HISTOIRE DE LA SEMAINE
Les voilà donc enfin votées ces fameuses conventions sur lesquelles on se chamaille avec tant d’a­
charnement depuis trois semaines et qui, selon les uns, sont la ruine du pays et une menace pour la République, selon les autres le salut de nos finanoîs et le point de départ d’une prospérité commerciale toujours croissante.
Je ne veux point faire, dans un résumé qui n’a rien de grave, étalage d’une compétence à laquelle je ne prétends point. Mais je ne pense pas que les conventions méritent cet excès de louange et cet excès d’injure. Elles ne sont, après tout, qu une transaction entre deux intérêts et deux puissances dont aucun ne peut ni ne veut opprimer l’autre, et qui, toutes deux ayant besoin de s’entendre, se sont fait des concessions réciproques.
Jusqu’à la fin — sauf quelques « embellies »— la discussion a gardé son caractère passionné, vio
lent, agressif. Les mots durs n’ont pas manqué ni même les incidents personnels. Peu s’en est fallu qu’à certains moments la chose tournât au tragique et des duels ont été sur le point de s’engager.
Je vous ai déjà dit que la majorité ministérielle avait un parti pris d’autant plus ferme qu’il était —chez la plupart— moins raisonné et commençait à s’impatienter — non sans raison légitime — des amendements obstructionnistes de la minorité. La colère croissait forcément de part et d’autre, la minorité prenant un peu plus de mauvaise humeur à chaque défaite, la majorité s’exaspérant d’impa
tience à chaque barricade inutile qu’il lui fallait enlever. Le discours de M. Lockroy sur le côté stratégique des conventions et sur « le danger » qu’elles peuvent faire courir à la défense nationale, avait achevé de monter les têtes lorsqu’est survenu l’article de M. Laisant dans la République radicale. L’article a fait assez de bruit pour que tout le monde, à peu près, l’ait lu. Son titre, en tout cas
— « La Chambre infame » — suffit à le faire connaître.
Avant l’article, on était déjà très monté. Les conversations de couloirs tournaient à l’aigre. Dans les conciliabules des ministériels on traitait volon
tiers les opposants de « fous furieux ». Par contre,
dans les conciliabules opposants, on traitait les ministériels de « vendus ». Par le temps qui court,
ces injures ne tirent plus à conséquence. Le ton de la polémique est monté à ce diapason que dire d’un homme qu’il est « une canaille », cela signifie simplement qu’il n’a pas la même façon de penser que vous. Aussi ne s’en tenait-cn pas là; et — sans parler du reproche qu’on se faisait les uns aux autres du fameux « abonnement parlementaire » et du parcours sur les chemins de fer, les insinuations les moins aimables couraient les couloirs.
M. Laisant, qui n’est point né journaliste, s’est donné le tort de ne pas user des nuances. Il a dit à la bonne franquette, avec une brutalité tout à fait inconsciente, ce qu’on chuchotait tout bas; il a - - sans preuves, bien entendu —- lancé contre toute la Chambre le vilain mot de « pot-de-vin ».
Chambre infâme et pot-de-vin, c’était un peu bien gros ; et l’on comprend que la Chambre, déjà fort mal disposée, se soit fâchée tout rouge. D’au
tant que s il est un reproche à lui faire ce n’est pas le reproche de malhonnêteté. Nous l’avons vue souvent manquer de tact, souvent manquer de con
naissances, mais de probité, non. Qu’il se puisse trouver dans le nombre quelques gens d’affaires et... d’industrie qui n’aient pas besoin d’être décorés pour être « chevaliers », rien de plus possible. Quand cinq cents hommes se trouvent réunis, il est difficile que cela fasse cinq cents anges. Mais quelques brebis galeuses ne sont pas tout le troupeau.
La prudence de M. Brisson et sa.fermeté quelque peu dédaigneuse empêcha, au premier jour, une es
clandre à la tribune. Mais la fougue de M. Langlois, la faiblesse de M. Lepère qui présidait la séance, et l’emportement de la Chambre, ont pro
voqué le lendemain un incident fort vif et quelque peu répugnant. Puis, M. Laisant, à son tour, a remis sur le tapis une affaire de pot-de-vin belge, reçu par deux députés français, et quel pot-de-vin, bon Dieu ! un pot-de-vin de seize mille francs « en deux verres », a dit Rochefort ; une vraie contrefaçon de pot-de-vin, savez-vous ?
Et voilà que cette malpropreté devient une affaire d’Etat; les groupes en délibèrent; on dit,
presque tout haut, le nom des deux députés qui sont, paraît-il, de « l entourage intime » de Gam
betta. Cet entourage, décidément, était pour faire bien du tort au tribun. Vivant, il l’a, si ce n’est perdu, tout au moins fortement desservi ; mort, il le compromet et risque de le déconsidérer par la révélation de ces mauvaises mœurs.
