innovation qui ne manquera pas d’un certainsel.
S’il se trouve en effet quelque affamé de silence et d’ombre qui refuse d’ouvrir sa porte et de racon
ter par le menu l’emploi de ses jours et de ses nuits aux reporters patentés, tout porte à croire, au contraire, que lorsque ça sera une jolie blonde aux yeux noirs, ou une pâle brune aux prunelles d’azur, les récalcitrants s’humaniseront aussitôt. Cela nous promet même pour l avenir des interwieveresses d’une qualité supérieure et si nous de
vons avoir bientôt en France une longue liste d autoresses, d avocates, de doctoresses, etc., je n’y entrevois guère, la résignée, l’humble ménagère occupée à soigner les babys aux joues roses, et à coudre nos inexpressibles. L’éminent M. Pasteur trouve des remèdes pour combattre les maux de la triste humanité; eh! bien, il faudra que d’autres savants s’ingénient à remplacer, par quelque surprenante invention mécanique ou chimique les emplois bientôt dédaignés par les femmes. Et si le moyen n’est point trouvé, je ne sais vraiment trop comment tout cela marchera. Il est déjà nombre de ménages où, comme on dit vulgairement, la marmite est renversée. Que sera-ce donc, lorsque ce prosaïque us.ensile sera devenu une superfluité?
Qui sait? Les femmes siégeront peut-être alors dans les assemblées. Les galants fils d’Albion nous en auront donné l’exemple : il n’y a plus en Angleterre que seize voix de parlementaires rétrogra
des à conquérir; — seize voix encore et les blondes ladies seront appelées à fabriquer les lois de la vieille Angleterre. Comme à Fontenoy, messieurs les Anglais auront voté les premiers et, les imitant,
nos députés proclameront à leur tour le droit au vote pour les femmes françaises.
En attendant cette réforme, dont l’utilité me paraît contestable, l’honorable M. Léon Boquet, député de l’Ailier, propose un moyen pratique pour réduire, vaincre, dompter les célibataires. A son avis, il faut que les récifs, qui répugnent à faire le bonheur d une épouse légitime, soient les premiers appelés lorsqu’il s’agira de mobiliser les bans de réserve ; et, en cas de guerre, le député exige que le temps qu’ils auront à passer sous les drapeaux soit doublé. Eh bien ! vous verrez que ces entêtés préféreront le régiment. Que voulezvous ? les femmes coûtent si cher ! elles «ont, révé
rence parler, comme les loyers et les primeurs, inaccessibles au pauvre monde. Autrefois, une fille à marier était un parti sortable, quand sa dot atteignait une centaine de mille francs. Aujour
d’hui, le chiffre semble dérisoire. Que faire avec les douze francs trente-cinq centimes par jour d’une rente à quatre et demi? Hélas ! cela paye à peine les bottines de Madame ! — Grâce aux exigences de la plus belle moitié du genre humain, il faut être millionnaire, ou fou — ou amoureux ; ce qui est encore une folie — pour se risquer à entrer en ménage. Aussi les célibataires s’obstinent-ils si âprement dans leur parti pris, que bientôt, en vé
rité, on ne pourra plus fournir assez de bonnets pour coipfer sainte Catherine.
— C’est peut-être pour cela, concluait Mme de C***, se servant, je crois, d’un vieux mot, que tant
d’aimables filles préfèrent tout bonnement jeter le leur par dessus les moulins !
J’ai reproduit ce réquisitoire, qui n’est pas sans vérité, malgré son pessimisme, et je l’ai tout au long écouté et consigné sur ces notes, parce qu’il vient d’une femme et d’une femme d’un autre temps. Il y a beau jour qu’on a dit :
— Il n’y a plus de jeunes femmes, parce qu’il n’y a plus de jeunes gens !
Ce sont les vieilles femmes qui avaient fait la vieille France, laquelle avait bien son charme.
Mais on a toujours l’air, lorsqu’on raille les grosses prétentions et les toquades du moment, de s’opposer à ce qu’on appelle le progrès. Ce que je sais bien pourtant, c’est que la Française semble devenir aujourd’hui un composé singulier de sec
taire allemand et de prédicateur anglican. Je parle de la Française officielle, de celle qui donnerait volontiers le ton et qu’on a appelée, avec juste raison, la cocodette de la politique.
