son souriante, une grisette du bon temps et, dans la vie, une bonne fille devenue une bonne femme. N’oubliez pas Alphonsine ! On n’en fait plus, au théâtre, de ces gais tempéraments-là !
C’est à elle qu’arriva cette aventure, un soir qu’elle entrait aux Variétés. En passant devant la loge du concierge, dans ce petit couloir qui a vu tour à tour défiler en leur pleine gloire Hortense Schneider, Judith Ferreyra, Léonide Leblanc, Louise Théo et Anna Judic— sans compter les oubliées — Alphonsine aperçoit un jeune collégien qui tendait à la portière un pli cacheté, comme on dit dans les romans.
Le lycéen tenait encore l’enveloppe entre ses doigts lorsque la concierge, apercevant Alphonsine, dit :
— Vous demandez Mlle Alphonsine? Tenez, la voilà, Mlle Alphonsine! Remettez-lui votre lettre vous-même!
Et, Alphonsine s’approchant, le malheureux lycéen, rouge comme une framboise, se trouve face
à face avec la comédienne qui, à son tour, tend la main vers la lettre et lui dit :
— Eh! bien, j’attends!
L’infortuné eût voulu l’avaler cette lettre, la jeter au feu, au vent, au diable.
— C’est que, mademoiselle, balbutie-t-il, ce n’est pas seulement une lettre.
— Je m’en doute bien, c’est une déclaration. Donnez toujours !
— Oh ! (et le pauvre Cherubino devenait décidément cramoisi) c’est que ce n’est pas seulement une déclaration; ce sont des vers !
— Des vers ? Bah ! je connais ça ! Donnez ! donnez! S’ils sont drôles, je les ferai mettre en musique par Victor Chéri !
— Oh ! reprit le collégien du ton de Werther soupirant aux côtés de Charlotte, non, mademoiselle, non, ils ne sont pas drôles !
— Ils sont dramatiques ? Voyons ça !
Et, en effet, ils étaient dramatiques. L’amoureux en tunique menaçait de se brûler la cervelle si Alphonsine ne lui accordait pas un baiser.
— Ce n’est que ça? dit la bonne — et forte fille. Elle empoigna le collégien, le porta à la hauteur
de ses lèvres, comme un poupon, et lui planta sur chaque joue un gros baiser bien maternel, puis reposant sén s aupirant à terre :
— Tu n’en voulais qu’un ! En voici deux ! Bonsoir, mon petit ! Et aime bien ta maman ! C’est encore ça qui vous aime le mieux !
Et si je disais qu’il est devenu procureur général, le petit soupirant d’Alphonsine !
Perdican.


IDYLLE


I
la cour du Bras-d’Or — une vieille auberge tombée avec les diligences de Paris. — C’est là que, tout le jour, l’antique guimbarde jaune se craquelle au soleil. Les noms des communes sont peints sur une bande rouge; le nom du voiturier est écrit sur la portière :
BLONDEL
Il est orné d’une majuscule superbe, un B joufflu, titubant, bambocheur comme le joyeux cocher, qui tutoie tous les cabaretiers de la route.
Le dimanche, la diligence verse sur la place de Rolleville une foule bruyante, en robes de percale, chapeaux de paille, ombrelles claires et vestes de coutil, qui vient cueillir « des porions » et manger des truites à l’ombre du pont. Le soir, les compa
gnies s’en vont surchargeant l’impériale, frileuses, roulées dans des châles, chantant les cauchoises et le cidre doux.
L’hiver est saison morte pour le voiturier. Il vit des paquets et des commissions. De ci de là, une fille part en condition pour la ville ou M. le curé va visiter un confrère sur la route; mais les bour
geois ne voyagent plus. Aussi c’est un étonnement dans tout le pays, lorsqu’un soir de mars, la dili
gence s’arrête devant l’Abbaye, — la première ferme à gauche en venant d’Epouville. Une jeune femme en noir descend, suivie d’un enfant en noir comme elle, et d’une servante de campagne qui porte un panier.