La Chambre, sous cette impression, s’est quelque peu calmée. Les derniers jours du débat ont
eu moins de vivacités et plus d’élévation. C’est M. Madier de Montjau qui s’est chargé de brûler, avec entrain, mais sans succès, la dernière cartou
che. Et maintenant, voilà les Chambres parties, le silence rétabli, les vacances commencées pour tout le monde, — excepté pour le gouvernement.
Car, pendant les vacances, il aura beaucoup à faire le gouvernement! Quand ce ne serait que la « réforme » — puisque c’est ainsi qu’on appelle l’épuration — de la magistrature.
Ce n’est pas sans peine qu’au dernier jour, à la dernière heure M. le garde des sceaux a obtenu du Sénat — non sans quelque anicroche le vote de sa loi. Même — et je vous le disais la semaine dernière, — ce n’a pas été sans danger. A un certain moment, le vote n’a tenu qu’à l’absence d’un ad
versaire; à un autre, les réclamations sont venues, après coup, sur la validité du scrutin. Mais, quel que fût le péril de l’aventure, M. le garde des sceaux n’était pas libre de ne pas la risquer. Il le fallait! Il le fallait, sous peine d’être obligé de faire la « réforme » — ou épuration — en présence des députés. Sept cents magistrats à « mettre à pied » ou à remplacer, ce n’est pas une petite affaire lors
qu’on a sinon au-dessus, tout au moins à côté de soi quelque cinq cent cinquante souverains person
nellement intéressés dans l’affaire. En l’absence des députés ce ne sera pas facile; mais, eux présents, c’était impossible. Et voilà pourquoi M. Martin- Feuillée tenait tant à enlever sa loi avant les vacances.
Il l a; mais elle pourra bien lui coûter cher. Que de sollicitations dès demain ! Que de rancunes après ?
Sans compter que, le budget voté, la carrière du ministère approchera naturellement de sa fin et....
tenez: mardi dernier, à propos du canal du Midi,
M. Constans a fait un tout petit discours de dix minutes. Ce n’était pas une question politique; la Chambre était fatiguée, impatiente, nerveuse au point de ne vouloir plus rien entendre; et cependant on eût dit que ce petit discours était un évé
nement, à voir avec quelle attention et quels égards on l’écoutait.
Il y a là un symptôme. Je vous l’ai, depuis longtemps, indiqué : M. Constans et son groupe sont, nécessairement, « l’accident » inévitable qui menace dès maintenant, et à l’échéance probable du mois de janvier, la vie du ministère.
Vous verrez cela dans six mois.
Sénat. — Séance du 25 juillet : Suite de la discussion delà loi sur la réforme judiciaire. L’article 3, qui com
posait uniformément les couis d’assises d’un conseiller président et de deux juges de première instance, assesseurs, est rejeté. Article 4, réservé. Adopté l’article 5, réglant la forme en laquelle devront être rendus les jugements de première instance. Article 6, réservé. En dis
cussion l’article 7 supprimant un certain nombre de petits tribunaux.
Séance du 26 : Adoption du projet relatif à la modification de la tenue de la cavalerie. — Reprise de la discussion de la loi sur la réforme judiciaire. La sup
pression des tribunaux jugeant moins de cent cinquante causes par an, combattue par MM. Lamorte et Ninard, n’est pas adoptée, et, ipso facto, sont supprimés les articles 7, 8, 17 et 18. Les articles 4 et 6, réservés, ainsi que l’article 10, sont adoptés.
Séance du 27 : Suite de la précédente discussion. Les articles 10, 11 et 12, relatifs aux traitements des magis
trats, et l’article 13, qui interdit à tout magistrat de prendre part au jugement d’une affaire où l’un de ses parents est l’avocat ou l’avoué d’une des parties, sont adoptés. L’article 14, prononçant l’incompatibilité des fonctions judiciaires et d un mandat électif, est repoussé.
Commencement de la discussion de l’article 15, qui accorde au gouvernement un délai de trois mois pour réorganiser la magistrature.
Séance du 28 : Suite de la même discussion. Le paragraphe Ier de l’article 15 est adopté. Sur le paragraphe 2, M. Wallon propose un amendement n’autorisant que l’élimination de magistrats d’un rang correspondant à celui des sièges supprimés et stipulant que cette élimi
nation porterait sur les magistrats les plus rapprochés de la limite d’âge. Repoussé. Le paragraphe 2, établis
sant que les éliminations porteront sur l’ensemble du personnel indistinctement, est adopté, ainsi que l’ensemble de l’article.
