HISTOIRE DE LA SEMAINE
La bataille est engagée sur îoute la ligne : à la Chambre, sur les conventions de chemins de fer;
au Sénat, sur la loi des magistrats. Et, dans une Chambre comme dans l’autre, la lutte prend un caractère d’acharnement forcené.
Non pas que les opposants espèrent une victoire quelconque Au Sénat peut-être y aurait-il quelque chance de faire rejeter l’article 15 de la loi sur la magistrature,—c’est-à-dire le principe même de
la loi, si cela peut s’appeler un « principe ».—Mais cette chance, qui ne laissait pas que d’être sérieuse,
s’amoindrit de jour en jour, les sénateurs n’étant guère moins sensibles que les députés aux considé
rations électorales, qui permettent aux ministres de négocier utilement avec les votants indécis.
De même, à la Chambre, les adversaires des conventions auraient eu, peut-être, une chance de faire rejeter la convention avec la Compagnie d’Orléans. Mais il aurait fallu concentrer tous ses ef
forts sur cette question et frapper, à l’improviste, un grand coup. Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? On a émietté ses forces, fatigué, irrité la Chambre par des procédés d’obstruction fort ennuyeux, mais tout à fait inefficaces. Si bien qu’aujourd’hui le diapason est monté jusqu’au ton de la colère, et la Chambre, non seulement ne sera plus dans une disposition d’esprit à se laisser convaincre, mais elle sera d’une humeur à ne plus rien écouter.
Je vous ai raconté, il y a quinze jours, par le menu, toute la campagne obstructionniste menée dans la commission des chemins de fer par MM. Wilson, de la Porte et Allain-Targé; M.Wilson surtout. Maintenant, devant la Chambre, c’est la même chose. On a commencé par essayer d’en
traver le vote par des scrutins publics à la tribune. Un scrutin de cette sorte prend une heure ou à peu près. Et on affirmait que les opposants avaient pré
paré une vingtaine de ces scrutins, c’est-à-dire de quoi faire perdre à la Chambre le temps de cinq séances, de façon à faire rejeter la discussion après les vacances. A cela les ministériels ont répondu en décidant que les séances commenceraient à une heure et qu’il y aurait séance le mercredi.
Mais les obstructionnistes ne se tiennent pas pour battus. Sur chaque convention ils recommencent une discussion générale. Rien que sur la con
vention avec le P.-L.-M. — cela se dit comme cela, maintenant, à la Chambre : « le P.-L.-M. » — la discussion générale a pris deux jours. Et il y a six conventions ! Et, sur l’Orléans, la bataille promet d’être formidable !
avant la modification du règlement — un moyen efficace. En France, on peut dire d’avance qu’elle profitera toujours au gouvernement, parce qu’elle fatiguera très vite la patience des Chambres et les fera voter, de colère, contre les obstructionnistes.
Et si la loi de la magistrature a quelque chance d’être votée au Sénat, c’est surtout à cause des 31 amendements de M. de Gavardie. Quand les pères conscrits auront entendu trente-un discours de M. de Gavardie, ils seront dans un état de colère et de douleur qui les fera voter tout ce qu’on voudra, sans débat.
D’autant que la résolution du gouvernement est prise : il veut avoir ses conventions et sa loi des magistrats. S’il le fallait absolument, il retarderait, même au prix d’une loi spéciale, la session des con
seils généraux. Or, cette éventualité ne sourirait que médiocrement à nos honorables pour deux rai
sons : d’abord, parce qu’une loi de ce genre alarmerait considérablement les populations rurales,
incapables d’en comprendre le motif; puis, parce que chacun dans son arrondissement sait bien qu’en son absence ses adversaires travaillent les. élections des conseils généraux : « Nous perdons cinq sièges par jour dans l’ensemble des élections », disait hier un député de l’Ouest.
Aussi, quand le gouvernement, croyant le moment venu, donnera le signal, les votes de clôture se précipiteront. Vendredi et samedi, on ne discu
tera plus : on vociférera et on votera. Peut-être faudra-t-il tenir deux ou trois séances de nuit ; eh bien, on les tiendra et on finira tout de même.
Mais il faut avouer que ce sont là des habitudes bien étranges, et que le Parlement ne devrait pas,
chaque année, après avoir employé tout son temps à faire des vétilles et des riens, s’exposer à se voir mettre en retenue à chaque fin de session, jusqu’à ce qu’il ait fini son pensum.
Sénat. — Séance du 18 juillet: Discussion du projet de loi sur l’artillerie de forteresse. Le contre-projet du général Billot, précédemment renvoyé à la commission, est repoussé par celle-ci. Energiquement défendu par son auteur devant le Sénat, attaqué par le ministre de la guerre et M. de Freycinet, il est également repoussé par cette Assemblée, qui adopte ensuite le projet du gouvernement.
