avoir cause gagnée.
C’est, bien entendu, sur les conventions avec les Compagnies de chemins de fer que se livre la ba
taille. Les ajournera-t-on à la rentrée? Les voterat-on tout de suite ? Voilà le point du débat; et il ne faut pas se dissimuler que l’existence ministérielle en dépend.
C’est même là l’un des plus beaux atouts que le gouvernement ait dans son jeu. Parmi les raisons les plus décisives, si ce n’est les plus convain
cantes, « faille de pouvoir faire autrement » est une des plus distinguées et peut-être la plus infaillible. Or, d’un côté les conventions, de l’autre le minis
tère lui-même, possèdent cette qualité précieuse de ne pouvoir être promptement remplacés « faute de mieux » ; ce qui fait que ne pouvant s’en passer on
est bien forcé de se résigner à conserver l’un et à voter les autres.
Ce n’est pas, d’ailleurs, sans résistance. Dans la commission, les opposants ont fait une défense homérique. Ayant presque l’égalité du nombre,—du moins au commencement des débats — ils ont si bien manœuvré qu’un instant on a pu croire à leur victoire. C’est à la majorité d’une voix seulement — et une abstention— que le rachat du che
min de fer d’Orléans a été rejeté. Puis, battus sur le fond de la question, les opposants se sont retranchés sur la procédure et, par des procédés obstructionnistes, ils ont essayé de faire durer la discus
sion tant et si bien qu’elle ne pût pas aboutir. Il a fallu que le gouvernement menaçât de retarder — fallût-il même une loi spéciale — les élections et la session des conseils généraux pour décider les op
posants à capituler. Encore n’ont-ils pas tous désarmé; M. Wilson, après M. Allain-Targé, même après M. Madier de Montjau, est demeuré sur la brèche jusqu’au dernier moment, avec une téna
cité froide et une imperturbable obstination que rien n’a pu démonter. Sur chaque point de prin
cipe, sur chaque clause des conventions, posant un amendement, élevant une sorte de barricade, la dé
fendant à outrance, il est resté jusqu’au bout d’un calme parfait, malgré les impatiences, les colères, les objurgations mêmes, que son impassible persé
vérance soulevait dans la commission. On calcule que, les séances de la commission ayant duré cha
cune six heures en moyenne, ce qui fait, pour neuf séances, cinquante-quatre heures de discussion, M. Wilson, à lui tout seul, a parlé pendant au moins trente heures.
Cependant, à force de patience, la commission est venue à bout d’approuver le rapport de M. Rouvier, qui a été déposé mardi. Et c’est sur la fixa
tion de la discussion à lundi prochain ou bien après les vacances que se livre, à cette heure, la bataille décisive.
Ce qui peut la rendre indécise, c’est la colère soulevée, dans la droite, par les incidents des dernières
séances, par la censure prononcée contre M. le duc de La Rochefoucauld-Bisaccia et par la censure « avec exclusion » prononcée contre M. P. de Cassagnac.
La droite, soit qu’elle compte beaucoup d’amis parmi les directeurs des compagnies de chemins do fer, soit parce que les grandes compagnies sont généralement « conservatrices », est en presque tota
lité favorable aux conventions. Mais, d’une part, l’occasion se rencontrant de faire pièce au gouver
nement ou même de le jeter par terre, moyennant une bonne coalition avec les adversaires des con
ventions, la colère, d’autre part, et la surexcitation
du moment aidant, il se pourrait fort bien que la droite se décidât à voter l’ajournement.
A vrai dire, le cas est peu probable, la voix des intérêts étant d’ordinaire plus forte que celle des petites rancunes.
D’autant que si le cas de M. de La Rochefoucauld-Bisaccia n’est point grave, celui de M. P. de Cassagnac n’est pas exempt de critique. Les appré
ciations historiques sur les scènes de la Révolution ne font, après tout, injure à personne de vivant, tandis que les accusations directes portées par
M. de Cassagnac contre le gouvernement attein-, draient gravement, pour peu qu’elles fussent vraies, l’honneur et même la responsabilité réelle des ministres.
D’ailleurs, M. le duc de La Rochefoucauld n’était pas sans excuses. M, Clovis Hugues venait d’agacer considérablement Ta Chambre en proposant — en
termes passablement excentriques — l’amnistie « inopportune » en faveur de Louise Michel et de ses comparses, qui ne sont pas en odeur de sainteté dans la droite — ni même dans la gauche, soit dit en passant — et il y avait peut-être de quoi perdre son sang-froid, quand surtout on n’en a guère, en entendant dire que « le pillage des boulangeries est une sorte de symbole révolutionnaire ». Il faut bien
reconnaître qu’un «symbole » pareil n’est pas pour apprivoiser les gens de la droite — ni les autres non plus, d’ailleurs.