Sous prétexte de gravité, de science, d’éducation nouvelle, la Française tend à se confondre avec l évangéliste du genre de miss Booth et l’affolée de l’école de Louise Michel. Elle parle de tout, excepté de te qui fait son charme profond : les choses du cœur.
C’est une femme qui a dit de Fontenelle qu’il avait un morceau de cervelle à la place du cœur. Eh bien ! les femmes sont en train de remplacer le
cœur par le cerveau. C’est dommage. Qu’elles soient des héroïnes, comme Mme Frary-Grosse ou Mlle Juliette Dodu et qu’on les décore, rien de mieux. Mais qu’elles restent des mères, des sœurs, des amies, et qu’elles gardent enfin leur séduction féminine.
Hélas ! l autre jour — et c’est peut-être pourquoi je suis un peu furieux contre la néo-française, j’assistais à une soirée de fiançailles.
On avait laissé seuls les deux promis, dans un coin.
Ils causaient.
De quoi causaient-ils? Du bonheur à venir, du nid à bâtir, de la vie à deux ! Je m’approche. J’écoute.
Ils s’entretenaient de la signature des conventions avec les chemins de fer !
Nous pariions tout à l’heure de théâtre. Le théâtre, ce n’est pas à Paris qu’il faut le chercher. Il est partout, excepté là. Jusqu’aux petites com
munes qui s’offrent maintenant des pièces inédites.
N’avons-nous pas assisté, dimanche dernier, à une véritable première, sous une grande tente foraine édifiée pour la circonstance au milieu de la grande place de Saint-Gratien?
Le nom de l’auteur, M. Decourcelle, a été acclamé par un public enthousiaste. Il est vrai que la principale interprète de l’ouvrage était tout simplement Mlle Jeanne Granier. Excusez du peu !
Le programme, du reste, était des plus complets: M. Worms, Mme Barretta et Mme Riquier, de la Comédie-Française; M. Vauthier et Mlle Juliette d’Harcourt, des Nouveautés ; les meilleurs artistes
du Gymnase et de la Renaissar.ee, sans parler de Sivori, le violoniste. C’était bien là une vraie représentation extraordinaire.
Il n’est que juste de mentionner aussi l’organisateur de la fête, M. Hayem, maire de la com
mune, qui n’a épargné ni son temps ni sa peine, et à qui le bureau de bienfaisance devra, pour cette année, le plus clair de son revenu ; la recette a atteint près de cinq mille francs !
Perdican.


IDYLLE


( Suite.)
IV
Médéric avait eu douze ans à la Saint-Jean, Lisée onze à la Chandeleur ; il fallait songer à la première communion et à la vie qui suivrait.
Mme Ferrard n’avait pas d’ambition pour son fils. Elle en voulait faire un honnête homme, vivant sur sa terre. Quand le curé lui parla d’en
voyer Médéric au séminaire d’Yvetot, elle refusa de s’en séparer. Elle craignait qu’il ne prit dans les livres le goût de quelque carrière aventureuse qui l’éloignât d elle. On lui avait déjà enlevé son mari, elle garderait son fils.
L’abbé Breutôt célébrait « la communion » vers les premiers jours de mai, parce qu’à cette époque on a peu d’ouvrage dans les fermes, et qu’entre deux sarclages, les petits échardonneurs ont plus de temps pour suivre les exercices.
En dépit des insinuations de Camus, le curé n’était ni un exalté, ni un mystique. Il aurait vo
lontiers restreint « l’essor des miracles de Sainte- Clotilde », mais il craignait la marchande de cierges qui l’accusait « de manquer de religion. » Il prê
chait peu, brassait son cidre lui-même, donnait aux pauvres, achetait tous les ans une soutane neuve, et dînait régulièrement le dimanche chez Mme de Croix-Maure au Château du-Bac.
Toute la naïveté des évangiles passait dans ses instructions. Il disait les enfants bénis au bord des chemins, les jeunes filles réveillées dans les fosses, les enfances de Jésus et de Saint-Jean. C’était un monde meilleur, entrevu, qui revivait pour les petits paysans dans les vitraux flamboyants de l’abside et des nefs.
