sur cette causerie que je vous adresse, mon cher lecteur, au milieu du brouhaha de la frairie nationale et populaire.
Mais à vrai dire, je ne compte pas beaucoup sur ces lecteurs exceptionnels et, cette fois, je gage que vous n’aurez pas la tentation de vous demander :
— Voyons ce qu’on dit et ce qu’on fait à Paris? Ce qu’on dit ? Fort peu de chose. On crie: Demandez le programme de la fête du 14juillet !
Ce qu’on y fait? On y va contempler l immense statue de M. Morice et on y boucle ses malle- .
Ah ! oui,les bagages sont la grande actualité du moment, moins grande, sans doute, que la Répu
blique de la place du Château-d’Eau, mais très absorbante et entraînante. Tandis que les provin
ciaux prennent, à la gare de leur pays, un ticket pour le train de plaisir de Paris, train annon:é aux populations par des affiches tricolores, les Parisiens hésitent entre les Guides Joanne.
— Où iront-ils ?
Peut-être êtes-vous déjà parti, vous, mon cher lecteur (et quand je dis lecteur, je sous-entends aussi lectrice en ajoutant à ce nom l’épithète la plus charmante); oui, pèut-être tournezvous les pages de ce numéro dans un Casino de bains de mer, dans un wagon qui vous emporte je ne sais vers quelle plage ou dans un chalet de Ville-d’Avray ou de Chatou, où vous parvien
nent, à cette heure même, les pif, paf, pan, des pièces d’artifice et les chansons des ruraux célébrant la prise de la Bastille.
Ce pauvre Bertall, dont vous n’avez pas oublié, je pense, cher lecteur, les dessins qu’il donnait ici même, Bertall avait commencé, l année qui pré
céda sa mort, une publication, faite par lui au crayon et à la plume, et qu’il avait appelée les Plages de France. Il voulait se faire le géographe des statious balnéaires, le Malte-Brun du high life, l’Elisée Reclus des Parisiens en voyage. Il dessi
nait, croquait, écrivait, annotait. Et de Cannes à Berck-sur-Mer, il avait entrepris de populariser nos plages françaises.
Bertall n’est plus là pour tenter, par son crayon, les amateurs de stations maritimes. Mais ses livrai
sons subsistent, tentatrices comme les Guides Joanne eux-mêmes. Elles sont là, alignées et, comme des affiches de théâtre arborant des titres de pièces à succès, elles vous jettent aux yeux, comme une poudre d’or, le sable ou les galets de ces coins deterre : Dieppe, Dinard, Paramé, Saint- Lunaire, Roscoff, Le Pouliguen, Pornichet, Saint- Enngat, Trouville, Saint-Aubin, le Tréport!
Où irai-je ? Où n’irai-je pas ?
Il est certain que l’heure de la grande fugue est arrivée. Elle arrive tous les ans et, tous les ans, le même point d’interrogation se pose — celui d’Harpagon lorsqu’il a perdu sa cassette:
— Où courir ? Où ne pas courir ?
Harpagon n’est là que pour la citation, car — à de rares exceptions près — nos Parisiens et surtout nos Parisiennes recherchent avidement non pas la plage la plus économique, mais la plage la plus lancée, le sable le plus pscht et la grève la plus vlan. J’ai reçu, ceci soit dit entre parenthèses, oui
j’ai reçu de Perse, d’un de nos lecteurs agacés, une lettre où il me reproche vertement de me servir de ces adjectifs (sont-ce bien des adjectifs ?), de ces
barbarismes qu’il qualifie d horripilants et de stupides.
Horripilants, je suis de son avis. Stupides, je n’en disconviens pas. Mais ce n’est certes pas moi qui les ai inventés et si je les cite parfois ce n’est pas du tout pour en pailleter mon style comme de pierres précieuses mais pour piquer, comme du bout d’une épingle, ces papillons nés de cette chenille qu’on appelle l’argot parisien.
