COURRIER DE PARIS
Je me suis souvent demandé pourquoi les Parisiens voyageaient ; ils ont tout sous la main, même en été, et les coteaux de la Celle-Saint-Cloud et la terrasse de Saint-Germain sont des paysages exquis qu’on peut voir sans fatigue. On a, chez soi, tout
le confortable qu’on désire. On hume à l’aise l’air du temps.
S il pleut, j ai mon parapluie,
S’il fait froid, j’ai mon manteau !
Comme nit le Bonhomme de Nadaud. On a même, ainsi que ce philosophe de la chanson, la joie d’aller voir couler l eau si l’on s’ennuie, et la Seine vraiment vaut bien qu’on s’arrête sur ses bords. Bref, à Paris et aux environs de Paris, tout est charmant, et les Parisiens n’auraient aucun prétexte de quitter leur logis ou leur ville d’habi
tude pour quelque hôtel où l’on est servi à la diable ou quelque appartement meublé, au bord
de la mer, où l’on n’est à l’abri ni des vents coulis, ni des souris, si ces baigneurs, qui parfois ne se baignent pas, n’avaient point une raison de boucler leurs malles.
Les Parisiens ne voyagent — je viens de le découvrir — que pour se rencontrer.
A Paris, on ne se voit pas. Il est entendu que les visites sont des corvées. Cela semble si exact, qu’on a pris des jours et choisi certaines heures, des five o clock pour s’en débarrasser. C’est à peine si les visites de digestion sont obligatoires. Les hom
mes, trop affairés, n’en font pas ; ils délèguent ce soin à leur plus belle moitié et les femmes se trou
vent ainsi-chargées d’un des devoirs officiels de la vie.
On ne se voit pas, et, pour se voir, on choisit quelque plage de Normandie ou de Bretagne, et là on se rend, en chapeau mou et en espadrilles, toutes les visites de l’année à la fois.
— Eh ! bonjour, cher ami, charmé de vous rencontrer !
— Comment allez-vous ? Il y a si longtemps que je ne vous ai vu !
— Qüe voulez-vous ? A Paris on ne se voit qu’aux dîners, puis aux mariages et aux enterrements !
— Mais ici..,
— Oh ! ici ! Nous allons nous voir souvent, liquider nos comptes de causerie. Où demeurezvous ? A que! hôtel êtes-vous descendu ? Avezvous, sur la plage, un numéro de cabine?
— Vive la mer ! On peut s’y fréquenter sans gène !
Et voilà pourquoi quatre-vingts Parisiens sur cent quittent leur cnmfort pour aller rissoler au soleil quand le soleil donne, ou se mouiller non pas les pieds, mais les épaules, par ces misérables temps de pluie et d’orage que les baigneurs de nos côtes ont supportés depuis ces dernières semaines. Retrouver Paris à Etretat ou à Dieppe, et, là, se débarrasser en bloc de toutes les petites et grosses dettes de civilité puérile et honnête de Pannee, voilà l’utilité du bain de mer. Je ne m’en étais pas
aperçu jusqu’ici, mais à présent je connais le secret des Parisiens échappés. Ils remplacent, en fait de relations suivies, la cravate blanche de l’hiver par le veston et le beret de l’été, et ils se rendent leurs visites à la bonne franquette, à la matelotte.
Je dis : en béret. Ce n’est pas sans cause. Le béret de laine rouge ou blanc, le classique béret basque semble, cette année, devoir être à la mole sur les plages. Ce sont les jeunes misses anglaises, laides ou jolies, qui me paraissent l’avoir mis à l’ordre du jour. Elles trouvent, avec raison, que le béret est pittoresque, légèrement incliné et posé sur leurs cheveux d’or jaune ou de soie floche. Quand l’Anglaise est jolie, le béret devient ravis
sant. Il n’est point d’excentricité ou de pittoresque que ne fassent passer deux jolis yeux et de beaux cheveux noirs ou blonds. Mais quand elle n’est pas jolie, l’Anglaise — et ces événements arrivent — le beret devient aussitôt quelque chose d’affreux,
de prétentieux et de ridicule. J’en ai rencontré beaucoup, de ces bérets, basques ou autres, et j’en ai vu de toutes les couleurs. C’est une coiffure qui donne à la femme un petit aspect dégagé de rurale ou de rapin. C’est original, c’est tout à fait simple, mais, encore une fois, si la femme n’est point jolie, c’est abominable.
