HISTOIRE DE LA SEMAINE
De toutes parts les journaux s’écrient que la Shambre est en vacances et que les députés « se reposent ». Quelques uns, même ajoutent qu’ils se reposent de « n’avoir rien fait ».
L’épigramme n’est qu’à moitié juste, si même elle l’est à moitié. Cela dépend comme on veut l’entendre. On peut n’avoir rien fait et, cependant,
avoir travaillé beaucoup ; c’est précisément le cas delà Chambre. Songez donc, bonnes gens, que, du 12 janvier au 2 août, cette Chambre a tenu cent une séances ! Et si l’on mettait bout à bout toutes les lignes du Journal officiel qui contiennent les dis
cours, les projets, les rapports et le reste — tout le parlottage, en un mot, du régime parlementaire — on aurait à peu de chose près la distance de Paris à Dijon, ce qui est une ligne d’une belle longueur, attendu que le plus gros volume Charpentier, aligné de la même manière, n’est qu’à moitié chemin de la Bastille à Charenton.
Donc la Chambre a beaucoup travaillé, c’est certain. Mais je conviens qu’elle a fait peu de be
sogne. Seules les quinze dernière, séances, où el .e travaillait comme un écolier mis en retenue jus
qu’à ce qu’il ait fini son pensum, ont été vraiment productives : les conventions avec les Compagnies de chemins de fer et la loi sur la magistrature, c est de la besogne. Cette besogne est-elle bonne ou mauvaise, je n’en sais trop rien. Mais enfin, elle est acquise, et mieux vaut faire mal que ne rien faire.
Les députés ont donc légitimement acquis le droit de se reposer. Seulement vous pouvez être assurés qu’ils ne se reposeront pas. Le repos du député n’est qu’une chimère ; et le temps des va
cances, plus qu’aucun autre, est occupé, laborieux, pénible, insupportable.
Deux fléaux, presque aussi redoutables l’un que l’autre, ravagent l’existence du député : la mendicité électorale; la tutelle des comités.
Le premier fléau sévit plus particulièrement sur les députés de province, modérés et ministériels. Les radicaux en sont à peu près exempts, mais leur condition n’en est pas meilleure, car le fléau des comités sévit sur eux avec une intensité vraiment effroyable.
Il vaut la peine d’inshter sur ces détails. Ce ne sont pas, comme on pourrait le croire, de simples notes comiques, bonnes tout au plus à faire sourire. Rien, au contraire, n’est plus grave; ce que j’in
dique là ce sont les deux vices les plus dangereux du régime parlementaire tel que nous le prati
quons, et ce n’est pas ailleurs qu’il faut chercher le secret des incertitudes de notre politique, de l’instabilité de notre gouvernement et, surtout, de l’impuissance stérile où se débat la Chambre.
Le député d’arrondissement, devenu le commissionnaire et le domestique de ses électeurs, est placé dans la condition la plus misérable. Il a vingt-cinq lettres à répondre chaque jour, vingt démarches — .vingt sollicitations — à colporter dans tous les ministères. Sorti dès huit heures du matin, il court d’antichambre en antichambre et de bureau en bureau jusqu’à midi. Dans les couloirs de la Chambre, il accroche au passage les ministres, sous-secrétaires d Etat ou directeurs-géné
raux Il quémande dans les petits coins et mendie au passage. Il n a plus à lui deux minutes de son temps, ni une miette de son indépendance. Com
ment refuser quelque chose à des ministres dont on sollicite tant de faveurs ?
Plus dure encore, peut-être, est la condition de député radical intransigeant placé sous la main de ses comités.
Si l’arrondissement pratique l’individualisme le plus effréné, l’intransigeance urbaine a la pré
tention de pratiquer le «gouvernement direct». Voire certains théoriciens du parti l’ont érigé en principe ; maintenant, ils sont les premiers à pâtir. Car, la difficulté n’étant pas mince de réunir à chaque jour et à toute heure la population tout entière d’un arrondissement, les comités se sont car
rément substitués au peuple ; de .sorte qu’on a réalisé, ni plus ni moins, la tyrannie directe des comités.
Or, il faut convenir que, surtout dans cette nuance, les comités ne sont pas toujours la fleur de toutes les supériorités du pays. Etant données
les agitations, les violences, quelquefois même les brutalités des luttes électorales, les gens posés, sé
rieux, considères se tiennent loin de ces bagarres, de sorte que le terrain reste libre aux politiciens de canton, aux plus bruyants, aux plus brouillons, aux plus effrontés.