Séance du 19 : Commencement de la discussion de la loi sur la réforme judiciaire. Tout d’abord, M. Buffet développe une motion préjudiciable, ayant pour objet de faire précéder la discussion de la loi d’une enquête au
près des barreaux des cours d’appel. Cette proposition, combattue par M. Tenaille-Saligny, rapporteur, est re
poussée. Après un discours, interrompu par une indis
position subite, de M. Lafond de Saint- Mür contre la mi, M. Tenaille-Saligny fait l’historique de la question, et M. Jules Simon lui répond.
Séance du 20 : Suite de la discussion générale de la loi sur la réformede la magistrature. M. Martin-Feuillée, garde des sceaux, répond à M. Jules Simon, en expo
sant les raisons qui ont déterminé le gouvernement à présenter la loi et qui en rendent l’adoption nécessaire. Après un discours de M. Allou, dirigé principalement contre a suspension de l’inamovibilité, la discussion gé
nérale est close. L’urgence, demandée par M. Jules Ferry, est déclarée, malgré les efforts de M. Lizot, et le passage à la discussion des articles est prononcé.
Séance du 21 : Question de M. de Broglie sur les affaires du Tonkin. La réponse de M. Challemel-Lacour ne diffère pas sensiblement des explications récemment
données par lui à la Chambre des Députés. Si nous ne nous trouvons pas en guerre ouverte avec 1’Annam, nous avons du moins à combattre les bandes des Pavillons-Noirs et des Pavillons-Jaunes, qui sont fort proba
blement à la solde du gouvernement annamite. — Suite de la discussion de la loi sur la réforme judiciaire. M. Grandperret combat la disposition qui fixe à cinq le nombre des conseillers requis pour rendre valable un arrêt de cour d’appel. M. Martin-Feuillée défend la ré
daction proposée. Un amendement deM.Jouin, portant que les arrêts de cour d’appel seront rendus par sept conseillers, est rejeté.
Séance du 23 : Discussion de l’anicle 2 de la loi sur la réforme judiciaire. Cet article règle le nombre de cham
bres et de conseillers qui composeront chacune des cours d’appel. Trois amendements sont présentés : l’un, de M. Delsol, portant à 14, président compris, le nombre minimum des conseillers dans chaque cour; rejeté ; le second, de M. Dauphin, demandant que chaque cham
bre soit composée de neuf conseillers au lieu de sept; adopté, malgré l’opposition du garde des sceaux; le troi
sième, de M. Robert de Massy, établissant une seconde chambre pour les cours réduites à une seule par le projet; rejeté.
Séance du 24 : Suite de la précédente discussion. L’article 2 est adopté. Les cours composées de deux cham
bres auront dix-huit magistrats ; celles composées de trois chambres, vingt-trois seulement.
Décrets. — M. Waddington, sénateur, ancien président du Conseil, est nommé ambassadeur de la Répu
blique française près la reine de la Grande-Bretagne et d’Irlande. — Les élections pour le renouvellement de la deuxième série sortante des Conseils généraux et des Conseils d’arrondissement sont fixées, pour les dépar
tements autres que celui de la Seine, au dimanche 12 août 1883.
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Conseil municipal de Paris. — Séance du 23 juillet: Commencement de la discussion du projet d’emprunt de 220 millions. Le rapporteur de la Commission propose de rejeter le projet.
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Grande-Bretagne. — Chambre des lords. — Séance du 17 juillet. Le projet d’un second canal de Suez. Lord Granville défend l’arrangement provisoire conclu avec M. de Lesseps et déclare que, le ministère ayant été d’avis de conclure cet arrangement, il croit de son de
voir de le soumettre à l’approbation du Parlement. Après une réplique de lord Salisbury, chef du parti conservateur, la discussion est close sans être suivie d’une résolution.
Chambre des Communes. — Séance du 23 : M. Gladstone annonce qu’il n invitera pas le Parlement à sanctionner l’arrangement provisoire conclu avec M. de
Lesseps, parce que cet arrangement n’a pas rencontré l’approbation générale, complète, du pays, et que, de différents côtés, on demande du temps pour l’étudier.
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Nécrologie. — M. Pierre Daron, député de Saône-et- Loire. Né en 1803. Maire de Châlon-sur-Saône en 1848, il y proclama la République et resta à la tête de l’admi
nistration municipale jusqu’au coup d’Etat. Il échoua aux élections de 1863 et 1869. Ce n’est qu’en 1871 que M. Darori fut élu à l’Assemblée nationale, où il fit partie de l’Union républicaine. Depuis, il continua de siéger à la Chambre des députés pour la deuxième circonscrip
tion de Chalon, qui l’avait réélu successivement aux élections de 1876, 1877 et 1881.