Or, par une certaine perversion du sens esthétique, il arrive presque toujours qu’une femme laide,—j’entends une laide laide, car il est de jolies laides— a le goût absolu des choses excen
triques. Elle croit donner quelque prix inattendu à son genre de beauté en le relevant par quelque note singulière. C’est comme un grain de poivre ajouté à sa physionomie et, hélas — alas, poor ma
man ! — ce grain là n’est rien moins qu’un grain de beauté.
Va donc pour le béret, puisque les anglaises y tiennent ! Et, si les Parisiennes l’adoptent, il ne fera pas mal du tout sur la tête de nos mondaines ou demi-mondaines.
Une autre cause du besoin qu’on a de ces plages où l’on vit avec un peu plus de liberté appa
rente, c’est le goût tout naturel qu’ont les filles d’Eve — classées ou déclassées — pour les déguisements et les travestis. Une plage bien notée res
semble vaguement à un bal masqué. On se déguise en baigneuse ou plutôt en baignée comme on se déguiserait en paysanne Pompadour ou en Conversion de la Rente. Et puis, la mer seule suffit à as
surer pour jamais la vogue des bains de mer. On oublie si vite Paris à regarder le flot qui monte et
le soleil qui se couche. Le ciel parfois est rouge à l’horizon et projette sur la plage une lueur qui rend la plage toute rose, découpée par l’écume de la marée comme un large ruban frangé d’une den
telle mouvante. Le crépuscule vient, la nuit tombe, les phares s’allument au loin, dans la brume de
venue grise, comme les lampyres dans l’ombre. On n’aperçoit plus, sur la grève, que des gamins demi-nus sautillant dans la vague, comme des cra
bes qui se tiendraient debout, ou des silhouettes noires de promeneurs et de promeneuses, nettement enlevées comme des découpures du bout de quelques fins ciseaux et, tandis que la musique du ca
sino joue quelque chanson d’opérette, quelque air de danse, quelque refrain de petit théâtre, il sem
ble que ces Parisiens et ces Parisiennes ne sont, làbas, que de5 ombres chinoises défilant au son des valses de l’hiver dernier.
A Paris, quoi de nouveau, depuis la semaine passée ? Des duels. On a trop souvent parlé de leur inutilité pour y revenir. J’avais donné quelques lignes de regret, l’autre jour à Alphonsine, la grisette des anciens Délassements-Comique?. Cette fois, c’est une autre belle fille qui dis
paraît, Gabrielle Gauthier, cette grande brune aux sourcils noirs, énergiques et au fin sourire, bon en
fant, qui joua à la fois l’opérette et le drame et fut une des plus belles comédiennes de son temps.
Elle avait débuté tout droit aux Variétés, jadis, dans de petits bouts de rôle et je me la rappelle encore, jeune, superbe, dans un personnage de nourrice de vaudeville. Elle avait été une des deux hétaïres de la Belle Hélène, Parthénice ou Leœna, je ne sais laquelle, qui escortaient le jeune Oreste faisant sauter l argent à papa. De ces deux jeunes filles, Leœna et Parthénice, l’une vient de mourir, l’autre, la blonde petite Alice, a disparu, dans l’enlisement de la vie parisienne.
Un beau soir, Gabrielle Gauthier avait quitté le vaudeville pour jouer le drame. C’est dans un drame de Dumas père qu’elle débuta, au Châtelet,
les Blancs et les Bleus, et dans quel rôle ! Celui de Charles Nodier.