— Prends garde de tomber, Médéric.
Maze, le fermier, attend près de la barrière blanche, sa casquette à la main, embarrassé dans le compliment de bienvenue.
— Et la santé de Madame ?... Voilà donc le petit...? Tout ce pauvre Monsieur à son âge !
Et comme, à ce souvenir, les yeux bleus se remplissent de larmes, Maze s’arrête, gêné, craignant d’avoir dit une sottise.
— Excusez, Madame Ferrard, je ne voulais pas vous faire de la peine.
Debout sur la bâche, Blondel passe les malles à un garçon de ferme, en jurant après ses chevaux, qui sentent l’ècurie et s’impatientent.
Il a bientôt descendu le petit bagage de la veuve et, précédés du fermier, ils entrent dans la salle du pavillon.
Une flambée de sarments éclaire la pièce, humide de cinq années d’ombre et de volets fermés. Elle s’asseoit devant le feu en frissonnant, l’enfant sur les genoux. Maze voit son chagrin et se tait touché par ce blond deuil de jeunesse et la lan
gueur de ces yeux battus, dont personne n’essuiera plus les larmes.
— Merci, mon brave Maze, et à demain. Mélina fera le reste seule.
Le fermier se retire et ils dînent tous les trois, la servante à la table des maîtres, rapprochés par la douleur. Des papillons brûlent leurs ailes aux chandelles; l’enfant, lassé, s’endort sur sa chaise, et tandis que Mélina monte préparer les chambres, elle reste seule à rêver, en face du feu qui s’éteint.
C’est la guerre qui vient de la faire veuve.
Il y a dix ans — dix ans déjà ! — le lieutenant Ferrard, touché de sa grâce de Lorraine et de sa solitude d’orpheline, a demandé sa main. Pendant dix ans elle l’a suivi de garnison en citadelle, fière du mari, fière de l’enfant qui lui ressemblait. Puis la guerre a éclaté au milieu de son bonheur. Elle est restée dans Paris avec le petit; lui a couru à la frontière, sur la brèche. Oh ! les angoisses, les rares nouvelles ! jusqu’au jour où, prisonnière dans la capitale bloquée, elle a vécu six mois sans rien ap
prendre, priant encore la Vierge de sauver cette chère vie, quand il était tombé depuis des semaines.
Lorsqu’elle a su la nouvelle, elle a attendu longtemps avant de croire, imaginant une captivité impossible, une blessure, là-bas, au fond d’un hôpital allemand. Enfin, quand tout a été fini, l’espé
rance comme le reste, elle a pris son enfant par la main, et elle est venue vivre sur cette ferme, qui est toute sa fortune, loin de la foule et des indifférents.
Au-dessus de sa tête va et vient le pas affairé de la servante. La lueur mourante du feu éclaire par
intervalles la silhouette de l’enfant endormi ; elle se penche pour l’embrasser.
— Ne pleure pas, maman.
— G mon chéri ! si jamais Dieu te donne une femme qui t’aime, ne la laisse pas seule.
II
Un réveil aux champs, quelle joie pour un marmot pâle qui, depuis six mois, prisonnier des bom
bes et du deuil, vivait dans le tremblement, entre les sanglots de sa mère et les hurlements de la rue.
A travers les rideaux de coton rouge, le soleil d’onze heures décochait des flèches d’or; la bassecour chantait, et la maison moisie rayonnait, transfigurée par l’éblouissement de la lumière.
Médéric courut à la fenêtre et poussa les persiennes.
Au pied de la maison, il y avait un espace libre, encombré d’herbes et de plantains. Le passage régulier des servantes allant au puits traçait un sen
tier poudreux en diagonale. Derrière l’abreuvoir,le fumier, couvert de poules, bordait la bergerie, lon
gue comme une arche. Plus loin, la mare, d’un noir d’encre, miroitait au travers des sureaux. Sur la droite, les pommiers fleuris escaladaient la col
line jusqu’au rempart sombre de la chênée. Delà houle des arbres sortaient le colombier pie et les chaumes feutrés de mousse, couronnés d’iris. Une jument en liberté broutait sous les arbres et le galop du poulain effarouchait la fuite des canards.