Bref, c’est la plage la plus cotée, la plus courue, la plus fréquentée que l’on tient à voir et, plus on s’y bouscule, plus on s’y amuse.
Avez-vous découvert une anse silencieuse, une crique pittoresque, un nid exquis entre deux rochers où l on est tout heureux d’oublier le boule
vard et où l’on n’a pour compagnons que les crabes courant sur le rivage et les mouettes coupant le ciel ? Ne vous avisez pas d’inviter vos amis Pari
siens d’y aller passer quelques journées. Ils vous répondraient : — Vous voulez donc ma mort? On crève d’ennui dans votre trou !
Ce que le Parisien va chercher au bord de la mer, ce n’est pas la mer, c’est Paris. Une station où l’on ne recevrait pas le Figaro serait la dernière des stations. Le Parisien ne peut pas respirer dans un coin de terre où le Gaulois ne vient pas lui an
noncer les pièces que les théâtres joueront cet hiver et il déclarerait inhabitable un paradis où le GihBlas ne parvit ndrait point.
Le vrai Parisien, dès qu’il arrive quelque part, pose à l’hôtelier ou au chef de gare cette question inévitable :
— A quelle heure part-on ?
Il n’a qu’une crainte — ce n est pas, comme ses aïeux, que le ciel vienne à tomber, — c’est que, lui, Parisien transplanté, ne puisse s’ennuyer.
Le pittoresque ? Il s’en moque. Le repos ? Il s’en rit. Ce qu’il demande à la mer, c’est le chic. Un casino pour remplacer le théâtre et des partenaires pour cartonner, comme au cercle. Les Grecs ont,
d’ailleurs, depuis quelques jours, pris le chemin des plages. On n’en rencontre presque plus dans les clubs parisiens. C’est symptomatique, comme disent les médecins à propos du choléra.
Les Casinos des bain: de mer sont, d’ailleurs, à l’art dramatique ce que les petits journaux de caricatures bestiales sont à l art de la peinture. Il y a, dans le monde des théâ res, toute une caté
gorie d’artistes d’été qui s’épanouissent avec les bégonias et s’effeuillent avec les marronniers.
Ce sont des sous-Judic et des pseudo-Théo, des dhutions de Sarah Bernhardt, des B artet mises à la portée des eaux miné:aies.
Le Parisien ne retrouve chez ces artistes que des échos, des semblants d’échos des chanteuses qui l’ont charmé, des séductrices qu’il applaudit d’or
dinaire, mais ces fantômes lui suffisent et il s’en va tuer sa soirée au casino comme il irait à l’Opéra,
le jour selected, ou à la Comédie-Française, aux grands mardis.
Mlle Amanda, Mlle Nephtali, Mlle Trois-Nébuleuses, deviennent, — grâce au besoin d’odeur de Paris qui s’empare du Parisien exilé, — des étoiles
de première grandeur. Un homme qui. ne lirait qu’un journal, cette feuille fût-elle la plus inepte
de la terre, finirait, à la longue, par trouver de l’intérêt aux articles les plus ridicules de son unique journal. Chez les Kirghiz, il arrive qu’au mi
lieu des plaines désolées s’élève parfois un arbre, un seul arbre, un arbre unique. Qu’arrive-t-il ? On l’adore comme on adorerait un Dieu.
Ce n’est pas un arbre, c’est VArbre. C’est le grand dispensateur d’ombre et de fraîcheur.
Ainsi, quand on n’a pas Judic, aux bains de mer ou aux Pyrénées, on se contente d’Emma, de Fatma ou de Joséphine, premières chanteuses des cafésconcerts de La Rochelle ou de Narbonne.
Il est des exceptions, sans doute, et je sais des représentations de casinos maritimes que bien des théâtres envieraient. Voici, par exemple, M. et Mme Grivot, deux artistes excellents, spirituels,
jouant admirablement et chantant avec un goût infini, qui vont créer, pour les spectateurs des pla
ges normandes, une opérette avec Mme Judic. J’envie ces spectateurs-là. Us auront la primeur d’une séduction et les Parisiens voudraient bien avoir, cet hiver, les miettes du spectacle des casinos de cet été.