Dumas avait découpé en tableaux entraînants les Souvenirs de Nodier sur le séjour d’Euloge Scnneider et de Saint-Just, à Strasbourg, et il avait dans sa pièce, fait figurer Charles Nodier luimême. Le bon homme Nodier eût été flatté, je pense, si on lui eût dit autrefois qu’il serait repré
senté, en chair et en os, sur un théâtre parisien par une aussi belle créature que Gabrielle Gauthier.
Gabrielle— Gabri, comme l’appelaient familièrement ses camarades de coulisses — porta crânement le travesti et les bottes molles du jeune No
dier, puis elle joua, plus tard, une merveilleuse, merveilleusement belle, dans les Merveilleuses de Sardou. Elle apparut encore à l’Ambigu dans la grande Virginie de l’Assommoir, au Châtelet dans le Beau Solignac, puis on apprit que cette belle jeune femme avait failli mourir, d une terrible attaque de rhumatisme, maladie qui l’a emportée sans doute.
C’était une figure parisienne, un des visages souriants des premières et on n’a qu’à feuilleter les in
téressants volumes d’Arnold Mortier, les Soirées parisiennes du Monsieur de l Orchestre dont le dernier volume, celui de l’an 1882 vient de paraître avec une préface d’Henri Becque pour retrou
ver, à chaque page, ce nom aimé, ce nom applaudi de Gabrielle Gauthier qu’on ne lira plus que sur un tombeau.
Elles sont comme les étoiles filantes de l’art, ces charmeuses qui emportent avec elles tant de sou
venirs de soirées lumineuses et d’heures pleines des séductions du talent et de la beauté.
Sans doute, parmi ces concurrentes qui défilent, en robes blanches, à l’heure cù j’écris, devant la barbe grise de M. Ambroise Thomas au Conserva
toire il est beaucoup de jeunes filles qui rêvent d’être mieux et plus que des étoiles qui filent. On a toujours le droit de tout rêver.
Le coupé à venir figure aussi dans les perspectives du futur contingent dont se sont éprises, au moins autant que de Corneille ou de Mozart, ces artistes de dix-huit ans. Sarah Bernhardt et sa pro
digieuse destinée auront donné des ambitions de plus en plus extraordinaires aux comédiennes ap
prenties. Jadis la concurrente du Conservatoire ne demandait qu’un prix et un rôle. Aujourd’hui elle doit songer au grand reportage des journaux et à la croix de Suède décernée par le prince Oscar.
Etre décorée comme Sarah Bernhndt ! Faire parler de soi comme Sarah Bernhardt ! Aussi, écoutez-les toutes : dans leur coiffure, dans leur geste, dans leur accent, elles imitent Sarah Bernhardt.
Et, après tout, il est bon que de jeunes fronts roulent des projets de fantaisie, des chimères, des folies même, à l’heure où la femme, la Française,
devient si effroyablement pratique, et éprise à’uhlitarisme.
C’est ce que me faisait remarquer hier une Parisienne du bon vieux temps: le théâtre est encore la revanche de l’idéal !
— La multiplication des écoles primaires et des lycées sont de la plus absolue nécessité, disait en souriant Mme de C ..(Je ne la nommerai pas ) Et pourtant je frémis en pensant à cette boulimie de science qui va nous créer tant de prodiges féminins ! Quand toutes lesjeunes filles seront des éru
dites, où diable trouvera-t-on des ignorantes ? Quand les femmes seront universellement appli
quées à l’étude des problèmes les plus ardus, qui écumera le pot-au-feu et soignera la basse-cour ? Cette judicieuse pensée a dû hanter le cerveau de Mme d’Escagnac, du Calvados. En mourant, la
brave dame a légué à son département un superbe domaine et la forte somme de trois cent mille francs pour établir un Orphelinat agricole de filles. Parltz-moi de cette idée ! Voilà une personne sensée. Mme d’Escagnac a compris que toutes les petites Françaises ne devaient pas lutter avec nos mathématiciens, nos chimistes et nos littérateurs illusfres, qu’il était prudent de créer dans un coin un asile discret, afin de soustraire à la gloire promise à tant d’autres d’humbles fillettes qui, mo
destement, apprendront là à battre le beurre, à soigner les herbages et les bestiaux. Ce n’est pas poétique, sans doute, mais c’est pratique et, comme Monsieut et Madame le maire des Saltimbanques: je serai content et satisfait, si la générosité de l’intelligente donatrice du pays normand trouvait
de nombreux imiiateurs. On fonderait ainsi et l’on enrichirait des établissements simple.» et utiles qui feraient une concurrence assez agréable aux pépinières des bas bleus de l’avenir. Hélas ! nous avons
déjà un assez joli stock de bacheliers, frais émoulus de l’Université et brûlant, à l’heure où la barbe n’a point poussé, de faire connaître au monde entier les grandes idées qui bouillonnent dans leur cer
veau de vingt ans. Cela est tentant, en effet, de faire parier de soi et à peu de frais ! Les étoilés, comme les appelait le spirituel marquis de Belloy, les rêveurs, les enthousiastes, ceux qui croyaient à l’amour, à la gloire, à la patrie, écrivaient sim
plement pour célébrer leur idéal,et cela en cachette souvent, loin du contrôle grondeur de la famille.
