HISTOIRE DE LA SEMAINE
La discussion sur les conventions durera peutêtre bien quelques jours encore, mais on peut af
firmer dès maintenant que le résultat en est connu d’avance et qu’elles seront toutes votées à une ma
jorité considérable. Toutefois la convention avec l’Orléans aura, certainement, les honneurs d’une discussion spéciale et ne sera probablement adoptée qu’avec une majorité moins forte.
Le sort des conventions, à vrai dire, s’est décidé le 12 juillet, dans une conversation fort intéres
sante, à coup sûr — on peut le dire sans y avoir assisté — entre M. de Mackau et M. Raynal.
M. de Mackau, dans cette circonstance, représentait approximativement les députés de l’ouest et la droite — ce qui revient à peu près au même, les députés de la droite étant presque tous de l’ouest.
La droite et l’ouest, d’ailleurs, avaient en cette circonstance le même intérêt. Il s’agissait d’obtenir de M. Raynal que la convention avec la Compa
gnie de l’Ouest fût conclue, déposée, votée en même temps que les autres. M. de Mackau et ses
amis s’y trouvaient doublement intéressés et comme droitiers et comme députés de l’ouest. On sait, en effet, que les Compagnies de chemins de fer sont des puissances essentiellement conservatrices; que leurs directeurs, leurs administrateurs, tout leur état-major en un mot, pris dans la haute banque et dans le monde des affaires, sont médiocrement atta
chés aux idées démocratiques. Il s’y rencontre pas mal de marquis et de vicomtes authentiques et catholiques, pas mal de comtes sans particule — noblesse d’empire — et un certain nombre de barons, qui sont la noblesse d’Israël.
Aussi la droite est-elle, tout naturellement, favorable aux grandes Compagnies et disposée à voter les conventions.
Mais, comme députés de l’Ouest, M. de Mackau et ses amis tenaient plus encore à la conclusion de la convention tenue en suspens entre la Compagnie et l’Etat. Il s’agissait pour eux d obtenir quel
ques centaines de ldlomètres de chemins de fer que leurs départements réclament avec insistance et qui, précisément, parce qu’ils sont d’intérêt-local, sont, au plus haut degré, d’intérêt électoral.
Cependant, depuis quelques jours, le bruit courait d’une coalition possible entre l’extrême gauche et la droite pour renverser le ministère. Ce n’était guère probable et l’extrême gauche et même le ministère, qui pendant deux jours y ont cru, n’ont pas fait preuve de perspicacité. Jamais, en aucun cas, la droite n’aurait sacrifié l’intérêt des Compagnies à la satisfaction passagère — et même douteuse — de renverser le cabinet qui fait les con
ventions au profit d’un cabinet plus à gauche et qui ferait le rachat. Mais cette crédulité faisait parfaitement l affaire de la droite et elle a permis à M. de Mackau d’obtenir ce qu’il a voulu.
Voilà pourquoi, dans la fixation de la discussion, le gouvernement a obtenu plus de cent voix de majorité, bien que M. de Mackau, soit orgueil,
soit maladresse, eût souligné d’une main un peu trop lourde le caractère de l’accord intervenu entre lui et M. Raynal en forme de marché.
Cet engagement synallagmatiqueétait, d’ailleurs, conclu donnant donnant, et le gouvernement a dû l’exécuter au plus vite. Voilà pourquoi la conven
tion avec la Compagnie de l’Ouest, qui traînait depuis si longtemps, s’est tout à coup réalisée, si promptement que la Chambre a interrompu la dis
cussion commencée et renoncé à siéger le mercredi, ii, pour donner à la commission le temps de discuter et de rapporter la convention.
Le gouvernement, d’ailleurs, n’est plus autant pressé. Maintenant il sait que la majorité lui est assurée et, deux jours plus tôt, deux jours plus tard, peu lui importe. D’autre part, M. Martin- Feuilîée voudrait bien avoir, avant les vacances, sa loi sur les magistrats. Pour opérer « l’épuration », pour statuer sur le sort d’un millier de magistrats, M. le garde des sceaux aimerait bien d’avoir trois mois devant lui pendant que les Chambres n’y seraient pas. Et cela se comprend parfaitement; d’a­
bord parce que la présence des Chambres occupe les ministres et ne leur laisse guère de temps pour travailler. Puis, on se figure malaisément ce que représenterait d’audiences, de sollicitations, de querelles même, la présence et la coopération des dé
putés et sénateurs à une œuvre pareille. M. Martin- Feuillée préférerait, avec raison, avoir trois mois de tranquillité devant lui; et c’est pour cela qu’il pousse à la roue de tout son pouvoir, pour obtenir le vote définitif de la loi avant les vacances.