M. le général de division Henri de Bouille. Né en 1824. Elève de l’Ecole de Saint-Cyr, puis de l’Ecole d’état-major; il fit les campagnes de Crimée, d’Italie et de Chine. Au moment de la dernière guerre, il était attaché militaire à l’ambassade de Vienne. Rappelé en France, il fut nommé chef d’état-major du 170 corps d’armée. Général de brigade, le 27 novembre 1870; il fut blessé à la bataille de Pata)-. Général de division, le 30 mars 1881, il commanda la 13e division d’infanterie
du 7e corps d’armée, et fit partie du comité consultatif de l’état-major. Il était commandeur de la Légion d’honneur depuis le 24 juin 1871.
Chambre des députés. — Séance du 19 juillet : Suite de la discussion générale des conventions avec les Com
pagnies de chemins de fer. M. Allain-Targé parle contre ces conventions et engage le gouvernement à reprendre les négociations sur de nouvelles bases. M. Raynal, mi
nistre des travaux publics, lui répond. Il déclare qu’il n’y a que deux solutions, le statu quo ou les conventions. Or, le statu quo n’est pas possible. Il faudrait emprunter chaque année 450 millions pour assurer l’exé
cution du troisième réseau. Les conventions s’imposent donc comme une nécessité.
Séance du 20 : Suite de la discussion générale des conventions avec les Compagnies de chemins de fer. M. Wilson critique les conventions, tout en déclarant qu’il n’en repousse formellement qu’une seule, la convention avec la Compagnie d’Orléans. La séance se termine par un discours de M. Rouvier, rapporteur, qui expose les avantages que les conventions présentent sur l’emprunt.
Séance du 21 Fin de la discussion générale des conventions, attaquées par M. Pelletan et défendues par M. Léon Renault. M. Lockroy voulait encore les exa
miner au point de vue de la Défense nationale, mais la clôture de la discussion générale est votée parla Chambre, qui vote également l’urgence.
Séance du 23 : Question de M. Cunéo d’Ornano au ministre de l’intérieur, sur les inconvénients qui résultent de la convocation simultanée des conseils généraux et des conseils d’arrondissement. — Suite de la discussion des conventions avec les Compagnies de chemins de fer.
Séance dit 24 : Même discussion. M. Lockroy traite la question au point de vue militaire. Selon lui, les conventions sont un danger au point de vue de la mobili
sation. Après un discours de M. Arrazat, la discussion générale est close.
A première vue, cette tactique peut paraître habile. En fait, il n’en est pas de plus vaine et de moins adroite. Ne sait-on pas bien que le gouver
nement est résolu à brusquer les choses et qu’il veut avoir le vote des conventions avant les va
cances ? Ignore-t-on qu’il y a dans la Chambre une majorité ministérielle compacte, résolue, prête à tous les votes que le gouvernement voudra bien lui demander ? Et se figure-t-on que, maître du vote, le gouvernement se laissera battre par une obstruction dont il peut avoir raison quand il voudra avec des votes de clôture ?
Ce ne sont pas les opposants qui sont malins, dans cette affaire; c’est le gouvernement. Il attend que, par des manœuvres irritantes et inutiles, par des discours ennuyeux sur des questions secondai
res, par des amendements risibles sur des points incontestés, les opposants aient mis à bout la patience de la Chambre. Et lorsqu’après avoir em
ployé tous ses efforts aux bagatelles de la porte, l’opposition abordera, enfin, la question sérieuse, je veux dire la convention avec la Compagnie d’Or
léans, la Chambre énervée, fatiguée, agacée, irritée ne sera plus en état d’écouter sérieusement quoi que ce soit de sérieux. La discussion qui, dès le début, franchement abordée, pouvait être dangereuse, ne sera même plus un débat. Ce sera un ser
mon dans le désert, au milieu des conversations particulières, avec des explosions intermittentes de grognements et ae cris ; « Aux voix ! la clôture !
ture! ture! ure!... » Enfin, tout ce vacarme que les annotations sacramentelles du Journal officiel for
mulent ainsi ; « Bruit prolongé. » Après quoi, le gouvernement obtiendra sans peine toutes les clôtures et tous les votes qu’il lui plaira de demander.
C’est là la morale du procédé parlementaire. Il se peut qu’en Angleterre l’obstruction ait été —
Elections. — Sénatoriale. Département de Vaucluse : M. A. Naquet, député, membre de l’extrêmegauche. Il s’agissait de remplacer M. Elzéar Pin, décédé. — Législative. Arrondissement de Narbonne. Candi
dats : MM. Papinaud, Lamothe-Tenet, Turrel, Fournière, Digeon et Limouzy. Ballottage. Il s’agissait de remplacer M. Mairie, démissionnaire.