Maintenant, ah ! maintenant, autre chanson ! Les collégiens à peine libérés se mettent dans le journalisme comme on se mettrait dans la nouveauté; ils choisissent cet état faci.e et lucratif, et c’est une épidémie courante, une autre espèce de choléra, le choléra scribien survenu à la suite de l’instruction universelle. Jusqu’à présent, le fléau s’est localisé chez le sexe fort; dans quelque temps, il atteindra le sexe faible. On conçoit du reste que, lorsque chaque année, les lycées féminins jetteront sur la place des centaines de jeunes filles énormé
ment instruites, ces bachelières 11e se résoudront plus guère à s’armer du fer à repasser ou de l’aiguille de la couturière. Eh! par Bélise! ce ne se
rait pas la peine d’être savantes, pour s’astreindre à de si vulgaires occupations! Non, non. Tout na
turellement, elles imiteront les bacheliers et se feront reporieresses. Ce sera même, à dire via’, une
Je me suis souvent demandé pourquoi les Parisiens voyageaient ; ils ont tout sous la main, même en été, et les coteaux de la Celle-Saint-Cloud et la terrasse de Saint-Germain sont des paysages exquis qu’on peut voir sans fatigue. On a, chez soi, tout
le confortable qu’on désire. On hume à l’aise l’air du temps.
S il pleut, j ai mon parapluie,
S’il fait froid, j’ai mon manteau !
Comme nit le Bonhomme de Nadaud. On a même, ainsi que ce philosophe de la chanson, la joie d’aller voir couler l eau si l’on s’ennuie, et la Seine vraiment vaut bien qu’on s’arrête sur ses bords. Bref, à Paris et aux environs de Paris, tout est charmant, et les Parisiens n’auraient aucun prétexte de quitter leur logis ou leur ville d’habi
tude pour quelque hôtel où l’on est servi à la diable ou quelque appartement meublé, au bord
de la mer, où l’on n’est à l’abri ni des vents coulis, ni des souris, si ces baigneurs, qui parfois ne se baignent pas, n’avaient point une raison de boucler leurs malles.
Les Parisiens ne voyagent — je viens de le découvrir — que pour se rencontrer.
A Paris, on ne se voit pas. Il est entendu que les visites sont des corvées. Cela semble si exact, qu’on a pris des jours et choisi certaines heures, des five o clock pour s’en débarrasser. C’est à peine si les visites de digestion sont obligatoires. Les hom
mes, trop affairés, n’en font pas ; ils délèguent ce soin à leur plus belle moitié et les femmes se trou
vent ainsi-chargées d’un des devoirs officiels de la vie.
On ne se voit pas, et, pour se voir, on choisit quelque plage de Normandie ou de Bretagne, et là on se rend, en chapeau mou et en espadrilles, toutes les visites de l’année à la fois.
— Eh ! bonjour, cher ami, charmé de vous rencontrer !
— Comment allez-vous ? Il y a si longtemps que je ne vous ai vu !