Mais ce sont là les occasions et les séductions rares. Généralement, les hirondelles des théâtres, les mouettes de l’art dramatique, les cigales er
rantes des casinos et les sauterelles des plages sont
de pauvres filles qui imitent nos artistes à la mode comme le strass imite le diamant et comme le chrysocale imite l’or. Articles d été. Commission. Exportation.
Ce qui n’empêche pas les pauvres filles de dire, en hochant la tête :
— Tout cela n’est qu’une affaire de chance! Ah! si j’étais à Paris, comme je les leur tomberais, leur Judic et leur Granier!
Ainsi, mon cher lecteur, il n’y a rien de nouveau à Paris que les départs de Paris. Le chro
niqueur n’est pas un roi, mais où il n’y a rien, il perd ses droits, absolument comme s’il régnait ou devait régner.
Il pourrait bien, à propos des croix du 14 juillet, revenir sur ce qu’il a dit si souvent : « On ne décore que des peintres ! On ne décore pas de gens de lettres ! » Mais, sans compter que la bouton
nière des gens de lettres vous importe fort peu (n’est-il pas vrai, Monsieur et cher lecteur ou Ma
dame et charmante lectrice ? ) on pourrait me répondre :
— Mais on a décoré un certain nombre de journalistes de talent ou d’autorité, comme M. Strauss et M. Cassigneul !
Et il me faudrait alors entrer dans d’inutiles et ennuyeux détails sur la différence qui existe entre
le journaliste, qu’on décore parce qu’il est dévoué et le dramaturge ou le romancier qu’on devrait décorer parce qu’il est remarquable.
On fera difficilement comprendre à un étranger que M. Baptiste ou M. Théophile est décoré parce qu’il est journaliste et que M. Zola ne l’est pas.
Je sais toutes les raisons qu’on peut donner; elles ne tiennent pas une minute devant un raisonnement.
Mais, tous les ans, et tous les mois, nous réclamerions en faveur des gens de lettres, de tel auteur dramatique applaudi, de tel romancier célèbre, qu’on ne nous écouterait pas le moins du monde.
On connaît le vieux mot de ce magisti at d’autrefois : « La magistrature rend des arrêts et non pas des services. » Eh bien! l’homme de lettres pur, le poète, le romancier, ou le dramaturge, donne des œuvres — et parfois des chefs-d’œuvre — mais il ne rend pas de services politiques !
Et voilà pourquoi votre fille la Gazette officielle est muette et pourquoi la boutonnière de tant de gens de talent reste vierge !
Et nous aurons beau signaler éternellement cette ironie, nous n’y changerons rien et vous n’y chan
geriez rien non plus, mon cher lecteur, si vous vouliezjoindre vos réclamations aux nôtres, ce qui vous semblerait fort inutile, car vous ne voyez pas trop pourquoi les gens de lettres seraient décorés quand il y a tant de comédiens qui ne le sont pas.
Et qui sait ? Vous auriez peut-être raison !
\/w Quand je dis qu’il n’y a rien de nouveau, il y a toujours cette fin d’histoire, cette ccnclusion d’un chapitre de notre vie nationale : la fin des Bourbons de la branche aînée.
Les anecdotes ont couru, nécessairement, sur le comte de Chambord, dont les bulletins ont été la grande lecture de la semaine. Voici un trait qui est fort simple mais qui peint le genre d’esprit un peu railleur et bon enfant de celui qui fut roi hors de chez lui.
Un vieux gentilhomme, élégant et mondain, mais très fidèle — en politique, car à l’Opéra...! — était
allé rendre visite à Henri V, à Frohsdorf, il y a quelques années.
Après quelques instants d’entretien, le Roy dit à son féal, très franchement :
— Voyons, mon cher marquis, je ne vois pas souvent de gens aussi Parisiens que vous. Qu’estce que vous me conseilleriez de faire, si je revenais jamais à Paris ?
