COURRIER DE PARIS
Le temps est aux brochures — et à la pluie.
Pluie de brochures, si l’on veut. M. Mario Uchard a voulu la guerre ; il a la guerre avec M. Sardou. M. Dumas a déclaré la bataille à certaines injustices du Code : il continue la bataille.
La Recherche de la paternité, que M. Gustave Rivet, le jeune député, entend codifier, M. Alexan
dre Dumas la popularise et il fait bien. Il apporte son autorité à une cause juste et il la plaide en martre. Il a de ces formules qui se gravent comme une pensée classique ou comme un proverbe popu
laire : « Le devoir d’un homme qui aime une femme,
c’est de l’épouser si elle est libre et de la respecter si elle est mariée. » Deux lignes de ce style et voilà un écrit inoubliable.
M. Sardou ne s’attaque pas à un défaut ou à une atrocité de nos lois; il combat contre un adversaire qui crie bien haut, trop haut : Au voleur! et lui
prouve qu’en écrivant Odette il n’a rien volé du tout à la Fiammina. On n’a pas plus d’esprit que M. Sardou en cette riposte malicieuse, ailée, allègre et victorieuse dont le pauvre Uchard est la victime. Paul Féval, au temps jadis, ne fut pas mieux remis à sa place par Victorien Sardou qui a vraiment là le tour, le ton, le mordant, le génie de la réplique de Beaumarchais dans ses immortels Mémoires. Me Cléry a bien du talent, mais il n’a pas eu fort à faire pour plaider la cause de Sardou : le maître polémiste avait gagné son procès d’avance et mis les rieurs de son côté.
Tous ces procès derniers, où les avocats se sont livrés à des personnalités si étonnantes, ont amené bien des réflexions, du reste. En plaidant pour M. Marais, le comédien, un avocat n’a-t-il pas dit que le jeune premier ne voulait pas jouer avec Mlle Lina Munte parce que Mlle Lina avait tué, on
a prononcé le mot, tué Mme Hélène Petit, la femme de M. Marais, en lui jetant, dans la fameuse scène du baquet, dans VAssommoir, une volée d’eau froide sur la poitrine, d’où pleurésie? Voilà, ou je ne m’y connais guère, une accusation capitale.
Dans un autre procès, entre M. Gauchez, le marchand de tableaux, et M. Wilson, le célèbre ama
teur d’art, décoré pour avoir donné une toile de Constable au Louvre, n’a-t-on pas entendu des avocats échanger, sur le dos de leurs clients, des aménités comme celles-ci :
L avocat de M. Wilson. — Vous aviez chez vous trois table.aux, dont un Téniers et un Ostade, dont vous ne pouviez vous défaire. Vous vous êtes en
tendu ar ec M. Moule, mon secrétaire, qui me les a proposés comme provenant delà suc ession de son frère. J’ai répondu que je ne demandais qu’à les acheter si vous les estimiez. Ce qui fut fait. Vous, Gauchez, vous avez estimé ces tableaux — vos ta
bleaux vendus par un tiers — 32,000 francs, et quand j’ai voulu m’en défaire, j’en ai trouvé tout juste 12,400 francs !
L avocat de M. Gauchez. — Et après ? Tous les jours on voit, aux enchères, des tableaux qui valent 10,000 francs tomber à 500, et des toiles qui valent cent sous se yendre dix mille écus. Mais vous avez fait plus joli, vous, Wilson. Vous avez prié le pré
sident de la République de vouloir bien accepter pour le Louvre le magnifique tableau de 1 Angelus, de Millet, et M. Grévy, pour vous remercier, a li
béralement changé votre ruban de chevalier de la Légion d’honneur en rosette d’officier. Or, vous n’avez pas donné 1 Angelus au Louvre, vous avez vendu ce tableau de Millet ï60,000 francs et vous
avez gardé la rosette d’officier ainsi gagnée par une gasconnade !
Je n’entre point dans le détail du procès. Je cite presque textuellement les arguments des plaideurs.
Ces répliques ont toujours un peu l’air du célèbre duo de la Fille de Madame Angot :
Ah ! c’est donc toi, Madam’Barras, Toi qui fais tant tes embarras !
Ce qui est certain, c’est que les avocats, plaidant pour un client, ont le droit de tout dire à leur ad
versaire. Villemessant, traité un jour, du haut en bas, par un avocat, lui dit en plein tribunal (ce qui d’ailleurs n’arrangea point du tout son affaire) :
— Comment ! parce qu’il a sur les épaules une robe de lustrine à neuf ou dix sous le mètre, voilà monsieur qui aura le droit de me dire des injures qui lui vaudront de bons gros honoraires quand elles lui vaudraient des gifles ou une accusation
ce diffamation, s’il avait un simple paletot de drap domme moi ?