— Qüe voulez-vous ? A Paris on ne se voit qu’aux dîners, puis aux mariages et aux enterrements !
— Mais ici..,
— Oh ! ici ! Nous allons nous voir souvent, liquider nos comptes de causerie. Où demeurezvous ? A que! hôtel êtes-vous descendu ? Avezvous, sur la plage, un numéro de cabine?
— Vive la mer ! On peut s’y fréquenter sans gène !
Et voilà pourquoi quatre-vingts Parisiens sur cent quittent leur cnmfort pour aller rissoler au soleil quand le soleil donne, ou se mouiller non pas les pieds, mais les épaules, par ces misérables temps de pluie et d’orage que les baigneurs de nos côtes ont supportés depuis ces dernières semaines. Retrouver Paris à Etretat ou à Dieppe, et, là, se débarrasser en bloc de toutes les petites et grosses dettes de civilité puérile et honnête de Pannee, voilà l’utilité du bain de mer. Je ne m’en étais pas
aperçu jusqu’ici, mais à présent je connais le secret des Parisiens échappés. Ils remplacent, en fait de relations suivies, la cravate blanche de l’hiver par le veston et le beret de l’été, et ils se rendent leurs visites à la bonne franquette, à la matelotte.
Je dis : en béret. Ce n’est pas sans cause. Le béret de laine rouge ou blanc, le classique béret basque semble, cette année, devoir être à la mole sur les plages. Ce sont les jeunes misses anglaises, laides ou jolies, qui me paraissent l’avoir mis à l’ordre du jour. Elles trouvent, avec raison, que le béret est pittoresque, légèrement incliné et posé sur leurs cheveux d’or jaune ou de soie floche. Quand l’Anglaise est jolie, le béret devient ravis
sant. Il n’est point d’excentricité ou de pittoresque que ne fassent passer deux jolis yeux et de beaux cheveux noirs ou blonds. Mais quand elle n’est pas jolie, l’Anglaise — et ces événements arrivent — le beret devient aussitôt quelque chose d’affreux,
de prétentieux et de ridicule. J’en ai rencontré beaucoup, de ces bérets, basques ou autres, et j’en ai vu de toutes les couleurs. C’est une coiffure qui donne à la femme un petit aspect dégagé de rurale ou de rapin. C’est original, c’est tout à fait simple, mais, encore une fois, si la femme n’est point jolie, c’est abominable.
Or, par une certaine perversion du sens esthétique, il arrive presque toujours qu’une femme laide,—j’entends une laide laide, car il est de jolies laides— a le goût absolu des choses excen
triques. Elle croit donner quelque prix inattendu à son genre de beauté en le relevant par quelque note singulière. C’est comme un grain de poivre ajouté à sa physionomie et, hélas — alas, poor ma
man ! — ce grain là n’est rien moins qu’un grain de beauté.
Va donc pour le béret, puisque les anglaises y tiennent ! Et, si les Parisiennes l’adoptent, il ne fera pas mal du tout sur la tête de nos mondaines ou demi-mondaines.
Une autre cause du besoin qu’on a de ces plages où l’on vit avec un peu plus de liberté appa
rente, c’est le goût tout naturel qu’ont les filles d’Eve — classées ou déclassées — pour les déguisements et les travestis. Une plage bien notée res
semble vaguement à un bal masqué. On se déguise en baigneuse ou plutôt en baignée comme on se déguiserait en paysanne Pompadour ou en Conversion de la Rente. Et puis, la mer seule suffit à as
surer pour jamais la vogue des bains de mer. On oublie si vite Paris à regarder le flot qui monte et
le soleil qui se couche. Le ciel parfois est rouge à l’horizon et projette sur la plage une lueur qui rend la plage toute rose, découpée par l’écume de la marée comme un large ruban frangé d’une den
telle mouvante. Le crépuscule vient, la nuit tombe, les phares s’allument au loin, dans la brume de
venue grise, comme les lampyres dans l’ombre. On n’aperçoit plus, sur la grève, que des gamins demi-nus sautillant dans la vague, comme des cra
bes qui se tiendraient debout, ou des silhouettes noires de promeneurs et de promeneuses, nettement enlevées comme des découpures du bout de quelques fins ciseaux et, tandis que la musique du ca
sino joue quelque chanson d’opérette, quelque air de danse, quelque refrain de petit théâtre, il sem
ble que ces Parisiens et ces Parisiennes ne sont, làbas, que de5 ombres chinoises défilant au son des valses de l’hiver dernier.