Il s’attendait à 1 n conseil politique. Le vieux marquis répondit par un conseil pratique.
Il avait remarqué la simplicité des allures de son Roy et la coupe familière ou familiale de ses vêtements.
— Eh bien ! Sire — ou Monseigneur, car je ne sais quel titre il lui donna — ce que je vous conseillerais, ce serait de renoncer à votre fournisseur allemand et de prendre un tailleur, non plus à Vienne, mais à Paris. Si vous me permettez de vous le dire, votre pantalon... — Mon pantalon ?
— Eh bien ! votre pantalon n’est plus à la mole! — Oh! oh! fit le comte de Chambord, devenu très railleur tout de suite, mon pantalon n’est plus à la mode! C’est grave! Vous avez raison, c’est très grave ! très grave !
Et comme le marquis, au ton de son Roy, com prenait qu’il avait eu tort de faire cette observation et s’excusait de la liberté grande qu’il avait prise, s’excusant même d’avoir peut-être déplu à Monseigneur :
— Mais non, mais non, dit le comte de Chambord avec bonhomie, vous ne m’avez pas déplu. Seulement, mon cher marquis, vous m’avez rappelé Saint-Eloi, voilà tout !
/w\ Et sur ce, mon cher lecteur, si vous avez eu le loisir de parcourir cette causerie d’été, faite pour être sautée, comme un chapitre intermédiaire, au milieu des fusées, des soleils, des hurrahs, des lan
ternes vénitiennes et du brouhaha de la fête qu on célébrera le jour même ou arrivera ce numéro,
pardonnez-moi ce bavardage et souvenez-vous que bien des gens réclament une amnistie annuelle au 14 juillet (ce qui serait assez agréable pour les cou
pables et permettrait, par exemple, d’être jugé le 8, condamné le 9 et amnistié cinq jours après), oui, souvenez-vous que nous sommes à une date inclé
mente où l’on ne lit guère ou, si vous le préférez, à une date clémente où l’on pardonne les erreurs, et amnistier
Votre couri. . . . . . . .. . . . . . .
Mais à vrai dire, je ne compte pas beaucoup sur ces lecteurs exceptionnels et, cette fois, je gage que vous n’aurez pas la tentation de vous demander :
— Voyons ce qu’on dit et ce qu’on fait à Paris? Ce qu’on dit ? Fort peu de chose. On crie: Demandez le programme de la fête du 14juillet !
Ce qu’on y fait? On y va contempler l immense statue de M. Morice et on y boucle ses malle- .
Ah ! oui,les bagages sont la grande actualité du moment, moins grande, sans doute, que la Répu
blique de la place du Château-d’Eau, mais très absorbante et entraînante. Tandis que les provin
ciaux prennent, à la gare de leur pays, un ticket pour le train de plaisir de Paris, train annon:é aux populations par des affiches tricolores, les Parisiens hésitent entre les Guides Joanne.
— Où iront-ils ?
Peut-être êtes-vous déjà parti, vous, mon cher lecteur (et quand je dis lecteur, je sous-entends aussi lectrice en ajoutant à ce nom l’épithète la plus charmante); oui, pèut-être tournezvous les pages de ce numéro dans un Casino de bains de mer, dans un wagon qui vous emporte je ne sais vers quelle plage ou dans un chalet de Ville-d’Avray ou de Chatou, où vous parvien
nent, à cette heure même, les pif, paf, pan, des pièces d’artifice et les chansons des ruraux célébrant la prise de la Bastille.
Ce pauvre Bertall, dont vous n’avez pas oublié, je pense, cher lecteur, les dessins qu’il donnait ici même, Bertall avait commencé, l année qui pré
céda sa mort, une publication, faite par lui au crayon et à la plume, et qu’il avait appelée les Plages de France. Il voulait se faire le géographe des statious balnéaires, le Malte-Brun du high life, l’Elisée Reclus des Parisiens en voyage. Il dessi
nait, croquait, écrivait, annotait. Et de Cannes à Berck-sur-Mer, il avait entrepris de populariser nos plages françaises.