Il contait le trouble des âmes à l’approche de Celui qui vient peupler les cœurs, les élans de la foi, la rosée des grâces. Médéric et Lisée écoutaient ravis la légende de la tendresse pure. Ils la connais
saient cette angoisse que chantent les cantiques; cette vague souffrance qui emplit les âmes, ces
joies qui les font déborder, et, à côté de cet amour divin que leur prêchait le prêtre, ils apprirent à connaître et à nommer l’autre.
A la campagne, la grand’messe commence de bonheur et finit tard. Médéric arrivait avec sa mère. Il fendait la foule des goujars, qui restent à jouer au bouchon devant la porte, entrait, prenait l’eau bénite et gagnait son banc. Celui des Maze était de l’autre côté, presque en face.
Médéric se retournait pour voir venir Lisée. Elle montait les yeux baissés, les mains dans son tablier de soie ; une épingle fixait son fichu dans son dos. Elle lui jetait un regard doux en passant, et, sans savoir pourquoi, ils rougissaient.
Après le Kyrie, hurlé la bouche à l’oreille, les chantres exécutaient le Credo. Puis, Mme de Croix- Maure montait aux orgues pour jouer l’Offertoire et l’Agnus.
Malgré eux, leurs yeux quittaient leurs livres et se retrouvaient. C’étaient des rêveries troublantes, des désirs de baisers qu’il fallait dire le lendemain à confesse, et qui devaient singulièrement scanda
liser l’abbé Breutôt àjugerparla rigueur de ses pénitences. Au sortir de l’église, on s’arrêtait sur les marches pour voir « ces dames de Croix-Maure » monter en voiture.
Elle avait grand air la haute calèche armoriée, avec sa paire d’étalons secouant les gourmettes, et ses valets à bottes molles, dont les sombres livrées pendaient au revers du siège, étoilées de boutons de métal.
Mme de Croix-Maure avait fait visite à l’Abbaye. On causait un instant avant de se séparer ; un mot sur le sermon, une banalité polie, une poignée de main pardessus la portière qui se ferme, et le brillant équipage filait comme un éclair.
Le jour où ces dames rendirent le pain bénit, elles invitèrent Médéric à déjeuner au château. M. le curé le ramènerait le soir dans son boc.
Médéric n’avait pas de plaisir sans Lisée, il aurait voulu refuser, mais sa mère, fière de l’hon
neur qui les distinguait, accepta.il fallut s exécuter et monter dans la belle voiture sous les yeux de toute la paroisse.
La journée sembla interminable à Lisée.
D’instinct, elle était jalouse de cette petite demoiselle qui portait des toilettes claires et des gants noirs à six boutons.
Elle ne craignait pas que les autres campagnardes parussent à Médéric plus jolies qu’elle-même, mais la petite parisienne l’effrayait. Aux vêpres, où Médéric ne vint pas, elle renonça à prier. Vingt fois elle reprit son chapelet baisant la croix, égrenant les perles; les « Ave » mouraient sur ses lè
vres et ses yeux se tournaient vers le banc vide de son amoureux.
Aussi, le soir, quand il lui revint avec le récit confus de sa journée, elle lui jeta les bras autour du cou, et, d’une voix suppliante :
— Tu n’y retourneras pas, dis?
Le jour de la première communion arriva. En entrant dans la cuisine Médéric vit Lisée que l’on achevait d habillé. Deux servantes à genoux épin
glaient le voile de mousseline. Dans un coin, Maze se souvenait.
Médéric eut un éblouissement.
— Tu as l’air d’une mariée, Lisée.
Et ils se regardèrent,, bras dessus bras dessous dans la vitre de l’horloge. En gravissant les mar
ches de l’église, ils se promirent qu’ils reviendraient un jour, la main dans la main, et que cette fois encore Lisée remettrait sa robe blanche et sa couronne.
Le soir on reçut à l’abbaye M. le curé, Angamare le maire, et l’instituteur. On avait enlevé les housses des bergères.
Les deux « communiants » étaient assis près l’un de l’autre. En face, Mme Ferrard faisait les honneurs entre le maire et le curé. Camus avait Maze pour vis-à-vis.
La conversation roula sur les récoltes, l’assolement triennal et l’éducation des enfants. L’ecclé
siastique conta des historiettes de séminaire, des mots d’évêque et risqua des calembours. Camus riposta par des anecdotes tirées de l’almanach et