Soupçonneuse, inquiète, jalouse, irritable, inintelligente et tracassière, la domination des comités 11e laisse pas un instant de repos au député qui s’est donné le tort de l’accepter. Moins malheureux était un doge de Venise placé sous la main du Con
seil des Dix. Chaque vote, chaque démarche du député passe au crible et devient l’objet d’une in
jonction ou d’une réprimande. Moins vigilant était l espionnage de l’Inquisition. Pour un rien, le dé
puté reçoit sommation de comparaître à la barre et de s’expliquer, de se justifier. Même certains co
mités ont élevé la prétention — acceptée, nous âit-on, par quelques ambitieux — d’exiger de leurs candidats leur démission en blanc.
On comprendra, je pense, que, dans l’une et l’autre de ces conditions, le métier de député — car cela devient un métier, — n’est vraiment pas tenable.
Ajoutez à cela qu’au point de vue pécuniaire, le désagrément n’est guère moindre. Ces fameux « vingt-cinq francs » avec lesquels on a discrédité deux ou trois fois la représentation nationale sont tout juste la misère. Neuf mille francs par an, pour vivre à Paris, en famille, aux prix où sont les loyers, c’est peu de chose. Et puis il y a les charges, les cotisations, les quêtes, les aumônes, les frais de représentation, les voyages, les courses. C’est tout au plus si, grâce à des efforts merveilleux d’écono
mie, les 9,000 francs suffiraient à joindre les deux bouts. Et dire qu’il y a encore des journaux pour reprocher à ces malheureux leurs vingt-cinq francs !
Ceci vous explique comment il se fait que trois
cents députés sont membres d au moins un conseil de surveillance.
Le résultat de toutes ces misères c’est que, maintenant, les hommes de valeur abandonnent la po
litique et se refusent aux candidatures. Sous ce rapport, les dernières élections sont navrantes. Pour peu que cela continue, la Chambre ne se recrutera plus que parmi deux catégories de ci
toyens dont la prépondérance n’a rien de bien ras
surant : i° Les fruits secs et les déclassés de toutes carrières, devenus politiciens faute de pouvoir faire autre chose, et pour qui les 9,000 francs — et te reste — sont un pactole ; 2U les Carabas de canton, coqs de clocher, aigles de village, tyranneaux d’ar
rondissement, pourvus de quelque aisance et avides de domination, heureux de régner et de comman
der dans leur pays, tatillons, insolents, étroits et... serviles envers tous les gouvernements qu.ls qu’ils soient.
Telles sont les deux plaies du régime parlementaire ‘actuel ; et nous commençons à en souffrir beaucoup.
Ce que je viens de dire, M. Gambetta l’avait pressenti depuis longtemps et il l’avait traduit dans un mot qui a fait fortune. Car, d’une part, le scru
tin d’arrondissement, d’autre part, l’utopie du gouvernement direct nous mènent tout droit au «gouvernement des sous-vétérinaires. »
Sénat. — Séance du Ier août : Vote de divers projets d’intérêt local. — Discussion de la loi ouvrant au ministre de la marine et des colonies un crédit de 4 mil
lions 677,000 francs pour la construction des chemins de fer et des forts du Sénégal. Adoption.
Séance du 2 : Adoption de divers projets de loi d’intérêt secondaire déjà adoptés par la Chambre des députés. Le président du conseil donne ensuite lecture du décret présidentiel qui met fin à la session ordinaire de 1883
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Chambre des députés. — Séance du i01 août : Discussion du projet de loi portant approbation d’une convention relative à l’établissement d’un câble télégra
phique sous-marin entre la Cochinchine et le Tonkin. Combattu par M. Blancsubé, défendu par le ministre de
la marine, le projet est repoussé. — M. Jules Roche lit ensuite son rapport sur le projet de réforme judiciaire amendé par le Sénat. M. Cunéo d’Ornano combat la loi. M. Clémenceau demande le rétablissement de l’article 10 interdisant le cumul des fonctions judiciaires avec le mandat de sénateur. L’amendement est rejeté et la loi votée. — Interpe’lation de M. Gaillard à M. le garde des sceaux sur le fait qu’un substitut du procureur de la Répub ique à Orange aurait été mis en demeure d’opter entre ses fonctions et l’acceptation de la candi
dature au conseil général que lui offraient les électeurs du canton d’Auduze. Le ministre de la justice déclare qu’il est de règle absolue qu’un membre du parquet ne peut poser sa candidature sans autorisation du garde des sceaux et qu’il entendait maintenir cette règle. Ordre du jour.
Séance du 2 : Discussion des deux dernières conventions avec les chemins de fer. Sur l’Est, un amendement de l’extrême gauche est défendu par M. Madier de Montjau. Il s’agit de conférer à l’Etat le droit de nommer le directeur de la Compagnie et de se faire représenter
dans le conseil d’administration par un nombre de membres égal au nombre d’administrateurs nommés par les actionnaires. Combattu par M. Raynal, la proposition est écartée. Le projet est adopté. — La con
vention avec l’Ouest est également adoptée. — Lecture du décret présidentiel mettant fin à la session.
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Décrets. — M. Foucher de Careil, sénateur, est nommé ambassadeur de la République française auprès de l’empereur d’Autriche.