La question était très bien posée. Oui, l’avocat a le droit de tout dire, et il en dit de toutes les couleurs. Il dit blanc, il dit noir, il dit rouge, il dit bleu. Peu lui importe!
L’autre jour, dans un procès, en entendant son adversaire plaider brillamment la cause contraire, Me X... laissait échapper ce cri du cœur :
— Ah ! comme cette thèse est meilleure que la mienne! Si j’avais su, comme j’aurais attaqué le client que je vais défendre !
C’est le fond même (à certaines expressions près) de cet art de rhéteurs. Les paroles, qui ne sont souvent que des palabres, habituent les gens qui pra
tiquent l’éloquence à se gargariser de phrases toutes faites, et à jouer, comme au volant, avec l’honneur, la réputation, l’amour-propre, les secrets des Darties adverses.
Hélas ! s’il 11’y avait, pour se livrer à ce cruel jeu de raquettes, que les avocats ! Mais l’art de gou
verner devient de plus en plus l’art de dévider des phrases. Je ne veux pas dire que M. A. Laisant, qui a la dent dure et qui vient de baptiser la Chambre du nom de Chambre infâme, ait eu raison
de se servir de l’épithète, mais il est évident que nos députés se soucient beaucoup plus de discourir et de parader que d’agir pour le bien même de la nation.
Avocats ! Tous avocats !
Et, si j’avais l’honneur — ou le malheur — de faire partie de la Chambre actuelle, j’aurais bien vite réclamé qu’on fît une enquête immédiate sur ces pots-de-vin, authentiques ou présumés, que M. Laisant assure avoir été donnés à des députés dans l’affaire des traités avec les compagnies de chemin de fer !
Pas plus que la femme de César, une assemblée parlementaire ne devrait être soupçonnée.
Mais elle a fort peu l’air de se soucier de tout cela. Elle méprise, dit-elle, les attaques des jour
naux. Il tie faut pourtant pas jouer avec le feu, et à tant jeter les allumettes au diable, on finit par en allumer une et s’y brûler.
Un des censeurs nommés par Napoléon s’écriait, un jour :
— Nous sommes les empereurs de la pensée ! Nos députés ont beau jeu à se répéter :
— Nous sommes les empereurs de la France !
Mais il ne faut pas qu un des leurs leur retrousse leur pourpre impériale et leur dise : Vous avez là une tache d’argent, sans qu’aucun de ces Césars de la tribune réponde :
—- Eh bien ! monsieur, prouvez-le !
Donc, le vent est aux polémiques — et au mauvais temps.
On a repris une vieille féerie, Peau-d Ane, agrémentée de clowns, on donne, comme on sait, à l’Hippodrome, sous la p uie, une pantomime litté
raire, Néron, par M. Paul Milliet. Ce sont là les seules curiosités de Paris. Je me trompe : il y a eu la vente de la belle collection de Benjamin Pillon, les autographes des généraux de la guerre de Vendée, royalistes comme La Rochejacquelein ou ré
publicains comme Kléber. Ce goût des autographes croît avec les années. J’en ai vu naguère un des plus curieux, un plan de Mémoires de Ja]ma, tracé par Talma lui-même, et à la lecture du seul som
maire, on devine combien un tel livre eût été curieux si Talma l’eût écrit :
L’anecdote du billet à Roussin. — Ma liaison avec Mirabeau. — Son monument. — La haine de Robespierre pour moi. — Ce qu’il avait dit à mon tailleur. —J’ai été plusieurs fois au tribunal révolutionnaire; montaient seul, dont on avait besoin alors, fut mon salut. — Chamfort ; la Bastille ne fait que croître et embellir. — Ré
flexions de Ducis sur le jeune Horace. — Brutus et la Mort de César; le grand effet que j’v produisis par la manière simple dont je jouai. Je me pénétrai fortement de ce grand caractère par la lecture fréquente de la fameuse lettre de Cicéron, chef-d’œuvre antique de grandeur, de noblesse et de simplicité.
Il y a, dans ces quelques lignes, tout un volume et je regrette bien qu’il 11’ait pas été publié, qu’il soit demeuré à l’état de projet.
Coquelin aîné, qui écrit fort joliment — on l’a vu par ses Conférences sur Eugène Manuel et Sully-Prudhomme — achève ses Mémoires sur Gambetta et il a raison. C’est de la pâture pour l’avenir.
— Pourquoi Coquelin ne laisse-t-il pas cette tâche à un ami politique de Gambetta ? disait naguère quelqu’un.
— Parce que Coquelin est un ami qui aima Gambetta sans lui rien demander que son amitié.