Bertall n’est plus là pour tenter, par son crayon, les amateurs de stations maritimes. Mais ses livrai
sons subsistent, tentatrices comme les Guides Joanne eux-mêmes. Elles sont là, alignées et, comme des affiches de théâtre arborant des titres de pièces à succès, elles vous jettent aux yeux, comme une poudre d’or, le sable ou les galets de ces coins deterre : Dieppe, Dinard, Paramé, Saint- Lunaire, Roscoff, Le Pouliguen, Pornichet, Saint- Enngat, Trouville, Saint-Aubin, le Tréport!
Où irai-je ? Où n’irai-je pas ?
Il est certain que l’heure de la grande fugue est arrivée. Elle arrive tous les ans et, tous les ans, le même point d’interrogation se pose — celui d’Harpagon lorsqu’il a perdu sa cassette:
— Où courir ? Où ne pas courir ?
Harpagon n’est là que pour la citation, car — à de rares exceptions près — nos Parisiens et surtout nos Parisiennes recherchent avidement non pas la plage la plus économique, mais la plage la plus lancée, le sable le plus pscht et la grève la plus vlan. J’ai reçu, ceci soit dit entre parenthèses, oui
j’ai reçu de Perse, d’un de nos lecteurs agacés, une lettre où il me reproche vertement de me servir de ces adjectifs (sont-ce bien des adjectifs ?), de ces
barbarismes qu’il qualifie d horripilants et de stupides.
Horripilants, je suis de son avis. Stupides, je n’en disconviens pas. Mais ce n’est certes pas moi qui les ai inventés et si je les cite parfois ce n’est pas du tout pour en pailleter mon style comme de pierres précieuses mais pour piquer, comme du bout d’une épingle, ces papillons nés de cette chenille qu’on appelle l’argot parisien.
Bref, c’est la plage la plus cotée, la plus courue, la plus fréquentée que l’on tient à voir et, plus on s’y bouscule, plus on s’y amuse.
Avez-vous découvert une anse silencieuse, une crique pittoresque, un nid exquis entre deux rochers où l on est tout heureux d’oublier le boule
vard et où l’on n’a pour compagnons que les crabes courant sur le rivage et les mouettes coupant le ciel ? Ne vous avisez pas d’inviter vos amis Pari
siens d’y aller passer quelques journées. Ils vous répondraient : — Vous voulez donc ma mort? On crève d’ennui dans votre trou !
Ce que le Parisien va chercher au bord de la mer, ce n’est pas la mer, c’est Paris. Une station où l’on ne recevrait pas le Figaro serait la dernière des stations. Le Parisien ne peut pas respirer dans un coin de terre où le Gaulois ne vient pas lui an
noncer les pièces que les théâtres joueront cet hiver et il déclarerait inhabitable un paradis où le GihBlas ne parvit ndrait point.
Le vrai Parisien, dès qu’il arrive quelque part, pose à l’hôtelier ou au chef de gare cette question inévitable :
— A quelle heure part-on ?
Il n’a qu’une crainte — ce n est pas, comme ses aïeux, que le ciel vienne à tomber, — c’est que, lui, Parisien transplanté, ne puisse s’ennuyer.
Le pittoresque ? Il s’en moque. Le repos ? Il s’en rit. Ce qu’il demande à la mer, c’est le chic. Un casino pour remplacer le théâtre et des partenaires pour cartonner, comme au cercle. Les Grecs ont,
d’ailleurs, depuis quelques jours, pris le chemin des plages. On n’en rencontre presque plus dans les clubs parisiens. C’est symptomatique, comme disent les médecins à propos du choléra.
Les Casinos des bain: de mer sont, d’ailleurs, à l’art dramatique ce que les petits journaux de caricatures bestiales sont à l art de la peinture. Il y a, dans le monde des théâ res, toute une caté
gorie d’artistes d’été qui s’épanouissent avec les bégonias et s’effeuillent avec les marronniers.