Malheureusement pour lui, la chose n’est pas sans difficulté. Le Sénat, en première lecture, n’a fait à la loi que des changements que M. le garde
des sceaux —et probablement aussi la Chambre — accepteraient sans trop de peine. Mais il reste à faire voter le projet en seconde et en troisième lec
ture au Sénat — ce qui demande au moins huit jours, trois jours de discussion et huit jours d’intervalle entre les deux lectures — et à le faire ensuite accepter par la Chambre.
M. Martin-Feuillée n’y avait point renoncé. Son intention première avait été de demander au Sénat la déclaration d’urgence qui, dispensant de la troi
sième lecture, faisait gagner cinq jours. Mais la chose n’allait point toute seule ; il fallait débuter par obtenir un vote et on pouvait subir un échec.
Aussi le conseil des ministres a fait renoncer M. Martin-Feuillée à sa demande d’urgence.
Dès lors, le vote définitif devient difficile et même improbable. L’opposition, au Sénat, est de force à tenir la discussion longtemps suspendue. La même raison qui fait désirer à M. le garde des sceaux d’a­
voir sa loi tout de suite, fait désirer à la droite de la retarder. Et MM. Buffet, Lucien Brun, J. Simon, etc., etc., sont de taille à prolonger le débat aussi longtemps qu’il le faudra pour atteindre leur but. L’obstruction qui n’a pas réussi aux adversaires des conventions, réussira probablement aux adversaires de la loi sur la magistrature. D’autant que la ses
sion ne peut se prolonger au-delà du 28, à moins de retarder, par une loi, la session des conseils généraux, ce qui serait grave.
Entre temps, M. le ministre des affaires étrangères, questionné par un aimable compère, M. Francis Charmes, s’est expliqué très nettement sur les prétendus « incidents » de Madagascar, dont on s’est un peu, beaucoup et même trop ému en Angle
terre. Il est résulté des explications de M. Challemel-Lacour que le gouvernement anglais, en par
lant comme il l’a fait, a commis un impair. Rien ne justifie, jusqu’à présent, ses susceptibilités; même il paraît que M. Gladstone avait oublié d’allumer sa lanterne, car voilà maintenant que les faits « graves » dont il a parlé s’évanouissent; de sorte que l’Angleterre pourrait bien avoir à la fois le ridicule de s’être laissé mystifier et le tort d avoir montré, sans motifs, une jalousie malveillante.
Chambre des Députés. — Séance du 12 juillet : Débat sur la mise à l’ordre du jour du projet de loi relatif aux conventions passées entre l’Etat et les Compagnies de chemins de fer. La discussion est mise à l’ordre du jour du 16 courant. — Adoption du projet de loi élevant de 12 à 25,000 francs la pension servie à M. Pasteur, avec réversibilité, après lui, sur la tête de sa veuve.
Séance du 16 . Commencement de la discussion des conventions avec les Compagnies de chemins de fer. M. Sourigues combat ces conventions, et M. Loubet lui répond en défendant ’e système actuel d’exploitation, qu’attaque très vivement à son tour M. Madier de Monljau, en prenant à partie le ministre des travaux publics, M. Raynal. — Question de M. Francis Charmes au ministre des affaires étrangères sur le bombardement de Tamatave et sur la mort du consul anglais. Le minis
tre, en réponse, fait connaître les instructions données à l’amiral Pierre, qui s’est emparé successivement de Majunga et de Tamatave, sans effusion de sang, et a éta
bli l’état de siège dans cette dernière ville. Tels étaient les renseignements reçus par le gouvernement, lorsque l’ambassadeur d’Angleterre lui demanda des explications relatives à des faits qui se seraient passés à Tamatave. L’amiral Pierre aurait fait arrêter le secrétaire du con
sulat anglais, Howa de naissance, sous l’inculpation d’intelligence avec l’ennemi; il aurait en outre enjoint au consul anglais, M. Packenam, déjà malade, de quitter la ville dans un délai déterminé, et celui-ci en serait mort avant l’expiration de ce délai; enfin l’amiral aurait empêché un navire anglais de communiquer avec là terre, malgré les réclamations du commandant de ce na
vire qui se serait borné d’ailleurs à une protestation verbale. Le ministre a répondu qu’il n’avait reçu aucune nouvelle de ce genre; que l’amiral avait, depuis les faits précités, télégraphié sans en faire aucune mention ; que s’il a été amené à prendre quelque mesure grave, cette mesure doit certainement s’expliquer, se justifier par son absolue nécessité. Le ministre ajoute en terminant que s’il s’est produit, quelque erreur grave ou quelque malentendu dans laquelle la passion ait joué un rôle, le gouvernement n’hésiterait pas à remplir les obligations qui
Décrets. — Sont nommés dans l’ordre de la Légion d’honneur : M. Tissot, ambassadeur de la République en Angleterre, grand’croix ; M. des Michels, ambassa
deur en Espagne, commandeur; MM. Barrère, ministre plénipotentiaire, membre de la commission internatio
nale du Danube et Ordega, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la République française à Tanger, officiers; Mme Frary-Gross, chevalier. MmeFrary-Gross est l’ancienne directrice de l’ambulance de l’Hôtel de ville de Paris, qui s’est distinguée pendant le siège en organisant, cette ambulance et en y soignant les blessés avec beaucoup de dévouement.