Tous les politiciens n’ui sauraient dire autant. Tous les financiers qui tournoyaient autour de Gambetta tout puissant et qui l’ont oublié maintenant n’auraient point pareille réponse à faire.
L’un d’eux, ultra-millionnaire, très connu, très parisien, comme on dit, a donné cent francs pour le monument de celui qu’il flattait vivant.
— Comment! cent francs, vous, un des potentats de la finance !
— Qu’est-ce que vous voulez ? Gambetta est mort; je n’ai plus de prétexte pour lui faire plaisir!
Voilà donc aussi ce pauvre Cettiwayo mort! Il aura, ce potentat d’Afrique, causé sans le vouloir la mort du prince impérial. Ce sera, dans l’his
toire, le héros bouffon de la tragédie du Zululand. Le pauvre diable, qui était un gros diable, aurait bien mieux fait de demeurer en Angleterre. On l’y regardait comme une bête curieuse, un peu comme l’illustre éléphant Jumboë, les chansonnettes des music halls se moquaient de lui, dans leurs sautil
lants refrains, mais on l’y nourrissait et Cettiwayo s’est ennuyé de la vie anglaise. Il sera mort, le pauvre roi, pour avoir mis des bottines.
Les bottines de Cettiwayo sont tout un poëme. Quand il fut fait prisonnier, il était pieds nus, comme tous ses soldats. On l’amena, nu-pieds, en
Angleterre. Les belles bottes des soldats anglais le stupéfiaient ; superstitieusement il attribuait peutêtre à ces hautes bottes les victoires britanniques. Cettiwayo demanda un cordonnier. Le cordonnier vint et prit mesure d’une paire de bottines anx gros pieds noirs de Sa Majesté zouloue.
. Voilà Cettiwayo enchanté. Il a des bottines qu’il sait mettre avec plus de soin que le roi Dagobert n’en mettait à s’insérer dans ses culottes. Il promène ses libres pieds emprisonnés dans du cuir. Il est .fier, il est glorieux de ses bottines. Mais, ô douleur, ce cuir le gêne ! Les durillons et les oignons civilisés font pousser des cris de colère à Cettiwayo, qui renoncera, dit-il, au prestige des bottines.
On lui fait observer pourtant qu’il ne sc peut promener pieds nus dans les squares et les salons anglais. Et le cant ! Et le decorum ! D’abord, Cet
tiwayo se résigne: il souffrira pour être élégant. Il sacrifiera le confortable au convenable, mais, à la fin, la douleur est trop forte : il préfère quitter l’Angleterre et retourner au Cap.
Et il part. Et il va à la mort! Et c’est sinon à propos de bottes, du moins à propos de bottines, que le pauvre Cettiwayo a été massacré, lui, ses femmes et toute sa cour, par un rival heureux, son ancien officier, qui sera peut-être égorgé, à son tour, par un de ses généraux actuels.
Encore Cettiwayo a-t-il eu la chance de n’être point mangé.
Les rois de l’Amérique préhistorique et peutêtre aussi ceux de l’Afrique mangeaient l’œil des victimes et leurs guerriers dévoraient le cœur. « Ce privilège de manger l’œil est tellement géné
ral chez les sauvages, dit M. Bert, qu’il se retrouve même chez les Taïtiens. Un des noms de la reine Pomaré signifie littéralement : Je mangel œil. »
Ah ! que Cettiwayo a dû regretter les cordonniers de Londres quand il a senti dans sa peau noire la zagaie de son lieutenant !
J’ai trop de fois parlé des concours du Conservatoire pour revenir sur leur physionomie, tou
jours à peu près pareille. Il y a eu, cette année, une révélation dans la tragédie, un jeune homme, M. Albert Lambert, qui a joué Hamlet magistrale
ment. M. de la Rounat l’a, sur-le-champ, engagé à l’Odéon où ce jeune homme qui a à peine dix-huit ans retrouvera son père, qui n’en a pas quarante,
et qui, poète de talent, est aussi un comédien des plus remarquables, vibrant, chaleureux, convaincu. Et les autres lauréats?
Ils colportent, chez les directeurs, leurs vaines couronnes, en quête d’engagements comme les lit
térateurs qui débutent sont en quête de réceptions,
leurs tristes manuscrits à la main ? Ils connaissent déjà les déceptions de la vie de théâtre :
Auprès de ces fiers directeurs Oui font si brillante figure,
Qu’êtes-vous, modestes ( ^i^teurs ? Les marchepieds de leurs voitures !
Aussi comme sè vengent les Sarah Bernhardt, et les Sardou, quand ils sont arrivés — et comme ils ont raison !
PerDican.