Séance du 30 : Adoption de la loi relative il l’augmentation de la pension nationale accordée à M. Pasteur. — Suite de la discussion de la loi sur la réforme judiciaire.
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Chambre des députés. — Séance du 25 juillet : Incident Laisant, par suite d’un article publié par ce der
nier contre la majorité, à propos des conventions avec les chemins de fer. —Suite de la discussion des conven
tions. M. J. David développe un contre-projet consistant à confier le troisième réseau à l’industrie privée par voie d’adjudication. Repoussé. — Le général Thibaudin, répondant à M. Lockroy, dit que les conventions ne peuvent compromettre la défense nationale. — Amendement de M. Cadet interdisant tout relèvement de tarifs. Repoussé.
Séance die 26 : Demande, par le ministre du commerce, d’un crédit de 50.000 francs pour les dépenses d’une mission sanitaire en Egypte. Accordé. — Suite de la discussion de la convention avec la compagnie P.-L.-M. — Séance du 27 : Même discussion. L’ensemble de la convention avec le A-L.-M. est adopté.
Séance du 27 .- Commencement de la discussion de la convention avec la compagnie d’Orléans. — Séance
du 30 .- Adoption de cette convention par 206 voix contre 94.
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Elections. — Municipales de Paris. Cinquième arrondissement, quartier Saint-Victor. Candidats : MM. Sauton, Blondeau, Le Roy et Chabert. Ballottage. 11
s’agissait de remplacer M. le docteur Bourneville, élu député. — Treizième arrondissement, quartier de la Salpêtrière. Candidats : MM. Pichon, Navarre, Gaston, Boisson et Petrot. Ballottage. Il s’agissait de remplacer M. Sigismond Lacroix, élu député.
Conseil municipal de Paris. — Séance du 25 juillet: Suite de la discussion du projet d’emprunt de 220 mil
lions. Par 50 voix contre 20, le Conseil adopte les conclusions de la Commission et rejette le projet
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Conseil municipal de Marseille. — Le Conseil accepte le château impérial dit du Pharo qui lui était offert, à la condition que la ville de Marseille paierait à l’impératrice Eugénie la somme de 25,000 fr., déboursée par elle pour frais d’honoraires, et garderait à sa charge les frais d’enregistrement résultant du procès.
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Tonkin. — Le colonel Badens, sorti de Nam-Dinh le 19 juillet avec 500 hommes prend sept canons à l’ennemi et lui tue mille hommes. Nouvelle officielle.
Mort du roi des Zoulous, Cettiwayo. Ce roi, auquel l’Angleterre avait rendu la liberté et une partie de ses Etats, s’était empressé, à peine arrivé, d’attaquer les ri
vaux qui détenaient le reste. Vaincu par Usibapu, son ancien vassal, il est pris et mis à mort avec toutes ses femmes et la plupart de ses chefs.
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nécrologie. — M. Philippe Daussel, sénateur de la Dordogne et conseiller général du même département pour le canton de Saint-Pierre de Gignac. M. Daussel entra dans la vie parlementaire aux. élections de 1871, pour l’Assemblée nationale; il y siégea à droite ainsi qu’au Sénat, où il fut élu en janvier 1876. M. Daussel était officier de la Légion d’honneur; il était âgé de soixante-dix ans.
L’ex-amiral de Persano. Contre-amiral pendant la guerre de l’Indépendance. Commanda la flotte sarde devant Gaëte, fut élu député au, Parlement et entra, er.
mars 1862, dans le cabinet Ratazzi, comme ministre de la marine. Il se promut alors, lui-même, au grade d’ami
ral. Commandant en chef de l’escadre italienne pendant la guerre de 1866, il perdit, le 20 juillet, la fameuse ba
taille de Lissa, qui fut un vrai désastre pour la marine italienne. Le gouvernement ne put résister à la pression de l’opinion publique et fit traduire l’amiral Persano de
vant le Sénat dont il était membre. Le Sénat constitué
en haute cour de justice repoussa l’accusaticn de lâcheté a nsi que celle de haute trahison, mais il déclara l’ami
ral coupable d’impéritie et de négligence, et le condamna, le 15 avril 1867, à la perte de son grade. Il vécut depuis à Turin dans la retraite. L’amiral Persano était né le 11 mars 1806.
M. Montrieux, ancien représentant de Maine-et-Loire à l’Assemblée nationale. Il fut maire de cette ville de 1859 à 1870 et conseiller général de Maine-et-Loire de 1864 à 1870. A l’Assemblée nationale il avait fait partie du centre droit. Il était âgé de soixante-seize ans.