Toute autre était la situation de M. de Cassagnac. On discutait — et avec une remarquable te
nue du débat — la politique de la France dans l’extrême Orient , nos relations avec la Chine, notre action au Tonkin et la guerre déclarée avec l’Annam. Rien de particulièrement irritant ne se ren
contrait dans cette discussion et ne motivait un esclandre.
Mais M. de Cassagnac, toujours ami du boucan, paraît depuis quelque temps fort surexcité. La nature même de son talent, plus bruyant que distin
gué, plus casseur que fin et peu élevé, si ce n’est mal élevé, le conduit promptement aux invectives.
Téméraire dans ses assertions, il se dérobe par l’injure et s’esquive par le tapage. Mardi dernier, acculé désagréablement et mis en demeure de fournir les preuves des « tripotages » dont il accu
sait le gouvernement, il s’est dispensé de répondre en faisant scandale et il a payé son évasion d’une censure avec expulsion provisoire. En somme, ce n’est pas cher, et à voir les fureurs qui paraissaient l’agiter au pied de la tribune, on a pu craindre un moment que, par des voies de fait exercées sur M. Ferry, M. de Cassagnac n’attirât sur lui des pénalités autrement graves.
Le Journal officiel, d’ailleurs, garde discrètement le silence sur les gros mots qui ont valu à M. de Cassagnac cette censure. Mais la presse les a re
cueillis et nous pouvons les dire : « Vous êtes le dernier des menteurs et des lâches ».
Cet incident lamentable n’a pas nui au vote de confian.ee que demandait le gouvernement et que M. Challemel-Lacour, dans deux harangues fort re
marquables, avait puissamment préparé. La guerre,
maintenant, est officiellement déclarée à 1’Annam et la Chine est avertie qu’elle fera bien de ne point nous chercher querelle.
Chambre des députés. — Séance du 5 juillet : Rétablissement, sur la demande du ministre de l’agriculture et malgré la Commission, d’un crédit de 2,600,000 fr. pour le reboisement des montagnes. — Reprise de la discussion de la loi municipale. La Commission examine les articles qui lui ont été renvoyés et le rapporteur expose le résultat de ses délibérations. Le seul fait inté
ressant de ce court débat est l’adoption de l’article 32. Cet article stipule que les habitants dispensés de subve
nir aux charges de la commune ne seront pas éligibles au Conseil municipal.
Séance du 6 : Adoption d’un projet de loi poitant modification de la tenue de la cavalerie. Suite de la discus
sion de la loi municipale. Sur l’article 14, renvoyé à la Commission, on adopte l’amendement de M. Floquet, qui dispose que les conseillers municipaux seront désor
mais élus par les électeurs politiques. Sur l’article 54, relatif à la publicité des séances, M. Morel propose qu’elles ne soient pas publiques. La proposition est repoussée. Les articles suivants sont adoptés jusqu’à l’article 58.
Stance du 7 : Suite de la discussion de la loi municipale; sur l’article 68, M. Delattre demande que la com
mune soit libre d’établir des impôts et d’en organiser la perception. L’amendement est rejeté. Sur l’article 72, M. Leydet propose d’autoriser les Conseils municipaux à émettre des vœux politiques n ayant pas un caractère inconstitutionnel. L’amendement est également rejeté.
ébauché avec la Chine par M. Bourée, et il démontre que ce projet de traité repose sur une « impossibilité » : le partage du protectorat. Le débat semblait terminé, quand M. de Cassagnac, montant à la tribune, accuse le
gouvernement de « tripotages », donne comme une vérité « que les motifs de la guerre sont inavouables », et termine en disant que le président du conseil est le dernier des... nous supprimons le mot. Rappelé une première fois à l’ordre avec inscription au procès-verbal, M. de Cassagnac est frappé de la censure avec exclusion temporaire, et la Chambre, par 371 voix contre 82, adopte l’ordre du jour suivant, proposé par M. Duclaud :
« La Chambre, après avoir entendu la déclaration du gouvernement, confiante dans sa politique ferme et pru
dente, passe à l’ordre du jour. — Dépôt par M. Rouvier, de son rapport sur les conventions passées entre l’Etat et les Compagnies de chemins de fer.
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Sénat. — Séance du 5 juillet ; Reprise de la discussion en deuxième délibération de la loi sur ia protection de l’enfance. Les six premiers articles sont votés sans difficulté. Sur l’article 7, M. Bérenger propose par voie d’amendement que le conseil départemental ait seule
ment un droit de surveillance sur les établissements de patronage et que ces établissements ne puissent être formés que judiciairement. La première partie de l’amen
dement étant rejetée, M. Bérenger abandonne la fin; l’article 7 est adopté ainsi que les suivants jusqu’à l’article 15 inclusivement.