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Elections. — Législative. Département de l’Aude, arrondissement de Narbonne : M. Papinaud, radical. Il
s’agissait de remplacer M. Mairie, démissionnaire. — Municipales de Paris. Cinquième arrondissement, quartier Saint-Victor : M. Sauton, républica n, en remplacement de M. le docteur Bourneville, élu député. Trei
zième arrondissement, quartier de la Salpêtrière, M. Pichon, radical, en remplacement de M. Sigismond Lacroix, élu député.
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Annam.— Mort de l’empereur Tu-Duc. Il était né en 1830. Fils cadet de l’empereur Treuï-Tri, il succéda à son père en 1851; c’est alors qu’il échangea son nom
de Haong-Giâm contre celui de Tu-Duc. Son frère aîné, Hoang-Bao, éliminé du trône, ne tarda pas à ourdir une conspiration qui fut découverte et lui valut d’être enfermé dans un palais de Hué, où il se pendit six ans après.
L’empereur Tu Duc ne resta pas longtemps tranquille : ennemi des Européens, il voyait dans le moindre accroissement d’inflqgnce des étrangers le commencement de la dissolution de son empire. En 1856, il re
fusa de laisser débarquer l’envoyé de France, qui venait lui proposer un traité de commerce, et, l’année suivante, il fit mettre à mort l’évêque espagnol Diaz. Les deux pays envoyèrent alors une expédition, sous les ordres de l’amiral Rigault de Genouilly, qui emporta les forts deTouranne, en août 1858, et, quatre mois plus tard, attaqua Saigon.
Tu-Duc demanda une suspension des hostilités pour gagner du temps et réprimer une révolte qui avait éclaté au Tonkin ; mais aussitôt après il reprit les armes. Il eut à combattre contre les amiraux Page, Bonard et Charner ; ce dernier lui enleva trois provinces et le força à signer, le 15 juin 1862, le traité de Saigon. Tu- Duc se décida alors à envoyer une ambassade à Paris, offrant une indemnité de quarante millions de dollars pour prix de l’évacuation du pays.
Le résultat de cette mission fut la conclusion du traité du 15 juillet 1864, portant que l’indemnité ne serait que de vingt millions, mais que la France conserverait le protectorat des provinces conquises, garderait Saigon et aurait trois ports ouverts sur la côte de Cochinchine. Depuis,Tu Duc ne cessa de protéger ou d’exciter contre noutvles pirates connus sous le nom de Pavillons-Noirs, ce qui amena les expéditions de 1873, où le lieutenant de vaisseau François Garnier trouva une mort glorieuse, et l’expédition actuelle qui a coûté, au mcis de mai, la vie au commandant Rivière.
Traité conclu entre la Suisse et les Etats-Unis en vue du règlement, par une haute cour arbitrale, des conllits et différends qui pourraient surgir entre les deux pays. Ce traité contient six articles ; il indique les formes à adopter et la procédure à suivre, sans mentionner aucun principe de droit.
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Espagne. — L’insurrection de Badajoz. — Onze cents soldats et civils ont proclamé la République et coupé le télégraphe, qui a été ensuite rétabli-. On croit qu’ils se sont emparés de plusieurs milliers de fusils dans la forteresse de Badajoz. Ils ont essayé vainement d’embau
cher les douaniers. Le ministre de la guerre a envoyé immédiatement 2,000 soldats à la poursuite des insur
gés. On pense que ceux-ci, lorsqu’ils verront qu’ils ne sont pas soutenus, chercheront à gagner le territoire portugais.
L’lmparcial croit savoir que les insurgés de Badajoz ont désarmé la gendarmerie, occupé la gare du chemin de fer et fermé les portes de la forteresse.
On ignore si les autorités sont prisonnières.
Les insurgés se sont soulevés aux cris de : « Vive la République avec la Constitution de 1869 ! Vive Zorrilla ! » — Les insurgés se refugient au Portugal ; l’ordre est rétabli.
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Nécrologie. — Le général de division J.-B. Pellé, né à Créen, près Bordeaux. Engagé volontaire, il gagna tous ses grades en Algérie, d’où il rèvint lieutenantcolonel en 1851. Il fut renvoyé bientôt pour prendre part à la conquête de la Kabylie et fut blessé à l’assaut de Beni-Roten. Promu général de brigade, il commanda en Corse jusqu’à la guerre de 1870. C’est le général Pellé qui, à la tête des zouaves et des turcos, soutint à Wissembourg, pendant toute une journée, la lutte con
tre le gros de l’armée allemande; il se battit encore avec sa division décimée à Frœschwiller; à Sedan, il fut fait prisonnier et emmené en Allemagne. Il commanda de
puis une division et prit sa retraite avant d’atteindre la limite d’âge. Il était grand-officier de la Légion d’honneur.