Ce sont des sous-Judic et des pseudo-Théo, des dhutions de Sarah Bernhardt, des B artet mises à la portée des eaux miné:aies.
Le Parisien ne retrouve chez ces artistes que des échos, des semblants d’échos des chanteuses qui l’ont charmé, des séductrices qu’il applaudit d’or
dinaire, mais ces fantômes lui suffisent et il s’en va tuer sa soirée au casino comme il irait à l’Opéra,
le jour selected, ou à la Comédie-Française, aux grands mardis.
Mlle Amanda, Mlle Nephtali, Mlle Trois-Nébuleuses, deviennent, — grâce au besoin d’odeur de Paris qui s’empare du Parisien exilé, — des étoiles
de première grandeur. Un homme qui. ne lirait qu’un journal, cette feuille fût-elle la plus inepte
de la terre, finirait, à la longue, par trouver de l’intérêt aux articles les plus ridicules de son unique journal. Chez les Kirghiz, il arrive qu’au mi
lieu des plaines désolées s’élève parfois un arbre, un seul arbre, un arbre unique. Qu’arrive-t-il ? On l’adore comme on adorerait un Dieu.
Ce n’est pas un arbre, c’est VArbre. C’est le grand dispensateur d’ombre et de fraîcheur.
Ainsi, quand on n’a pas Judic, aux bains de mer ou aux Pyrénées, on se contente d’Emma, de Fatma ou de Joséphine, premières chanteuses des cafésconcerts de La Rochelle ou de Narbonne.
Il est des exceptions, sans doute, et je sais des représentations de casinos maritimes que bien des théâtres envieraient. Voici, par exemple, M. et Mme Grivot, deux artistes excellents, spirituels,
jouant admirablement et chantant avec un goût infini, qui vont créer, pour les spectateurs des pla
ges normandes, une opérette avec Mme Judic. J’envie ces spectateurs-là. Us auront la primeur d’une séduction et les Parisiens voudraient bien avoir, cet hiver, les miettes du spectacle des casinos de cet été.
Mais ce sont là les occasions et les séductions rares. Généralement, les hirondelles des théâtres, les mouettes de l’art dramatique, les cigales er
rantes des casinos et les sauterelles des plages sont
de pauvres filles qui imitent nos artistes à la mode comme le strass imite le diamant et comme le chrysocale imite l’or. Articles d été. Commission. Exportation.
Ce qui n’empêche pas les pauvres filles de dire, en hochant la tête :
— Tout cela n’est qu’une affaire de chance! Ah! si j’étais à Paris, comme je les leur tomberais, leur Judic et leur Granier!
Ainsi, mon cher lecteur, il n’y a rien de nouveau à Paris que les départs de Paris. Le chro
niqueur n’est pas un roi, mais où il n’y a rien, il perd ses droits, absolument comme s’il régnait ou devait régner.
Il pourrait bien, à propos des croix du 14 juillet, revenir sur ce qu’il a dit si souvent : « On ne décore que des peintres ! On ne décore pas de gens de lettres ! » Mais, sans compter que la bouton
nière des gens de lettres vous importe fort peu (n’est-il pas vrai, Monsieur et cher lecteur ou Ma
dame et charmante lectrice ? ) on pourrait me répondre :
— Mais on a décoré un certain nombre de journalistes de talent ou d’autorité, comme M. Strauss et M. Cassigneul !
Et il me faudrait alors entrer dans d’inutiles et ennuyeux détails sur la différence qui existe entre
le journaliste, qu’on décore parce qu’il est dévoué et le dramaturge ou le romancier qu’on devrait décorer parce qu’il est remarquable.
On fera difficilement comprendre à un étranger que M. Baptiste ou M. Théophile est décoré parce qu’il est journaliste et que M. Zola ne l’est pas.
Je sais toutes les raisons qu’on peut donner; elles ne tiennent pas une minute devant un raisonnement.