A l’angle de l’abreuvoir, Médéric aperçut une petite tête sournoise épiant l’ouverture des volets. Il lui fit signe de la main, mais le minois curieux disparut bien vite, et il eut beau crier :
— Bonjour, petite !
Personne ne se montra.
Il déjeûna en tête-à-tête avec sa mère, les fenêtres ouvertes, les auvents clos, à cause du soleil de mars et des premières mouches.
La salle à manger était une pièce d’angle, par
quetée, qui prenait jour des deux côtés. Les portes et les boiseries, rechampies de vieux-chêne, étaient piquées des vers par endroits. D anciennes taches reparaissaient au plafond reblanchi, et une humi
dité, qui montait des caves, blanchissait la plinthe près de la porte. Sous le baromètre en losange, des chaises Empire s’alignaient. Il y avait des ronds de paillasson devant chaque chaise et des housses damassées sur les deux bergères d’osier qui flanquaient la cheminée. Un guéridon d’acajou, re
couvert d’une toile cirée, occupait le milieu de la pièce.
On allait se lever de table, quand on entendit sous les fenêtres la voix rude du fermier, qui s’atdoucissait comme pour parler à un enfant :
— Voyons, petite sauvage, on ne veut pas te manger.
Un pas lourd écrasant le sable du corridor, trois coups fortement heurtés à la porte, et Maze entra présenter son hommage. Jl tenait sa petite Lisée par la main. Médéric, qui les avait vus l’un et l’autre, l’homme à la nuit, la fillette au coin du puits, les regarda curieusement.
Maze semblait déjà sur l’âge, bien qu’il n’eût guère plus de cinquante ans. C’est que la terre use vite, et il y avait un grand chagrin dans cette vie simple : la mort de la femme après les couches, laissant le veuf tout seul dans sa grande cuisine, un nouveau-né sur les genoux. A la campagne, on ne s’attarde pas aux oisifs regrets qui nourrissent les larmes, et ceux qui ont creusé la fosse retour
nent le jour même au sillon. Là, on ne pense guère, et le cœur qui est tout à la besogne ne rêve pas.
Maze avait du bon sens, un grand amour pour la terre, un étonnement d’homme robuste en face de son orpheline ; il ne se remaria pas, vécut à la charrue, mettant son honneur à payer exactement les fermages et à amasser du « bien » pour établir Lisée.
— Allons donc, Lisée !
Et, voyant que la petite s’obstinait à baisser le
Rolleville est une paroisse du pays de Caux, célèbre dans toute la Normandie pour ses moutons ses pommes d’éclat et les cures merveilleuses de la fontaine Sainte-Clotilde.
Le « carreau » compte une centaine de maisons, brique et colombage, bordant une rue en équerre,
coupée par un ruisseau que les carrioles passent à gué. — C’est un bras de la Lézarde, une rivière à truites qui va joindre la Seine, après avoir fait tourner six moulins et réfléchi dans ses eaux clai
res des sous-bois, des pans de ciel, le rempart des Cent-Quatre et le clocher d’Harfleur, gothique et blanc.
Les fermes, les pieds dans l’eau, rient au soleil. Quelques unes gravissent les deux collines couron
nées de chênes. Les colzas viennent bien sur le plateau. Les cultivateurs sont aisés, et l’on voit encore des bonnets cauchois échafaudés sur de jolies têtes, au bal de l Assemblée.
Un jour à venir, le chemin de fer de Montivilliers poussera son coup de sifflet jusqu’au fond de la vallée, coupera la route de barrières et s’ouvrira un chemin rouge entre deux talus. En attendant, la paroisse est desservie par une diligence, qui traverse tous les pays de Rolleville au Havre.
Chaque soir, à quatre heures, la voiture part de