A Paris, quoi de nouveau, depuis la semaine passée ? Des duels. On a trop souvent parlé de leur inutilité pour y revenir. J’avais donné quelques lignes de regret, l’autre jour à Alphonsine, la grisette des anciens Délassements-Comique?. Cette fois, c’est une autre belle fille qui dis
paraît, Gabrielle Gauthier, cette grande brune aux sourcils noirs, énergiques et au fin sourire, bon en
fant, qui joua à la fois l’opérette et le drame et fut une des plus belles comédiennes de son temps.
Elle avait débuté tout droit aux Variétés, jadis, dans de petits bouts de rôle et je me la rappelle encore, jeune, superbe, dans un personnage de nourrice de vaudeville. Elle avait été une des deux hétaïres de la Belle Hélène, Parthénice ou Leœna, je ne sais laquelle, qui escortaient le jeune Oreste faisant sauter l argent à papa. De ces deux jeunes filles, Leœna et Parthénice, l’une vient de mourir, l’autre, la blonde petite Alice, a disparu, dans l’enlisement de la vie parisienne.
Un beau soir, Gabrielle Gauthier avait quitté le vaudeville pour jouer le drame. C’est dans un drame de Dumas père qu’elle débuta, au Châtelet,
les Blancs et les Bleus, et dans quel rôle ! Celui de Charles Nodier.
Dumas avait découpé en tableaux entraînants les Souvenirs de Nodier sur le séjour d’Euloge Scnneider et de Saint-Just, à Strasbourg, et il avait dans sa pièce, fait figurer Charles Nodier luimême. Le bon homme Nodier eût été flatté, je pense, si on lui eût dit autrefois qu’il serait repré
senté, en chair et en os, sur un théâtre parisien par une aussi belle créature que Gabrielle Gauthier.
Gabrielle— Gabri, comme l’appelaient familièrement ses camarades de coulisses — porta crânement le travesti et les bottes molles du jeune No
dier, puis elle joua, plus tard, une merveilleuse, merveilleusement belle, dans les Merveilleuses de Sardou. Elle apparut encore à l’Ambigu dans la grande Virginie de l’Assommoir, au Châtelet dans le Beau Solignac, puis on apprit que cette belle jeune femme avait failli mourir, d une terrible attaque de rhumatisme, maladie qui l’a emportée sans doute.
C’était une figure parisienne, un des visages souriants des premières et on n’a qu’à feuilleter les in
téressants volumes d’Arnold Mortier, les Soirées parisiennes du Monsieur de l Orchestre dont le dernier volume, celui de l’an 1882 vient de paraître avec une préface d’Henri Becque pour retrou
ver, à chaque page, ce nom aimé, ce nom applaudi de Gabrielle Gauthier qu’on ne lira plus que sur un tombeau.
Elles sont comme les étoiles filantes de l’art, ces charmeuses qui emportent avec elles tant de sou
venirs de soirées lumineuses et d’heures pleines des séductions du talent et de la beauté.
Sans doute, parmi ces concurrentes qui défilent, en robes blanches, à l’heure cù j’écris, devant la barbe grise de M. Ambroise Thomas au Conserva
toire il est beaucoup de jeunes filles qui rêvent d’être mieux et plus que des étoiles qui filent. On a toujours le droit de tout rêver.
Le coupé à venir figure aussi dans les perspectives du futur contingent dont se sont éprises, au moins autant que de Corneille ou de Mozart, ces artistes de dix-huit ans. Sarah Bernhardt et sa pro
digieuse destinée auront donné des ambitions de plus en plus extraordinaires aux comédiennes ap
prenties. Jadis la concurrente du Conservatoire ne demandait qu’un prix et un rôle. Aujourd’hui elle doit songer au grand reportage des journaux et à la croix de Suède décernée par le prince Oscar.