Mais, tous les ans, et tous les mois, nous réclamerions en faveur des gens de lettres, de tel auteur dramatique applaudi, de tel romancier célèbre, qu’on ne nous écouterait pas le moins du monde.
On connaît le vieux mot de ce magisti at d’autrefois : « La magistrature rend des arrêts et non pas des services. » Eh bien! l’homme de lettres pur, le poète, le romancier, ou le dramaturge, donne des œuvres — et parfois des chefs-d’œuvre — mais il ne rend pas de services politiques !
Et voilà pourquoi votre fille la Gazette officielle est muette et pourquoi la boutonnière de tant de gens de talent reste vierge !
Et nous aurons beau signaler éternellement cette ironie, nous n’y changerons rien et vous n’y chan
geriez rien non plus, mon cher lecteur, si vous vouliezjoindre vos réclamations aux nôtres, ce qui vous semblerait fort inutile, car vous ne voyez pas trop pourquoi les gens de lettres seraient décorés quand il y a tant de comédiens qui ne le sont pas.
Et qui sait ? Vous auriez peut-être raison !
\/w Quand je dis qu’il n’y a rien de nouveau, il y a toujours cette fin d’histoire, cette ccnclusion d’un chapitre de notre vie nationale : la fin des Bourbons de la branche aînée.
Les anecdotes ont couru, nécessairement, sur le comte de Chambord, dont les bulletins ont été la grande lecture de la semaine. Voici un trait qui est fort simple mais qui peint le genre d’esprit un peu railleur et bon enfant de celui qui fut roi hors de chez lui.
Un vieux gentilhomme, élégant et mondain, mais très fidèle — en politique, car à l’Opéra...! — était
allé rendre visite à Henri V, à Frohsdorf, il y a quelques années.
Après quelques instants d’entretien, le Roy dit à son féal, très franchement :
— Voyons, mon cher marquis, je ne vois pas souvent de gens aussi Parisiens que vous. Qu’estce que vous me conseilleriez de faire, si je revenais jamais à Paris ?
Il s’attendait à 1 n conseil politique. Le vieux marquis répondit par un conseil pratique.
Il avait remarqué la simplicité des allures de son Roy et la coupe familière ou familiale de ses vêtements.
— Eh bien ! Sire — ou Monseigneur, car je ne sais quel titre il lui donna — ce que je vous conseillerais, ce serait de renoncer à votre fournisseur allemand et de prendre un tailleur, non plus à Vienne, mais à Paris. Si vous me permettez de vous le dire, votre pantalon... — Mon pantalon ?
— Eh bien ! votre pantalon n’est plus à la mole! — Oh! oh! fit le comte de Chambord, devenu très railleur tout de suite, mon pantalon n’est plus à la mode! C’est grave! Vous avez raison, c’est très grave ! très grave !
Et comme le marquis, au ton de son Roy, com prenait qu’il avait eu tort de faire cette observation et s’excusait de la liberté grande qu’il avait prise, s’excusant même d’avoir peut-être déplu à Monseigneur :
— Mais non, mais non, dit le comte de Chambord avec bonhomie, vous ne m’avez pas déplu. Seulement, mon cher marquis, vous m’avez rappelé Saint-Eloi, voilà tout !
/w\ Et sur ce, mon cher lecteur, si vous avez eu le loisir de parcourir cette causerie d’été, faite pour être sautée, comme un chapitre intermédiaire, au milieu des fusées, des soleils, des hurrahs, des lan
ternes vénitiennes et du brouhaha de la fête qu on célébrera le jour même ou arrivera ce numéro,
pardonnez-moi ce bavardage et souvenez-vous que bien des gens réclament une amnistie annuelle au 14 juillet (ce qui serait assez agréable pour les cou
pables et permettrait, par exemple, d’être jugé le 8, condamné le 9 et amnistié cinq jours après), oui, souvenez-vous que nous sommes à une date inclé
mente où l’on ne lit guère ou, si vous le préférez, à une date clémente où l’on pardonne les erreurs, et amnistier
Votre couri. . . . . . . .. . . . . . .