Décret réglant les conditions du transfert des nouvelles rentes 4 1/2 %.
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14 juillet. — Fête nationale. *
Publication au Journal officiel des chiffres du commerce extérieur de la France pendant les six premiers mois de l’année 1883. Les importations se sont élevées du Ier janvier au 30 juin, à 2,418,211,000 fr. et les exportations à 1,689,646,000 fr. *
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Grande-Bretagne. — Accord entre le gouvernement anglais et M. de Lesseps au sujet de la construction d’un second canal de Suez. Le nouveau canal sera paral
lèle, autant que possible, au canal actuel et devra être terminé à la fin de 1888.
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Nécrologie. —M. Lamazou, évêque d’Amiens. (Voir notre article Gravures).
M. Lucet, sénateur de Constantine. Avocat. Exilé au coup d’Etat de décembre. Après avoir passé cinq ans en Italie, il se rendit à Constantine, entra au barreau de cette ville et s’occupa de colonisation. Nommé préfet de Constantine le 6 décembre 1870, il donna bientôt sa démission pour se présenter aux élections à l’Assemblée nationale. Il y siégea sur les bancs de la gauche républicaine ; il faisait partie du Sénat depuis son institution. Il était né le 21 octobre 1816.
M. Trouessart, ancien collaborateur du Phare de la Loire. Sous-commissaire de la République en 1848. Se
crétaire général de la préfecture de Maine-et-Loire en 1870, puis rédacteur du Patriote et du Phare de la Loire.
M. François Beslay, rédacteur en chef du journal le Français. Fils de l’ancien représentant du peuple à la Constituante de 1848, qui fut membre de la Commune et mourut en Suisse, en 1878, M. François Beslay avait appartenu au barreau de Paris et avait été pendant dix ans secrétaire de M. Marie. C’est en 1868 qu’il fonda le Français, organe conservateur, sous les auspices de MM. de Broglie et Buffet. Il laisse un ouvrage : Lacordaire, sa vie et ses œuvres. Il était âgé de quarante-huit ans.
M. Pierre-Désiré Lachèze, ancien député, ancien président du conseil général de la Loire, offi fier de la Légion d’honneur. Quatre-vingt-trois ans.
M. André, ancien préfet. Il avait été préfet dans la Côte-d’Or, puis dans l’Ille-et-Vilaine. Il avait été mis en disponibilité il y a un an par M. Goblet, alors ministre de l’intérieur.
lui seraient imposées par l’esprit de justice et par l’intérêt du pays. — L’incident est clos.
Séance du 17 : Adoption, à l’unanimité de 393 votants, d’une proposition ayant pour objet d’ouvrir au ministre des finances un crédit de cent mille francs, destiné à couvrir les frais de vo)rage, de séjour et de publication des rapports d’un certain nombre d’ouvriers français délégués à l’Exposition d’Amsterdam. — Suite de la première délibération sur les projets de loi portant approbation des conventions avec les Compagnies de chemins de fer. M. Grau répond au discours de M. Ma
dier de Monjau et fait la critique de l’exploitation des chemins de fer par l’Etat. M. Allain-Targé plaide la cause du rachat et de l’exploitation par l’Etat. — Au début de la séance, dépôt par le ministre des travaux publics de la convention avec la Compagnie de l’Ouest.
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Sénat. — Séance du 12 juillet : Discussion du projet de loi relatif à la réorganisation de l’artillerie en vue de la formation d’une artillerie de forteresse. D’après ce projet, le train d’artillerie serait supprimé. Cette dispo
sition est combattue par le général Billot, qui reprend comme contre-projet le projet de loi présenté par lui à l’époque où il était ministre de la guerre. Malgré l’op
position du général Thibaudin et du général Farre, ce contre-projet est renvoyé à la Commission par 133 voix contre 118.
Séance du 17 : Malgré l’opposition de MM. de Gavardie, Buffet et Jules Simon, le Sénat décide que la discussion du projet de loi sur la réforme de la magistra
ture sera inscrite à l’ordre du jour du 19. — Reprise de la discussion de la loi sur le régime des eaux.