Séance du 7 : Suite de la discussion de la loi sur la protection de l’enfance. Tous les articles sont adoptés, sauf les articles 36 et 44, qui sont renvoyés à la commission.
Séance du 10 : Fin de la discussion en deuxième lecture du projet de loi sur la protection de l enfance. L’en
semble est adopté. — Reprise de la discussion du projet sur le régime des eaux, et adoption des dispositions
destinées à remplacer les. articles 642 et 643 actuels du Code civil.
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Décrets. — Sont nommés : M. Lamazou, évêque de Limoges, à l’évêché d’Amiens, et M. Blanger, évêque de la Basse-Terre (Guadeloupe), à l’évêché de Limoges.— Décret instituant un ordre du Mérite agricole, destiné à récompenser les services rendus à l’agriculture. Cet ordre se compose de chevaliers, dont le nombre est fixé à 1,000, sans que le chiffre de croix accordées puisse dépasser 200 par année. La décoration consiste dans une étoile à cinq rayons doubles, surmontée d’une couronne en feuilles d’olivier. Au centre de l’étoile, d’un côté, la figure de la République entourée d’épis, avec la date de la fondation
de l’ordre; de l’autre côté la devise : Mérite agricole. Le ruban est moiré vert bordé d’un liseré de couleur amaranthe et peut être porté sans la décoration.
M. le comte de Kergadarec, capitaine de frég -.te, est nommé consul de première classe et commissaire de la République à Bangkok, en remplacement de M. le doc
teur Harmand, précédemment nommé commissaire général civil au Tonkin.

Election. — Municipale, à Paris, quartier de la Muette, 16e arrondissement : M. Aclocque, candidat mo
narchiste, est élu par 1,079 voix, contre 1,020, données à M. Chauvin, candidat radical. Il s’agissait de remplacer M. Thulié, démissionnaire.
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Nécrologie. — M. Edouard Fleury, publiciste et archéologue, frère aîné de M. Champfleury, l’homme de lettres bien connu et le conservateur du musée de Sèvres. Soixante-huit ans.
M. Devienne, quatre-vingt et un ans. Il avait été successivement président du tribunal civil de Lyon, pro
cureur général à Bordeaux, sénateur, premier président de la cour de cassation, poste qu il conserva jusqu’à la limite d’âge, en 1877.
COURRIER DE PARIS
A Monsieur Trois-Étoiles, à Nimportou (New or Old World).
Mon cher lecteur,
Est-il bien utile, aujourd’hui, d’écrire un Courrier de Paris, et quand ce numéro vous arrivera sous enveloppe, aurez-vous une autre pensée que l’unique préoccupation des pétards, des lampions et des feux d’artifice du 14 juillet ? Quelqu’un, dans un coin perdu — sous les bois — se trou
vera-t-il pour lire ces lignes écrites à la veille de cette grande fièvre annuelle qui rend, pour un moment, Paris bruyant comme une kermesse de Hollande ? Oui, dans un coin perdu de notre France, dans quelque cottage sur la porte duquel on pourrait écrire: Maison close, comme à l’entrée du logis d’Alphonse Karr à Saint-Raphaël, dans quelque château plein de silence, on pourra déployer ce numéro et jeter un coup d’œil rapide
Séance du 9 ; M. Barodet dépose une proposition d’am - nistie et demande l’urgence, qui est votée. Le ministre de l’intérieur réclame la discussion immédiate. La Chambre défère à ce désir, et, après avoir entendu MM. Clo
vis Hugues, Waldeck-Rousseau et Gaillard, rejette la proposition par 304 voix contre 89. — Question de M. de Cassagnac au garde des sceaux. Il s’agit d’un juge de paix qui, à Mirande, combattait la candidature de M. de Cassagnac au Conseil général. — Vers la fin de la séance, le rapporteur de la loi municipale vient demander à la Chambre d’ajourner à la se-.skm prochaine la discussion de cette loi. La proposition est repoussée.
Séance du 10 : Interpellation de MM. Granet et Delafosse sur la politique du gouvernement au Tonkin et dans l’Extrême-Orient. M. Challemel-Lacour, tout en donnant à la Chambre les assurances les plus satisfai
santes sur nos relations avec la Chine, ne dissimule pas qu’il n’en est point de même en ce qui concerne l’Annam, avec lequel nous nous trouvons dès maintenant en
état de guerre. Deux fois M. Challemel-Lacour monte à ja tribune. La seconde fois il fait connaître le texte dutraité