Etre décorée comme Sarah Bernhndt ! Faire parler de soi comme Sarah Bernhardt ! Aussi, écoutez-les toutes : dans leur coiffure, dans leur geste, dans leur accent, elles imitent Sarah Bernhardt.
Et, après tout, il est bon que de jeunes fronts roulent des projets de fantaisie, des chimères, des folies même, à l’heure où la femme, la Française,
devient si effroyablement pratique, et éprise à’uhlitarisme.
C’est ce que me faisait remarquer hier une Parisienne du bon vieux temps: le théâtre est encore la revanche de l’idéal !
— La multiplication des écoles primaires et des lycées sont de la plus absolue nécessité, disait en souriant Mme de C ..(Je ne la nommerai pas ) Et pourtant je frémis en pensant à cette boulimie de science qui va nous créer tant de prodiges féminins ! Quand toutes lesjeunes filles seront des éru
dites, où diable trouvera-t-on des ignorantes ? Quand les femmes seront universellement appli
quées à l’étude des problèmes les plus ardus, qui écumera le pot-au-feu et soignera la basse-cour ? Cette judicieuse pensée a dû hanter le cerveau de Mme d’Escagnac, du Calvados. En mourant, la
brave dame a légué à son département un superbe domaine et la forte somme de trois cent mille francs pour établir un Orphelinat agricole de filles. Parltz-moi de cette idée ! Voilà une personne sensée. Mme d’Escagnac a compris que toutes les petites Françaises ne devaient pas lutter avec nos mathématiciens, nos chimistes et nos littérateurs illusfres, qu’il était prudent de créer dans un coin un asile discret, afin de soustraire à la gloire promise à tant d’autres d’humbles fillettes qui, mo
destement, apprendront là à battre le beurre, à soigner les herbages et les bestiaux. Ce n’est pas poétique, sans doute, mais c’est pratique et, comme Monsieut et Madame le maire des Saltimbanques: je serai content et satisfait, si la générosité de l’intelligente donatrice du pays normand trouvait
de nombreux imiiateurs. On fonderait ainsi et l’on enrichirait des établissements simple.» et utiles qui feraient une concurrence assez agréable aux pépinières des bas bleus de l’avenir. Hélas ! nous avons
déjà un assez joli stock de bacheliers, frais émoulus de l’Université et brûlant, à l’heure où la barbe n’a point poussé, de faire connaître au monde entier les grandes idées qui bouillonnent dans leur cer
veau de vingt ans. Cela est tentant, en effet, de faire parier de soi et à peu de frais ! Les étoilés, comme les appelait le spirituel marquis de Belloy, les rêveurs, les enthousiastes, ceux qui croyaient à l’amour, à la gloire, à la patrie, écrivaient sim
plement pour célébrer leur idéal,et cela en cachette souvent, loin du contrôle grondeur de la famille.
Maintenant, ah ! maintenant, autre chanson ! Les collégiens à peine libérés se mettent dans le journalisme comme on se mettrait dans la nouveauté; ils choisissent cet état faci.e et lucratif, et c’est une épidémie courante, une autre espèce de choléra, le choléra scribien survenu à la suite de l’instruction universelle. Jusqu’à présent, le fléau s’est localisé chez le sexe fort; dans quelque temps, il atteindra le sexe faible. On conçoit du reste que, lorsque chaque année, les lycées féminins jetteront sur la place des centaines de jeunes filles énormé
ment instruites, ces bachelières 11e se résoudront plus guère à s’armer du fer à repasser ou de l’aiguille de la couturière. Eh! par Bélise! ce ne se
rait pas la peine d’être savantes, pour s’astreindre à de si vulgaires occupations! Non, non. Tout na
turellement, elles imiteront les bacheliers et se feront reporieresses. Ce sera même, à dire via’, une